Carmine sombre dans une depression subtile. Un mal que le commun des mortels n'est pas capable de percevoir ; une infection invisible que des années de conditionnement rendent d'autant plus difficile à percevoir. Le mannequin sait parfaitement comment feindre. Feindre que tout va bien. Feindre que rien ne l'affecte. Feindre que sa vie est aussi parfaite qu'on la fantasme dans les magazines et dans toutes les chroniques people n’ayant eu de cesse de parler de lui au cours des dernières semaines. De lui mais aussi d'AJ et de sa prise de position ferme vis à vis de la sexualité de son meilleur ami. On ne croit plus vraiment qu'ils ont couché ensemble, mais l'on constate que Sa Majesté a un avis insolite sur les préférences du musicien. Un avis qu'on entend rarement dans la bouche des gens que son visage représente. Ces mêmes gens dont C. n'a pas de nouvelles. Ces mêmes gens dont fait partie Archie.

Il sent la menace et l'épée de Damocles, se doute bien qu'un retour de bâton l'attend au tournant. Mais l'Anglais ne pouvait se résoudre à rester silencieux face à tant de haine, d'intolérence et de laisser-faire. Son live Instagram a fait le tour du web, ses propos ont été récupérés par les partis politiques de différentes nations, à commencer par les États-Unis où la campagne présentielle se jouera aussi sur la question des droits LGBTQ+. Des présentateurs de chaînes de divertissements ont commenté sa prise de parole, des influenceurs en tout genre, d'autres stars des petits et grands écrans. Personne n'osera l'attaquer lui, car s'en prendre à Carmine c'est s'en prendre à tout ce qu'il représente de respectable, mais le mannequin sait depuis longtemps que les attaques frontales ne sont pas les pires à craindre. Il en a fait l'expérience et garde le goût amer des propos de Kwanteen sur la langue chaque fois qu'il se réveil seul dans son lit, regarde l'écran de son téléphone et constate que les habituels textos du matin n'existent plus. Ni ceux du soir. Plus un mot. Perdre ses liens par effet de ricoché l'atteint plus que n'importe quelle tentative de déstabilisation directe. C. est la flamme que l'on tue en la privant d'oxygène car lui jeter un seau d'eau au visage donnerait le mauvais rôle à l'arroseur.

Dans tout son malheur, C. s'en remet aux affaires. S'il a refusé plusieurs apparitions publiques afin de se donner le temps de panser ses plaies, cela ne l'empêche pas d'avancer sur ses projets en coulisses. Ce midi, son agent l'a relancé à propos des photos de Madison Kwanteen. La seule prononciation du nom de famille lui a donné l'impression de boire la tasse, mais il n'a rien laissé paraître, évidemment. « Je m'en occupe » A-t-il simplement répondu. Ce qui l'amène, aux alentours de 15 heures, à composer le numéro de la photographe avec des doigts plus tremblant que des feuilles en automne. Carmine a une faveur à lui demander. Personne n'aurait cru qu'il serait le premier des deux à contacter l'autre dans l'espoir d'obtenir son soutien. « Madison ? » Interroge-t-il lorsqu'on décroche.

@Madison Kwanteen

Quand l'agent de Carmine a parlé "d'attendre le feu vert", Madison n'a pas songé qu'elle recevrait un appel de Carmine.

Bien sûr que Madison a suivi les turbulences des dernières semaines, se perdant pendant des heures sur les posts, les articles, les commentaires, lisant des kilomètres de messages haineux, une sorte de scarification qu'elle s'impose pour se rappeler ce que la plupart des gens pensent des gens comme elle. Elle a regardé le live de Carmine avec des picotements dans le bout des doigts, elle a constaté les cernes sous les yeux de son frère, elle n'a rien dit, elle a observé, comme toujours. Et elle a évidemment fait un geste poli vers l'agent de Carmine, lui proposant d'attendre pour poster les photos, quand Mr Sighbury le souhaitera, sans nommer la tornade médiatique, mais en y faisant évidemment référence. Elle s'est dit que ses photos ne verraient peut-être jamais le jour, et elle s'est faite une raison.

Alors quand l'écran de son téléphone s'allume, elle sent son rythme cardiaque grimper brusquement, elle s'étouffe avec sa propre respiration, inspire, remercie le ciel d'être sobre à cette heure-ci, et décroche. « Madison ? » « A..Allô ? Carmine ? » Elle demande, sa voix trahissant sa surprise. Mais elle a reconnu celle de son interlocuteur. « Bon-bonjour », elle bredouille, n'osant pas lui demander comment il va.

@Carmine Sighbury

Kwanteen bredouille, surprise. Carmine s'excuse, poli : « Pardonnez-moi de vous déranger. Est-ce un bon moment pour discuter ? »  Il s'assied sur le rebord de son bureau, celui que l'Anglais loue depuis quelques jours dans le centre-ville de Brisbane car retourner trôner à Lola's et croiser Archie dans les ascenseurs n'est tout simplement pas envisageable pour son cœur meurtri. Pas encore. Pas tout de suite. Sighbury a besoin de temps afin de rassembler les morceaux de lui-même tombés par terre le soir de la rupture. Son regard tourné vers l’intérieur de la pièce détaille un tirage photographique de 3 mètres de haut. L’image habille la quasi totalité du mur. The falling Man - Richard Drew. L'effet graphique, sur la tapisserie noire, est saisissant. Les rayures verticales de l'immeuble, les fenêtres figées d'horreur face à la chute de cet homme flottant dans les airs tête en bas. C. se demande s'il faut toujours un peu de drame pour saisir la beauté du monde. Il s’identifie parfaitement au sujet.

La voix de Carmine ne trahit rien et si le cœur de Madison ne tambourinait pas aussi fort, elle pourrait presque imaginer que cet appel est normal. « Pardonnez-moi de vous déranger. Est-ce un bon moment pour discuter ? » Discuter. « Oh, non », elle commence avant de se reprendre avec horreur, « enfin, je veux dire, non vous ne me dérangez pas !!! » Décidemment, pourquoi faut-il qu'elle soit si stupide socialement ?! Elle mordille l'intérieur de sa joue. « Je... C'est à propos des photos ? Ou... » Elle laisse sa voix en suspens, n'étant pas sûre d'où aller.

@Carmine Sighbury

Madison panique au bout du fil. Patient, C. lui laisse l'occasion de se reprendre sans se vexer, ni s'exaspérer. Il comprend. Le stress, l'incertitude, la gêne. Des fantômes lointains pour l'enfant star qu'il fut dès ses 5 ans, mais Sa Majesté n'a pas la prétention de se croire infaillible. Aux dernières nouvelles, il hyperventilait entre les bras de Greta, pas plus à l'aise que son interlocutrice au bout du fil. « Je... C'est à propos des photos ? Ou... » « Les deux. »

Le silence tombe sur la ligne, s'étale en flaque obscure, teintée de reflets iridescents. Sighbury fait le choix de ne pas mentir sur le fond, à défaut de le faire sur la forme. S'il garde sa réserve, c'est parce qu'il ne peut se résigner à renifler tristement dans le combiné. Le mannequin a plus de classe que cela ...

Il n'en reste pas moins que son aveu s'impose en Kérosène dans l'équation de leur conversation. Contenu hautement inflammable. L'Anglais sait que l'Australienne est capable de soutenir plusieurs niveaux de lectures. Il a parfaitement saisi la connexion silencieuse entre eux lors du shooting. Ne pas dire clairement, c'est éviter d'allumer la mèche. « Mais je manquerais à tous mes devoirs si je ne vous demandais pas comment vous allez avant de parler travail. »

Distingué, C. prend la température de la situation. La fin soudaine de sa relation avec Archie ne lui a pas permis de vérifier les doutes éveillés par l'usage de l'imparfait lors du shooting. Sighbury ne souhaite pas retourner le couteau dans la plaie s'il s'avère que Madison n'est pas en meilleurs termes avec son frère que lui. Il s'est fait mordre par l'actionnaire et ne viendra pas jeter de sel sur les plaies d'une semblable d'infortune.

@Madison Kwanteen

Elle laisse sa phrase en suspens, trop timide pour prononcer à voix haute le fond de sa pensée. C'est Carmine qui la surprend par son honnêteté à peine déguisée. « Les deux. » les deux les deux les deux s'agite le cerveau de Madison, qu'elle essaie de calmer. « Oh. Je vois. » Pourtant, elle ne voit pas exactement. Elle se doute. Elle marche sur le fil, comprenant que les sous-entendus seront ramenés plus en surface cette fois-ci, sans pour autant être exactement prononcés.

« Mais je manquerais à tous mes devoirs si je ne vous demandais pas comment vous allez avant de parler travail. » Madison rougit, consciente qu'elle n'a pas été très polie, prise de court par l'appel de Carmine et son angoisse de dire quelque chose de travers. « Hm », ]les fêtes de Noël à faire semblant de ne pas être brouillée avec Archie, la colère d'Oliver et les messages de détresse, la croûte sous son pied du verre brisé, la voiture d'Archie dans la nuit qui la berce, la peur au ventre, les bouteilles dans le placard, elle dans le placard, « J'espère que février sera un peu plus calme », elle admet. « Je suis désolée, je n'ai pas osé vous demandez comment vous alliez quand j'ai décroché. Je... » Elle cherche ses mots, ne sait pas comment exprimer tout ce qui bouillonne en elle. « Je suis désolée de ce que vous traversez. Tout ce que vous traversez. »


@Carmine Sighbury

Un mois de février plus calme, c'est ce que souhaite Carmine lui aussi. Il se surprend à tenter d'imaginer ce qui rend Madison impatiente de voir janvier tirer sa révérence, ne serait bien sûr pas en mesure de deviner le drame à travers lequel est passée son interlocutrice. Tout ce que l'Anglais peut faire en cet instant, c'est compatir et ne pas lui en vouloir d'avoir sauté l'étape des politesses. Il la surprend en plein après-midi sans l'avoir avisée de leur entretien au préalable. Un manque de professionnalisme de sa part, mais Sighbury préfère voir cet appel comme du semi-privé. Il ne donne pas de rendez-vous Teams pour discuter avec ses proches. Or, à travers les mots gentils et le soutien dont elle fait preuve, Madison s'apparente plus à une proche que les parents du mannequin, cruellement silencieux, indifférents au possible. « Merci, j'apprécie votre sollicitude. Je vous présente mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année. » Qui commence sur les chapeaux de roues, redistribue les cartes et l'enferme dans un placard au sein duquel le mannequin ne s'était jamais senti à l'étroit, mais dont il n'est plus certain de vouloir quand C. constate à quel point aucun des sacrifices consentis pour l'image de la marque ne semble suffire. Juin est dans le viseur. Demain, Carmine aura 40 ans et cela le terrifie.

« Aviez-vous une date de parution en tête pour les photos ? » Sighbury a consulté les rendus. Les clichés retenus par Madison l'ont convaincu autant qu'ils sont venus renforcer sa mélancolie. C. s'est perdu à essayer de deviner à quelles pensées étaient rattachées les images, à superposer les souvenirs de leur conversation avec les portraits en résultant. Il a identifié Greta d'un seul coup d'œil. Et puis il est tombé sur le regard caméra adressé à Archie et les larmes ont coulé sur ses joues.

@Madison Kwanteen

« Merci, j'apprécie votre sollicitude. Je vous présente mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année. » Parfaitement poli, toujours sur le fil, Carmine est égal à sa réputation de parfait gentleman britannique. Elle a la sensation qu'il n'en sort quasiment jamais, et pourtant, ce fameux live Instagram a été une prise de position étonnante pour quelqu'un de son milieu. Il n'a rien affirmé de sa propre orientation sexuelle, mais il a tout de même "pris parti". Elle a pensé qu'il resterait simplement dans le silence - la stratégie que semble avoir adopté Archie pour le restant de sa vie. « Et je vous souhaite une année 2024 plus douce que ces dernières semaines. » Un vœu qu'elle lui offre avec un sourire, sans bredouiller, absolument sincère dans ses mots.

« Aviez-vous une date de parution en tête pour les photos ? » Elle n'ose pas lui dire qu'elle a pensé, avant qu'il l'appelle, qu'elle ne pourrait peut-être jamais poster ces photos. « Non, je ne voulais rien faire sans votre accord. J'ai pensé que vous vouliez peut-être être au calme médiatiquement. Enfin, pas que mon compte Instagram soit une immense plateforme, évidemment », elle essaie de plaisanter en se dépréciant, comme à son habitude. Elle est consciente qu'elle est chanceuse de ses 50 000 abonnés, mais qu'ils sont une goutte d'eau dans l'océan d'instagram. Les gens se fichent de ce qu'elle fait. « Je ne suis même pas obligée de les poster, si... Si elles ne vous plaisent pas, ou si vous avez changé d'avis, à cause de.... » Une nouvelle fois, elle laisse sa voix s'égarer, ne prononce pas la suite de sa phrase. « Je comprendrais », elle murmure, sincère.


@Carmine Sighbury

 « Non, je ne voulais rien faire sans votre accord. J'ai pensé que vous vouliez peut-être être au calme médiatiquement. Enfin, pas que mon compte Instagram soit une immense plateforme, évidemment » Carmine pousse un petit soupire nasal. Ce n'est pas de l'amusement, mais une tendresse silencieuse envers le comportement prévenant de la photographe. D'aucuns n'auraient pas hésité à sauter sur l'occasion pour vendre ces photos un prix d'or ; gagner en visibilité tout en surfant sur la vague de la tempête médiatique. « C'est délicat de votre part. » La remercie-t-il avec douceur. « Je ne suis même pas obligée de les poster, si... Si elles ne vous plaisent pas, ou si vous avez changé d'avis, à cause de... Je comprendrais. » Cette fois-ci, Carmine inspire profondément. Il y a songé, c'est vrai, mais s'est rapidement fait la réflexion que la censure n'avait pas besoin de contaminer sa vie jusque dans la publication de clichés ne regardant que lui, sans rapport aucun avec la marque. Pas question pour sa Majesté de priver l'artiste du fruit de son travail, de la reconnaissance que cela lui apportera. Si l'Instagram de Madison n'est, selon elle, pas " immense ", le mannequin, lui, sait que cela n'est pas fait pour durer. D'une part parce qu'elle a du talent, d'une autre parce que la seule évocation de son nom présentement sur toutes les lèvres fera se braquer le feu des projecteurs en direction de Kwanteen. Outre le fait qu'il lui semble de mauvais goût de retirer un cadeau offert de bon cœur, Sighbury veut croire que cette publication aura des effets positifs, qu'elle permettra à la photographe de prendre confiance en elle et peut-être, aussi, à une sœur et un frère de se rapprocher autour de cette opportunité créée par Archie.

« Je souhaite qu'elles soient publiées. » Affirme-t-il. « Sur la plateforme de votre choix. » L'inflexion est la même que celle utilisée au moment de lui tendre sa carte de visite. Carmine n'a qu'à claquer des doigts pour que les photos de Madison sortent dans les pages des magazines célèbres si tel est son désire. Si elle ne le souhaite pas, cela ne le chagrinera pas. Le support importe peu au modèle. Il n'attend plus après la fame. Ce que Sighbury veut, c'est laisser une trace de cette collaboration permettant au talent de Madison d'être apprécié de tous. Et peut-être aussi ...  « Vous m'avez fait part de votre attrait pour les portraits pensifs. » Reprend-il, hésitant. « Que pensez-vous de nommer le shoot " Thinking about ... " ? »

@Madison Kwanteen

 « C'est délicat de votre part. » Madison ressent une étincelle dans son estomac, heureuse de pouvoir fournir ce minuscule geste au milieu de la tempête qui semble entourer Carmine ces dernières semaines. Elle ne sait pas comment se l'expliquer, mais il a tant qu'elle voudrait lui dire, parce qu'une nouvelle fois, ils sont beaucoup plus similaires qu'ils le pensent - leur identité cachée, Archie et sa peur en orbite. « Je souhaite qu'elles soient publiées. » Madison sourit malgré elle derrière le téléphone, soulagée. Elle est fière de ces photos, trouve qu'elles ont ce petit plus qui font les bons clichés, résidant peut-être dans l'entente étrange entre elle et Carmine. « Sur la plateforme de votre choix. » Cette fois-ci, Madison fronce les sourcils. Elle n'est pas sûre de comprendre ce qu'il sous-entend. Est-ce qu'il lui offre le choix ? « Je, hm, j'ai travaillé avec quelques magazines, je vais voir, je ne ferais rien sans votre accord de toute manière », elle commence, avant de repenser à l'inflexion dans la voix de Carmine. « Sauf si... Vous connaissez des publications particulières qui pourraient être intéressées ? » Elle ose, essayant d'avoir l'air détendue. Elle est plus douée pour les photos que pour le réseautage, où son angoisse et sa timidité viennent encore la ronger.

« Vous m'avez fait part de votre attrait pour les portraits pensifs. Que pensez-vous de nommer le shoot " Thinking about ... " ? » Le visage de Madison s'illumine. « C'est une excellente idée ! » Elle s'exclame avec honnêteté. Tous les photographes ne nomment pas leurs séries ou leurs photos - Madison, elle, le fait pour chaque cliché. « Vous savez, c'est vraiment... agréable pour un photographe quand l'expérience est si collaborative, pendant le photoshoot et après. Je vous remercie vraiment de votre investissement sincère », elle avoue avec une petite voix gênée d'être si franche.


@Carmine Sighbury

 « Je, hm, j'ai travaillé avec quelques magazines, je vais voir, je ne ferais rien sans votre accord de toute manière » C. garde le silence, donne à Madison le temps d'identifier puis de saisir la perche qu'il lui tend. Il est habitué à ce que les gens normaux ne prennent pas tout de suite la mesure du pouvoir qui est le sien dans son domaine de prédilection, de l'influence qu'il possède par le seul fait d'être l'objet de toutes les convoitises, période de ramdam médiatique ou non. « Sauf si... Vous connaissez des publications particulières qui pourraient être intéressées ? » « Je me ferai un plaisir de vous envoyer quelques recommandations. » Vogue, Vanity Fair, Highsnobiety, The Business of Fashion, Forbes ... Sighbury les connait tous, de la haute direction aux responsables éditoriaux. Kwanteen aura l'embarras du choix.

« C'est une excellente idée ! » Un sourire discret étire les lèvres du mannequin. Il est ravi que son idée plaise à l'artiste. « Vous savez, c'est vraiment... agréable pour un photographe quand l'expérience est si collaborative, pendant le photoshoot et après. Je vous remercie vraiment de votre investissement sincère. » « C'est moi qui vous remercie, Madison. Je suis on ne peut plus satisfait de cette collaboration. » Carmine respire un peu mieux, trouve du soutien dans l'attitude enjouée de la jeune femme. Elle le sort de sa morosité et lui donne le courage de pousser un peu plus loin sa requête, de s'exposer davantage et de lui faire confiance concernant un secret cher à son cœur : « J'apprécierais que vous nommiez chaque portrait selon votre propre interprétation. » À défaut d'avoir son avis sur la Joconde, C. est curieux d'appréhender les images de lui-même à travers le prisme de lecture de Madison. « Sauf le numéro 3. » Tout deux savent à quelle photo le mannequin fait référence. C'est écrit en gros, en gras et en fluorescent dans chacun de leurs non-dits : l'Anglais parle du portrait sur lequel il pense à Archie. « Son titre est " You " et je pense qu'il ferait une excellente page de couverture. » Au roi du silence, Carmine aura le dernier mot. Il n'a pas besoin d'ouvrir la bouche pour hurler son amour.

@Madison Kwanteen

« Je me ferai un plaisir de vous envoyer quelques recommandations. » Madison est soulagée d'être cachée derrière un téléphone, car elle peut rougir à son aise, ouvrir la bouche, inspirer, sentir son cœur qui s'emballe à toute vitesse. « Je, hm, je ne sais pas comment vous remercier », elle répond. Elle ne comprend définitivement pas la gentillesse de Carmine : elle a pensé, au début, qu'il faisait ça pour rendre service à Archie, mais la situation semble avoir changé. Pendant une fraction de secondes, elle se questionne, s'imagine Carmine être gentil avec elle pour atteindre Archie depuis l'implosion qu'elle a aux cernes de son frère. Mais Carmine semble simplement être sincèrement intéressé par aider Madison. « C'est moi qui vous remercie, Madison. Je suis on ne peut plus satisfait de cette collaboration. » Une nouvelle fois, ses oreilles tintent, elle a le souffle court. Elle est toujours remuée quand quelqu'un de plus âgé, et qu'elle admire, la complimente.

« J'apprécierais que vous nommiez chaque portrait selon votre propre interprétation. » Madison sourit. Elle adore l'idée, et apprécie que Carmine lui fasse confiance. Mais la requête qu'il lui propose juste ensuite contracte son estomac. « Sauf le numéro 3. » Madison sait exactement de quelle photo il parle. « Son titre est " You " et je pense qu'il ferait une excellente page de couverture. » La vulnérabilité de Carmine, derrière toute cette couche de non-dits, alors qu'Archie a repoussé Madison simplement parce qu'elle a osé s'intéresser à lui, s'approcher trop près... La différence est frappante, vertigineuse. « C'est ma photo préférée de notre shoot », elle répond avec une certaine émotion. « Je serais honorée de la nommer ainsi », elle ajoute. Un léger silence s'empare de l'atmosphère. Madison hésite, se demande dans quoi elle s'embarque mais se sent tout à coup incapable de ne rien dire. « Carmine, je... » Elle cesse de faire les cents pas dans son appartement - une habitude quand elle est au téléphone et nerveuse - et s'assoit un instant sur son canapé. « Je... Je ne veux pas overstep et... Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, et je ne veux pas parler à la place de qui que ce soit, mais... » Elle regarde ses mains, sent sa gorge se nouer. « Je ne sais pas ce qu'il vous a dit. Mais je sais qu'il peut être cruel quand il a peur. J'espère que vous n'en avez pas fait les frais vous aussi. Et si c'est le cas, sachez que... Qu'il n'a peur que quand la chose compte pour lui. »


@Carmine Sighbury

Carmine contient un soupir de soulagement. La coopération de Madison lui évite d'avoir à se montrer rigide, à recourir au langage des affaires qu'il ne se sent décidément pas d'adopter avec cette Kwanteen là. Les négociations corsées, l'Anglais en a vécu plus que nécessaire avec Archie. Il a gagné plusieurs batailles et perdue la guerre. « Carmine, je... » C. retient sa respiration, l'oreille dressée, la pulsation cardiaque prête à bondir dans sa poitrine. Il reconnait l'hésitation. La même que celle dont fait preuve sa Majesté lorsqu'il désire se montrer poli, ne pas mettre son interlocuteur mal à l'aise avec des propos un peu trop clairvoyants. Un peu trop intimes aussi. « Je... Je ne veux pas overstep et... Je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, et je ne veux pas parler à la place de qui que ce soit, mais... » C. lève les yeux au plafond, la tête légèrement basculée vers l'arrière. Réflexe d'anticipation conditionné par des années de paraître : le mannequin déjoue les lois de la gravité afin de ne laisser à ses larmes aucune chance de tomber par terre si d'aventure elles venaient à poindre le bout de leur nez. Et c'est évidemment ce qu'il se produit avec la suite des propos de la photographe dont l'intuition tape en plein dans le mille. « Je sais... » Finit-il par répondre, d'une voix au timbre sensiblement plus roque qu'auparavant. Carmine pourra feindre tout ce qu'il veut, tromper son monde et jouer son rôle à la perfection, il n'est pas capable de maîtriser ce qui ne l'est pas. Sa gorge qui se serre, par exemple, et cette envie de se racornir sur lui-même maintenant que Madison le rappelle à la douleur épouvantable qu'il ressent au souvenir du drame s'étant déroulé dans la cuisine de l'actionnaire. « Il me manque. » Aveu pudique, tout juste murmuré. Sa voix tremble et sa vulnérabilité concurrence celle du cliché du 11 septembre en toile de fond. « J'aurais préféré que nos points communs ne se comptent pas aussi sur les terrains de la tristesse. » Carmine revoit le reflet de Madison dans le miroir. Il ne connait pas les circonstances rendant cela possible, mais il sait désormais qu'elle et lui partagent la même peine et cela le bouleverse. La cruauté d'Archie le bouleverse. Jamais Carmine ne s'attaquerait ainsi à Greta. Jamais.

@Madison Kwanteen (et  @Greta Moore , love of my life )

Il a fallu un moment à Madison pour être elle-même, dans cette conversation, tant Carmine l'impressionne. Mais comme lors du photoshoot, elle sent que sa timidité fond plus l'échange avance. Il y a une retenue et une douceur en Carmine qui la met à l'aise, comme s'il lui laissait l'espace d'avancer et de venir à sa rencontre. Madison est comme un petit animal qui a besoin de se sentir en sécurité pour faire quelques pas. Elle a peur, bien sûr, de s'approcher trop près, elle entend la respiration de Carmine qui change derrière le combiné. « Je sais... » Sa voix est basse. Madison serre la mâchoire. « Il me manque. » Elle sent son propre coeur de cristal qui tinte et menace d'imploser. « Je comprends. Il me manque aussi. Même si je l'ai vu il y a quelques jours », elle murmure. Parce que le Archie qu'elle a vu n'est pas celui qu'elle connaît, et qu'elle n'est plus sûre de qui est son frère, au fond.

« J'aurais préféré que nos points communs ne se comptent pas aussi sur les terrains de la tristesse. » Une nouvelle fois, Madison serre la mâchoire pour contenir le trou dans sa poitrine. Il lui faut quelques secondes avant d'être capable de parler, de répondre. « Je ne sais pas si c'est une quelconque consolation mais oui, je crois que... » Elle se tait, ne sait pas exactement où elle peut aller. Ou elle veut aller. « Mais je voulais aussi vous dire que, euh, votre... J'ai trouvé ça très courageux que vous preniez position publiquement et que vous défendiez AJ et... » Elle sent en elle le glissement qui la prend parfois, celui qu'elle passe sa vie à retenir. « Ce genre des messages sont importants pour, euh, des gens concernés, des gens comme m- », elle bute sur le mot et le crache pourtant, « m-moi. » Une fraction de secondes, un silence, une inspiration. « Désolée », elle bafouille, immédiatement paniquée par son honnêteté sur un sujet qu'elle commence à peine à mentionner à haute voix, « je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. » Elle se met à rire nerveusement. « J'aurais préféré que ça ne soit pas un point commun, ça aussi. »


@Carmine Sighbury  (oui je sais pas c'est venu comme ça Madison en roue libre de l'honnêteté )

Il est à nouveau là. Le silence. Et il a quelque chose de réconfortant cette fois, comme une couverture de misère que Carmine et Madison se partagent, chacun de son côté du téléphone. Sighbury aimerait être à côté d'elle. La voir physiquement. Sentir sa vibration et juste se taire, parce qu'il n'y a rien de plus à dire, pas vrai ? « Je ne sais pas si c'est une quelconque consolation mais oui, je crois que... » L'Anglais écoute. Il s'attend à du réconfort de la part de cette autre qu'il a identifiée comme étant du même bord que lui. Le bord des gentils, de ceux qui accepteraient d'avoir froid si prêter leur veste pouvait réchauffer leur interlocuteur. C. ne s'imagine pas un seul instant que les bords qu'il partage avec Madison sont comme leurs traits de personnalités : plus nombreux qu'il n'y parait. « Ce genre des messages sont importants pour, euh, des gens concernés, des gens comme m- ... m-moi. » Sa majesté redresse la tête, par réflexe. La surprise le prend en étau. D'une part, les larmes pas encore ravalées coulent le long de ses joues, rendant plus tangible sa douleur. D'une autre, ses yeux s'écarquillent légèrement. Il est stupéfait, figé dans une position d'attente tel un chien aux aguets. « Désolée je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. » La panique dans la voix de la jeune femme lui contracte l'estomac. Carmine repense à AJ tétanisé dans les phares des projecteurs, à son visage calcifié face au public en haleine et refuse que Madison se sente prise au piège de son jugement ou de peurs dont il ne veut pas dans cette conversation. « Ne le soyez pas. » Propose-t-il plus qu'il n'ordonne, conscient qu'il n'y a rien de facile à assumer dans l'aveu de la photographe. « J'aurais préféré que ça ne soit pas un point commun, ça aussi. » Le rire nerveux le crispe légèrement. Pas parce qu'il rejette Madison pour ce qu'elle vient de lui dire, mais parce qu'il prend conscience du lien de connivence que cela crée entre eux, irrémédiablement. Carmine ne peut pas revenir en arrière, la jeune femme a bien trop saisi le relief de sa personnalité pour prétendre la berner comme il l'a fait avec son auditoire, dans le live Instagram. À dire vrai, C. n'a même pas envie d'essayer. Il laisse tomber sa garde sans autre forme de procès, conscient de la préciosité de l'information offerte par la sœur d'Archie. Maintenant il comprend mieux d'où vient le problème et cela renforce son vertige vis-à-vis de la cruauté dont est capable celui qu'il aime. « Je garderai votre secret, Madison. S'il vous plait, protégez le mien. » Les vautours lui tourneront autour, il faut qu'elle s'y prépare. Arriver dans la cour des grands avec des photos de Sa Majesté dans une période de scandale médiatique lui vaudra forcément tout un tas de curiosités mal placées, d'interrogations indésirables. On ne harcèle pas Carmine Sighbury. On harcèle ses proches. On cherche la faille chez ceux qui le connaissent. « Et aussi ... » Ajoute-t-il, sentant que la conversation touche à sa fin, que tous deux ont besoin de digérer l'énormité des secrets tout juste s'échangés dans l'intimité de leur appel, « merci pour votre confiance. Elle est réciproque. »

@Madison Kwanteen