through highs and all the lows

@ALIÉNOR SIEDE & KIERAN HALSTEAD ☆☆☆ i don't know how to trust myself, it's like i turned to someone else but i can't let the dark consume me, let the light shine right through me. ☆ harley.

(TOOWONG, ST-ANTHONY'S SCHOOL).
Il n’aurait jamais cru être jaloux d’un panneau publicitaire, mais eh, la vie est pleine de surprise, n’est-ce pas ?

Un coude sur la table, le menton au creux d’une main, un stylo qui s’agite dans la seconde, Kieran observe avec une intensité rare l’affiche de l’autre côté de la rue. En quelques mots, avec un slogan efficace et une image parfaitement choisie, le message est passé ; il est à deux doigts de quitter cette salle de pause pour aller investir dans l’immobilier comme le revendique cette pancarte (ce qui est, si vous voulez mon avis, une fausse bonne idée quand on connaît l’état de ses finances, hm). Il finit par soupirer en reportant son regard bleu sur la feuille qu’il a déjà entachée de nombreux gribouillis depuis quelques jours. Il est jaloux, oui, parce qu’il n’arrive pas à faire usage de la même clarté quant à ce qu’il a à dire. Il aimerait bien être aussi percutant, mais l’aptitude de Kieran réside plus dans le fait d’étirer inutilement un discours qui pourrait largement être abrégé – et la seule fois où ça lui a servi, c’était lors de ses examens alors qu’il a tiré un sujet qu’il ne maîtrisait pas le moins du monde. Les rayures sur le carnet qu’il trimballe toujours avec lui en sont la preuve, son écriture approximative n’a cessé d’essayer de pointer les éléments qu’il aimerait apporter au cours de cette discussion importante, sans pour autant qu’il ne parvienne à donner de l’allure à son discours. Je crois qu’il serait temps qu’il accepte cette fatalité et le fait qu’il ne sera sans doute jamais à l’aise pour s’exprimer, encore moins sur un sujet aussi important, et qu’il se contente d’objectifs à sa portée ; comme le fait de ne pas se liquéfier sur place ou de ne pas bégayer comme un enfant en plein apprentissage de la parole. Mais, vous voyez, s’il y a bien une chose que Kieran s’est découvert pour m’emmerder (parce que je n’ai pas d’autres mots), c’est sa mauvaise foi – à défaut de sa fierté. Et celle-ci ne cesse de lui faire croire qu’il pourra très bien se débrouiller et qu’il n’a définitivement pas besoin de mon aide, merci mais non merci. On verra bien qui rira le dernier, hein, Halstead. Je ne suis pas certain qu’il arrive à être très cohérent et si d’ordinaire ce n’est pas vraiment un problème puisque la majorité des gens se sont fait un avis bien arrêté le concernant, ça en devient un quand il s’apprête à rencontrer son interlocutrice pour la première fois. Et qu’il aimerait autant lui faire bonne impression, puisque le sujet n’est pas anodin – bien au contraire.

Ça ne l’est tellement pas qu’il a même fourni des efforts considérables quant on connaît son habituelle réserve ; il a tenté de trouver du soutien et des conseils auprès de ses collègues. Mais comme le démontre sa position à l’écart du petit groupe qui s’est formé sur l’heure de midi, Kieran n’a pas vraiment eu de succès dans sa quête. Seul, près de la fenêtre, on ne peut pas dire qu’il ait reçu l’aide espérée, alors qu’il s’est surtout heurté à des murs qui ont pointé du doigt son inquiétude démesurée.
Ce sont des gamins, ils se chamaillent, c’est normal.
C’est la rentrée, ils se testent les uns les autres.
Lâche l’affaire.
Il y a toujours des grosses têtes et des plus effacés, tu sais.
T’es du genre à appeler la police pour un pétard dans les chiottes, toi, non ?

Mais t’es plutôt sûr de toi, Kieran, n’est-ce pas ? C’est suffisamment rare pour être souligné le concernant, lui dont la confiance frise le ridicule, qui est influencé par les opinions des autres au quotidien et qui ravale toujours la sienne pour se calquer sur la plus commune. Pas cette fois. Cette fois, il sait de quoi il parle – malheureusement. Je sais que la situation le peine, peut-être même plus que le principal concerné, peut-être, alors que Kieran n’arrive pas à s’ôter les différents indices de son esprit. Tom qui est passé d’un élève studieux à démissionnaire en quelques semaines. Tom qui ne prend plus le moindre de ses conseils et qui tend même à le fuir plus que de raison, alors même qu’il était le premier à s’intéresser à son cours. Tom qui se referme de plus en plus alors qu’il n’hésitait jamais à participer. La liste est longue, elle est gribouillée quelque part sur son carnet, mais ce sont-là des détails dont il n’a pas besoin puisqu’il les connaît par cœur. Il était Tom, quand il avait son âge. Il sait les dégâts de telles réflexions et, surtout, les conséquences sur le long terme. T’en es la preuve vivante, n’est-ce pas ?

« Halstead, la mère du gamin est là, je l’ai envoyée dans ta classe. » Sorti de ses pensées par une voix qui ne cache même pas son agacement en s’adressant à lui, Kieran la remercie avant de réunir ses affaires et de quitter la pièce à la hâte. Une hâte qui se dissipe à peine a-t-il retrouvé le silence des couloirs, alors qu’il n’est pas plus prêt pour ce qui l’attend qu’il ne l’était, une heure plus tôt, quand il s’est installé dans la salle de pause en espérant être aidé dans sa tâche. Faut croire que pour une fois, tu vas devoir te débrouiller seul, Halstead. Oh, et je sais qu’il ne s’en croit pas capable, mais s’il y a une chose dont je peux l’assurer, c’est qu’il l’est. Il est mieux placé que personne pour s’occuper d’une telle situation, peu importe si cela est à son détriment.

Son pas ralenti jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de repousser le moment fatidique ; et le voilà qui souffle une dernière fois pour se donner du courage avant de pénétrer dans sa salle de dessin qui fait également office de bureau. « Madame Siede ? » Il dit, alors que je l’aide à compartimenter les choses pour qu’il ne soit pas envahi par cette angoisse habituelle. D’abord, les présentations et les sympathies d’usage. Ensuite, le sujet qui fait mal. « Kieran Halstead, c’est moi qui vous ai convoquée. » Il annonce, avec un sourire timide, fermant la porte derrière lui alors qu’arrivé vers la jeune femme, il lui tend une main hésitante, peu habitué à autant de formalités. « Merci d’avoir fait le déplacement. » Il poursuit et, pendant un instant, il a presque l’impression de maîtriser la situation. « J’espère que vous n’êtes pas trop pressée ? » Et déjà, il n’en fait qu’à sa tête et il glisse, Kieran, alors qu’il vient indirectement de lui annoncer que les minutes qui s’ensuivent ne seront pas de tout repos, et qu’il a besoin de toute son attention en plus de tout son temps.

Foutu panneau publicitaire. Lui, au moins, il n’a pas à faire la causette.

Il n’a jamais été très doué pour dire les choses, Kieran ; en démontre la lettre de rupture adressée à son ex-fiancée en lieu et place d’une conversation à cœur ouvert et, surtout, en face à face. Nombreux sont les exemples bien peu glorieux à son palmarès, lié à son manque d’aisance au moment de communiquer avec les autres. Il bafouille, il perd ses moyens, il ne sait jamais quoi dire et, surtout, il ne sait pas comment le dire. Aujourd’hui ne semble pas faire exception à la règle alors que, bien qu’il ait tenté de se préparer en amont, il n’a pas réussi à formuler un discours qui a un minimum de sens. Il n’a aucune fichue idée de la manière d’annoncer à cette femme qu’il craint pour son fils, et que l’attitude de ce dernier ne trompe pas – du moins à ses yeux. Et si d’un point de vue extérieur l’on peut se demander comment il peut être aussi sûr de lui – surtout en considérant qu’il n’a jamais une opinion personnelle sur quoi que ce soit – si vous étiez à ma place, vous sauriez exactement pour quelle raison il se veut aussi certain. Il aurait préféré ne pas l’être, bien évidemment, et je lui ai malgré tout suggéré le fait qu’on ne peut jamais être sûr de rien. Il a cette peur viscérale de déranger le monde et c’est sans doute la raison pour laquelle il a autant traîné – s’il s’était écouté, lui et uniquement lui, il aurait déjà alerté la totalité de l’établissement et des proches de ce gamin il y a déjà deux à trois semaines. Mais parce qu’il est influençable – ce n’est pas ma faute, pour une fois – il s’est laissé persuadé qu’il était sans doute trop inquiet, pour pas grand-chose. Mais son impression ne s’est pas dissipée comme ses collègues l’ont présumé, au contraire, j’ai appuyé dessus. Parce qu’il ne se fie jamais à son intuition, Kieran. Jamais. Et que pour une fois, je crois qu’il en a besoin et, surtout, qu’il n’a pas tort de vouloir lui faire confiance.

Mais vouloir changer les choses et être en mesure de le faire sont deux choses très différentes ; comme il l’expérimente désormais, face à cette porte et à quelques instants d’un entretien déterminant pour Tom. Tu peux y arriver. C’est important, tu vas réussir à t’exprimer et à ne pas perdre tes moyens. Je l’aide à prendre les choses étape par étape ; d’abord les salutations, ensuite la mise à l’aise et, dernièrement, le vif du sujet. Pour les salutations, les choses se passent bien ; mais très vite, il sous-entend qu’ils en ont pour un petit moment et il se maudit. Elle n’a pas l’air de s’en formaliser et ça le détend – mais je sais aussi que son calme peut très vite se transformer en angoisse. "Enchantée Monsieur Halstead. Rassurez-vous, Tom est chez mon frère, donc j’ai tout mon temps" Très bien, très bien… ou non. Il hoche la tête en guise de réponse, et il lui en est presque reconnaissant de reprendre la parole. "Mais je dois avouer que je ne comprends pas cette convocation, il y a un problème avec Tom ? Il n’embête personne, j’espère ?" - « Oh non, pas du tout. » Ce sont les autres qui le font. Mais ce n’est pas une manière d’amener les choses ; bien trop directe et, par extension, cruelle. Il faut la préparer, Kieran, parce qu’aucun parent ne veut entendre que son fils subit du harcèlement. « Non, Tom est un super élève, autant au niveau de ses résultats que de son comportement. » C’est celui des autres qui pose problème ; toujours trop direct. Peut-être que ce serait un bon moyen d’arracher le pansement, de ne pas tourner inutilement autour du pot, mais il hésite, il se retient, et finalement, il tente de reprendre la parole. « J’ai juste remarqué qu’il était un peu… ailleurs ? Oui, c’est ça, ailleurs, ces derniers temps et je-je… enfin… je me demandais si, hm, tout allait bien ? Pour lui, à la maison ? » Outch, ce n’est peut-être pas beaucoup mieux de sous-entendre que le problème est à la maison. Il aurait définitivement mieux se préparer au préalable.

@Aliénor Siede

Tous les éléments pourraient démontrer de son innocence que Kieran saurait trouver un moyen pour se sentir coupable. Ce sentiment est désormais si ordinaire qu’il en est devenu une seconde nature ; et chaque situation est propice à une forme de flagellation contre laquelle il a cessé de lutter depuis longtemps. Il aurait peut-être pu mieux anticiper, c’est vrai, mais il n’y a pas de bonne manière d’annoncer une telle nouvelle à un parent, et toutes les heures de préparation qu’il aurait pu mettre à profit n’auraient rien amené d’autre que toujours plus d’angoisse à l’idée de ne pas avoir trouvé la formule magique pour bien énoncer la situation. Et il sait, qu’en réalité, la bonne façon d’affronter la chose est de se demander comme il aurait voulu qu’on lui l’annonce à lui, s’il était concerné par pareille situation. Sauf que ce n’est pas une très bonne question à poser, Kieran, n’est-ce pas ? Bien sûr qu’il a été concerné par la situation ; mais de l’autre côté, à la place de Tom et il n’est pas en mesure de réfléchir à une réponse à donner alors que cette interrogation en amènerait des dizaines d’autres. Comment est-ce que lui aurait pu en parler à l’école ? Est-ce que cela aurait pu changer les choses ? Est-ce que ses parents se seraient sentis concernés, s’ils l’avaient su ? Et ses tuteurs, est-ce qu’ils se seraient réellement détournés de lui s’il avait su la vérité ? Est-ce que son quotidien à l’école aurait réellement été plus infernal s’il avait demandé qu’on le protège comme il aurait dû l’être ? Tu n’en sauras jamais rien, Kieran ; cesse donc de t’infliger cela. La seule chose que tu peux faire, désormais, c’est de t’assurer que de telles questions ne submergent pas l’esprit de Tom, le jour où il aura suffisamment de recul pour se les poser.

Alors, finalement, peu importe la manière dont il peut bien annoncer les choses ; l’essentiel réside dans la finalité qu’il peut espérer, et celle qu’il vise, c’est le bien-être de Tom. C’est sans doute la raison pour laquelle il a pris son temps avant de convoquer la jeune femme, parce qu’il voulait autant s’assurer que la situation était sérieuse (même s’il aurait évidemment préféré se tromper) que parce qu’il devait prendre la pleine mesure de ce que cela est susceptible d’impliquer pour le principal concerné. Il connaît les conséquences du harcèlement mieux que personne et, surtout, la crainte que les rumeurs rendent la situation encore plus compliquée, dès lors qu’il sera évident que des stratégies sont mises en place pour éviter que tout ceci s’envenime, et qui mettront alors à mal l’impunité actuelle des agresseurs, qui pourraient alors redoubler d’efforts dans un but purement revanchard. Mais tu ne peux pas laisser passer ça ; c’est une certitude. Peu importe la manière dont Tom réagira, peu importe s’il te fuit ou fuit tes cours, tu dois en parler, Kieran, et ne pas attendre que tout ceci soit hors de contrôle, comme tu l’as fait quand tu étais directement concerné. "Vous me rassurez, même si je ne doutais pas des capacités de Tom, il dessine tout le temps et partout à la maison" Ce constat lui arrache un sourire qu’il ne veut pas trop ravi compte tenu des circonstances, mais qui lui réchauffe le cœur – autant qu’il lui le brise, confirmant par là que Tom n’a certainement rien demandé de tout ce qui lui arrive. "Et bien disons que je travaille beaucoup, je l’élève seule, mais il peut compter sur un oncle et parrain au top qu’il voit régulièrement, comme ce soir d’ailleurs" Ses yeux s’écarquillent alors qu’il a l’impression qu’elle se défend, signe qu’il a sans doute pointé, par inadvertance, la faute sur elle. La question visait plus à savoir s’il lui semblait autant renfermé à la maison qu’il ne l’est désormais en cours, sans pour autant tenter d’en trouver les raisons. "Donc je pense pouvoir dire que tout va bien à la maison, hormis qu’il n’a jamais eu la chance de grandir avec un père véritablement présent pour lui puisque son géniteur va et vient dans sa vie quand ça lui chante" - « Oh, je vois, super pour l’équilibre de Tom. » Il commente par automatisme, regrettant aussitôt de tels propos, se corrigeant aussitôt : « je veux dire, la question n’avait pas pour but de vous obliger à vous justifier, je vois Tom toutes les semaines, et je vois que c’est un chouette gamin. » Signe qu’elle a réussi à se débrouiller malgré tous les obstacles qu’elle vient de citer. « Je me demandais juste s’il vous semblait… plus renfermé ? Peut-être même plus agressif ou distant ? » Cette fois-ci, la question lui vient naturellement, mais elle semble aussi et surtout aiguiller la jeune femme quant à son raisonnement. "Mais pourquoi ces questions ? Tom se fait embêter, c’est ça ? " Oh, non. Kieran panique ; mais il fallait bien que le sujet vienne sur la table tôt ou tard, n’est-ce pas ? Au moins, ce n’est pas à lui d’avoir à prononcer de tels mots – non, en réalité, ceux auxquels tu penses, Kieran, sont nettement plus confrontants et dévastateurs. Il ne se fait pas embêter. Il se fait harceler. « Disons que j’ai senti… enfin, je trouve que son attitude a un peu changé. » Inutile de l’alerter plus que de raison ; posons d’abord les bases de ton inquiétude, Halstead. « Il est un peu plus renfermé et oui, je me demandais s’il vous avait parlé de certaines choses qui pourraient se produire pour lui à l’école. » Il admet, restant silencieux un instant, n’étant pas certain de l’hypothèse qu’il s’apprête à verbaliser : « mais ce n’est pas le cas, je me trompe ? » Sans quoi elle l’aurait annoncé, et il aurait peut-être pu espérer obtenir un semblant d’informations l’aidant dans cette tâche dans laquelle il s’apprête à se lancer ; et qui lui paraît plus sérieuse que jamais en considérant l’ignorance d’Ally sur la question.

@Aliénor Siede