La chaleur pèse sur les épaules de Murphy. Sous le soleil, elle s'est seulement parée d'une énième robe volée. Ses talons aiguilles battent le pavé. Fraichement sortie de l'hôpital, elle accuse le coup de la fatigue. Ruben lui a dit d'y aller doucement mais elle n'écoute guère, absorbée par l'idée de se rendre à une nouvelle soirée. Le business n'attend pas et Jude n'acceptera pas qu'elle relâche son attention.

Et voilà qu'un coup de froid l'interpelle et qu'elle se dirige vers un magasin en bord de voie. Sur le trottoir, pas un chat. Dans le magasin non plus, d'ailleurs, et Murphy a les mains baladeuses. Entre un sandwich et une bouteille de coca, elle glisse dans ses poches quelques friandises et l'air de rien, un collier bas de gamme trouvé sur un présentoir. Rien ne l'arrête vraiment et pas même sa conscience. En fait, elle ne se rend pas vraiment compte qu'elle vole. C'est comme ça.

Alors qu'elle passe à la caisse, ses yeux se posent sur un type, d'à peu près son âge. Murphy le dévisage pour essayer de lui faire détourner le regard, mais rien n'y fait. Il a le regard littéralement vissé sur elle alors qu'elle paye certains articles - et qu'elle en laisse d'autres dans ses poches, de façon délibérée. Il l'a vue, c'est sûr. Il a vu ses mains se promener sur les étales. Il a vu comme ses doigts ont, avec une facilité et une agilité déconcertante, pris tout ce qui attirait son regard. Il a aussi vu comment elle a tout glissé dans les poches de sa veste - volée, elle aussi. Il a tout vu.

Alors, pour se donner un peu bonne conscience, elle détourne le regard et règle la note de ce qu'elle a posé sur le tapis. Le type sera déjà loin, dans quelques instants. Elle n'y pensera plus. Ce n'est pas souvent qu'elle se fait prendre et c'est bien la première fois qu'un client n'intervient pas - ou qu'elle le remarque, du moins. Mais quand elle sort, les poches pleins d'articles dérobés, le type est juste derrière elle. « Quoi maintenant ? Tu m'achale, là. » Et visiblement, il n'a pas fini de la déranger. Peut-être qu'il a une conscience. Peut-être qu'il appellera la police, aussi. Mais Murphy n'a pas peur. Elle n'a jamais eu peur.

“Cesar on a plus de beurre, tu peux aller en acheter s’il te plaît ?” J’essaie de ne pas soupirer quand Maman me pose cette question. J’étais bien dans ma chambre, j’étais inspiré et j’avais bien avancé sur mon dessin alors je n’avais aucune envie d’être dérangé. Je lâche un soupir avant de me lever de ma chaise de bureau. Je sais qu’elle vient de rentrer du travail et qu’elle est crevée, elle doit aussi s’occuper des petits vu que Sara n’est pas là alors je me fais une raison il faut que je me bouge. “J’y vais.” Je n’ai aucune envie de quitter ma chambre, surtout qu’aujourd’hui le temps s’est rafraîchi ce qui me donne encore moins envie de sortir.

J’attrape mon porte monnaie et je quitte la maison pour aller à l’épicerie du coin. Le magasin est désert et je m’en réjouis parce que je n’aurais pas besoin d’attendre trop longtemps à la caisse. Et puis il y a cette fille qui rentre dans la boutique, je ne sais pas pourquoi mais elle attire mon regard. Une grande assurance se dégage d’elle et il faut l’avouer :  elle est pas mal du tout. Je la suis discrètement du regard pendant qu’elle fait ses courses et là je la vois mettre quelque chose dans sa poche. Je me dis que j’ai sûrement mal vu, elle ne vient quand même pas de voler devant moi ? Je la regarde toujours et je vois qu’elle recommence et là le doute n’est pas permis quand je vois qu’elle glisse le collier dans sa poche. Elle est gonflée quand même. Je la vois se diriger vers la caisse et je vois qu’elle règle pour son sandwich et son coca mais pas pour le reste. Je suis derrière elle, j’attends pour régler ma plaquette de beurre. Je paie en vitesse et je sors aussi de l’épicerie, je suis sur les talons de la voleuse. « Quoi maintenant ? Tu m'achale, là. » Elle n’est quand même pas en train de me mettre la faute dessus alors que c’est elle qui vient de voler ? Elle est plus que gonflée, surtout que je ne lui ai rien dit, je sortais simplement du magasin. Je l’ai peut-être mal regardée, ça doit être pour ça. “Je te trouve bien agressive pour quelqu’un qui vient de se faire griller en plein vol, je pourrais te balancer si je voulais.” J’ai tout vu, je pourrais appeler la police ou la balancer au gérant de l’épicerie, elle n’est pas en position de me parler comme ça.  “Je suppose que t’as pas fait ça par besoin, c’était pour le frisson c’est ça ?” Je pourrais être très indulgent si je savais qu'elle avait volé pour manger, par besoin. On peut tous être en galère financière alors je peux comprendre qu’on vole par nécessité mais si c’est juste pour le plaisir et le frisson j’aurais plus de mal à laisser passer ça.

Merde, en retard, pas le temps, son reveil n’a pas sonné et quand elle a ouvert les yeux, elle a tout de suite compris que le soleil frappait déjà trop fort sur sa caravane. Elle est même pas bien réveillée, encore dans le brouillard quand elle se hâte de sortir de sa maison sur roulettes. Elle prend le premier bus qui se dirige vers Redcliffe. Le premier bus où tous ceux qui la croisent font une tête bizarre ou se mettent à rire dans son dos. Jina a presque l’habitude de ça, elle ne relève pas. Elle dort à moitié dans ce bus, le visage collé à la vitre, elle a vingt minutes avant d’arriver à destination. Avant d’arriver au travail où un de ces collègue aurait sans doute pris sa première session de jeu. Elle était déjà bien trop à la bourre et n’avait même pas jeté un œil sur son téléphone pour voir si on avait essayé de la joindre. Elle voulait rester dans le déni et ne pas avoir à affronter la mauvaise humeur de sa patronne, Molly. Molly est une sorcière qui n’a jamais rien compris à sa taf et qui se permet de faire trop de remarques sans être capable de se les appliquer à elle-même. Jina n’aime pas Molly, c’est tout.
Descendant du bus, la brune passe devant l’épicerie de l’angle et alors qu’elle jete un œil dans le reflet de la vitrine, elle s’arrête net. « Bordel ! » elle vire au rouge, Jina. Elle est confuse, honteuse et ne comprend rien. Elle qui était encore bien endormie, ce coup de pression venait de lui fournir l’énergie suffisante pour la journée. Qu’est ce que son soutien-gorge et son tanga foutaient au-dessus de ses fringues ??? A quel moment avait-elle oublié l’ordre dans lequel elle devait enfiler ses vêtements ? Elle croisa les regards de ces deux personnes qui venaient tout juste de sortir de l’épicerie, elle baissa alors les yeux, couru en direction de son travail pour aller rapidement remettre tout ça en ordre. Quelle connerie. Elle comprenait aussitôt pourquoi on s’était moqué d’elle depuis sa montée dans le bus de ville.