« Je ne vais pas te dicter ce que tu dois faire Cian, mais il a besoin de toi… » La voix d’Ida se veut douce, celle d’une maman qui sait parfaitement gérer le conflit sans jamais frustré l’un des partis. Son regard s’ancre au mien, dans une volonté d’appuyer ses propos de cette force qu’elle maîtrise depuis des années et qui a toujours su me déstabiliser. Ses prunelles ont perdu de leurs éclats, quand les cernes n’ont de cesse de creuser son visage, l’inquiétude venant ronger ses doux traits, jours après jour. Elle paraît épuisée, au point de s’en effondrer et pourtant, c’est aux autres qu’elle ne cesse de penser. Je ne saurais me risquer à lui rappeler qu’elle devrait se reposer quand la blonde s’est arrêtée au centre dans un but précis que personne ne pourra déroger. « Tu sais comment il est, à toujours vouloir bien faire et s’entêter dans sa version des faits. » Un soupir m’échappe et je viens l’interrompre avant même qu’elle ne poursuive sa phrase. « Ne lui cherche pas des excuses Ida. » Thomas est un grand garçon, en pleine conscience de ses actions et de leurs conséquences. « Vous n’êtes que deux idiots. » Jamais elle ne hausse le ton, sa conclusion s’annonce dans une froideur calculée tandis qu’elle se lève pour mieux s’approcher de la porte. « Ida attend. » Incapable d’être assez rapide pour la rattraper, j’espère qu’elle s’aura m’accorder une minute supplémentaire. Son corps s’immobilise sans jamais se tourner dans ma direction et d’un pas mal assuré, je me rapproche d’elle pour mieux la prendre dans mes bras. Ida ne craquera pas ainsi, elle est bien trop capable de gérer ses émotions pour se laisser aller, mais mon étreinte se propose comme la plus grande invitation à juste lâcher prise. Je sens ses bras m’enserrer avec force tandis que je viens déposer un baiser sur sa tempe. « C’est une battante ta fille. » A défaut de trouver la force des mots, elle hoche la tête lentement. « Tu es sur la liste des visiteurs autorisés. » Et avant que je n’aie eu le temps de répliquer quoi que ce soit, elle file dans le couloir.

La condition de Clara s’est aggravée du jour au lendemain. Admise à l’hôpital pour des faiblesses cardiaques, la petite fille est désormais plongée dans un coma artificiel, à la merci des machines et du personnel soignant. Ida n’a eu de cesse de me donner des nouvelles depuis le premier jour, mais jamais je n’ai envisagé qu’elle se déplace jusque ici non pas pour me parler de sa fille, mais plutôt pour s’inquiéter de l’état mental de son ex-mari. Il ne fallait pas connaître Thomas parfaitement pour comprendre qu’il a toujours su tenir son rôle de père à la perfection. Si je me suis demandé comment il appréhendait l’hospitalisation de Clara, je n’ai jamais fait le pas de prendre de ses nouvelles. Il avait su jouer de mes faiblesses pour tailler la vérité dans son sens, me laissant empli de doute et d’incompréhension avec le sentiment d’avoir été manipulé par la personne en qui j’avais le plus confiance. Ce n’est pas une faille qui se répare en un instant, mais plutôt un trou immense qui ne trouve aucune explication rationnelle et qui s’en vient à tout remettre en question.

Les propos d’Ida se sont mélangés aux reproches cracher avec véhémence par Thomas, donnant lieu à une belle insomnie et la détermination de traverser ce fichu parc pour retrouver l’enceinte du service pédiatrique de l’hôpital. Après quelques pauses sur tous les bancs mis à ma disposition sur le chemin, je me présente à l’accueil. Une jeune femme me guide, avec une patience infinie, au travers des couloirs jusqu’à la chambre de Clara. La petite fille est allongée dans ce lit immense pour elle, le teint aussi blanc que les draps. Mon cœur se serre face à cette image et je me rappelle soudainement pourquoi j’ai mis autant de temps à venir la voir en dehors de mon conflit avec son père. Voir ma filleule ainsi me laisse dans un sentiment d’impuissance qui réveille trop d’émotions en contradictions. Lentement, je me laisse glisser sur le fauteuil près de son lit. « Bonjour ma puce, c’est ton parrain préféré. » Si ma voix déraille sur le coup de l’émotion, je me reprends en venant déposer une peluche contre son petit bras. « Il est pas super chouette celui-là, mais il est amoché comme nous. » J’ai dégoté l’ourson dans la boutique souvenirs de l’hôpital, parce que quoiqu’il arrive je ne déroge pas à la tradition qui se veut d’agrandir sa collection jusqu’à ce qu’elle me fasse comprendre qu’elle est devenue trop grande pour cela. Du bout des doigts, je viens serrer sa main dans la mienne, me surprenant à prier tout l’Univers pour ne pas la laisser sombrer.

Les bruits de pas, je les ai relevés depuis le bout du couloir. Cette démarche, ne peut appartenir qu’à une seule personne et lorsque la porte s’entrouvre derrière moi, je comprends que Thomas est là. Il faut un souffle, avant que je me tourne vers lui. « Hey… » Je suis là.

@thomas beauregard

C'est d'un pas lent que je me traîne dans le couloir des soins intensifs. J'ai signé le document notifiant ainsi mon passage en ce jour sans faire attention aux autres noms, je me suis désinfecté les mains comme d'habitude et j'ai changé mes chaussures comme toujours. La seule chose qui change aujourd'hui des autres jours, c'est le fait que je n'adresse la parole à personne. Je traverse le couloir d'une démarche peu assurée, le regard rivé au sol, ne souhaitant voir ni parler à personne. Chaque pas semble me demander un effort surhumain et, alors que j'approche de la chambre de ma fille, c'est mon cœur qui se serre et ma gorge qui se noue tant je ne sais pas quoi y trouver. Si je m'étais arrêté et que je m'étais pris le temps de demander des nouvelles aux infirmières, celles-ci m'auraient dit que l'état de ma fille est stable et n'a pas changé depuis hier et pourtant, je me retrouve là, à me poser d'innombrables questions et à m'imaginer un nombre incalculable de scénario maudit qui pourrait se dérouler.

Toutefois, je n'aurais jamais imaginé me trouver face à Cian en poussant la porte. Comme frappé par la foudre, je reste cloué à l'entrée, clenche en main, le regard rivé sur celui qui a été -et je garde espoir qu'il le soit toujours- mon meilleur ami pendant de longues années. Après plus d'un mois sans nouvelles de sa part, j'avoue avoir commencé à me faire une raison et je crois que mon esprit s'était presque habitué au fait que je ne le reverrais plus jamais, si bien qu'en le voyant là quelque chose en moi se brise à nouveau. Je me rends compte, maintenant, qu'au final l'amour fraternel que je lui porte ne s'est jamais atténué et les horribles regrets me reviennent en pleine figure. J'avoue que je suis à deux doigts de craquer et les larmes ne sont pas très loin quand mon envie de me jeter dans ses bras est plus forte que jamais.

« Salut» dis-je dans un souffle d'une voix faible, alors que je referme doucement la porte derrière moi. Tournant le dos à Cian, je me dirige vers l'armoire et commence à ranger les quelques minces affaires qui appartiennent à Clara « Je ne pensais pas te voir ici » ma voix, bien que se voulant être sobre, est teinté autant d'amertume que de soulagement, tant je suis incapable de savoir si je suis content que le militaire soit là ou non.

Je savais parfaitement que cela allait arriver. Qu’en venant rendre visite à ma filleule, j’allais forcément croiser le chemin de son père. Inconsciemment, je crois que ma visite s’est organisée dans l’optique de choisir la fenêtre horaire où Thomas serait forcément venu à l’hôpital, parce que son rythme, je le connais par cœur, malgré les conflits, je sais encore deviner comment il fonctionne. Pourtant, je reste un instant dos à lui, pas réellement sûr de trouver le courage de lui faire face sans que toute la vague déferlante d’émotions me revienne en pleine face. Il n’a jamais su pleinement s’expliquer et je lui en tiens encore rigueur. Il y avait eu des mots plus hauts que les autres, de la colère déversée sans réelle explication aucune, mais pas de présentation logique qui pouvait profondément expliquer sa prise de décision. À tort, j’avais pensé qu’un silence radio le pousserait à revenir le premier, mais les choses se sont drastiquement compliquées. Jamais je n’avais souhaité que Clara finisse entre ses murs et malgré nos conflits, jamais je n’ai voulu retrouver Thomas dans un tel état. Il a beau se redresser, les signes, je saurais les reconnaître par milliers. Il ne dort plus ou presque pas, dois probablement se forcer à se nourrir pour faire bonne figure devant ses deux autres enfants et refuse catégoriquement de parler à Ida de tout ce qui se trame dans un coin de sa tête. Il s’entête même à faire du rangement, dans sa constante manie de vouloir garder le contrôle sur ses émotions. Lâche les vêtements Thomas et ose me regarder dans les yeux juste une fois.

« Je pouvais pas ne pas venir la voir. » Je ne suis pas là pour lui, pas exclusivement. J’avais besoin de rappeler à Clara que je ne serais jamais bien loin, que mon rôle à ses côtés tient toujours avec autant de force. Du bout des doigts, je viens caresser la joue de la princesse endormie que j’aimerais tant voir s’éveiller juste un peu. « Ida m’a dit que ça n’allait pas. » Ida. La Suisse au milieu de nos conflits, la seule capable de nous tenir tête et surtout de trouver le raisonnement nécessaire pour nous faire dégager de nos convictions bien trop camper. Mais qu’est-ce que l’on dit à celui qui nous a trahis ? Je ne ferais pas semblant et il le sait parfaitement. Je n’ai aucune idée d’où me situer quant à Thomas. Il reste mon ami et en même temps, il y a bien des choses que je ne saurais lui pardonner en un claquement de doigts. Mais sa fille va mal et je ne suis pas un connard égoïste comme il semble n’avoir de cesse de le croire. « Tu peux arrêter de retourner ce pauvre placard. » Arrête de t’occuper les mains Thomas, fais moi face, juste deux secondes. Juste que j’ai le temps de prendre une vue d’ensemble pour lister les dégâts. « Comment tu vas ? » Parce que je ne suis pas un connard et qu’il reste Thomas, malgré tout.

Si je range l'armoire, c'est simplement, car le rangement est la seule chose que je parviens encore à contrôler. Lorsque plus rien ne va et que je me sens plus démunie que jamais, je me retrouve à être encore plus maniaque qu'à l'accoutumé mon esprit risque sinon de trop divaguer. Le fait d'avoir les mains occupées m'aide à me recentrer dans ma vie. Mais tout cela, Cian ne le sait que trop bien. Il me connaît, lui, il sait parfaitement à quel point mon besoin de contrôle s'accentue lorsque je me sens démunie. Lorsqu'il me dit qu'Ida lui a dit que Clara n'allait pas bien, je m'immobilise, me figeant dans mon mouvement alors que je ferme les yeux pour essayer de ne pas me faire submerger par mes émotions. Je sais qu'Ida lui parlait, je sais qu'elle n'a aucune raison de couper le contact avec lui, et pourtant savoir qu'elle est allé le voir sans que je ne sois au courant et qu'elle lui ai parlé de la santé de Clara me fait un coup. Légalement, il a tous les droits du monde d'être ici, il reste son parrain et il l'aime comme si elle était sa propre fille.

Lorsque Cian m'ordonne avec une certaine douceur de ne cesser de retourner le placard, je déglutis. Lorsqu'il me demande comme je vais, je pince les lèvres. Une partie de moi à envie de lui mentir. Une autre partie à envie de lui demander ce que ça peut bien lui foutre. Une troisième partie à envie de se mettre à genoux devant lui et de supplier de m'accepter à nouveau dans sa vie. Mais c'est finalement la quatrième partie, la plus rationnelle et la plus réfléchie qui prend le dessus alors que je finis par me retourner lentement.

C'est un regard fatigué que je pose sur Cian, sachant pertinemment qu'il ne lui faudra pas plus d'une seconde pour comprendre mon état d'esprit et à quel point j'ai enclenché le pilote automatique depuis quelques jours. « Mal» avouais-je finalement en baissant le regard, incapable soutenir celui de mon meilleur ami « j'y arrive plus. J'ai enfin réussi à avoir quelques jours de congés parce que je n'arrive plus à faire bonne figure au boulot » je me passe une main sur le visage et secoue doucement la tête « Je sais plus quoi faire. Entre l'état de Clara, celui de mon frère, la pression et le chantage au boulot...La seule chose qui aurait pu me faire tenir c'était toi » je ferme les yeux et déglutis « Mais je peux me reposer sur personne, pas même Ida qui n'est pas dans un meilleur état d'esprit que moi» tu me manques Cian. J'ai besoin de toi, aujourd'hui plus que jamais. Mais tu n'es pas là

« Enfin bon ...» Je souffle doucement et me repousse de l'armoire pour me redresser « C'est qu'un mauvais moment à passer hein» ajoutais-je en m'avançant vers le lit de Clara. Le contournant pour me retrouver de l'autre côté duquel se trouve le militaire, je me penche vers ma fille et embrasse son front, incapable de dire quoi que ce soit de plus.

Chacun de ses gestes vient me hurler en pleine tête que rien ne va. Je n’ai même pas besoin de croiser son regard, il n’est même pas obligé d’ouvrir la bouche. Tout se traduit dans son apparence, sa manière de se tenir et cette fichue manie qu’il a toujours eu de vouloir tout ranger dès que quelque chose ne va pas. On est dans une chambre d’hôpital et en dehors du placard, il n’a pas de grande option pour passer ses nerfs, prétendre que tout va bien dans le meilleur des mondes, sans jamais avoir à se tourner vers moi. Je pourrais m’en énerver, mais ce n’est pas le cas. Je le connais assez pour comprendre et surtout pour réaliser que tout semble être en train de sombrer autour de lui. Les ressentiments et la rancœur vont se ranger dans un coin, je n’oublie pas, mais je cherche à être le plus adulte possible. Je pourrais balancer une remarque lorsque je vois ses épaules se tendre à l’évocation du prénom de son ex-femme, mais je n’en fais rien. Il sait parfaitement qu’Ida est mon amie, que l’on a toujours perpétué notre relation amicale quand bien même ils ont divorcé depuis des années. Cela ne devrait même pas le surprendre qu’elle soit celle qui m’est tenu au courant des derniers événements. Elle avait besoin de quelqu’un à qui parlé, elle aussi. Lâche l’affaire Thomas, j’allais forcément finir par le savoir.

C’est uniquement lorsque son regard fini enfin par croiser le mien, que je comprends pleinement l’étendue des dégâts. Le militaire n’est que le reflet de ce qu’il a l’habitude de projeter au reste du monde. Des cernes violacés viennent creuser son visage, laissant une impression de vieillesse presque frappante. Il semble prêt à craquer et il ne faudra pas longtemps pour qu’il évoque les raisons. Je me mords la lèvre pour ne pas l’attaquer sur le boulot, je ne suis pas allé sur la base depuis trop longtemps pour prétendre n’avoir ne serait-ce que la moindre idée de tout ce qui a changé depuis le départ de Sullivan. « Qu’est-ce qu’il a ton frère ? » Je me mets ma main à couper que c’est encore Ezra qui se retrouve dans la merde et Thomas qui ne sait plus quoi faire pour lui venir en aide. Je préfère observer Clara lorsque Thomas se lance sur une légère remarque me concernant. C’est un sujet que l’on pourra traiter plus tard, probablement. « Dis pas de conneries, tu peux toujours compter sur Ida. » Quoiqu’il arrive et surtout dans des moments comme celui-là. Clara est autant sa fille que celle de la blonde et ils ont toujours su faire front à deux pour leurs enfants, qu’importe ce qui a bien pu se passer entre eux. Ne comprend-il pas qu’elle est venue me voir pour lui et pas pour prétendre à une visite de courtoisie ? Il doit probablement se cacher derrière ses œillères, bien trop préoccuper à se balancer dans le négatif. « C’est une battante ta fille. » Elle va s’en sortir, il ne peut pas en être autrement.

Perdu dans mes pensées, à observer la fillette si calme et si paisible, je ne réalise pas que le silence s’étire à l’infini. Il me faudra un instant avant de relever le regard vers Thomas qui semble m’observer. « On peut discuter si tu le souhaites… » De tout ce qui n’a pas été dit la dernière fois, en espérant que l’échange sera civilisé même si je suis incapable de lui promettre cela. « Mais pas devant elle. » Je nous connais assez pour savoir que tout pourrait virer en quelques secondes et il serait bien inutile de rendre Clara spectatrice des conflits d’adultes.

C'est la première fois en plus de 20 ans d'amitié que je ne sais absolument pas comment me comporter en présence de Cian. Bien que nous nous sommes déjà engueulé plus d'une fois, jamais nous n'avions mis autant de distance entre nous et surtout jamais nous n'avons laissé le silence s'installer aussi fortement. Me retrouver donc ici, dans cette chambre, un mois après avoir quitté celle de mon meilleur ami, me met bien plus mal à l'aise que j'imaginais. Et pourtant, c'est à cœur ouvert que je lui annonce que ça ne va pas autant dans ma vie que dans mon esprit. La douleur morale se fait même ressentir physiquement avec des migraines et des maux de dos à répétitions. N'est-ce pas un signal que m'envoie mon corps pour me dire de me reposer ? Je n'en doute pas une seconde et pourtant, je suis incapable de réussir à me poser. Car me poser signifierait lâcher prise et sombrer encore plus dans une forme de déni.

Pourtant, lorsque Cian s'adresse à moi, il n'y aucune amertume ni animosité, son ton est sobre avec tout de même une once d'inquiétude. Est-ce que cela signifie qu'il a décidé de ne pas me rayer totalement de sa vie finalement ? C'est un mince espoir qui renaît en moi alors que je lève furtivement mon regard sur le militaire lorsqu'il me demande ce qui se passe avec Ezra « Accident au garage, il s'est fait écrasé par une voiture » mon ton est sobre, mon regard fuyant et je déglutis difficilement lorsqu'il m'explique que je peux toujours compter sur Ida et me rassure sur le fait que Clara soit une battante. La gorge serrer, je pose mon regard sur ma fille et pince les lèvres, hochant simplement la tête pour lui donner raison. Car c'est tout à fait vrai : elle m'a prouvé à plus d'une reprise depuis sa naissance qu'elle n'était pas prête à s'abandonner à sa condition.

Je ne relève mon regard que lorsque Cian me propose qu'on parle, mais autre part que devant Clara. « Je n'ai pas la force de parler de ça maintenant » dis-je en secouant la tête alors que je sais parfaitement que c'est un sujet que nous devrons obligatoirement aborder un jour ou l'autre. Et autant le faire maintenant, non ? « De toute manière, il n'y a plus rien à ajouter. Tu as fait ton choix, je regrette de ne pas t'avoir donné cette information capitale pour toi et ... Voilà. On va passer à autre chose maintenant» dans un soupir, j'attrape la chaise et m'installe, sans lâcher la main de ma fille. Si Cian veut absolument parler de nous, autant le faire ici, car je sais que je saurais retenir mon impulsivité face à mon enfant.

L’ambiance se veut étrange, à l’extrême opposée de ce qui a toujours caractérisé nos rencontres. Chacun d’entre nous semble projeter en équilibre au-dessus du vide, conscient que la moindre parole pourrait transformer l’instant en une guerre que l’on ne souhaite se livrer dans un tel endroit. L’importance ne se place plus réellement dans les mensonges et autres cachotteries de Thomas, mais plutôt dans le soutien que je suis encore capable de lui apporter au regard de la situation. Tout ce qui compte, c’est l’état de santé de Clara et les répercussions que cela peut avoir sur Thomas. Rien de plus. Mais visiblement, le militaire a besoin de déverser son trop plein, utilisant une insinuation que je laisse couler à défaut de vouloir lui rappeler la réalité du contexte. J’entends que la période est difficile quand il n’a jamais choisi de retrouver deux membres de sa famille à l’hôpital et je serais bien mal placé de faire le moindre commentaire sur la convalescence d’Ezra. On ne se remet pas facilement d’un accident, je le comprends mieux que personne depuis quelque temps. Alors, je préfère opter pour le silence, un simple hochement de tête signifiera que j’ai entendu sans trouver les mots nécessaires pour apaiser sa peine. Les discours alambiqués ne seront d’aucune nécessité si ce n’est irriter ses nerfs déjà bien trop à fleur de peau.

On s’accorde à rester près de Clara, dans l’espoir que la petite fille nous entende, dans l’envie folle d’apercevoir le moindre mouvement. Malgré tout, je propose une possibilité de dialogue. Je me doutais que ce ne serait pas dans ses projets, mais je ne m’attendais pas à une telle nonchalance de la part de Thomas. Je n’aurais pas la prétention de hiérarchiser les problèmes, mais visiblement dans son esprit, je reste cet égoïste qu’il n’a eu de cesse de décrire, celui qui a pris une décision qui lui semble idiote et qu’il cherche à balayer d’un revers de main. « Non, on va pas passer à autre chose aussi facilement. » Non, je ne vais pas juste me contenter de lui offrir une porte de sortie. « C’est pas le moment, j’en ai parfaitement conscience. » Je ne lui demande rien dans l’instant, mais qu’il ne croit pas que je vais en rester là, parce qu’il a subitement décidé que ce n’était qu’une affaire classée. « J’aimerais pouvoir comprendre, t’es le seul à détenir les réponses. » Parce que ma mémoire me fait défaut, parce que je ne sais plus faire les différences. La situation m’agace alors que je m’étais promis de garder mon calme. Une nouvelle fois, mes doigts viennent effleurer la petite main de Clara pour me rappeler que le conflit reste mineur. « Je suis là pour vous, d’accord ? » Je ne suis pas cet égoïste qu’il a décrit, je reste Cian. Amoché, brisé en mille morceaux, mais conscient de la valeur de la famille. « Je suis encore assez limité physiquement, mais j’ai le droit à des sorties, je peux aller voir les garçons pour leur changer les idées. » Alex est probablement trop vieux pour dealer avec le meilleur ami de son père, mais peut-être qu’Arthur aurait besoin de la distraction ? « J’ai pris aucune décision définitive sur quoi que ce soit Thomas, mais ce n’est pas un conflit que l’on va effacer en un claquement de doigt. » J’ai été blessé et j’aimerais qu’il le comprenne, même si on pourra s’étaler plus tard, quand Clara ira mieux. « Tu sais que vous êtes comme ma famille. » Qu’il ne l’oublie jamais.

Assis là, face à ma fille et à mon meilleur ami, je suis incapable de savoir quoi penser et comment organiser toutes les images qui me viennent à l'esprit. J'ai autant envie de pleurer et de crier que de me plonger dans les bras de Cian et de m'épancher sur ses frêles épaules. Mais sont-elles toujours assez grande pour moi et pour accueillir mes peines ? J'en doute sincèrement, tant le silence entre nous à creuser un gouffre dans lequel notre amitié commence à s'effriter et à sombrer. Je ne sais pas quoi faire ni quoi dire lorsqu'il me dit que nous pouvons en parler alors que je lui annonce simplement les fait tels qu'ils sont : je n'ai pas le force de revenir sur le sujet, persuadé aussi qu'il a pris une décision pour nous deux.

La réponse de celui qui a si longtemps été mon meilleur ami était prévisible : il ne m'offre pas de porte de sortie. Son ton est doux lorsqu'il me dit avoir juste envie de connaître les raisons de mon silence. Le regard fuyant, je sers un instant la main de Clara dans la mienne et déglutis difficilement, fermant un instant les yeux lorsqu'il m'annonce que, malgré tout, il est là pour nous. Se rend-t-il compte à quel point ses paroles sont douloureuses ? Combien ça me brise le cœur de me dire qu'il n'a pas oublié notre amitié alors que pourtant, il ne montre aucune envie d'en récoler les morceaux ?

Il continue d'ailleurs en m'assurant n'avoir pris aucune décision définitive et je pince les lèvres en posant mon front contre mes poings fermés « Alors prouve le moi» soufflais-je avant de relever mon regard sur le militaire « Montre moi que tu n'as pas tiré un trait sur nos 20 ans d'amitié » mon ton est calme « Je suis las, Cian. Las d'attendre que tu me montre que je compte pour toi, las de me dire qu'une seule décision de ma part à fait pencher la balance du mauvais côté» je déglutis et secoue la tête « Dans une famille il y a toujours des conflits, mais on les règles par la parole et la discussion» je soupire doucement et baisse à nouveau le regard « Tu ne comprends pas pourquoi je ne t'ai pas parler d'Eavan avant, moi je ne comprends pas pourquoi tu en fais toute une histoire et comment tu peux remettre en questions tous les mois que j'ai passé à tes côtés à te montrer le soutien le plus infaillible possible»

Je prends une profonde inspiration «Si je ne t'ai pas parlé d'elle c'est simplement parce qu'elle m'était totalement sorti de l'esprit » reprenais-je dans un souffle «Avec ton accident, tes opérations, ton état critique, ta rééducation et toute la merde au boulot, je n'ai plus pensé à elle. Je me suis rappelé de son existence qu'en début d'année en retrouvant le dossier que nous avions monté pour une éventuelle adoption d'Ailis, mais j'étais incapbale de savoir comment de l'annoncer. Et plus j'attendais, moins je savais quoi faire et plus je m'enfonçais dans le mensonge » je hausse les épaules « Je sais pas quoi dire de plus à part que je suis vraiment désolé et que j'ai conscience que j'aurais dû t'en parler avant »

« Alors prouve le moi. » Dans une autre situation, si tout allait bien et que rien ne semblait trembler au-dessus du vide, je me serais permis de me foutre de sa gueule pour utiliser une phrase aussi clichée. Oh, j’aurais pris un véritable plaisir à lui demander s’il avait besoin que je lui prouve mon amour ou une connerie du genre, mais aujourd’hui je crois qu’aucun d’entre nous ne souhaite plaisanter à ce point-là. Je sens bien que Thomas cherche à me dire quelque chose, mais comme toujours, il amplifie ses sentiments en premier, sans jamais prendre le reste en considération. « Je suis las, Cian. Las d'attendre que tu me montres que je compte pour toi, las de me dire qu'une seule décision de ma part a fait pencher la balance du mauvais côté. » Mes sourcils se froncent face à l’excès d’effet dramatique dans la moindre de ses phrases depuis le début de la conversation. « Mélange pas tout Thomas. » Ce n’est pas parce que je souhaite lui rappeler que ses agissements n’ont pas été parfaits sur cette action en particulier que je remets tout le reste en question de manière indéfinie. « Dans une famille, il y a toujours des conflits, mais on les règle par la parole et la discussion. » Mais il insiste et je ne sais retenir un léger rire qui se veut probablement un brin trop sarcastique. « Je demande que ça, que l’on discute. » C’est lui qui balaye toujours la conversation d’un revers de la main pour en revenir à ses émotions. On ne cesse de tourner en rond pour ne faire de Thomas que le sujet central de la conversation. « Tu ne comprends pas pourquoi je ne t'ai pas parlé d'Eavan avant, moi je ne comprends pas pourquoi tu en fais toute une histoire et comment tu peux remettre en question tous les mois que j'ai passé à tes côtés à te montrer le soutien le plus infaillible possible. » Reste calme Cian.

« Si je ne t'ai pas parlé d'elle, c'est simplement parce qu'elle m'était totalement sorti de l'esprit. » Je veux bien l’entendre, c’est même la première chose censée qu’il me dit depuis un moment. Et la liste des exemples qui en suivent ne font que confirmer qu’en effet, il n’avait pas pensé à cela en premier. Mais voilà, Thomas a toujours eu tendance à avoir une grande bouche et il finit toujours par en dire trop. « Je me suis rappelé de son existence qu'en début d'année en retrouvant le dossier que nous avions monté pour une éventuelle adoption d'Ailis, mais j'étais incapable de savoir comment de l'annoncer. Et plus j'attendais, moins je savais quoi faire et plus je m'enfonçais dans le mensonge. » Donc Amos disait vrai, il y avait eu toute une histoire autour de la fille d’Evan, au point d’en aller jusqu’à monter un dossier d’adoption. Et pourquoi mon cœur semble battre la chamade à l’évocation de tout cela alors que je ne me souviens même pas de cette petite. J’ai beau chercher, j’ai beau vouloir me concentrer pendant des heures, je serais incapable de dessiner les traits de son visage. Et pourtant… Tout m’obsède autour de cette histoire. « Je sais pas quoi dire de plus à part que je suis vraiment désolé et que j'ai conscience que j'aurais dû t'en parler avant. » - « C’est déjà un début Thomas. » Plutôt que de prendre la mouche et se braquer comme il n’a eu de cesse de le faire depuis l’instant où j’ai posé ma toute première question à ce sujet.

« Je sais pas si tu réalises. » que je commence lentement sans réellement trouver la forcer de relever la tête pour croiser son regard. À croire que Clara agis comme le parfait des remparts entre nous. « Je me suis réveillé en étant persuadé qu'Autumn était ma petite amie et que l’on était en septembre 2019. » Ce n’est pas un trou de quelques semaines ou jours qui me coupe de ma vie d’avant, c’est un blanc de deux ans, des centaines de chapitres aux pages soudainement devenu blanche. « Tout m’angoisse à cette idée, parce que vous avez beau tous me dire que ce n’est pas le cas, dans mon esprit, il reste l’idée que j’ai un lien avec Autumn. » Il va me prendre pour un dingue, mais c’est la sensation qui me colle à la peau depuis le départ sans que je ne sois capable de l’expliquer. « Quand j’ai compris que j’avais oublié beaucoup trop de choses, j’ai fait confiance qu’à deux personnes : Charlie et toi. » Toujours eux, avant les autres. Ce n’est pas quelque chose qui se devait de changer. « Et du jour au lendemain, je réalise que des choses ont été délibérément passées sous silence. » Je le vois près à débattre de nouveau et lève légèrement ma main entre nous. « J’ai compris pourquoi tu l’avais fait, Thomas, mais il n’en reste que cela a été passer sous silence. » Qu’importe le pourquoi du comment, qu’importe son intérêt dans tout cela. « Tu réalises que j’ai monté un dossier d’adoption pour cette gamine et que maintenant, je ne me souviens même pas d’elle. » Absolument pas. À force, j’ai compris que son prénom était Ailis et tout ce qui demeure dans mon esprit est que ce prénom à une consonance irlandaise trop prononcé pour que cela ne soit que le fruit du hasard. « Tout ce que je voudrais, c’est comprendre, mais personne ne me réponds. Tu te justifies, sans me répondre Thomas. Elle était pas la mienne, c’est ça ?! Mais pourquoi je voulais l’adopter ? Elle est où maintenant ? Pourquoi vous avez tous décidé que c’était mieux de pas m’en parler ? Il est où le démon dans le placard ? Qu’est-ce qui c’est passé pour que tu lui en veuilles à ce point-là ? J’ai pas voulu faire ça sur un coup de tête, alors pourquoi ? Pourquoi ? » J’ai la sensation que personne ne veut entendre que les questions tournent en boucle de manière incessante au point de m’en rendre dingue. « Pourquoi j’étais sur ma moto un soir d’orage aussi violent ? » Est-ce que cela a un lien ? Est-ce que c’est pour ça qu’ils ont décidé de taire ? « Ils leur est arriver quelque chose ? C’était à cause de moi, c’est ça ? » Tu as pas idée du bordel qui se trimballe dans ma tête Thomas. « Réponds-moi Thomas, aide moi sur ce sujet et tu la trouveras là, toute la gratitude que j’ai toujours eu pour mon meilleur ami. »

Tout se mélange dans ma tête, rien ne fait sens. Clara qui est dans un lit d'hôpital entre la vie et la mort alors qu'elle n'a que 7 ans et qu'elle devrait être dehors en train de jouer avec ses copines et à câliner Oliver. Et en plus de ça, il y a Cian qui me dit être là pour moi, alors que nous ne nous sommes pas adressés la parole depuis plus d'un mois. Puis-je le croire ? Une partie de moi ne demande que cela, pouvoir lui faire confiance et le croire sur parole comme je le faisais avant, mais il n'y a plus d'avant. Tout a changé depuis presque un an maintenant et rien ne sera plus jamais comme ces dernières années. Il y a des changements dans ma vie, beaucoup de changement et pourtant, il y a trois constantes : mes enfants, mon frère et Cian. Ce sont les quatre personnes qui n'ont jamais quitté mes côtés, peu importe les événements qui se tramaient dans ma vie. Et là, en l'espace d'un mois, je risque de perdre deux de ces quatre personnes qui me sont le plus cher et je me rends compte qu'il m'est de plus en plus difficile de me raccrocher à ce qui me reste.

Cian me dit de ne pas tout mélanger, mais comprend-il mon désarroi ? Essaie-t-il au moins de comprendre comment je me sens ? Non, car encore une fois, il se focalise sur ses problèmes et sa vie. Je ne dis rien, ayant bien conscience de l'ampleur des dégâts physiques et mentaux de celui qui a si longtemps été mon meilleur ami et lève le regard pour l'écouter le plus attentivement possible. Et je crois que c'est la première fois depuis le début que je le sens encore plus démuni qu'il ne souhaite nous le faire croire.

Les questions s'enchaînent alors qu'enfin, il formule des questions claires et distinctes. Toutefois, plus il parle, plus je sens la panique monter en lui et ça, ce n'est pas bon signe. Alors, je fais ce que tout meilleur ami est censé faire : je quitte ma place, contourne le lit de Clara et m'installe sur l'autre chaise à côté de Cian. Posant une main sur sa cuisse, je reste un instant silencieux avant de soupirer « Je vais répondre à chacune de tes questions, mais calme toi, ok ? Respire, tranquillement» je l'observe pendant quelques secondes puis prendre une profonde inspiration et me redresse, retirant ma main de la jambe du jeune homme.

« Ce n'était pas ta fille» répondais-je. « Eavan n'est pas celle que tu crois qu'elle était. Vous vous aimiez, énormément, passionnément. Tu étais fou d'elle, mais la distance a eu raison de sa fidélité et elle t'a trompé quand tu étais en mer. Quand tu es revenu, elle a fait comme si de rien n'était. Quand elle a appris sa grossesse, elle t'as fait croire que tu étais le père, mais plus les semaines passée plus tu t'es dis qu'il y avait un problème et tu t'es rendu compte de la supercherie, car les dates de la conception concordaient avec le moment où tu étais sur le bateau pour revenir au pays» Tu voulais de la sincérité ? Eh bien, tu vas en avoir. « Vous vous êtes fighté comme jamais, tu ne voulais plus rien savoir d'elle, mais tu l'aimais. Alors, lorsqu'elle a rompu avec le père de la gamine, tu lui a promis que tu serais là pour elle.» je pince les lèvres «Et, tu l'as été. Toute la grossesse et les premiers mois de la vie de la gamine. Tu l'as aimé comme ta propre fille et tu voulais qu'elle soit tienne. Au début, c'était beau et doux, mais Eavan a très rapidement pété les plombs » je soupire doucement et baisse le regard « Elle a commencé à sortir, elle a laisser Ailis aux voisins, elle n'était plus en mesure de s'occuper d'elle. Et un jour elle est partie en te la laissant, comme ça, sans un mot et sans explications»

Je lance un rapide coup d’œil à ma fille et pince les lèvres avant de reporter mon attention sur Cian « C'était tellement brusque, t'étais complètement démuni, mais tu t'es très vite repris et tu as géré le rôle de père à la perfection. » je lui adresse un sourire qui disparaît tout aussi tôt «Et puis finalement Eavan est revenue et a décrété qu'elle voulait de nouveau sa fille. Même si elle est incapable de s'en occuper, c'est son droit légal...Et c'est là que nous avons commencé à monter le dossier pour l'adoption avec l'aide de l'avocat et tout ce qui s'en suit. »

Je me tais un instant, laissant le temps à Cian d'assimiler toutes ces informations. « Nous nous sommes heurtés à un mur. Avec toute la bonne volonté du monde, c'était impossible pour nous et surtout pour toi de gagner ce combat. Si tu t'es retrouvé sur ta moto ce jour de pluie, c'était simplement parce que le juge a décidé que tous les droits revenaient à Eavan et que l'adoption d'Ailis était impossible tant que le père biologique est encore dans les parages » je déglutis, le regard fuyant « Personne ne sait où ils sont » ou si elles sont encore en vie ajoutais-je pour moi-même

« Voilà, tu sais tout maintenant» et qu'est-ce que tu vas faire de toutes ces informations ? Est-ce que ça va changer quoi que ce soit pour toi maintenant si ce n'est d'accentuer ta panique et ton anxiété ?