Madison rentre dans le hall du cinéma presque au hasard. Le soleil baigne la rue, dehors, des rayons lourds qui font coller ses vêtements contre sa peau moite. Elle a relevé ses cheveux en un chignon, et la bouteille d’eau dans son sac à dos est vide. L’été de Brisbane refuse de tirer sa référence sans une dernière vague de chaleur, qui a obligé Madison et Albane à déjeuner à l’intérieur climatisé de leur café préféré, pour fuir la terrasse devenue brûlante. Elles ont bu des mojitos, prétextant vouloir se rafraîchir, une excuse dont aucune d’elles n’a pourtant besoin. L’alcool est monté à la tête de Madison un peu trop vite malgré l’habitude, elle s’est sentie bêtement déshydratée, la tête un peu ailleurs. Son téléphone a vibré plusieurs fois dans sa poche durant le déjeuner, jusqu’à qu’elle finisse par le mettre en silencieux, essayant d’avoir l’air naturelle et de ne pas relever qu’elle sait qui a envoyé ses messages, Oliver, encore, et qu’il lui demande probablement où elle est, quand est-ce qu’elle rentre, s’il peut la rejoindre. Des semaines se sont écoulées depuis leur énorme dispute qui a forcé Madison a demandé à son frère de venir la chercher en pleine nuit, tant elle a eu peur, et elle sent de plus en plus que quelque chose bascule en elle. Et plus elle bascule, et plus Oliver tire la corde qui les lie. Et plus il la tire, plus Madison se sent ambivalente, dégoûtée de sa présence envahissante mais incapable d’imaginer sa vie sans lui, tant le vide deviendrait immense.

Alors comme toujours, elle reste sur le fil, elle gagne du temps. Elle a prétexté à Oliver qu’elle passait l’après-midi avec Albane, qui pourtant doit partir rejoindre bosser ses examens. Madison se demande où aller, où s’enfermer pour justifier de ne pas regarder son téléphone, et sans risquer non plus de croiser Oliver. Lorsqu’elle passe devant le cinéma, l’excuse lui semble parfaite. Deux heures avec un téléphone silencieux, une petite bulle dans une salle noire, la paix qu’elle grapille. Elle envoie un message à Oliver pour dire qu’elle va au cinéma avec Albane, et achète un ticket pour le premier film dont la séance commence bientôt. Le synopsis décrit un drame familial entre deux sœurs, un secret qui les divise, et Madison essaie de ne pas penser à l’étrange parallèle avec sa vie et sa relation avec Archie, toujours plus fragile au fur et à mesure que les semaines passent.

Mais une fois devant le film, elle se dit qu’elle aurait préféré penser à Archie, finalement. Le film parle de relation de sororité, certes, mais l’une des intrigues secondaires, que le synopsis avait bien oublié de mentionner, est la relation de l’une des héroïnes avec son petit-ami. C’est lui qui l’éloigne de sa sœur, lui qui semble étrangement contrôlant. Lui qui semble étrangement familier. Madison enfonce ses ongles dans les paumes de ses mains, essaie de rester concentrée sur le film, de se rappeler qu’il s’agit d’une fiction. Elle reporte son attention sur les autres scènes, le reste de l’histoire. Mais dès que le petit-ami réapparaît à l’écran, Madison sent son cœur s’emballer et n’arrive pas à comprendre tout à fait ce qui la met dans un tel état. Plus le film avance, et plus elle perd le fil, lancée dans une crise d’angoisse silencieuse. Quand le générique se lance, et que la salle se rallume, elle bondit hors de son siège et court presque jusqu’aux toilettes.

Elle passe ses mains sous l’eau froide dans des robinets, se mouille la nuque, le visage, évite son reflet dans le miroir, essaie de recommencer à respirer correctement, mais elle n’entend que le battement de son cœur dans ses tempes, que l’angoisse qui brûle dans ses poumons, et bientôt sa gorge se referme sur elle-même, un vulgaire piège, elle sent qu’elle oublie de respirer et de retenir ses larmes qui dégringolent sur la faïence.


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Ce ne devait être qu’un instant perdu dans son programme de la semaine. Le genre de pause qu’elle s’accordait de temps à autre pour se donner le droit de respirer et de sortir la tête de ses mètres de tissus, des accords de couleurs et de ses croquis. À une époque, Shiloh se rendait au cinéma au moins une fois par semaine. Si elle avait toujours été attirée par les costumes en premier, elle avait fini par nouer un certain amour autour du septième art, se laissant alors toujours surprendre par la beauté des images ou la narration si juste d’une histoire encore méconnue. Elle ne suivait pas une quelconque effervescence et ne se tenait pas réellement à jour sur les sorties de l’année ou les plus acclamées. Shiloh préférait se laisser guider par le hasard. Et sa séance d’aujourd’hui n’avait pas échappé à cette règle implicite. Son choix, c’était basé sur l’avantage de l’horaire autant que le titre accrocheur et l’air plutôt poétique de l’affiche. Ce qu’elle pensait être un film doux se releva bien plus complexe que cela.

En quelques minutes, Shiloh sentit un certain malaise l’accaparer à mesure que son esprit prenait conscience du synopsis du film. Deux sœurs qui se chamaillent d’abord gentiment, avant de lentement s’éloigner d’une l’autre, perdant peu à peu le lien si unique qui les unissaient. Un étrange écho à sa propre situation. À plusieurs reprises, son esprit lui rappela tout ce qui l’avait lentement éloigné de son propre frère jumeau. Les mots de Nate se mirent à résonner plus fort encore que les dialogues échangés entre les deux sœurs. Et bientôt le film pris une tout autre ampleur. Pour la première fois de sa vie, Shiloh eut envie de se maudire à se cantonner sur la beauté d’une affiche quand elle aurait au moins pu se renseigner sur le sujet du film qu’elle était venue voir. Pour la toute première fois depuis la mise en place de son petit système basé sur le mystère, tout ne se déroulait pas à son avantage. Il lui était impossible de se concentrer quand tout le film lui apparaissait comme le miroir de sa propre vie. Le petit ami contrôlant qui renferme lentement son emprise autour de sa proie et tout ce mécanisme qu’elle n’avait su reconnaître à l’époque, mais qui était lentement venu empoisonner sa vie. Shiloh aurait pu se laisser entraîner dans une spirale sans fin à la vue de ses images. Elle n’était pas loin du bord, prête à se laisser engloutir par des souvenirs qu’elle aurait à ne jamais voir refaire surface. Mais quelque chose l’en empêcha ou quelqu’un plutôt. Sa voisine de rangée eut une réaction que Shiloh aurait pu reconnaître entre mille, tant elle lui rappelait les siennes. Un mouvement de recul alors que le petit ami à l’écran se montra particulièrement cruel dans ses paroles. Et soudainement, elle ne vit plus que cela. Les micros réactions de la jeune fille, toute l’angoisse qui semblait transparaître autour d’elle, au point où Shiloh ne se soucia même plus du reste du film.

Alors qu’elle allait se lever pour demander à la jeune femme si elle avait besoin de sortir pour prendre l’air, cette dernière se leva dans un bond avant de fuir la salle. Elle ne devrait pas la suivre, elle ne devrait pas s’immiscer dans la vie de cette jeune femme. Mais Shiloh ne pouvait faire comme si elle n’avait rien vu. Le film avait clairement provoqué des réactions épidermiques chez la petite brune et elle devait s’assurer que tout irait bien pour elle. S’investir d’une mission lui permettait de ne surtout pas penser à ses propres traumatismes et à sa propre angoisse qui lui donnait la sensation d’avoir un éléphant assis sur la poitrine. S’occuper des autres pour ne pas sombrer, c’est toujours comme cela qu’elle voulait fonctionner. Et c’est avec cette simple idée en tête qu’elle finit par se glisser dans les toilettes du complexe. Près des lavabos, la petite brune paraissait sur le point de s’effondrer tout en luttant pour retrouver sa respiration. Refusant de l’effrayer plus que de raison, Shiloh pris son temps, se raclant la gorge, utilisant le deuxième lavabo, et même en enclenchant la soufflerie du sèche-mains. Assez pour faire savoir sa présence, avant de se tourner vers la jeune femme. « Eh… Eh, regarde-moi. » Dans une douceur parfaitement contrôlée, Shiloh vint faire glisser ses doigts le long de l’avant-bras de l’inconnue. « Je vais t’aider à reprendre ton souffle. » Elle ne connaissait que trop bien cette sensation de se noyer sur la terre ferme, incapable de retrouver assez d’air pour gonfler ses poumons. « Fait comme moi, regarde. » Et durant plusieurs minutes, Shiloh s’efforça de respirer de la manière la plus exagérée qui soit, pour que la jeune femme en face de même.  « Ça va aller, respire doucement. » Et elle lui offrit le sourire le plus rassurant possible, ses yeux fixés sur les larmes de sa voisine de ciné.

Madison devrait être habituée, pourtant. Elle se souvient de sa première crise d’angoisse, alors qu’elle n’a que six ans, à l’époque où Lola se bat avec son concert et que Madison comprend que la bataille risque d’être perdue. Elle n’a jamais oublié la sensation de ses poumons qui se referment sur eux-mêmes et emportent toute rationalité avec. Mais encore aujourd’hui, lorsqu’elle est surprise par une crise d’angoisse, elle pense sincèrement qu’elle ne réussira jamais à la traverser, à respirer correctement à nouveau. Elle pense qu’elle va mourir, tout simplement, aussi dramatique que cela peut avoir l’air. Elle pense que son corps va cesser de fonctionner, la peur lui tord l’estomac et l’empêche de reprendre le contrôle. En cet instant, elle se sent au bord du précipice, parce que la crise arrive, qu’il faudrait qu’elle se calme et prenne le dessus, mais elle s’en sent incapable, condamnée à revivre la même scène en boucle. Elle sait déjà comment cela va finir : elle, vidée, fatiguée, les yeux gonflés et l’envie de dormir pendant des heures pour oublier.

Mais un mouvement à côté d’elle la surprend, une petite lumière au bout du tunnel qui pourrait changer la fin de l’histoire qu’elle connaît. « Eh… Eh, regarde-moi. » Elle effleure l’avant-bras de Madison, qui a un mouvement de surprise à l’idée de se rappeler que son corps existe. Elle relève ses yeux déjà remplis de larmes épaisses et les pose sur une jeune fille au regard tendre. Elle était dans la salle de cinéma - Madison est assez observatrice pour l’avoir reconnue. « Je vais t’aider à reprendre ton souffle. » Madison est à peine capable d’hocher la tête, mais elle tente un petit mouvement, sa machoire soudée et ses doigts crispés contre la faïence. « Fait comme moi, regarde. » Ce n’est pas évident, au début. Madison a le hoquet, oublie de suivre le rythme qu’on lui propose. Mais elle essaie. Elle inspire, expire, essaie de se rappeler que ses poumons savent fonctionner. « Ça va aller, respire doucement. » Madison a du mal à y croire, mais elle continue, et petit à petit, elle sent que la crise se désamorce presque, qu’elle arrive à respirer - mais cela ne l’empêche pas de se mettre à pleurer bêtement, comme une enfant appeurée. Elle inspire pour essayer de parler, mais elle a du mal à articuler, et doit s’y reprendre à plusieurs fois pour faire sortir un son de sa bouche. « Mer-merci », elle finit par baffouiller, encore tremblante. Elle essaie de détendre ses épaules toutes crispées.  « Dé-désolée, je ne sais pas pourquoi je me suis mise dans cet état », elle murmure d’une petite voix.  « C’est, euh, le film, je… » Mais elle est incapable d’expliquer, en cet instant, et se remet simplement à pleurer, plus doucement cette fois, des larmes de fatigue et d’abandon.



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Ce qui ne devait être qu’un moment de plaisir venait de se transformer en une épreuve que Shiloh aurait préféré ne pas expérimenter. Le film était venu gratter à la surface de ses blessures, celles encore si présentes, pas complètement cicatrisé, parfois même encore à vif. Le comportement du petit-ami se voulait un miroir de souvenir qu’elle pensait avoir réussi à enfouir profondément. Foutaises! Rien ne se voulait résolu quand elle hésitait encore si longuement à se rendre à chacune de ses séances avec sa psychologue. Et la vérité venait de la heurter de plein fouet alors qu’un poid était venu se loger dans sa poitrine tandis que ses réactions se voulait désormais synchroniser avec la moindre respiration au sein de la salle. Shiloh attendait le pire, se préparait à recevoir une réprimande, à entendre une insulte voler. Le personnage à l’écran se voulait fictif, mais ses propos eux résonnaient de manière bien trop familière. Elle se sentie suer dans sa fine robe en coton, pas assez habiller pour se dissimuler, pas habiller comme Lawrence l’aurait voulu. Shiloh était en train de se noyer dans les souvenirs, jusqu’à ce que les réactions de sa voisine de rangée deviennent plus violente encore que les siennes. Et plutôt que se noyer, Shiloh se brancha sur les inspirations erratiques de la petite brune. Soudainement, le monde se concentrait sur cette fille qui semblait souffrir en puissance à chaque nouvel acte d’abus étaler à l’écran. Shiloh se reconnu dans sa manière de frissonner, cette façon qu’elle avait de vouloir disparaître au fond de son siège. Comme si elle se trouvait face à un miroir. Mais le mirage s’envola dès que les crédits roulèrent à l’écran, comme si rien de tout cela n’avait exister.

Et si elle aurait voulu fuir à son tour Shiloh ne pouvait pas prétendre, il lui était impossible de faire comme si elle n’avait pas remarquer la détresse de cette inconnue. Elle savait à quel point il pouvait être difficile de sortir de sa propre peur et il n’y avait rien de plus désagréable que de se sentir vulnérable dans un lieu public. N’écoutant que son instinct, il ne lui fallut qu’une minute pour retrouver la jeune femme en proie à une véritable crise d’angoisse dans les toilettes du complexe. Ce n’est pas comme si elle pouvait se déclarer professionnelle, pas comme si elle avait la moindre idée de la véritable démarche à suivre, mais la blonde avait vécue assez de crise de ce genre pour savoir qu’il était parfois nécessaire de recevoir un peu d’aide. Exploitant toute sa douceur, dessinant un fin sourire sur ses lèvres, elle s’approcha lentement de la jeune femme. Il n’était pas question de l’effrayer plus que nécessaire.

Un hochement de tête, c’est tout ce qu’il lui fallut pour prendre les choses en main. Sans jamais se vouloir moralisatrice, toujours en utilisant une douceur envelopper d’une patience infinie, elle entrepris d’aider la jeune femme à retrouver son souffle. « Ca va aller. » Qu’elle ne cesse de lui répéter alors que la brunette semble vouloir aller trop vite. « Fais doucement, je suis avec toi. » Et au delà de l’assurance de ne pas la laisser seule, Shiloh lui promettait que personne ne pourrait l’approcher alors qu’elle se trouvait dans cet état. Il fallut plusieurs minutes pour que la demoiselle retrouve une respiration moins affolée, malgré les larmes qui ne cessaient de couler sur ses joues. A plusieurs reprises Shiloh dût se retenir de venir essuyer les perles salées, mais elle ne cessait de sourire à la brune pour lui insuffler un peu de courage. « Mer-merci. » Un nouveau sourire et sa main qui vint lentement caresser le bras de la jeune femme. « C’est normal. » Non ça ne l’était pas vraiment, la plupart des gens seraient passer à côté d’elle sans la calculer, mais ce n’était pas le genre de Shiloh. « Dé-désolée, je ne sais pas pourquoi je me suis mise dans cet état. » C’était le film, elles le savaient toutes les deux, mais ce n’est pas Shiloh qui allait imposer sa conclusion. « C’est, euh, le film, je… » Et sans avoir la force de finir sa phrase, elle se mis à pleurer à nouveau. Shiloh vint tirer un papier du distributeur, pour lui tendre en guise de mouchoir. « Je comprends. » Est-ce que la jeune femme allait entendre tout ce que ces deux mots sous-entendait? Elle en doutait, mais il était si difficile d’en parler, si complexe d’assumer que la jeune femme avait flanchi pour les mêmes raisons qu’elle. « C’est le petit-ami, hein? » Et dans sa question, elle cherchait à transmettre un “moi aussi”. Elle aussi c’était retrouver paralyser face à ce personnage pourtant fictif. Prise d’un frisson, Shiloh se redressa quelque peu avant de fouiller dans son sac à main pour en sortir une bouteille d’eau. « Tu en veux un peu? » Elle s’empressa d’ajouter. « Je l’ai pas ouverte. » Le bouchon en plastique était encore sceller. « Ca va aller, prends ton temps. » Qu’elle ajouta sans ce défaire de son sourire. « Je reste avec toi. » Il était encore de question de la laisser seule et lorsque la porte vers l’extérieur s’entre bâilla pour laisser émerger une dame de ménage, Shiloh lui fit son meilleur regard noir. Elle n’était pas la plus douée dans l’exercice, mais cela sembla fonctionner lorsque la femme fit demi-tour en marmonnant.

« Je comprends. » Madison s’imagine d’abord que la jeune fille essaie d’être polie, compréhensive, que ce “je comprends” est une phrase comme les autres pour que Madison se sente moins seule. Mais les mots qu’elle prononce juste après glace Madison. « C’est le petit-ami, hein? » Madison relève son regard vers la jeune fille, cessant presque de pleurer sous le coup de la surprise. Elle ne dit rien, d’abord, se contente de laisser ses yeux communiquer toutes les questions que sa pudeur ne sait pas poser. Elle n’arrive pas à croire qu’elle est face à quelqu’un qui sait - elle le comprend à présent, quand elle réalise qu’elle n’est pas la seule qui semble remuée, bouleversée. Madison renifle, passe l’essuie-main sous son nez. Elle se sent tout à coup un peu ridicule, affreusement percée à jour, ses yeux rouges, la morve qui manque de s’échapper de sa narine et qu’elle est obligée de moucher. Elle n’arrive même pas à répondre un “oui” clair et sincère. Elle baisse les yeux, inspire, et murmure un triste :  « Toi aussi ? » Elle ne sait pas dans quelle catégorie elle accepte de se mettre, en sous-entendant qu’elle et l’inconnue partagent la même expérience. Oliver… Oliver est qui il est, colérique, légèrement contrôlant, mais il n’est pas non plus… Pas… Pas comme le personnage du film, n’est-ce pas ? Madison essaie de négocier avec elle-même. Elle a besoin de se dire que ce n’est pas sa vie. Ca ne peut pas être sa vie, pas quand elle doit aller dîner avec Oliver et ses parents samedi soir.

« Tu en veux un peu? » Lui propose l’inconnue en lui tendant une bouteille d’eau. Madison réalise tout à coup qu’elle a la gorge complètement serrée et sèche depuis tout à l’heure. Elle opine. « Je l’ai pas ouverte. » Madison tend sa main tremblante, sent toujours son coeur au bord des lèvres. Elle boit une longue gorgée d’eau, ferme les yeux très forts, essayant de secouer le sentiment collant qui pèse sur son dos. « Ca va aller, prends ton temps. » Lui affirme doucement la jeune fille, et Madison décide de la croire. « Je reste avec toi. » La porte s’ouvre, faisant sursauter Madison, mais la femme de ménage est rapidement chasser du regard par l’inconnue, arrachant un sourire sincère à Madison, dont les traits sont encore crispés. Elle inspire, boit à nouveau avant de poser la bouteille d’eau sur le rebord de l’évier. Son coeur bat encore à la chamade, mais elle n’a plus l’impression qu’elle va mourir, oublier de respirer, disparaître.

Elle regarde ses mains, cherche à organiser ses pensées, avant de finalement murmurer :  « Je crois qu’il faut que je quitte mon copain. » Et malgré toutes les choses dont Madison a peur, elle a pourtant l’impression qu’elle vient de prononcer la phrase la plus terrifiante qu’elle n’ai jamais dit.


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Il lui était difficile de se retrouver face à la détresse de la jeune femme. Shiloh se retrouvait au pied du mur face à un miroir qui lui rejetait ses propres angoisses à la figure. Elle aurait pu s'émerveiller du fait que tout n’avait plus la même intensité, qu’elle se trouvait en capacité de passer au-delà des émotions qui autrefois venaient la terrasser, mais en réalité, elle déversait toute son attention sur son inconnue pour ne jamais s’autoriser à sombrer ailleurs. Elle connaissait les tremblements dans la voix provoqués par cette boule qui venait vous obstruer la gorge sans vous laisser le moindre choix. Elle se reconnaissait dans les larmes qui s'échappaient sans volonté, reflet de tout ce qui se trouvait remué sans dessus-dessous à l’intérieur. Shiloh savait lire les signes, elle pouvait les interpréter sans que jamais l’inconnu n’est besoin de les identifier. Mais pour la première fois, elle n’était pas celle qui se laissait submerger, elle se trouvait dans la position de celle qui pouvait aider, qui proposait une main tendue dans une situation qui pouvait se trouver si incontrôlable. Elle savait, elle pouvait comprendre, mais jamais elle ne précipiterait les réactions de la jeune femme. « Toi aussi ? » Elle aurait dû voir la question arriver, elle aurait dû s’en douter, pour ne pas se laisser déstabiliser. Oui, elle aussi. Elle avait vécu avec un homme de cette trempe, elle s'était laissé berner par son beau sourire et son pseudo air tendre. « Oui, moi aussi… » Elle venait de l’affirmer dans un murmure à peine audible. Elle aussi, elle s'était laissé piéger par un homme au point de ne plus être que l’ombre d’elle-même, acceptant les brimades, les manipulations et tout ce qui en avait découlé de plus tordu et violent. « Mais c’est terminé maintenant. » Elle ne put s’empêcher de le souligner, comme pour démontrer qu’il était possible de faire autrement, que ce n'était pas une fin en soi, que rien ne se voulait figer dans le temps.

Shiloh se sentait comme investi d’une mission après la maigre confession de la brunette qui ne cessait de pleurer malgré son désir évident de vouloir cesser la chute de ses larmes. C’est comme si elle ne se trouvait plus en contrôle de quoi que ce soit et à cet instant précis, Shiloh se jura de lui venir en aide, sous n’importe quelle forme. L’important était déjà de l’aider à retrouver son calme. Un film ne vous bouleverse pas autant sans raison, elle en avait vu des comme ça avant de réellement se rendre compte que l’homme à l’écran se voulait d’être la copie conforme de Lawrence. Et maintenant, il y avait des titres, des scènes, qu’elle ne pourrait plus jamais revoir sans se sentir malade. Pour que la brunette réagisse ainsi, elle avait déjà sans doute entamé une part du chemin, celui qui l’amènerait à prendre pleinement conscience de sa situation, qu’importe à quoi cette dernière peut bien ressembler. Alors, Shiloh attendit, l’aidant à souffler, à hydrater sa gorge sèche tout en cherchant à contrôler le flot de ses larmes. Elle se voulait rassurante et protectrice envers cette fille qu’elle ne connaissait pas. C’était bien la première fois et malgré ce qui se jouait en elle, les émotions que cela venait remuer, elle s’attardait uniquement sur son inconnue. « Je crois qu’il faut que je quitte mon copain. » La sentence vint claquer dans le silence des toilettes. Comme un couperet qui tombe pour mieux ériger la sentence. Incapable de trouver les mots adéquats, pas certaine de pouvoir formuler la moindre phrase, Shiloh vint planter son regard dans celui de la jeune femme avant de s’avancer vers elle, tout en douceur. Et lentement, sans jugement, dans le simple but de la rassurée, elle vint passer ses bras autour de ses épaules. Une étreinte qui en disait long sur le chemin qu’elle avait parcouru de son côté. Une simple étreinte qui visait à insuffler du courage et de l’espoir. « Tu viens de faire le plus dur. » Qu’importe l’histoire de cette fille, qu’importe la relation qu’elle pouvait avoir avec son copain, dire ces quelques mots… C'était franchir l'étape la plus importante. Se reculant quelque peu, Shiloh revint sourire à la demoiselle. « Je peux t’aider si tu as besoin. » Elle se devait de continuer à lui offrir son aide. « Je m’appelle Shiloh. » Qu’elle ajouta pour détendre l’atmosphère ? Ou simplement mettre un prénom sur ce visage encore couvert de larmes. « Est-ce… Est-ce que tu as un peu de temps ? Je peux t’offrir un café ? » Elles ne sont même pas obligées de quitter l’enceinte, un café se situant tout proche de l’entrée du cinéma. Shiloh ne voulait pas la voir partir comme ça, elle s’en voudrait à vie, elle voulait lui laisser le temps de retrouver ses esprits avant de l’aider à venir aux termes de cette phrase qu’elle venait de prononcer sous sa plus grande surprise.

C’est le petit-ami, hein ? En une phrase, Madison a compris que la jeune femme en face d’elle n’est pas juste polie, ou attentionnée. Elle est douce parce qu’elle sait, parce qu’elle a vécu, elle aussi. Peut-être même qu’elle le vit encore, qui sait. Madison est bien coincée dans la relation, elle aussi. Elle n’arrive pas à croire ce qu’elle vient de voir à l’écran, la terreur que cela lui provoque. Ce n’est pas possible, ce n’est pas sa vie, elle s’entend se dire dans un coin de sa tête. Oliver est simplement caractériel, peut-être légèrement colérique… Un peu contrôlant et jaloux, aussi. Mais il n’est pas… Elle ne peut pas…

Mais pourquoi est-ce qu’un film qui parle de toute évidence d’une relation abusive fait autant écho en elle, alors ?

Elle a toujours cru que parce qu’Oliver ne levait pas la main sur elle, il ne s'agissait pas d’une relation malsaine ou dangereuse. Elle s’est dit que c’était son choix d’être avec lui, alors forcément, elle est libre, elle est consentante, elle n’est pas abusée. Mais les choses sont-elles si simples que cela, en réalité ? Madison a un horrible sentiment de vertige.

« Oui, moi aussi… » Madison hoche légèrement la tête. Elle voudrait avoir les mots pour la consoler, être là aussi pour elle, mais c’est difficile d’articuler ce qu’elle vient tout juste de comprendre. « Mais c’est terminé maintenant. » Madison ressent le soulagement pour cette inconnue qu’elle vient de raconter et lui adresse un petit sourire.  « Oh, tant mieux », murmure Madison, toujours trop remuée pour pouvoir mieux rassembler ses pensées en des phrases cohérentes.

Elle a le cerveau qui tourne sans fin, avant de finalement arriver à une conclusion qui semble évidente. Elle n’est pas dans la relation qui lui faut. Il faut qu’elle parte. Il faut qu’elle se sauve, se dit-elle, comme si tout à coup elle était une petite proie pourchassée. L’inconnue la regarde, lui sourit, et délicatement, passe son bras autour de ses épaules. Madison, pourtant si peu tactile, ne se crispe pas, au contraire. Elle répond à l’étreinte, elle aussi. Elle a l’impression d’être dans une petite bulle de solidarité, à côté de quelqu’un qui comprend, qui sait, qui ne la juge pas. Quelque chose de bien trop rare pour Madison, qui a l’impression de devoir passer sa vie à s’excuser. « Tu viens de faire le plus dur. » Madison a un espèce de rire jaune étouffé. Elle a l’impression qu’elle est devant un précipice bourré d’épreuves bien plus difficiles que de se confier à cette inconnue. « Ah.. Ah bon ? J’ai l’impression que c’est vraiment plus facile à dire qu’à faire », elle avoue en grimaçant. Plus facile de rester dans ses toilettes, de parler à une jeune fille qu’elle pourrait ne jamais revoir.

Mais étonnemment, l’inconnue ne semble pas vouloir s’arrêter à la rassurer et lui donner un peu d’eau. « Je peux t’aider si tu as besoin. » Madison lève un sourcil, incertaine de comprendre la proposition. « Je m’appelle Shiloh. » Shiloh. C’est un joli prénom, pour une sauveteuse de toilettes de cinéma, pense Madison avec un petit sourire. « Est-ce… Est-ce que tu as un peu de temps ? Je peux t’offrir un café ? » Oooooh. Oh. Madison est surprise de la générosité de Shiloh, si bien qu’elle cligne un peu bêtement des yeux, essayant de reprendre ses esprits. « Oh, euh, oui ?! » Elle répond, parce incertaine elle-même. « Enfin, je veux dire, je ne veux pas… Je ne veux pas te déranger, tu as peut-être mieux à faire que de consoler une inconnue qui pleure dans des toilettes », elle murmure avec un sourire désolé. Elle se racle la gorge et ajoute « Moi c’est Madison. » Les deux jeunes filles se sourient, timidement, et décident finalement de sortir des toilettes.

Madison est toujours un peu déboussolée. « On peut… sortir d’ici ? Je crois que ça me fera du bien d’être dehors, un peu », elle murmure. Elle se demande comment elle arrive à être à l’aise pour exprimer ses besoins. C’est rare qu’elle soit si directe, elle qui est habituellement si arrangeante. Mais Shiloh la met à l’aise. Elles sortent dehors, le soleil toujours de plomb dans la rue. « Il y a un café avec la clim, pas loin », lui dit Madison en faisant un signe vers le bas de la rue. Elles s’y dirigent pour s’y installer. L’intérieur est calme, et Madison inspire enfin. Elle ne pleure plus, sa respiration est à nouveau normale. Et elle se sent étrange d’être face à Shiloh, cette parfaite inconnue, à qui elle vient d’avouer tant de choses en quelques phrases. « Je… Je ne voudrais pas te rappeler des mauvais souvenirs. » Ni la mettre mal à l’aise. « C’était… C’était il y a longtemps, toi ? »


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TW : violences conjugales

abituellement, Shiloh ne se serait probablement jamais permis d'éteindre une étrangère de cette manière. Elle faisait partie de ces personnes qui n’aimait plus tellement que l’on soit tactile envers elle, le moindre toucher non sollicité venant parfois réveiller des souvenirs qu’elle aurait préféré ne jamais connaître. Mais tout paraissait différent dans ces toilettes, comme si les deux jeunes femmes s'étaient soudainement transposées dans une bulle bien à elles. Un endroit presque rassurant où la parole de l’autre serait forcément entendue et surtout comprise. Ce n’est pas le genre de point commun qu’elle se cherchait avec les autres membres de la gent féminine, mais c’était celui qui semblait l’unir à Madison. Tout cela n’avait rien de réjouissant, mais il était hors de question que Shiloh la laisse seule dans ce genre de moment. Pas alors que la brunette semblait avoir subi une révélation, la plus difficile de toutes. Réaliser que son couple est toxique n’est en rien une partie de plaisir. Il faut du temps, beaucoup de maltraitance pour en arriver à se dire que rien de tout cela entre dans une quelconque norme. « Ah… Ah bon ? J’ai l’impression que c’est vraiment plus facile à dire qu'à faire. » Cela pouvait l’être. Shiloh avait eu conscience de tous les dysfonctionnements de sa relation bien avant de prendre la décision de partir. Puis Lawrence avait levé la main sur elle et il n’avait plus été question d’hésitation ou de remise en question. « C’est un début, je t’assure. » Et même si elles ne s'étaient jamais parlé auparavant, Shiloh avait à cœur de lui présenter une main tendue. 

Cela se voulait probablement un peu précipiter, complètement inattendu même, mais il lui paraissait difficile de laisser la jeune femme partir dans cet état, sans pouvoir lui parler. Shiloh ne possédait pas de recette miracle, mais si elle pouvait lui faire entendre que partir finirait par l’aider, que l’on pouvait s’en sortir, malgré tout ce que ces hommes avaient fait pour les détruire. Elle voulait aider, plus que tout, sans pour autant s’imposer. « Oh, euh, oui ?! » Elle s’apprêtait à lui rappeler que ce n’était en rien une obligation, mais Madison fut plus rapide. « Enfin, je veux dire, je ne veux pas… Je ne veux pas te déranger, tu as peut-être mieux à faire que de consoler une inconnue qui pleure dans des toilettes. » Beaucoup aurait répondu par l’affirmative, Shiloh se contenta d’hausser des épaules. « C’est moi qui viens de te proposer, non ? » Elle ne se serait jamais permis d’avancer une telle invitation pour la reprendre dans la seconde d’après. Ce n’était pas dans sa personnalité. Shiloh ne faisait simplement pas les choses à moitié. « Je m’en voudrais de te laisser repartir comme ça. » Ce n’était en rien un reproche, mais les joues de la brunette étaient encore striées de larmes et elle ne pouvait pas l’oublier comme ça. « Moi, c’est Madison. » Elle lui adressa un sourire tendre. « On peut… sortir d’ici ? Je crois que ça me fera du bien d'être dehors, un peu. » Rassemblant ses esprits, et récupérant son sac qu’elle avait posé sur un lavabo, Shiloh entrouvrit la porte. « Bien sûr, viens, on file. » Loin de cette pièce qui avait recueilli les larmes de Madison et plus loin encore de ce maudit film qui avait été si brutal pour elles deux. « Il y a un café avec la clim, pas loin » - « Je te suis. »

Les quelques pas à l’extérieur permirent à Madison de retrouver son souffle et à Shiloh de se convaincre qu’elle était capable d’avoir ce genre de discussion avec une parfaite inconnue. Ce n’était pas juste raconter son passé à une amie. Ce n’était pas pour que l’on s’apitoie sur son sort. Tout semblait presque prendre un sens, comme s’il avait fallu cette rencontre, comme si tout arrivait à point nommé. À peine installé, Shiloh fit signe à un serveur pour réclamer un peu d’eau. Madison avait encore besoin de temps, de retrouver son souffle et un semblant de sourire. Mais elle se voulait curieuse, cherchait à comprendre en se raccrochant à ce que Shiloh avait laissé échapper un peu plus tôt. « Je… Je ne voudrais pas te rappeler des mauvais souvenirs. » Les souvenirs seront toujours présents, que Shiloh souhaite en parler ou non, alors une fois encore, elle haussa les épaules. « C’était… C’était il y a longtemps, toi ? » Certains diraient que son histoire est vieille comme le monde, pour elle ? Tout datait encore d’hier. « C’est encore récent. » Et elle avait soudainement l'impression d'avoir mal formulé les choses. « Enfin… La conclusion est récente ? Je… J’ai porté plainte contre lui et… Le procès a eu lieu en Mai 2023. » Autant dire hier ou tout comme. « Il a levé la main sur moi pour la dernière fois il y a 4 ans. » Est-ce qu’elle allait effrayer Madison avec son histoire qui avait duré si longtemps avant d’en venir à la moindre conclusion ? « J’ai mis du temps, à réaliser ce qu’il avait fait. » Tellement de temps. « J’ai eu besoin d’aide. » Elle ne pouvait pas le nier. « Sans le soutien de ma meilleure amie, je pense que je n’aurais jamais trouvé le courage de porter plainte. » Et sans se retenir, elle ajouta : « Je serais peut-être même retourné avec lui, pour qu’il me laisse tranquille… » Elle y avait pensé, lorsque Lawrence avait publié les photos. Elle avait hésité, était prête à retourner auprès de lui pour le calmer, pour qu’il se calme, pour que tout s’apaise enfin. « Je sais que c’est difficile. » Qu’elle souffla en douceur, adressant un énième sourire à Madison. « Est-ce que tu es en sécurité ? » Autrement dit, est-ce qu’il s'est déjà montré violent physiquement ? Elle ne pouvait pas continuer cette conversation sans demander, sans s’assurer que le tee-shirt de Madison ne cachait pas des bleus vieillissants.

Madison ne sait pas exactement ce qui la pousse à suivre Shiloh, à sentir que les mots débordent d’entre ses lèvres, près à révéler des choses dont elle n’a jamais été capable de parler à personne. Parfois, après trop de verres, elle rigole avec Albane, son amie critique Oliver, Madison approuve malgré elle, elles s’amusent, mais jamais cela ne devient trop réel ou trop sérieux. Madison est incapable de parler de la réalité, de sa peur des colères de son petit-ami. Elle préfère se plaindre de choses triviales, des choses que l’on reproche habituellement aux gens qu’on fréquente et qu’on aime : il n’a pas fait la vaisselle, il a oublié notre date d’anniversaire, on s’est disputé sur où partir en vacances. Madison ne dit pas la vérité, qu’Oliver lui crie dessus, hurle même, pour des histoires de jalousie, qu’il lui reproche de ne pas l’aimer assez, de ne pas vouloir vivre avec lui. Quoi que Madison fasse, ce n’est jamais assez pour apaiser la possessivité d’Oliver, qui la veut toujours plus. Peut-être parce qu’il sent, au fond, qu’elle ne lui appartiendra jamais vraiment. Qu’elle ne l’aime pas tout à fait. Pas comme il faut. Et Madison s’en veut, sincèrement, de ne pas pouvoir lui donner cela.

Installées au café, l’ambiance entre Shiloh et Madison est étrange. Elles sont à la fois gênées et pourtant à l’aise, prêtes à parler d’un sujet si lourd et particulier. Madison, d’habitude timide, se surprend à poser frontalement une question à la jeune femme. Elles ont dépassé les formalités d’apprendre à se connaître, et sont rentrées immédiatement dans le vif de leurs blessures. Madison se demande vaguement comment elle va être capable de parler de tout ça en étant sobre. « C’est encore récent. » Madison a un petit frisson qui descend le long de son dos. « Enfin… La conclusion est récente ? Je… J’ai porté plainte contre lui et… Le procès a eu lieu en Mai 2023. » Oh. Oh. Madison cligne plusieurs fois des yeux, digère l’information. Un procès… Parler de tout ça, devant des gens ? « Oh, un procès », Madison répète malgré elle, surprise. « Il a levé la main sur moi pour la dernière fois il y a 4 ans. J’ai mis du temps, à réaliser ce qu’il avait fait. » Madison est pendue aux lèvres de Shiloh malgré elle. Elle essaie de ne pas laisser son visage trahir trop ses émotions, qui bouillonnent en vrac en elle. Un procès, des années, des violences… Elle a l’impression que l’histoire de Shiloh va plus loin que la sienne. Pour l’instant, murmure un petite voix dans un coin de sa tête, qu’elle chasse. « J’ai eu besoin d’aide. Sans le soutien de ma meilleure amie, je pense que je n’aurais jamais trouvé le courage de porter plainte. Je serais peut-être même retourné avec lui, pour qu’il me laisse tranquille… » Madison hoche la tête. Elle ne veut pas aposer son histoire sur celle de la jeune femme, mais elle pense aussi forcément à Albane, ou à Maxine, ces personnes autour d’elle auprès de qui parfois elle critique Oliver, mais vers qui elle revient pourtant. « Ça a dû demander tellement de courage que d’aller jusqu’à un procès, le revoir, le confronter… Est-ce qu’il a été condamné ? » Elle demande, se sentant un peu naïve. « Est-ce que.. ça t’a aidé, ce processus ? » Le procès, rendre tout cela officiel, ces choses-là. Est-ce que sa peine est devenue plus réelle, plus concrète, qu’elle s’est sentie moins folle - moins folle que ce sont parfois Madison, quand elle se demande si elle n’invente pas tout, qu’elle n’exagère pas. « Je sais que c’est difficile. Est-ce que tu es en sécurité ? » Madison secoue la tête rapidement, nerveuse. « Oh, euh, oui. Enfin, je veux dire, il n’a jamais… » Elle laisse les mots mourir entre ses lèvres. « Il est juste… » Juste quoi ? « Colérique ? » Elle hésite. « Je ne sais pas trop comment on en est arrivé là. Il a toujours été un peu jaloux et intense, mais… Je ne sais pas. Ce n’est pas normal que ce film m’ai parlé, pas vrai ? » Elle murmure d’une petite voix, baissant les yeux. « Comment est-ce que tu as réussi à en parler à ta meilleure amie ? » Elle demande d’une voix triste. « Je n’en ai jamais vraiment parlé à personne. Parfois je parle de quelques disputes à mes amies, mais je.. Je ne suis jamais vraiment honnête. Je finis toujours par le défendre. C’est bizarre, non ? »


@Shiloh Atkins  

(c) harley & stefansalvatored

a flashback in a film reel on the one screen in my town

@MADISON KWANTEEN & SHILOH

TW : violences conjugales
D’un point de vue externe, peut-être que rien ne faisait réellement sens. Qui pouvait bien autant se confier à une inconnue ? Les naïfs. Comme elle l’avait été par le passé. Mais tout se voulait différent auprès de Madison. Elle avait besoin d’être entendue. Pour Shiloh, il était important de lui faire comprendre qu’elle n’était pas seule et surtout que l’on pouvait s’en sortir. Le chemin se voulait semé d’embûches, rien ne se voulait d’être simple, mais il était possible de sortir la tête de l’eau et de s'éloigner de ces personnages toxiques. « Oh, un procès. » Elle hocha la tête, consciente que le mot se voulait effrayant. Elle en avait eu peur au départ, il avait fallu tant d'étapes pour en arriver là. « Je sais, on ne pense jamais à cela. » Sans Megan, elle n’aurait jamais envisagé de prendre ce chemin-là, elle ne s’y serait jamais aventurée. Et au final, elle se demandait encore si cela avait eu le moindre impact ? Mais elle n’allait pas partager ses doutes avec Madison. Ce n’était pas l’idée, ce n’est pas ce qu’elle voulait pour elle. « Ça a dû demander tellement de courage que d’aller jusqu’à un procès, le revoir, le confronter… Est-ce qu’il a été condamné ? » Il lui suffisait de fermer les yeux pour revoir le visage enragé de Lawrence, pour entendre le venin qu’il avait craché dans cette salle d’audience. Il avait voulu la faire passer pour une hystérique, une fille qui en voulait après sa pseudo popularité. Il avait tout fait pour la décrédibiliser et elle avait dû s’accrocher à sa chaise pour ne pas s’effondrer, pour ne pas fondre en sanglots. Hors de question de lui laisser ce plaisir. « Je voulais pas tout ça au départ, mais il avait fait des choses qui ne pouvaient rester impunies et je n’étais pas la seule. » Lucia aussi avait eu la vie dure, il n’était pas allé aussi loin avec elle, mais il avait été abusif malgré tout. « Est-ce que… ça t’a aidé, ce processus ? » - « Aujourd’hui, je peux te dire que oui. » Ce n’était pas de la magie, tout ne s’était pas débloqué en une nuit, mais Shiloh se sentait enfin libre. Un peu plus confiante, moins terrorisée à l’idée de sortir seule. « Je sais qu’il ne peut plus m’approcher. » C’est bien tout ce qu’elle avait gagné au cours de ce procès, une ordonnance de protection. « Il a été condamné pour harcèlement sur les réseaux, mais pas pour tout le reste. Faute de preuves… » Elle n’avait pas gardé des preuves des coups qu’il lui avait mis et comme prouver une manipulation psychologique ? « Ils gagnent toujours au final, mais je sais qu’il ne pourra plus m’approcher sans craindre de se retrouver en prison. » Et Lawrence tenait bien trop à son image pour tenter une connerie qui l’amènerait derrière les barreaux.

Mais dans tout cela, son histoire se voulait terminée. Il était de son propre pouvoir et de sa volonté que de passer à autre chose, que d’envisager une nouvelle vie sans jamais oublier tout ce qu’elle avait traversé. Et c’est ainsi qu’elle s’inquiétait sincèrement pour Madison après sa réaction face au film. « Oh, euh, oui. Enfin, je veux dire, il n’a jamais… » Il n’a jamais levé la main sur elle. Elle se rassurait comme ça aussi, Shiloh. Il criait, mais il ne l’avait pas frappé. Jusqu’au jour où il n’a même pas hésité pour le faire. « Il est juste… Colérique ? » Elle connaissait ce genre de personnalité. « Je comprends. » Bien sûr qu’elle comprenait, mais elle ne souhaitait cela à personne. « Je ne sais pas trop comment on en est arrivé là. Il a toujours été un peu jaloux et intense, mais… Je ne sais pas. Ce n’est pas normal que ce film m'ait parlé, pas vrai ? » Voir Madison baisser la tête ainsi lui serra le cœur. Sans hésiter, Shiloh vint glisser sa main sur celle de la jeune femme. « Non, ce n’est pas vraiment normal. » Il était inutile de broder les choses ou de lui assurer que ce ne pouvait être qu’une passade. « Être jaloux, c’est une chose. » Est-ce que l’être humain ne l’était pas de base, un peu jaloux ? « Mais se mettre en colère contre quelqu’un que l’on aime, ça ne peut pas être sain. » Elle n’allait pas remettre en question l’amour que ce garçon pouvait lui porter, mais parfois, il fallait réaliser que tous les amours ne pouvaient être bons. « Comment est-ce que tu as réussi à en parler à ta meilleure amie ? » Elle eut un léger soupir, consciente que son cas ne pouvait réellement servir d’exemple. « Je n’ai rien dit à personne pendant longtemps, mais quand il a commencé à me frapper… J’ai compris qu’il fallait que je parte. » Elle n’était pas partie à la première gifle, mais plutôt à la dixième, mais elle était partie avant que tout ne dégénère en des coups quotidiens. « Je ne savais pas où aller, je me suis réfugiée chez elle. » Et Megan n’avait pas eu besoin de grands discours pour comprendre ce qui avait bien pu se tramer loin d’elle. « J’en ai jamais vraiment parlé à personne. » Shiloh ne pouvait que le comprendre. « Parfois, je parle de quelques disputes à mes amies, mais je… Je ne suis jamais vraiment honnête. Je finis toujours par le défendre. C’est bizarre, non ? » Elle secoua vivement la tête. « Tu l’aimes. » Ce n’était pas un constat suffisant, mais c’était celui que toutes les femmes dans ce genre de situation finissaient par faire. Être amoureuse, croire que les choses pourront changer, que ce n’est qu’une passade. « Je parie qu’il sait s’y prendre pour se faire pardonner après avoir explosé. Pas vrai ? » Ils connaissent toutes les parades ce genre d’homme. Ils savent se racheter en proposant une soirée tranquille, en offrant des cadeaux. Cela dure une journée ou deux, parfois même plus quand on a de la chance, et puis l’enfer recommence. « Je sais à quel point ça peut être difficile. » Et encore, le mot se voulait faible face à l'énormité de ce que représentait le fait de partir pour de bon. « Mais il faut que tu penses à toi, à ce qui est bon pour toi. » Etre amoureuse ne pouvait être une excuse pour tout laisser passer, pour leur donner le droit d’être méchants et violents. « Je… Je connais des associations qui peuvent t’aider. » Elle avait mis du temps à se tourner vers ce genre d'établissement, mais force est de reconnaître qu’elle n’aurait jamais pu s’en sortir seule. « Pour que tu aies un endroit safe pour parler ou même pour te réfugier si jamais tu en avais besoin. » Elle n’allait pas forcer Madison à agir, elle n’allait pas lui dicter la conduite à suivre, mais si elle pouvait au moins lui donner les clés qui l'aideront à entrevoir un échappatoire. « Je peux te laisser mon numéro aussi. » Elle répondra, toujours, si le besoin s’en faisait ressentir. Et une fois encore, Shiloh lui adressa un tendre sourire. « Ça va un peu mieux ? » Ou est-ce qu’elle sentait encore ce poids sur sa poitrine ?

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