out of luck
Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

Difficile d’y échapper et de faire comme si rien ne s’était passé. Personne n’en parle, sans doute par peur des représailles ou d’un je ne sais quoi, mais tout le monde y pense ; l’arrestation d’Amos a foutu un espèce de malaise ambiant casino, l’air de rien. Il y a ceux qui en savent un peu plus et il y a les autres, il y a Reagan qui ne communique rien d’autre que des “tout est sous contrôle, reprenez le boulot” et il y a Raelyn qui ne s’est pas montrée depuis que c’est arrivé. Et si certains s’en fichent ou font mine de ne pas avoir remarqué, ce n’est pas ton cas, clairement pas. Comme toujours, dans un coin de ton crâne, ça tourne et ça chauffe à grands coups de et si que tu n’arrives pas à stopper. Et si il ne sortait pas, et si elle se retrouvait embarquée, et si elle ne tenait pas le choc sans lui, et si, et si… Tu peux aller loin, comme ça, t’as l’imagination suffisamment fertile pour en trouver tout un tas d’autres, surtout en ayant connaissance de certains détails que la plupart ignorent. Elle est forte, Raelyn, bien plus que toi et tu ne remets pas ça en question, non. Mais tu sais à quel point le désespoir ou la colère ou toutes ces émotions trop fortes peuvent être nocives, pour les gens comme vous. D’un côté t’es à peu près sûre qu’elle ne replongera pas, elle a bien trop à perdre maintenant qu’elle a une fille, mais de l’autre, ton expérience personnelle fait que tu sais que ça reste une possibilité. Ce qui t’inquiète surtout, c’est de ne plus avoir de nouvelles, pas même de la part de Callum qui, lui aussi est porté disparu depuis que c’est arrivé. Certains mauvais parleurs y vont déjà de leurs théories folles du genre ; il a fait arrêter Amos parce qu’il avait une liaison avec Raelyn, il travaillait secrètement pour les flics ou pour un autre casino, lui aussi s’est fait arrêter ou tu ne sais quoi encore. Au moins a-t-il daigné répondre à ton appel téléphonique et répondre à tes questions sur toute la situation. Au passage, t’apprends qu’il a été viré par Raelyn et qu’elle ne voulait absolument plus le voir, et si au début tu penses qu’il plaisante ou qu’il dramatise un peu, le ton qu’il emploie ne laisse aucune place au doute. Lui qui est pourtant dans leurs petits papiers depuis tu ne sais quand, qui a l’air particulièrement proche d’Amos et qui est aussi indissociable que leurs ombres. « Allez, tu me fais marcher, » que tu lui as même dit et pour toute réponse, t’as eu le droit à un « je suis très sérieux » un peu sévère mais pas moins faux pour autant. Merde, si tu t’attendais à ça. « Et elle est où, là ? » Ca t’inquiète, toute cette histoire. « Chez elle, » il est toujours aussi peu dispendieux, Callum. Un soupir t’échappe pendant que tu considères la marche à suivre l’espace de quelques instants. « Tu peux m’y emmener ? » « Je ne suis pas ton chauffeur, Spencer. » « Okay bein file moi l’adresse, alors. » Un silence s’installe l’espace de quelques secondes avant qu’il ne reprenne finalement, « c’est pas une bonne idée. » « Si tu me files pas l’info je la trouve moi-même. » Quitte à retourner tous les bureaux du casino jusqu’à trouver ce dont t’as besoin. L’ex garde du corps lâche un soupir sonore et finit par céder, acceptant même de servir de taxi. Il profite du trajet pour exposer à quel point tout ça est sérieux, que Raelyn, sous ses airs de grande dame bornée a mal encaissé la nouvelle et qu’elle n’offrira sûrement pas un accueil chaleureux. Il s’arrête devant l’appartement, indique le numéro et le code pour entrer, précise que lui ne montera pas et n’attendra pas non plus que tu redescendes. A croire qu’il flippe à l’idée de se montrer face à son ancienne patronne. Ok, tant pis, t’aurais bien apprécié l’avoir comme backup pour une fois, mais tu feras sans.
Merde, maintenant que t’es devant la porte, tu sais même pas à quoi t’attendre. A tous les coups, toi aussi tu vas te retrouver virée ou foutue à la porte, mais t’as besoin de savoir que ça va aller pour elle et pour la petite. L’espace de quelques instants, tu considères l’idée de presser la sonnette sans nom ou de tambouriner à la porte avant de te rappeler qu’il y a un bébé qui dort sûrement, là-dedans, alors tu toques, tu patientes avant de lâcher un bête « Raelyn ? C’est Spencer, je- J’viens juste m’assurer que tout va bien. » Est-ce que c’est le moment où te fais envoyer chier à ton tour ou elle a suffisamment déchargé sur Callum l’autre jour ? « J’demande juste un signe de vie, genre m’oblige pas à appeler les pompiers s’il te plait. » Probablement que tu t’en fais trop, mais tu préfères assurer le coup.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harleystuff

Amos ne s’est pas présenté au parloir.

Il s’est battu, et une part de moi pense qu’il l’a fait exprès, qu’il m’a demandé de ne plus venir le voir après la dernière fois et qu’il a trouvé la meilleure des façons de m’en empêcher : en faisant en sorte qu’on lui retire ce dernier et unique privilège. Je suis passée outre son attitude. J’ai ignoré que, plutôt que de profiter du bref moment qui nous était alloué, il a préféré tenter de me reprocher le renvoi de Callum et de m’ordonner de le reprendre. J’ai même oublié – temporairement – qu’il m’a congédié alors qu’il nous restait encore de précieuses minutes à être ensemble, même sous l’œil attentif d’un surveillant de prison. J’ai outrepassé son ordre, parce que je ne l’ai pas cru capable de volontairement me tenir à l’écart alors que c’est tout ce que nous avons pour l’instant, ces minutes scrutés par des inconnus en uniforme. Je me suis présentée à l’accueil, et on m’a informée que j’aurais dû appeler, qu’Amos ne pouvait pas recevoir de visiteurs. J’ai eu beau tenter de rappeler que j’avais des contacts et de les faire marcher, je n’ai eu le droit qu’à de l’ignorance, et le rappel que personne n’est au-dessus des règles. Et je n’ai pas vu Amos. Aucun agent ne l’a conduit jusqu’à moi dans son uniforme kaki et avec des menottes passées autour des poignets. Je n’ai pas eu le droit à une brève étreinte pour nous saluer et nous dire au revoir, et ses mains dans les miennes pendant une demi-heure. Amos s’est battu contre nous plutôt que pour nous, et je suis rentrée "chez nous" – cet endroit ne l’est pas vraiment, nous n’y partageons aucun beau souvenir – encore plus remuée, bouleversée et en colère que je ne le suis déjà contre lui, contre moi et surtout contre le reste du monde.

Devoir m’occuper de Micah m’a animée, mais poussée à forcer à accrocher des sourires qui manquent de conviction sur mon visage et à insuffler de la tendresse dans ma voix. Je me suis saoulée de ma poupée pour oublier que l’absence de son père me déchire le cœur. J’ai brossé ses cheveux fins, l’ai écouté baragouiner des phrases qui ne veulent rien dire étant donné le peu de mot qu’elle possède dans son répertoire, je lui ai parlé comme si elle pouvait me comprendre, je l’ai baignée, embrassée, veillée et endormie. Elle se couche et s’endort tôt Micah, à l’instar de tous les bambins de son âge. Ce soir n’a pas fait exception et comme les jours précédent, à l’instant où le silence reprend ses droits dans l’appartement luxueux mais impersonnel de Spring Hill, je me sens terriblement seule. L’endroit est vide, trop grand en étant pourtant plus modeste que le loft, trop étouffant malgré l’air frais de l’hiver australien qui s’engouffre par les baies vitrées ouvertes, et trop sombre malgré toutes les lumières du centre-ville. La vue sur les autres immeubles illuminés est splendide mais elle ne m’émeut pas, alors que je trempe mes lèvres dans un verre de scotch, assise sur un fauteuil installé sur la terrasse de l’appartement. Je suis douchée, nourrie et je porte des vêtements simples mais propres, mais je me sens comme une coquille vide. On toque à la porte, mais cela ne suffit pas à me sortir de ma léthargie.

« Raelyn ? C’est Spencer, je- J’viens juste m’assurer que tout va bien. » La voix de ma demi-sœur de sort de ma torpeur et je relève la tête. Je tends l’oreille pour m’assurer que je n’ai pas rêvé la voix de la petite blonde. « J’demande juste un signe de vie, genre m’oblige pas à appeler les pompiers s’il te plait. » Un long et profond soupir me soulève la poitrine, puis je me redresse, dépose mon verre sur la table basse d’extérieur, et me dirige vers la porte d’entrée pour l’ouvrir en grand. « Comment tu as eu cette adresse Spence ? » Pas d’agressivité à l’horizon, mais pas de chaleur non plus. Au fond, je lui ai ouvert parce que je n’en peux plus, de ma foutue solitude, et que si elle n’est pas celle que je voudrais voir – elle n’est pas Amos – je ne lui suis pas hostile non plus. Bien sûr, elle ne m’entendra pas l’admettre à voix haute. « Micah dort. Evite-moi la sirène et les abrutis en uniforme, s’il te plait. » Tout représentant de l’état – aussi éloigné soit-il de la justice qu’il soit – n’est pas le bienvenu chez moi.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

Peut-être que, comme souvent dès qu’une situation t’échappe, t’as laissé toutes tes pensées intrusives prendre le dessus et tisser le pire des scénarios. Une vieille habitude que t’as bien essayé de changer mais qui continue de te coller à la peau comme une vieille amie aux idées aussi insidieuses que mauvaises. Tous les éléments que tu as en ta possession sont disparates ; Raelyn est une ancienne addict, elle s’en est sortie une fois mais a pourtant rechuté, Amos l’a aidée à s’en sortir, il n’est pas là et elle se retrouve seule avec une enfant. Pourtant, tout ça mis bout à bout, c’est une angoisse naissante qui te saisit à la gorge et qui t’empêche de te dire qu’elle gère. Impossible pour toi de ne pas te projeter et d’imaginer comment toi tu réagirais dans une situation pareille. Mal, tu le sais et t’en as trop conscience. Si tu prenais cinq petites minutes pour te poser et réfléchir, pourtant, tu saurais que Raelyn est le genre de femme à ne pas s’effondrer au moindre coup de vent. Elle est plus solide que toi, plus terre à terre, moins encline à se laisser submerger par ses émotions.
Alors te voilà devant chez elle, gentiment accompagnée par Callum en voiture, tu dois t’assurer que ça va bien, ou qu’au minimum qu’elle tient le coup. Tu t’attends à tout, quand tu frappes et que tu menaces de prévenir les pompiers. T’as tout de même suffisamment de jugeote pour ne pas utiliser la sonnette et son bruit probablement strident. Finalement, la porte s’ouvre en grand et tu peux lâcher le souffle que tu retenais depuis tout à l’heure; « C’est important ? » Objectivement non. Enfin si, Raelyn n’a sûrement pas envie que n’importe qui vienne la déranger dans un moment pareil et tu comprends parfaitement, d’autant plus vu la position qu’elle occupe et tout ce qui gravite autour. Du peu que t’en sais, Amos est lui aussi mêlé à tout ça et forcément, la question qui tourne en boucle dans ton crâne c’est “est-ce qu’ils se sont fait prendre ?” Est-ce que, finalement, tout va s’arrêter après ça. Et puis tu te raisonnes, elle est toujours libre, ta demi-soeur. Ce n’est pas elle qu’ils sont venus chercher et ce n’est pas après sa personne qu’ils en avaient. Toute la partie cachée n’est peut-être donc pas en péril après tout. « Oui, non, pardon. Je les appellerai pas, c’est juste… » T’hésites sur tes mots, comme d’habitude. Bien évidemment que tu n’as pas réfléchi plus loin que ça, en te précipitant ici. Dans ton plan de base, elle ne t’ouvrait même pas ou alors elle t’envoyait carrément Callum pour te chopper par le col et te sortir d’ici. Mais non, rien de tout ça. Elle est là, face à toi, la mine fatiguée et l’air revêche, mais au moins elle est debout. « Je voulais m’assurer que ça allait, » pas besoin de chercher après un mensonge à sortir. La vérité est là, simple comme bonjour et la réponse qui t’attend est pourtant évidente. Comment est-ce que ça peut aller ? Son époux a été embarqué par les flics et il n’y a rien qu’elle ait pu faire pour stopper ça. Soupir soulagé et tu te masses l’arête du nez. « Callum m’a emmenée. Il voulait pas mais j’ai insisté. » Tu passes tout de même aux aveux quant à ta présence ici, n’ayant pas spécialement envie de jouer avec le peu de patience qu’elle doit avoir à un moment aussi critique. Callum a bien essayé de te dissuader de venir et s’est montré particulièrement peu coopératif au début. « Il s’est passé quoi ? Ca va ? » T’es à deux doigts de lâcher une flopée de questions, juste pour dire de parler, d’obtenir une réponse, n’importe quoi qui pourrait éclaircir un tant soit peu toute la situation, mais tu te restreins.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harleystuff

Spencer n’a que rarement - si pas jamais - eu le loisir de m’apercevoir dans une posture si vulnérable. Certes, je reste présentable pour le commun des mortels, mais je suis loin de briller de l’éclat qui est habituellement le mien. A l’intérieur des quatre murs de cette pièce qui n’est même pas mon appartement, je ne tente même pas de donner le change à qui que ce soit. Mon visage dénué de toute touche de maquillage laisse apparaître des traits tirés, une mine froissées et les cernes noires sous mes yeux trahissent sans grand mal que je suis exténuée. Micah, angoissée par l’absence de son père mais malgré tout calme et sage, n’est pas là cause de ma fatigue apparente. Non, sans Amos, je peine simplement à trouver le sommeil. Je suis en proie à de terribles insomnies et, puisque je n’ose m’aider de béquilles médicamenteuses pour trouver le sommeil, il m’arrive parfois de ne dormir que deux ou trois heures par nuit. C’est bien trop peu, mais je n’ai pas d’autre choix que de composer avec, pour ma petite fille.

« C’est important ? » - « Oui. Bien plus que ce que tu crois.  » Si l’appartement à Spring Hill n’est pas entouré du même voile de secret et d’anonymat que notre réel lieu de résidence, lui-même déserté pour le protéger et conserver son statut de secret des dieux, il n’en reste pas moins vrai que peu de personnes ne connaissent également cette adresse-là. Pour la découvrir, il a fallu que Spencer fasse appel à l’une d’entre elle ou qu’elle fouille dans les dossiers informatisés du personnel, et je n’aime ni la première proposition, ni la seconde. « Oui, non, pardon. Je les appellerai pas, c’est juste… » Juste une tentative de sa part pour me provoquer et me faire sortir de mon terrier. Je le sais, je ne suis pas née de la dernière pluie. Si cela a fonctionné, c’est au prix d’un mal de tête et parce que je ne désire pas alerter tout le tranquille immeuble qui ne se doute pas une seule seconde de l’identité de ces voisins du dernier étage, si tranquilles et calmes en temps normal. « Je voulais m’assurer que ça allait. » - « Tu as vu maintenant. » Comment j’allais. Je doute qu’elle en ai tiré la conclusion que je me porte comme un charme. « Je répète : qui t’as donné cette adresse ? » Je ne m’efface pas pour la laisser entrer ; pas tout de suite en tout cas. L’appartement ne renferme aucun effet personnel, aucune décoration qui ne lui en apprendra plus sur moi, sur Amos ou sur le couple que nous formons. Pour ceux qui me connaissent, ce n’est guère surprenant et ils sont loins de se douter que ce n’est tout simplement pas là notre lieu de résidence.

« Callum m’a emmenée. Il voulait pas mais j’ai insisté. » Je fronce les sourcils, toujours accrochée à la poignée dorée en métal massif de la porte, et l’autre main posée sur le cadre en bois. « Callum ne travaille plus pour moi. Et il ne travaille plus pour l’Octopus. » Autrement dit : dès demain, j’appellerai Kayden pour le prévenir que l’ancien militaire ne dois plus être autorisé à pénétrer les lieux, et certainement pas à évoluer dans les zones réservées au personnel. J’ai été claire avec Amos, ma décision a été prise sur le coup de la colère, mais elle n’en est pas moins réfléchie et définitive pour autant. Je ne reviendrai pas dessus. « Il s’est passé quoi ? Ca va ? » Je pousse un soupir, passe une main sur mon visage, lasse et exténuée et, finalement, je m’efface pour la laisser pénétrer à l’intérieur des lieux. « Amos a été arrêté. Mais tu le sais, tout le monde doit être au courant maintenant. » Il l’a été devant le casino, après que des officiers de police aient posé des questions aux uns et aux autres, et les bruits de couloirs circulent vite dans ce genre d’endroit, je ne suis pas assez naïve pour penser le contraire. Spencer ne serait d’ailleurs pas là si ce n’était pas le cas. « Il est en détention provisoire pour le moment. Son avocat a demandé une libération sous caution, mais j’ignore quand le jugement sera rendu. » Cela devrait être suffisant pour qu’elle comprenne que je sois à ce point chamboulée, n’est-ce pas ? « Je suis impuissante, et dieu seul sait le nombre de ficelles que j’ai essayé de tirer. » J’ai des relations, de nombreuses relations à travers tout le pays et plus mais, pour la première fois, il n’y a rien que je puisse faire pour le faire libérer plus vite ou simplement m’assurer qu’il le soit. Et dieu que je suis en colère, amère, frustrée et dévastée.