@"MAY ANDREWS" & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ he's nervous, but on the surface he looks calm and ready to drop bombs, but he keeps on forgettin', what he wrote down, the whole crowd goes so loud, he opens his mouth, but the words won't come out, he's chokin', how, everybody's jokin' now.

(BAYSIDE, PUB MCTAVISH).
Il doit partir.

C’est pas nouveau comme raisonnement, Kieran, n’est-ce pas ? Et je ne parle pas de ses pensées que j’essaie constamment d’évacuer de ton esprit, mais bien d’un besoin physique de fuir ce pays. Les mois passent, les années même, mais le sentiment reste le même : il doit aller loin d’ici. Il n’est pas venu à Brisbane par choix, pas plus qu’il n’est resté pour les mêmes raisons ; c’est plutôt une absence de choix qui caractérise sa présence ici et il peut même être vite justifié : il n’a pas d’argent pour refaire sa vie ailleurs, Kieran. Voyez-vous, c’était déjà la motivation à son inscription à cette foutue émission, Race of Australia, qui a finalement causé beaucoup plus de dégâts qu’elle ne lui a apporté d’avantages. Il devait quitter cette foutue ville, ce foutu pays et tenter de se reconstruire loin d’ici, loin d’Autumn et de tous les souvenirs que je n’arrive pas à balayer de son esprit parce qu’il ne cesse de s’y accrocher. Il n’avait pas gagné cette émission (qui aurait misé sur lui, de toute façon), pas plus qu’il n’avait accumulé les contrats lui permettant de mettre suffisamment de côté pour tenter de réaliser ce projet qu’il n’a jamais partagé à personne. Et l’idée avait été oubliée, peu-à-peu, à cause de son manque de moyens autant qu’à quelques attaches dont il ne pouvait se résoudre à se séparer, à commencer par sa sœur. Mais aujourd’hui, même l’amour qu’il porte à Sawyer ne suffit pas à le convaincre de rester à Brisbane : il doit partir. Il doit partir parce que tout ici lui rappelle à quel point cette ville ne représente rien pour lui, à l’exception de mauvais souvenirs. L’endroit où il se pensait le plus en sécurité, dans ce quartier, est devenu un cauchemar et, concrètement, tout autour de lui l’est devenu. Il n’arrive plus à fermer les yeux, pas plus qu’il n’arrive à parler quant à ce qu’il s’est passé en ce mois de novembre. Et avant, Kieran, alors ? Tout ce qu’il s’est passé avant, on en parle ou toujours pas ? Et je sais qu’il n’aime pas m’écouter, je sais qu’il déteste me donner raison ; mais il y a tant de choses dont il devrait se libérer. Parfois, il aimerait simplement revenir en arrière. Oublier la dizaine d’années qui s’est écoulée depuis la fin de ses études et revivre, encore et encore, ces années-là. C’était il y a douze ans, mais ça lui semble être une éternité, quand il y pense, parce qu’il ne s’était probablement jamais senti aussi heureux que lorsqu’il était noyé dans la masse d’étudiants des Beaux-Arts et que personne, ou presque, ne savait qui il était. Qu’il faisait sa vie de son côté, sans jamais qu’on se retourne su lui : cette discrétion lui apportait la sécurité et la sécurité lui apportait une forme de bonheur. Il n’y touche plus, à celui-ci, depuis quelques années, depuis que les événements qui s’enchaînent n’ont rien de réjouissants et ne cessent d’appuyer là où ça fait mal ; sur ce bonheur qui lui semble être désormais interdit. Il ne demande pas grand-chose, pourtant. Il ne veut pas être riche à millions, pas plus qu’il ne veut être le dessinateur le plus connu qui soit, non, il veut simplement avoir l’opportunité de connaître ce sentiment, une fois, juste une fois, parce qu’il a oublié à quoi il ressemblait.

Et il sait qu’il ne le touchera pas plus après cette rencontre avec May, bien au contraire. C’est sûr que si tu voulais t’alléger le cœur, Halstead, tu t’es trompé de plan ; mais je ne vais pas insister là-dessus parce qu’il se donne, en un sens, le moyen d’accéder à ce bonheur sur le long terme. C’est un grand pas qu’il fait là, notre protagoniste, de recontacter celle qui est à l’origine de certains de ses cauchemars. Elle en causera d’autres encore – mais peut-être, juste peut-être, que la finalité peut être agréable. Il s’accroche à ce conditionnel, Kieran, alors que marcher dans ce quartier lui provoque un haut le cœur et un sentiment de malaise ; et ce sera encore pire après votre rencontre, gamin, il faut que tu te prépares. Mais aujourd’hui, tu peux compter sur moi ; ce serait stupide de ma part de t’abandonner alors que tu te donnes enfin les moyens de réagir, même si je sais à quel point ça peut te terrifier, Kieran. Ça me terrifie aussi, je crois, de savoir qu’un nouveau chapitre va s’ouvrir et qu’il ne sera pas brillant à lire. Mais il faut aussi passer par là pour refermer le chapitre à un moment donné et c’est très exactement ce dont Kieran a besoin.

Il a donné rendez-vous à May dans un pub, et peut-être qu’il regrettera le manque d’intimité – mais il était hors de question d’aller chez elle, chez lui ou peu importe le propriétaire du logement, il n’a aucune envie d’être seul avec elle, pas plus qu’il n’a envie qu’on puisse entendre ce qu’il a à dire, en réalité. Mais il faut faire des compromis et le pub, en journée et donc en manque d’affluence, lui a semblé en être un bon. Assis à une table à l’écart, il a déjà commandé une bière – pour se délirer la langue, qu’il dira, pour lui donner du courage, que je corrigerai. Prostré dans son recoin, les yeux qui oscillent entre un faux bougeoir visant à donner une ambiance tamisée et la porte d’entrée dont chaque entrée augmente toujours un peu plus son anxiété, il atteint le pic quand la silhouette de May finit enfin par arriver. Il fait un léger geste de la main pour attirer son attention et lorsqu’elle arrive enfin à sa hauteur, tous les discours qu’il a pu préparer les derniers jours sont très vite oubliés. « Euh, bonjour. Merci d’être venue. » C’est un bon début, oui. « J’ai déjà commandé en attendant, mais je... je reprendrais bien quelque chose, alors si vous voulez... » Vous pouvez commander aussi, qu’il essaie de dire, alors que durant son silence il termine sa pinte en regrettant déjà les raisons pour lesquelles il l’a conviée. C’était stupide de croire qu’il pourrait l’assumer face à elle, alors qu’il ne l’assume même pas face au miroir.

May a l’habitude de recevoir des messages de numéros inconnus. Ca arrive régulièrement, à cause du travail, mais quand elle a vu la signature de Kieran sur ce texto-là, elle avait été particulièrement surprise. Oh, elle eut quelques secondes de flottement, ne se souvenant plus tellement de l’avoir croisé quelques semaines auparavant. Elle n’attendait plus de ses nouvelles. Puis, les échanges qu’ils avaient eu lui étaient revenus à la mémoire. Elle se souvenait bien et pour autant, elle était toujours aussi surprise qu’il ait franchi ce pas. Elle n’aurait pas misé sur lui, elle aurait parié qu’il serait resté dans l’ombre, subissant plutôt que d’agir pour s’en sortir. Kieran avait dans son regard quelques chose de troublant, elle l’avait remarqué à plusieurs reprises. Il n’était pas de ceux qui se battaient, il n’était pas de ceux qui cherchaient à sortir leur épingle du jeu. Kieran était passif en tout point de vue, aux yeux de la blonde.
Elle n’avait pas répondu tout de suite, parce qu’elle n’avait pas le temps, pas la motivation non plus, pas la disponibilité émotionnelle à lui offrir. Elle savait qu’elle allait s’épuiser. Puis, quelques jours plus tard, elle avait repris son téléphone, accepté de le rencontrer. Maintenant, elle était prête et devrait aller au bout de sa démarche également. Y trouverait-elle aussi son propre intérêt ? Surement, si non, elle ne s’investirait absolument pas auprès de Halstead. Il en avait surement conscience.
Le McTavish se trouvait à quelques rues de la résidence de May. Ce pub qui dénotait parfois avec le quartier et qui ramenait des énergumènes étranges par ici, volonté sans doute d’une petite mixité sociale. Ceci dit, May avait pour habitude d’y avoir des rendez-vous, bien qu’ils étaient rarement aussi sérieux que celui-ci. Se faisant un peu désirée, la blonde était arrivée avec le quart d’heure de retard autorisé, à quelques secondes près, elle aurait été cataloguée d’irrespectueuse. Sauvée par le gong.
Elle balaya la salle du regard, se doutant que Kieran était arrivée bien à l’avance de son côté et qu’il attendait déjà sagement qu’elle ne débarque. Combien de temps aurait-il attendu si elle s’était permis plus de retard ? Surement trop de temps perdu. Une main agitée attira son regard, il fallait bien ça pour se démarquer de la foule, pour le jeune homme passe partout. Elle s’approcha, tirant la chaise qui lui était réservée pour s’installer. « Euh, bonjour. Merci d’être venue. » elle hocha la tête en réponse, tout en retirant sa veste. « J’ai déjà commandé en attendant, mais je... je reprendrais bien quelque chose, alors si vous voulez... » Elle se tourna vers le serveur qu’elle ne connaissait que trop bien à présent et d’un échange de regard, il savait ce qu’elle allait prendre, elle montra deux doigts en l’air pour lui signaler qu’elle s’occupait de cette nouvelle tournée. « C’est commandé. » fit-elle, affichant un sourire fière. « Salut Kieran. » la politesse, quand même. « On se passe l’étape de savoir comment ça va ? » autrement dit, venons-en aux faits.

Merci d’être venue. Et le voilà qui arrondit déjà le dos alors qu’il devrait plutôt souligner à quel point il était difficile de la faire venir plutôt que de la féliciter de l’avoir fait. Même si elle n’avait pas été explicite lors de leur dernier échange, elle s’était néanmoins rendue disponible pour Kieran, dans l’hypothèse où il accepterait de passer à l’étape supérieure dans son désir de justice. Le seul fait qu’elle mette plusieurs jours à lui répondre devrait être un bon indicateur de la confiance à lui accorder ; mais c’est Kieran, il fonce tête baissée sans réaliser les conséquences. Pourtant, il n’est pas totalement stupide, il n’a pas besoin de moi pour se rendre compte d’à quel point il mise sur le mauvais cheval dans toute cette histoire, que la Glitters (oops, c’est plus ça ?) n’a pas changé depuis l’émission, qu’elle est toujours aussi opportuniste et que la soi-disant alliance qu’elle lui propose vise surtout à se venger d’une production qui l’a rangée au placard sans ménagement que de l’aider à obtenir gain de cause. Il n’est pas stupide, Kieran, non. Il est surtout conscient que May est la seule à être en mesure de lui apporter une aide, même intéressée. Il ne connait rien à l’envers du décor, il ne sait pas comment ça fonctionne, comment s’y prendre, ni même quelles sont ses chances (sûrement très faibles, mais pas inexistantes, sinon Glitters ne l’aurait jamais rappelé) de parvenir à renverser la tendance, à être celui qui sortirait victorieux de ce combat inégal. Pour l’heure, ses moyens sont limités et faire appel à un avocat relève de l’utopie, tout comme il lui apparaît encore impossible d’en parler à ses proches, à ceux qui n’auraient pas assisté d’eux-mêmes à l’événement et qui l’obligeraient à le détailler. May n’a pas grandes qualités à ses yeux, mais en voilà une, la plus importante, puisqu’il n’a pas besoin de poser des mots sur la situation qu’elle sait très bien la raison pour laquelle il garde un souvenir amer de sa participation. Et si Kieran désire que tout ceci soit rapidement derrière lui (qu’il entreprenne de véritables démarches ou non), je freine sa précipitation par une seule question : elle y gagne quoi, elle ? Parce qu’elle pourrait peut-être parvenir à duper Kieran avec de bons mots (comme tout le monde réussit à le faire, désolé mon gars, mais c’est la vérité), néanmoins il ne sera pas aussi facile de me berner. Et même si ses intentions viendraient à ne jamais être claires, ma méfiance saura, je l’espère, éviter au dessinateur de plonger la tête la première dans un nouveau piège – Race of Australia en a assez fait de ce côté-là. Il veut expédier les choses, il pense déjà à la décision qu’il prendra à l’issue de cette entrevue, tandis que je me concentre sur le contenu de celle-ci. Les questions qu’il faudra poser, les raisons de cette pseudo alliance, l’évidente contrepartie que cela impliquera. « On se passe l’étape de savoir comment ça va ? » On pourrait saluer son honnêteté, la manière dont elle s’abstient de passer par quatre chemins, mais je n’y vois que la confirmation d’une attente de sa part qui n’est pas encore explicite et qui, j’en doute pas, sera plus à son avantage qu’à celui de Kieran si les choses viennent à mal tourner. « Oui, merci. » Et il ne s’agit pas de simple politesse, mais de réelle gratitude alors que la réponse n’a pas changé depuis la dernière fois, de même que son agacement lié à cette question qu’il entend trop souvent. « J’ai changé d’avis. » Il confirme, rapport à son numéro qu’elle lui avait tendu dans cette hypothèse-là, même si elle l’a compris au moment où il lui a envoyé un message. « Mais je sais pas comment m’y prendre. » Oh, bien sûr, impliquer des avocats dans l’affaire semble être un bon début, mais ce n’est pas encore ce qu’il envisage. « Certains ont déjà fait ça ? Se retourner contre la production ? » Il questionne, hésitant, parce qu’il n’est pas sûr d’aimer la réponse.

@May Andrews

Déjà un an qu’on avait annoncé à la blonde qu’elle ne serait pas de la partie pour la deuxième saison de Race of Australie. Un an qu’on l’avait écarté définitivement des rangs de ABC et qu’on lui avait fait comprendre qu’il ne serait pas nécessaire de revenir dans les parages. Qu’on l’avait trainé dans la boue, selon ses mots, qu’on l’avait humilié publiquement. Un an qu’elle avait senti le ciel s’effondrer sous ses pieds avec l’intime conviction que sa vie n’avait été qu’une mascarade, se rendant compte de tous les sacrifices qu’elle avait fait pour arriver à ce rêve qu’elle n’avait pu toucher que du bout des doigts pour ensuite s’être brûlé les ailes, la chute n’en fu que brutale. Mais, elle devait admettre qu’après cette année, elle s’en sortait mieux que ce qu’elle n’avait pu le penser. Elle avait pris ses distances avec le monde de la télévision, reniant tous les liens qui l’y tenait encore et développant une haine grandissante envers ce système entier, retournant la situation à son avantage. Non, ce n’était pas de sa faute si elle avait été mise de côté, c’était bien la production, complice de ABC qui était passée à côté de sa présence et qui avait fait la plus grosse erreur. Ils n’auraient jamais dû se passer d’elle et pour la Glitters – oups Andrews – il était peut-être temps de leur faire payer leur préjudice. Et pour ça, elle était prête à les faire tomber en utilisant les malheurs des autres également. Les malheurs d’un autre.

« J’ai changé d’avis. » elle se doutait bien qu’il n’était pas là pour s’installer à table et prendre une tartine de pain avec du beurre juste pour partager un bon moment avec la blonde. « Mais je sais pas comment m’y prendre. » avocats, journaliste, vidéos, plateau télé d’une chaine concurrente, tout était bon. « Certains ont déjà fait ça ? Se retourner contre la production ? » ah, s’il savait. Elle hocha la tête. « Tu seras pas le premier, tu seras pas le dernier. » enfin, elle ne parlait pas forcément de Race Of Australia, car pour le coup, c’était bien le seul candidat à se retourner contre eux, mais pour d’autres émissions, et en nombre, les procès étaient nombreux. « Pas pour ROA. Mais la télé-réalité, de manière générale, c’est un vivier à problème. » le serveur s’approcha des deux jeunes gens et pris leur commande en tapotant sur un boitier tactile. « Il faut un dossier, que tu témoignes, si tu trouves les images d’archives, c’est encore mieux. Tu peux demander les rush à la production mais pour ça, c’est ton avocat qui devras s’en charger. Tout a été filmé, tout n’a pas été diffusé, mais chaque seconde est une preuve de plus. On va te dire que c’est trop facile de se manifester maintenant, que tu ne souhaite qu’avoir du fric ou faire le buzz. Tu as conscience de ça ? » serait-il prêt à être à nouveau sous les lumières et à porter cette pression ? La blonde n’en était pas certaine, bien au contraire.

Il a changé d’avis. C’est la version raccourcie, celle qui suppose qu’il ira au bout de son idée quoi qu’il advienne alors qu’en réalité, il est probable qu’il laisse tomber la démarche aussitôt débutée. Il n’est pas fiable à long terme, Kieran, la plupart de ses projets tombés à l’eau avant même qu’il ait déterminé de la meilleure façon de les mettre en place ; il n’y a pas de raison pour que celui-ci fasse exception à la règle. D’autant plus en saisissant les enjeux que cela implique, auxquels il a pensé et dont il oublie pourtant un nombre certain de détails. Il a pensé à la couverture médiatique, au rôle qu’on lui donnerait dans cette histoire, à la perte de sa tranquillité si sa voix est entendue, autant qu’à l’humiliation qu’il va subir ou à la manière dont l’histoire sera enterrée avant même qu’il n’ait pu espérer une justice si elle ne l’est pas. Ce ne serait pas tant étonnant après tout ; il est un homme et rares sont ceux de son genre à mettre en avant les abus dont ils peuvent aussi être victimes. Plus rarement, certes, il n’aura pas l’irrespect de comparer sa situation à celle des femmes qui vivent de telles choses au quotidien, mais ce qui s’est passé était bien réel et a détruit un peu plus sa confiance en lui autant que l’événement l’a torturé sur sa légitimité – ou non – à en parler. Et pour toutes ces raisons, Kieran n’est pas encore sûr de ce dans quoi il s’embarque. Ce rendez-vous avec May ne signifie pas qu’ils en arriveront à un accord contre la production d’ici la fin de leur café, mais il veut savoir quel rôle elle pourrait jouer là-dedans. Je ne lui fais pas confiance, à la blonde. Non, et je crois que Kieran le sait puisqu’il est lui-même méfiant. Il ne l’a pas côtoyée personnellement malgré leur aventure télévisuelle partagée, et s’il est resté distant, ce n’est pas uniquement à cause de la hiérarchie, mais également à cause de sa propre impression sur une femme qu’il perçoit comme une redoutable femme d’affaire qui n’agit que pour ses propres intérêts. Ce qui n’est pas tant dérangeant dans la situation, s’entend, mais tout de même, si elle devait l’enfoncer pour reprendre la situation à son avantage, je suis certain qu’elle le ferait et ce n’est certainement pas ce dont a besoin Kieran à l’heure actuelle. « Tu seras pas le premier, tu seras pas le dernier. » Il fronce les sourcils. Ce n’est pas vraiment une réponse, du moins, pas une de celle qui me convient alors que j’ose poser les questions qui fâchent là où Kieran préférerait oublier (déjà) toute cette conversation. « En général ou vis-à-vis de Roa ? » Il finit à peine sa phrase qu’elle semble avoir lu dans ses yeux son désir de précision. « Pas pour ROA. Mais la télé-réalité, de manière générale, c’est un vivier à problème. » Alors pourquoi ça continue d’exister, cette merde ? Qu’il se retient de lui demander, conscient que ce n’est pas la meilleure approche vis-à-vis de quelqu’un ayant travaillé dans le domaine pendant des années. « Et par rapport à ABC ? Ils ont déjà eu ce genre de problèmes ? » ROA est une chose, la télé-réalité de manière générale aussi, mais concernant la plus grande antenne du pays, quels sont les historiques ? Est-ce qu’il a une micro-chance ou est-ce que sa plainte se perdra parmi les dizaines qu’ils enterrent chaque année parce qu’ils ont le pouvoir de le faire, contrairement à lui ? Restant silencieux durant la venue du serveur – sauf pour commander un café, May reprend la parole quand celui-ci disparaît. « Il faut un dossier, que tu témoignes, si tu trouves les images d’archives, c’est encore mieux. Tu peux demander les rush à la production mais pour ça, c’est ton avocat qui devras s’en charger. Tout a été filmé, tout n’a pas été diffusé, mais chaque seconde est une preuve de plus. On va te dire que c’est trop facile de se manifester maintenant, que tu ne souhaite qu’avoir du fric ou faire le buzz. Tu as conscience de ça ? » Il en a conscience, oui. Ou du moins, un peu. Le seul fait qu’elle accentue ce point le fait douter à nouveau de sa démarche. « Ils existent vraiment ces rushs ou ils sont supprimés après un certain temps ? » Il interroge, parce qu’il veut être sûr qu’ils existent avant toute chose. « S’il y a des images, les gens vont comprendre, n’est-ce pas ? » Il y aura des preuves, ils ne pourront pas l’accuser de mentir – et le buzz, quel buzz ? Kieran s’est efforcé de rester discret depuis cette émission. « Je veux pas de buzz ni même d’argent, je veux juste pas que ça se reproduise. » Certes, il ne dirait pas non à un peu d’argent et c’est, finalement, l’une des raisons de sa démarche – mais s’il ne doit choisir qu’une seule issue, il veut surtout la justice avant la compensation financière. Les deux ensemble, ce serait tout bénéf’. « Je vais pas m’exposer, je vais rester discret... » Ils ne me tomberont pas tout dessus, dans ce cas, n’est-ce pas ? Qu’il est naïf. « Ils sont bons, leurs avocats, j’imagine ? » Question rhétorique. Évidemment qu’ils sont bons. Quant au sien... « Je... j’ai même pas d’avocat. J’ai même pas les moyens de lancer tout ça... » Il réalise en passant une main sur son visage. Il pensait naïvement qu’en parler à la presse pourrait être une méthode, mais sans avocat, il n’ira pas loin. « Ils vont me massacrer, et je vais devoir quitter le pays. » Qu’il dit dans un rire nerveux ; il veut quitter le pays, oui, mais ce n’est pas ainsi qu’il envisageait les choses.

@May Andrews

Que Kieran sache dans quoi il mette les pieds : ce ne sera pas simple, ça ne va pas se régler en deux semaines, ce sera long et sans doute douloureux, il faut les épaules pour engager des poursuites contre une production et une chaine de télévision telle que ABC. Ce sont des requins, ils savent parfaitement ce qu’ils font et comment ils peuvent s’en protéger. Ils ont surement déjà tout anticipé, même si Kieran réagissait dix ans plus tard, ils ont déjà surement dix années de plus d’avances. Rien qu’à y penser, May savait que ce serait perdu d’avance, mais si elle pouvait, par un moyen ou un autre tenter de se venger elle aussi, elle n’hésiterait pas à utiliser toutes les méthodes, et Kieran en faisait partie. Le mieux dans l’histoire, c’est qu’elle serait à nouveau dans l’ombre et qu’elle n’aurait pas besoin de montrer le bout de son nez, puisque ce n’était pas elle, ici, qui était concernée. « Et par rapport à ABC ? Ils ont déjà eu ce genre de problèmes ? » un sourire de pitié s’affiche sur le visage de May, tellement la naïveté de Kieran n’est plus à prouver. ABC et bien d’autres chaines, bien sûre. May passe à la vitesse supérieure, le tableau est posé, Kieran sait à présent dans quoi il met les pieds, une fois l’engrenage lancé, il sera difficile pour lui de faire machine arrière. « Ils existent vraiment ces rushs ou ils sont supprimés après un certain temps ? » Elle hausse les épaules. « Nan, y a des archives, l’émission est pas si vieille pour qu’ils aient tout effacé. » surement stocké sur des serveurs ou au pire, en copie sur une console de montage. « S’il y a des images, les gens vont comprendre, n’est-ce pas ? Je veux pas de buzz ni même d’argent, je veux juste pas que ça se reproduise. » May aurait surement mieux compris, si c’était une question de fric. Mais si Kieran s’imagine être l’égérie de la fin des agressions sexuelles sur terre, c’est qu’il croit encore bien trop à l’humanité. « Je vais pas m’exposer, je vais rester discret... » elle fronce les sourcils May, plissant même les yeux, faisant ressortir quelques rides sur ses pattes d’oies. « Ils sont bons, leurs avocats, j’imagine ? » elle hoche la tête, pas la peine de lui cacher la vérité. Juste le préparer à ce qui l’attend vraiment. « Je... j’ai même pas d’avocat. J’ai même pas les moyens de lancer tout ça... » May connait de très bons avocats, l’agence artistique de Sergio a un très bon réseaux. Il se pourrait bien que certains d’entre eux travaillent aussi pour ABC et là, ce sera à celui qui aligne le plus d’argent sur la table. Le côté négatif, c’est que ABC a beaucoup, beaucoup plus d’argent. « Ils vont me massacrer, et je vais devoir quitter le pays. » il a clairement pas les épaules, Kieran. May se redresse, plante son regard droit dans celui du jeune homme en face d’elle. « Ecoute. Les avocats, j’m’en charge, ok ? » qu’il lui fasse un peu confiance, c’est bien pour cette raison qu’il est venu la trouver, de toutes façons. Elle est sa dernière chance. « Tu vas arrêter de jouer la victime qui fonce droit dans le mur ok ? » deuxième ordre. Parce que là, c’est foutu d’avance. « Soit t’y vas, soit tu reste dans ton trou et il se passera rien. J’te vends pas une Happy Ending, j’te dis juste que les luttes se font pas en pleurnichant sous une couverture. » et l’empathie, May Andrews ? On repassera. « Ils vont surement tenter de te massacrer, mais si tu fais ça en sous marin et que t’attaque une fois que ton dossier est bien rempli, ils auront peu de temps pour se retourner. Je travaille plus à ABC, mais j’ai encore mes contacts, j’peux me charger de récupérer les rush. » ca fait beaucoup de taf pour May dis donc, on dirait presque qu’elle prend sa tâche à cœur. « Toi, met tout par ecrit. Vas voir un psychiatre, fait toi tirer le portrait, dis lui de faire un bilan bien hard sur les sequelles que ça t’a laissé. » et pour une fois, n’hésites pas à jouer les drama queen et à en rajouter une couche. « C’est le psy, t’as l’droit de pleurer autant que tu veux. »

Contrairement à ce qu’il pense, il n’est pas con, Kieran ; il est seulement naïf. Il n’est pas con parce qu’il sait très bien la complexité d’une procédure judiciaire pour y avoir été mêlé dès l’enfance, parce qu’il sait à quel point la justice peut être dure et partiale, à quel point elle peut causer des dégâts sans se préoccuper de ceux qui les subissent. Il le sait tout ça, et c’est probablement la raison pour laquelle la panique commence à le gagner, parce qu’il prend conscience de l’ampleur de ce qui n’était, il y a encore peu, une simple pensée, qui se transforme peu-à-peu en véritable action. Il n’a pas les épaules, il n’est pas prêt, il n’assumera certainement pas la débâcle médiatique qui suivra sa plainte et les paroles de May ne font que confirmer cela. Mais il est naïf, oui, de croire qu’avec des preuves suffisamment solides il pourrait passer entre les mailles du filet, que cela sera suffisant pour que l’opinion publique se rallie à sa cause, qu’ils se préoccupent d’anéantir ABC plutôt que lui. Toutes les preuves du monde ne seront pas suffisantes face à un poids lourd comme la chaine nationale et c’est véritablement un combat à la David contre Goliath qui se prépare dans l’ombre. « Nan, y a des archives, l’émission est pas si vieille pour qu’ils aient tout effacé. » Les rushs ont au moins le mérite d’exister et dont les preuves auxquelles il se raccroche plus que de raison. Il y a des images, humiliantes, certes, mais des images quand même du manque de responsabilité de la production, ou plutôt, leur besoin de faire le buzz au détriment de tout le reste. « Ecoute. Les avocats, j’m’en charge, ok ? » Plantant avec difficulté son regard dans celui de May, il n’est pas sûr de pouvoir lui faire confiance – il sait qu’il ne peut pas lui faire confiance. Bien sûr que May ne vise que son propre intérêt, bien sûr qu’elle n’agit que par vengeance, elle dont le licenciement a fait la une quelques mois plus tôt ; elle n’a aucun intérêt à l’aider. Il n’est pas con, on a dit, seulement naïf alors que malgré les avertissements évidents, il décide de l’écouter et de lui accorder le bénéfice du doute. « Tu vas arrêter de jouer la victime qui fonce droit dans le mur ok ? » Et cette fois-ci il se braque, Kieran, alors qu’elle opte pour des attaques plus personnelles et, par extension, plus blessantes. Elle ne le connait pas ; elle ignore que foncer droit dans le mur fait partie de son quotidien et que son pessimisme a été appris suite à suffisamment de mauvaises expériences pour ne pas considérer d’autres options. « Soit t’y vas, soit tu reste dans ton trou et il se passera rien. J’te vends pas une Happy Ending, j’te dis juste que les luttes se font pas en pleurnichant sous une couverture. » Sa mâchoire se crispe et bientôt tout son corps se tend suite à ses propos qu’il juge déplacés et non véridiques comme on pourrait le croire. Il est pessimiste, oui, mais il n’est pas de ceux qui pleurnichent sous une couverture, quoi qu’elle puisse croire. « Ils vont surement tenter de te massacrer, mais si tu fais ça en sous marin et que t’attaque une fois que ton dossier est bien rempli, ils auront peu de temps pour se retourner. Je travaille plus à ABC, mais j’ai encore mes contacts, j’peux me charger de récupérer les rush. » Et ils pourront en avoir une copie avec la production ne soit au courant de ce qui se prépare dans l’ombre et ne supprime les images. Il a autant envie de l’insulter que de la remercier. « Toi, met tout par ecrit. Vas voir un psychiatre, fait toi tirer le portrait, dis lui de faire un bilan bien hard sur les sequelles que ça t’a laissé. » Ses narines se gonflent avant d’expirer un lourd soupir qui en dit long sur ce qu’il pense du plan de May et surtout la partie qui l’agresse ouvertement. « C’est le psy, t’as l’droit de pleurer autant que tu veux. » C’en est trop alors qu’il perd patience, fait suffisamment rare pour être souligné, et que les mouvements furtifs de sa tête, de gauche à droite, montrent d’à quel point il est en désaccord avec l’ancienne gloire, quand bien même il ne dit rien – pour l’instant. « Contentez-vous de faire jouer vos contacts et quand j’aurai la preuve qu’on a les rushs et un avocat qui tient la route, j’aviserai. » Oh, voyez-vous ça, c’est qu’il donne les ordres à présent ? Il n’est pas à l’aise avec l’exercice, pour autant il ne s’excuse pas aussitôt ses mots formulés comme il l’aurait fait dans d’autres circonstances. Elle a abusé de sa patience et a le droit à un visage qu’il ne montre que peu souvent – quel honneur, dis donc. « Et vous connaissez rien de ma vie, alors fermez-la. » Peu importe l’image qu’il a pu lui donner, qu’elle garde ses putains de jugement pour elle avant qu’il ne décide de la faire tomber avec lui en mettant en avant sa part de responsabilité qu’il ignore volontairement pour s’en faire une alliée, ou seulement pour avertir ABC qu’une ancienne collaboratrice se retourne contre eux, ce qui doit probablement poser problème en terme de confidentialité. Qu’elle le veuille ou non, sans lui, rien de tout ceci n’aura lieu et il est en mesure d’en faire une victime. Il aurait presque les pouvoirs, en réalité et cette seule pensée le réjouit plus qu’il ne veut l’admettre. « Vous avez mon numéro. » À lui de se faire désirer, cette fois-ci, parce qu’elle a suffisamment à y gagner pour qu’elle y réfléchisse. « Merci pour le café. » Qu’il conclut en se levant, lui laissant le soin de payer l’addition – c’est le prix à payer pour les offenses qu’elle vient de lui faire subir.

@May Andrews

Pour May, le plan était tout tracé, elle savait où elle allait, elle savait comment s’y prendre et maintenant, Kieran devait tout faire pour être suffisamment crédible. Jouer les victimes semblait ne pas lui être difficile, par contre, pour May, il allait rapidement s’effondrer quand il se rendra compte de toute la charge émotionnelle et médiatique qu’implique une telle lutte. ABC est un des média les plus puissants d’Australie et a d’énormes moyens, que ce soit financier ou humain. Ils ont les meilleurs avocats, ils sont de mèches avec les politiques, ils contrôlent l’information, tout doit être méticuleusement millimétré et orchestré pour avoir une chance que l’information tombe dans l’oreille du grand public et que celui-ci s’insurge. Une chance d’être en 2022 où quelques niches se soulèvent contre les grands pouvoirs, mais malheureusement, ce n’est surement pas suffisant pour renverser ledit pouvoir. May mesurait rarement la puissance de ses mots et la manière dont ils pouvaient être violents. La diplomatie n’était pas réellement son fort, on ne lui admettait aucun tact et Kieran n’y échappait pas. Si elle n’avait jamais épargné sa fille, qui pouvait-elle bien épargner ? Personne. Elle ne remarquait même pas les signes physique du Halstead à mesure qu’elle lui disait comment se comporter. May Andrews était totalement dépourvue d’empathie et il en faisait les frais. Elle ne le faisait même pas exprès pour le faire sortir de ses gongs. Elle ne le provoquait pas, du moins, n’avait pas l’impression de le faire. « Contentez-vous de faire jouer vos contacts et quand j’aurai la preuve qu’on a les rushs et un avocat qui tient la route, j’aviserai. » elle avait l’impression qu’il remettait sa parole en doute. Oh, May se redressa sur sa chaise, serrant son gobelet chaud entre ses mains, elle fronçait même les sourcils, elle était prête à faire croire à Kieran qu’elle n’y gagnerait rien dans cette histoire et qu’elle se mettait en danger pour lui. Car, si on savait qu’elle était à l’origine de l’extirpation des rush, c’est contre elle que la production se tournerait, que la chaine ABC se tournerait. On parlerait de vengeance dans les médias, on mettrait son statut de femme mise de côté en avant et tout propos sexistes seraient de mise pour faire couler l’encre et parler dans les chaumières. May connaissait les risques pour elle, mais elle savait aussi se faire discrète, et pour elle, il fallait que Kieran reste la victime, tout en montrant du doigt les actes offensifs et irrespectueux des boites de prod. May se doutait bien qu’elle ne ferait pas couler ABC, mais une ombre au tableau lui suffisait à se satisfaire. « Et vous connaissez rien de ma vie, alors fermez-la. » et les doigts de la blonde ne pouvaient s’enfoncer davantage dans son gobelet, si non, elle finirait par renverser sa boisson chaude sur la table. Et là, son envie de vengeance semblait s’envoler. Elle ne laisserait pas Kieran lui parler de la sorte tout en mettant en œuvre son plan pour qu’il finisse par sortir glorieux de cette histoire. Il voulait affronter ABC ? A présent, il l’affronterait seul ou du moins, sans l’aide de May. « Vous avez mon numéro. » oh, oui elle avait son numéro mais ce n’était plus qu’une question de temps à présent pour qu’il ne soit plus qu’un mauvais souvenir. L’ancien candidat de son émission se leva de table, la laissant en plan et il devait sans doute ignorer à qui il avait réellement affaire. Si elle ne lui avait pas répondu un seul mot en retour, c’est parce que pour elle, leurs échanges prenaient fins à cet instant précis. Kieran avait foutu en l’air ses chances de sortir digne de cette histoire. Qu’il continue de pleurer sous sa couverture.