Sami Cadburry semblait bien sous tout rapport et, surtout, il lui était apparu comme quelqu’un accordant un grand intérêt à son métier. Ava avait pensé qu’il étendait cela aux détenus dont il s’occupait sans jamais s’hasarder à poser la question, préférant nettement associer chacun à de bonnes intentions. Ils se rendaient service mutuellement, et si la signature de ce contrat leur permettait à tous les deux d’atteindre un objectif, celui d’Ava était double. Bien sûr, la main d'œuvre était bonne à prendre, mais ses artisans étaient les principaux acteurs de la rénovation et elle voyait surtout là l’opportunité d’aider son prochain, un point qui lui tenait particulièrement à cœur. Au fond d’elle, elle espérait qu’il en était de même pour le conseiller, bien incapable d’imaginer qu’une telle profession ne soit motivée que par l’argent. Dix minutes avant l’arrivée d’Eli Grayson, Ava s’était assurée de garder un oeil sur la porte qui était restée désespérément close. Toutes les indications lui avait été données, Monsieur Barlow s’en était assuré, alors il n’y avait aucun doute quant au fait qu’il trouverait l’endroit. Elle avait attendu, cherchant à s’occuper l’esprit pour ne pas laisser cette pointe d’appréhension prendre trop d’ampleur mais les minutes étaient passées sans que personne ne se présente. « Y’a quelqu’un ? » Dans une pièce annexe, Ava avait été sortie de ses pensées par une voix masculine. « Je suis venu pour peindre j’sais pas quoi. » Elle était rassurée, parce qu’elle était déjà en train de préparer mentalement la discussion qu’elle devrait avoir avec le conseiller si son protégé ne se présentait pas et elle l’appréhendait déjà. « Allez c’est bon, j’savais que c’était une mauvaise idée. » Elle avait fini à la hâte ce qu’elle était en train de faire en entendant celui qui devait être Eli vociférer de l’autre côté du mur. « Ah bah c’est pas trop tôt ! 20 minutes que j’attends ! » L’accueil avait été glacial, mais elle ne s’était pas attendu à mieux. Pour simple réponse, Ava lui avait adressé une moue désolée et une grimace. « Oh mais pardon, je ne t'avais pas entendu jusqu’à maintenant… » C’était étrange, étant donné la façon dont elle s’était appliquée à rester alerte dans l’attente de ce garçon à l’allure plutôt sympathique, malgré le ton de sa voix. « Eli, c’est ça ? Moi c’est Ava, enchantée et merci beaucoup d’être venu aujourd’hui. » Il y était obligé et elle le savait, mais la blonde ferait de son mieux pour faire en sorte que le garçon se sente à son aise. Comme s’il était à sa place dans cet endroit qu’il allait découvrir. Elle était consciente du sentiment de liberté dont il avait été privé depuis des années alors l’idée de l’en priver à nouveau en lui laissant penser qu’il n’était qu’un pion régi par un contrat n’était pas du tout son objectif. « Et oui, l’idée est que tu peignes l’une des chambres mais on peut commencer par faire connaissance, si tu veux ? » Son sourire se voulait chaleureux, et elle ignorait la petite voix de Sami qui lui avait indiqué d’instaurer ses règles pour ne pas se laisser dépasser par le caractère parfois sulfureux des détenus. D’un côté, elle entendait son point de vue, de l’autre, elle était persuadée qu’après leur entretien, le conseiller ne lui aurait pas envoyé quelqu’un capable de lui nuire… Du moins, elle espérait.

L’horaire donné aurait semblé tardif pour la plupart des employeurs, mais Ava se mettait du côté des employés sans aucune difficulté. Celui qu’elle attendait goûtait en plus à une liberté à peine retrouvée et elle ne s’était pas inquiétée de son retard, lui trouvant toutes sortes d’excuses. L’envie d’occuper sa matinée comme il le souhaitait avant de venir réclamer un salaire, le besoin d’un temps d’adaptation avant de reprendre un rythme… Tout lui venait à l’esprit sauf l’idée que peut-être, Eli n’avait aucune envie de venir et avait traîné les pieds de manière totalement volontaire. Son regard s’était posé sur elle et la blonde s’était sentie jugée sans que cela ne la dérange réellement, ce n’était qu’un réflexe humain que de toiser une personne que l’on rencontrait pour la première fois avant de déterminer si l’on décidait de baisser la garde. Alors elle s’était comportée comme à son habitude, en cherchant à faire comprendre à son interlocuteur qu’elle ferait de son mieux pour que tout se passe bien. « Pour quoi faire ? » Ava avait haussé les épaules parce qu’il lui semblait logique qu’ils posent quelques bases avant de se lancer dans le travail mais elle n’avait pas eu le temps de répondre quoique ce soit qu’Eli enchaînait déjà. « Je suis là pour peindre ou pour faire la conversation ? » avait-il demandé. « Tu m’as fait venir pour faire la pute en fait ? » Déstabilisée par la réaction innatendue de l’ancien détenu, Ava avait laissé échapper un rire avant de passer une main dans ses cheveux. Elle était nerveuse, mais Eli avait finalement brisé ce moment de gêne. « ça me va ! » Elle avait levé les yeux au ciel parce que le comportement changeant du garçon l’étonnait mais l’amusait également, elle ne pouvait passer à côté de ce côté indéniablement attachant d’Eli.

En un regard et quelques instants, il s’était installé et tout aurait pu indiquer à quelqu’un d’extérieur à la scène qu’il connaissait l’endroit par cœur. « T’as du café ou un truc ? » Ava n’était pas totalement sûre que la demande était légitime, mais elle était celle qui avait proposé de faire connaissance. « Je peux aller te chercher ça chez moi oui. Il n’y a rien ici, mais t’as raison, une machine à café ce serait une bonne idée. » avait-elle répondu en désignant du pouce sa maison que l’on pouvait voir à travers la fenêtre. Elle souhaitait de tout son cœur qu’il se sente à sa place et son sourire indiquait sa sincérité. « Pourquoi tu fais venir des ex-détenus ? T’as pas peur de tomber sur des dingues ? » Une question à laquelle elle n’avait que trop souvent répondu mais qui ne venait jamais des détenus eux-mêmes. « Moi ça va, je suis pas un fou mais tu sais pas sur qui tu tombes quoi. » Pendant un instant elle s’était demandée si elle faisait réellement bien de lui laisser autant de liberté et de ne pas montrer une seule once d’autorité, le fait de l’entendre se justifier si rapidement était étrange. « C’est exactement ce que dirait un fou ça non? » Comme bien souvent, Ava avait répondu avec toute sa spontanéité et un sourcil arqué et ce n’était qu’après qu’elle avait réalisé ce qu’elle venait de dire qu’elle s’était reprise. « Je ne suis pas folle moi non plus, je discute d’abord longuement avec le conseiller pénitentiaire avant de signer le contrat. » Une personne qu’il convenait de ne pas oublier dans cet arrangement et à l’évocation de Samuel, Ava avait cru voir Eli se redresser légèrement. Elle savait ce qu’elle avait besoin de savoir et si le détenu pouvait prétendre à un tel contrat, c’était qu’il était tout à fait capable de saisir l’opportunité et elle ne se sentait pas en danger, malgré le doute qu’il laissait planer. « C’est pas en me disant des trucs comme ça que je vais oser te laisser seul pour aller te chercher à boire, tu sais ! » Ava avait ri mais n’était pas sûre que sa plaisanterie trouverait écho auprès du garçon. Finalement et comme pour prouver qu’elle n’était pas sérieuse, elle avait frappé dans ses mains et s’était mise en route pour revenir quelques instants plus tard avec deux tasses de café. Elle s’était installée à côté de lui et sans se défaire de son sourire avait repris la conversation. « Pour répondre à ta question, je travaille avec des ex détenus parce que j’ai besoin d’aide et que je trouve ça logique d’offrir la mienne en retour. Ça me plait pas trop d’être qu’une patronne.  » Une nouvelle fois elle avait haussé les épaules, si Ava avait l’occasion d’aider, elle le faisait volontiers et elle était convaincue que chacun méritait une seconde chance. Et ce serait à Eli de lui prouver si elle avait tort ou non.