out of luck
Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harleystuff

« Elle a encore le temps. » Au-delà de Micah, c’est à nous, Amos et moi, que profitera cette période pendant laquelle notre enfant sera encore un bébé et, surtout pendant laquelle elle n’appartiendra encore qu’à nous. Bientôt, il nous faudra la partager avec le reste du monde et cette perspective je pourrait pas moins m’enchanter.

« Tu l’es avec elle, c’est tout ce qui compte. »
« Ne le répète à personne, alors. »

J’esquisse un sourire amusé, toutefois en grande partie sérieuse. Le genre de personne que je m’autorise à être avec Amos et Micah et, exceptionnellement avec elle ce soir, faute à ma détresse, n’a pas sa place au Club. Le masque que je porte là-bas n’en est pas réellement un, je suis la femme froide et dure que les quidams connaissent, mais je ne suis pas que ça, et c’est ce que je m’autorise à accepter auprès de ce petite groupe restreint de personnes qui comptent plus que tout au monde pour moi. Du reste, ces deux mondes ne sont pas miscibles et s’il y a une chose qui ne changera jamais à mon sujet, c’est que lorsqu’il s’agit de cloisonner, je suis la reine en la matière. « T’avais pas non plus l’air d’être le genre de personne prête à donner une chance à une junkie sortie de nulle part en prétendant être ta sœur. » - « Il faut croire que les gens peuvent être plusieurs choses à la fois. » Et si je l’ai toujours théoriquement su et accepté, je ne le considère comme s’appliquant à moi que depuis un peu moins de deux ans. « Mais je vois ce que tu veux dire. » - « Je ne veux personne d’autre que Micah. » Et si, en plaisantant, Amos a une fois envisagé d’avoir la conversation au sujet d’un second enfant, je suis convaincue que ce n’était que ça, une plaisanterie avancée pour tâter le terrain mais sans fondement particulier. Je suis loin de me douter que d’ici quelques semaine, l’idée prendra pour lui des allures d’obsession. « Et même si je le voulais, je n’ai plus trente ans. » Ma grossesse a été éprouvante, et je n’ai pas envie d’en vivre une seconde, certainement pas alors que mon âge me ferait immédiatement basculer dans la liste des femmes à risque pour elles, et pour la santé de leur bébé. Micah restera fille unique : je ne verrai jamais les choses autrement. Margaret Taylor devra trouver un autre moyen, un autre fils pour contenter son rêve d’être la grand-mère de dizaines de petits enfants.

« Je me demandais, c’est tout. » Est-ce parce qu’elle aussi, elle l’envisage ? Est-elle prête à passer ce genre de cap avec sa compagne, celle qu’elle s’apprête à épouser ? La curiosité me pousse à m’interroger, mais ma pudeur m’empêche de formuler la moindre question à ce sujet. Plus tard, lorsque nous dînerons et que je ferai rouler entre mes doigts un second ou troisième verre de vin, peut-être que je m’y risquerai. « T’étais déjà enceinte quand on s’est rencontrées la première fois et je t’ai pas connue avant, du coup... Elle pouvait être un projet de longue date avec Amos, ou je sais pas. » - « Mon dieu c’est vrai. » Que la jeune femme ne m’a jamais connu autrement que mère, ou mère en devenir. « Je te promets que j’étais plus amusante que ça, avant. Je l’ai été beaucoup trop pour mon propre bien, d’ailleurs. » Et pour celui d’autrui, mais je doute que ce soit le genre d’information qu’il soit prudent ou avisé de partager pour lier une relation avec sa sœur. Je ne la connais qu’au travers de ses addictions, Spencer. Peut-être aurait-elle apprécié la Raelyn qui ne connaissait pas la signification des mots tempérance et raison, celle qui buvait plus que de raison, avait ses entrées dans les carrés VIP de toutes les boites de nuit de la ville et qui consommait les substances récréatives comme s’il s’agissait de bonbons, sans oublier de partager. Peut-être qu’elle aurait été plus néfaste qu’autre chose, pour elle. « On arrive bientôt. » Je relève la tête pour réaliser que Micah dort à l’arrière. Doucement, je caresse la jambe de ma fille pour la réveiller, avant de descendre de la voiture. « Merci Spence. » J’attrape la main de ma petite fille qui se frotte les yeux, mais semble décidée à marcher toute seule. Je glisse ma main libre dans mon sac à main pour ouvrir mon portefeuille et y attraper un billet de cent dollars. « Tu peux aller nous acheter quelque chose à manger ? N’importe quel traiteur fera l’affaire. » Je mange de tout et Micah a tout ce qu’il faut pour elle à la maison, grâce aux bons soins de sa nourrice. « Je t’évite la salle d’attente de la clinique. » Après une overdose, on n’apprend jamais à être à nouveau à l’aise dans ce genre d’endroit.

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Spencer Blackwell & @Raelyn Blackwell

« Je serai muette comme une tombe. » Motus et bouche cousue, promis juré craché, pinky swear, tout le bordel, quoi. Aucun intérêt à ce que ça s’ébruite, surtout si c’est pour froisser la concernée. Elle a le droit d’avoir l’image qui lui sied le mieux aux yeux du monde et de s’en réserver une autre pour la sphère privée. Ton propre sourire amusé se calque sur le sien, et juste comme ça, le pacte est scellé.
Quelque chose dans ses paroles fait presque office de vérité absolue ; les gens arborent bien trop souvent plusieurs facettes. Qu’elles soient passagères, occasionnelles ou durables, ça n’a aucune importance, ce qui compte dans la finalité, c’est celle qui transparaît à l’instant T. Lorsque tu as rencontré Raelyn, elle arborait son fameux masque de dame de fer, celui qui fait dire “faut pas la faire chier”, et s’il persiste en partie une fois les portes closes, c’est pour les meilleures des raisons. Pour le bien de sa famille et plus particulièrement de son enfant, cette fillette qu’elle n’attendait pas et qui a pourtant chamboulé sa vie de toutes les façons possibles. De ton côté, tu as encore du mal à parfaitement saisir tout ce que ça peut impliquer, tu n’as pas la moindre idée de ce dont elle est capable pour Micah, mais tu as l’intime conviction que la gamine ne manquera jamais ni d’amour ni de rien d’autre. Toi, ça te suffit de savoir ça. « Tu vas déjà avoir assez de boulot avec une, de toute façon. » C’est que c’est pas un petit travail, de bien élever un enfant. C’est un investissement permanent autant physique qu’émotionnel, ça demande du temps et il ne faut pas oublier un détail important dans l’équation ; aka l’empire underground sur lequel règne le couple formé par Raelyn et Amos.  
Sans trop y penser, tu lui rappelles qu’elle attendait déjà sa fille lors de votre première entrevue. Forcément, ça implique qu’elle était clean de toute substance depuis un moment et jusqu’à maintenant, tu ne t’es jamais vraiment posé la question de savoir comment elle était avant ça. Quelle genre de personne elle était, la Raelyn tout juste sortie de sa campagne, la Raelyn qui a découvert les rues de Brisbane et ses parties sombres, les vices cachés aux yeux du grand public ? Plus amusante, tu ne sais pas si c’est le terme qui te vient à l’esprit pour décrire le genre de personne que vous avez pu être par le passé. Si les différences entre elle et toi sont pourtant évidentes, le tronc commun que sont les fêtes trop arrosées et l’envie de survivre à tout prix est suffisant pour assembler les morceaux et faire le lien. « Ouais je pense que je l’ai trop été aussi, amusante. » Ca t’a coûté cher, tous ces excès répétés que tu ne jugeais pas bons à remettre en question. On te l’a demandé, pourtant, à de multiples reprises ; les mises en garde et les suppliques tournent encore en boucle dans un coin de ton esprit et te reviennent parfois lorsque t’as envie de replonger tête la première. “Tu fous ta vie en l’air, t’es en train de devenir un putain de déchet, tu trouves pas que t’abuses, mais regarde toi franchement, t’as toujours une bonne excuse, fais pas ça s’te plait” et ça continue encore et encore. Inconsciemment, tes doigts se resserrent sur le volant alors que tu repenses à tout ça, toute ta concentration repart sur le trajet qui touche à sa fin. Tu le notifies avant d’arrêter la voiture à proximité de la clinique. « C’est normal, » tu répètes alors qu’elle te remercie. Une bien piètre façon de repayer une partie de ta dette, mais tu le referais tous les jours sans hésiter. « Ca va aller pour marcher ? » A-t-elle besoin d’aide pour porter quoi que ce soit ? Visiblement oui, puisqu’elle demande que tu ailles commander à manger en attendant qu’elle soit prise en charge. Doucement, t’acquiesces en réfléchissant un quart de seconde à ce qui pourrait convenir. « Ok, ouais, je regarde ça. Fais moi signe quand tu sors. » Un coup de fil, un message, un coursier, c’est pas important.

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Raelyn Blackwell & @Spencer Blackwell ☆ crédit/harleystuff

« Tu vas déjà avoir assez de boulot avec une, de toute façon. » Micah est pour l’instant une enfant facile à vivre, mais il n’en reste pas moins vrai que l’énergie que je dépense à la garder en vie tout en faisant d’être un futur petit être humain fonctionnel et capable d’affronter n’importe quoi est considérable. Je crois que je n’avais pas réalisé à quel point avant de devoir le faire seule, sans mon âme-sœur à mes côtés. « Et ne le rappelle à personne non plus mais… Je vais avoir trente-sept ans. » Le sourire de connivence que je lui adresse est mi-fiche mi-raisin. Je n’ai jamais craint réellement le temps qui passe, j’avais peur de la solitude, et maintenant que je ne suis plus seule, je n’en avais plus peur du tout. Mais chaque année qui passe et me rapproche d’une quarantaine que je me mangerai comme un mur dans la figure est une année de plus qui me rappelle que je ne resterai pas éternellement jeune, belle, et avec l’énergie pour conquérir le monde. Elle me rappelle aussi, sur une note bien plus lugubre, que je ne serai pas éternellement là pour ma petite fille. Du reste, plus longtemps le monde me perçoit comme une femme désirable et puissante, mieux je me porterais.

« Ouais je pense que je l’ai trop été aussi, amusante. » Et face à ce constat, je me dis finalement qu’atteindre la quarantaine, étant donné comment j’étais partie, ce n’est pas ce qui aurait pu m’arriver de pire. Que comme Spencer, je ne suis pas passée loin d’y rester avant d’avoir pu réellement atteindre et achever quoi que ce soit et que sans l’aide de quelqu’un qui m’aime plus que je ne m’aimais à l’époque – comme Spencer, une fois de plus – je ne serais plus là. Micah ne serait pas là non plus, à l’arrière de la voiture à laisser ses doigts trainer sur les vitres avant de les mettre dans sa bouche en se racontant des histoires d’une voix trop basse et avec des mots bien trop intelligible pour qu’elles ne nous parviennent. « C’est important Spence, d’où tu viens. » D’où tu reviens serait même plus juste et pertinent, mais elle comprendra parfaitement seul ce que je veux dire. « Il n’y a pas une page de mon histoire qui me fait honte. » Ce n’est peut-être pas tout à fait vrai, mais je m’emploie à ce que cela le soit sans la moindre exception. « Apprends, c’est tout. Replonge pas, même si y’a des moments où t’auras l’impression que c’est la meilleure chose à faire. » Pour moi, ce moment a été celui où j’ai vu tout ce que j’avais construit s’effondre comme un château de cartes construit sur des fondations fragiles. Je lui souhaite de ne pas perdre ce qu’elle s’efforce de construire, mais je lui souhaite avant toute chose d’être capable d’affronter cette perte, si d’aventure elle était amenée à se produire.

« C’est normal. Ça va aller pour marcher ? » Je hoche la tête : j’ai demandé assez d’aide pour une vie, en tout cas au moins jusqu’à la fin de l’année. Mon amour propre m’interdit de l’utiliser comme béquille, de m’appuyer sur qui que ce soit pour marcher la tête haute. « J’ai quelques mètres à faire. Ça ira. » Je vais probablement serrer les dents à m’en faire mal à la mâchoire pour ignorer la douleur, mais nous n’en sommes pas encore au point où j’accepterais de me laisser conduire jusqu’à l’intérieur de la clinique non plus, comme si je ne pouvais pas me débrouiller seule. Nous n’en sommes pas non plus à celui où je serais capable de laisser ma fille seule avec elle, même si ce serait certainement plus pratique. « Ok, ouais, je regarde ça. Fais-moi signe quand tu sors. » Je récupère mon sac à main, détache ma fille et attrape sa petite main dans la mienne, espérant qu’elle ne fasse pas de caprice pour être portée dans les bras. « A tout à l’heure. Je t’appellerai. »

rp terminé