I need your strength I'll be up someday

@ALICE PETROV & KIERAN HALSTEAD ☆☆☆ i have this human love it shattered once or twice, it pulls me up and down if it's filled with jagged ice everyday I'm wanting something i ain't havin'. ☆ aslongasitsrealtoyou & kaceyrps.

Bar ? Trop classique.
Cinéma ? Trop silencieux.
Restaurant ? Trop coûteux.

Muni de ses lunettes qu’il repositionne à intervalles réguliers sur l’arête de son nez, Kieran écume internet à la recherche d’une idée qui saurait rendre ce rencard merveilleux, à défaut que, lui, le soit suffisamment pour susciter l’intérêt de cette Alice. Cela fait plus de cinq ans que la situation ne s’est pas présentée à lui – et même avant ça, on ne peut pas dire que Kieran brillait par son magnétisme. Si Autumn n’avait pas forcé les choses, nul doute qu’il en serait toujours au même point qu’au moment de leur rencontre ; c’est-à-dire en train de se contenter de fantasmer à distance, en vivant des histoires qui n’existent que dans sa tête – en étant toujours puceau, bien évidemment. Si pour beaucoup, le premier rencard n’engage à rien, pour Kieran celui-ci prend une tout autre dimension. C’est sa première fois après elle. Elle, la femme avec laquelle il se voyait finir sa vie ; elle, la femme qu’il a pourtant lâchement quittée par lettre. Elle, la femme qu’il aimait plus que de raison ; elle, la femme qui l’a brisé sans hésitation. C’est une première fois qui n’est pas émise par l’envie, mais par une obligation dictée par son entourage. Se remettre en selle. Kieran n’a jamais vraiment apprécié cette expression et il la déteste d’autant plus depuis qu’elle est devenue – prétendument – la solution à tous ses problèmes. En plus, il n’a jamais fait d’équitation. Bon.

Se remettre en selle. Cela implique de remettre quelque chose en fonction. Dans son cas, quelqu’un : lui-même. Pourtant, Kieran est très loin d’admettre que son fonctionnement peut être problématique. Et, à première vue, si on se contente de l’impression qu’il peut faire en le croisant dans la rue, il a l’air comme tout un chacun, Kieran, rien ne laisse croire qu’il a un fonctionnement aléatoire depuis quelques mois. Il a un profil type de trentenaire ; un appartement petit, mais qui lui plaît, un boulot quelconque, mais bien payé, un cercle social restreint, mais fidèle. Pourtant, si l’on gratte les couches, l’on comprend qu’il vit en colocation avec sa sœur après une tragédie personnelle, qu’il a pris le premier boulot qui se présentait à lui et pour lequel il n’a guère de vocation, et qu’il passe plus de temps à prétendre être quelqu’un d’autre qu’à savourer la compagnie de ses amis. Et ce n’est que pour la surface ; quant au reste, le seul fait qu’il s’imagine retrouver un semblant de vie amoureuse n’est pas une si mauvaise idée, mais sans doute qu’il aurait été préférable d’attendre un peu plus longtemps. Encore marqué par cette rupture avec une ex encore bien présente dans son esprit, alors même qu’il a l’impression d’à nouveau pouvoir respirer, il y a de nombreuses choses qui ne sont pas encore résolues et sur lesquelles il devrait se pencher avant d’envisager quoi que ce soit d’autre. Il n’arrive pas encore à poser des mots dessus, car tout est encore trop frais, mais sa relation avec Autumn a laissé des traces encore bien visibles ; autant physiquement que psychiquement, autant sur sa manière de s’habiller tout en noir avec des vêtements trop larges pour espérer disparaître aux yeux des autres que dans son incapacité à aller vers ceux-ci. En ce sens, les sites de rencontre étaient un bon entre-deux, lui donnant l’impression de tisser un lien, sans avoir à y être directement confronté. Il s’est longtemps trouvé des excuses pour qu’ils en restent à des discussions virtuelles et que jamais cela ne devienne un véritable rencard ; l’anxiété de Kieran l’étouffant à chaque fois que cette perspective était évoquée. Et pourtant, ce jour-là, il a dit oui.

Il n’aurait peut-être pas dû, et c’est ce qu’il se répète depuis une bonne heure, alors qu’il n’a toujours pas eu d’idée brillante et qu’il fait des allers-retours dans son appartement dans une vaine tentative de se fatiguer et, par extension, de se détendre légèrement. À intervalles réguliers, il se change, plus si convaincu par la tenue pour laquelle il a opté, qu’il revêt durant une dizaine de minutes avant de porter son choix sur une autre. Il doit en être à son cinquième essai quand il sort son téléphone de sa poche et tapote quelques mots qui forment des excuses pour l’annulation de dernière minute, mais à aucun moment il n’arrive à se résoudre à appuyer sur envoyer. Au fond, même s’il est terrorisé (et pas anxieux, non, véritablement terrorisé) par la perspective de partager une forme d’intimité, même amicale, avec une nouvelle personne, Kieran essaie tant bien que mal de surpasser ses appréhensions ; car il sait aussi qu’il s’enferme dans un schéma maladif où il s’écarte toujours plus des autres au point où cette solitude, aussi réconfortante qu’elle puisse être à quelques moments, devient, le plus souvent, insupportable. Il sait qu’il aurait sans doute dû opter pour des échanges amicaux, sans aucune autre pression, mais il sait aussi que la majorité des gens n’ont plus besoin de se faire des amis à son âge, et qu’il serait pathétique s’il verbalisait ses vraies envies. Ce serait le meilleur moyen pour ne jamais attirer l’attention de qui que ce soit sur ce type de site, et c’est justement parce qu’il a envie d’être vu, d’être apprécié, qu’il s’est résolu à faire comme tout le monde. Parce que c’est ce qu’il veut, ce à quoi il aspire réellement, plus qu’une vie sentimentale ou même une amitié bancale ; il veut se sentir comme les autres, il veut se détacher de ce sentiment de peur qui dicte désormais chacune de ses interactions avec les autres, de cette crainte qu’on le réprimande, qu’on le dévalorise, qu’on l’ignore – des états qui ont dicté les derniers mois de sa relation, ce qui explique sans doute qu’elle soit encore si vive dans son esprit.

Et quand il guette l’heure, il réalise qu’il a déjà un bon quart d’heure de retard. Il ne lui en faut pas plus pour s’inquiéter, et taper rapidement un message à l’intention d’Alice, avant de se précipiter hors de cet appartement pour tenter de rattraper son retard. Courant à travers les rues, il manque de trébucher à quelques reprises, et se félicite d’avoir opté pour un point de rendez-vous au centre-ville, lui permettant de ne pas aggraver la situation plus que ce n’est déjà le cas. Pendant un instant, il oublie qu’il n’a toujours pas d’idée merveilleuse sur la façon de combler les heures qui vont suivre, alors qu’il s’est prétendu spontané à travers l’écran, disant que ça ne le dérangeait pas qu’ils se laissent « guider » au moment venu, et qu’ils décident d’un programme une fois devant un lieu qui leur plairait à tous les deux. Kieran est l’opposé de spontané ; il a besoin de tout prévoir, et c’est là une perte de maîtrise qu’il n’apprécie pas. Et quand il arrive enfin au coin de la rue où ils doivent se retrouver, le jeune homme cherche pendant quelques instants la fameuse Alice, dont la description physique (à défaut d’une photo) était très vague. Blonde, aux yeux bleus, petite, elle pourrait être n’importe où alors que son regard papillonne jusqu’à des prunelles qui sauraient le reconnaître, lui qui a osé dévoiler son identité à l’aide d’une photo. Et plus les minutes passent, plus il se dit qu’elle n’a pas reçu son message ou n’a pas voulu l’attendre, ou peut-être qu’elle est bien là, au milieu de l’effervescence de cette rue animée en début de soirée, et qu’elle regrette assurément sa décision, au point d’avoir décidé de tourner les talons tant qu’il était encore temps. Il ne lui en voudrait même pas, en réalité. Mieux, ça l’arrangerait sans doute, puisqu’à présent stoppé dans sa course, ses pensées ont tout le loisir de reprendre le dessus, et de raviver cette angoisse constante.

L’empressement avec lequel il papillonne du regard à la recherche de n’importe quelle fille correspondant à la description physique de ladite Alice n’est qu’un rappel de sa méconnaissance de tout cet univers. Le dating, ce n’est définitivement pas pour lui, pas alors qu’il ne s’y est pas essayé depuis des années – et qu’il n’était déjà pas particulièrement doué à la base. Qu’il soit timide est une chose, mais qu’il soit ignorant en est une autre : n’importe quelle personne dotée d’un minimum de bon sens se serait assurée de recevoir une photo au préalable, et non pas de se contenter d’envoyer la sienne sans en attendre en retour. Heureusement pour lui (et pour le monde entier), Kieran n’a rien d’un forceur et la photo qu’il a pu mettre pour illustrer son profil est totalement neutre, assez pour être assumée sans crainte qu’elle ne soit divulguée ou mal utilisée – à quel escient, au juste ? Pour autant, ça ne rend pas sa naïveté moins préoccupante, alors qu’il n’a justement pas voulu mettre cette jeune femme mal à l’aise en exigeant d’avoir une idée de son physique, sachant pertinemment qu’il ne devrait pas s’agir là d’un critère jugeant de l’intérêt qu’il peut lui porter. Il est mieux placé que personne, lui qui n’a jamais attiré le regard de quiconque à l’exception de sa seule et unique petite amie (celle-là même qu’il tente d’oublier ce soir) pour savoir qu’un portrait est peut-être un avantage pour les gens charismatiques, mais qu’il devient un cruel rappel de leur médiocrité pour ceux qui ne peuvent se vanter de posséder cette qualité. Peut-être qu’elle est dans ce cas, et peut-être qu’il ne devrait pas angoisser de la sorte, car ils seront au moins sur un pied d’égalité. Ou peut-être qu’il aurait sérieusement dû être vigilant, afin de s’assurer qu’il n’est pas la cible d’une mauvaise blague, ce qui ne l’étonnerait pas tant il a l’habitude d’être moqué – pourquoi des inconnus ne s’en donneraient pas, eux aussi, à cœur joie ?

C’est une mauvaise idée, qu’il finit par se répéter, encore et encore, alors que personne ne capte le regard désespéré qu’il adresse à la foule, celui-là même que n’importe qui reconnaîtrait s’il lui était destiné ; la nécessité de s’accrocher à quelque chose, à quelqu’un. Un instant, il se dit qu’elle l’a sans doute repéré, à travers cette foule, le regard insistant et plein d’espoir, et qu’elle a volontairement évité ses prunelles pour s’en aller discrètement, s’assurant que jamais il ne pourra la reconnaître et lui demander des comptes qu’elle ne voudrait pas lui rendre. Et, finalement, après quelques instants qui ont semblé interminable, une voix s’élève, s’adressant vraisemblablement à lui : Kieran ? Il lui faut pourtant un instant supplémentaire avant d’être certain qu’il s’agit bien de lui et non d’un homonyme, son regard finissant par croiser celui d’Alice. Pas n’importe quelle Alice. Alice. Merde. Il paniquait déjà suffisamment à l’idée d’avoir à paraître plus agréable et intéressant qu’il ne l’est réellement sans rajouter ce poids supplémentaire sur ses épaules, alors qu’il reconnaît évidemment la femme face à lui. Il ne sait pas s’il doit le souligner, mais dans le doute, il préfère ne pas le faire, n’ayant pas envie d’aggraver son cas. Reste cool. C’est une fille comme les autres, c’est aussi et surtout un être humain. Sauf que ce n’est pas n’importe quel être humain ; et Kieran se perd dans des pensées qui essaient autant d’agir comme si de rien n'était, et celles qui visent à vouloir l’impressionner. Tu es en retard. Face à ce constant, il baisse la tête, gêné. Mais je suis contente que tu sois là. Docile, il vient s’asseoir à ses côtés, reprenant son souffle avant de préciser : « Je sais, je sais, et je suis vraiment désolé, je t’ai envoyé un message pourtant, mais j’ai dû me tromper de personne. » Oh, non. Non, non, pourquoi il a dit ça ? Ce n’est pas comme s’il avait des dizaines de conversations en cours sur Tinder, en plus. « Euh ouais, bref, je… enfin, j’suis pas très ponctuel, tu crois que je devrais l’ajouter dans ma bio, pour les prochaines fois ? » Mais faites-moi taire, pitié. Il vient très clairement de lui dire qu’il y aura d’autres rendez-vous, sauf que ce ne sera pas avec elle ou, alors, à l’inverse, qu’il est déjà accroché à elle. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est certainement pas la chose à sous-entendre. « Pardon-je--laisse-moi reprendre mes esprits une minute, ah ah. » Et trouver un moyen de ne pas continuer à tout gâcher dès qu’il ouvre la bouche, bordel. « On peut recommencer, s’il te plaît ? » Ou tu veux saisir cette occasion pour partir ? Je t’en voudrai même pas. « Salut, Alice, je suis Kieran, et je suis très content d’enfin faire ta connaissance. » Et… il lui tend la main, comme si elle était la PDG d’une grande entreprise pour laquelle il vient postuler. Une chose est sûre, il ne décrochera pas l’emploi.

@Alice Petrov

Déjà propice à la perte de ses moyens du fait de son caractère naturellement réservé, la peine est double pour Kieran quand il prend conscience de l’identité de la jeune femme avec laquelle il s’apprête à avoir un rendez-vous. Il est vrai qu’il ne lui en faut pas beaucoup pour bégayer et que la seule beauté de la jeune femme est déjà un facteur suffisant pour qu’il mette à mal le bon déroulé de ce rendez-vous ; mais le fait de reconnaître une youtubeuse qu’il suit avec attention n’est certainement pas pour l’aider. Il aurait dû demander une photo. Il aurait compris tout de suite qui se cachait derrière ce pseudo et aurait ainsi pu refuser de la rencontrer, usant de n’importe quel prétexte, afin de s’assurer de ne pas se rendre plus ridicule qu’il ne l’est déjà naturellement. Il n'est pas aidé par sa maladresse et son manque de confiance en lui, mais il le sera encore moins au moment de prétendre ne pas la connaître ou, à l’inverse, de chanter ses louanges. C’est sans doute le problème ; il n’a aucune idée de l’attitude à adopter face à elle, ne sachant pas s’il est supposé se montrer sincère en admettant qu’il sait très bien qui elle est, ou lui offrir une soirée de répit en jouant à plus ignorant qu’il ne l’est réellement. Et puis, il comprend très vite que si elle n’a pas mis sa photo en ligne, c’est sans doute pour cette raison ; pour espérer être tranquille, et s’assurer que ceux qui s’intéressent à elle ne le font pas par le statut qu’elle possède. Ce n’est qu’une hypothèse, il n’en a pas la certitude, mais lui demander confirmation ne ferait que mettre en avant cette identité que, vraisemblablement, elle essaie de cacher. Dans un sens, il a l’impression d’être pris au piège, aucune option ne semblant être la plus adéquate, bien que l’une d’entre elles puisse être plus confortable pour la jeune femme. Alors il jouera l’ignorance, peu importe si cela implique que son aisance à lui ne soit pas possible.

Ne t’en fais pas pour le retard. En réalité, ce n’est pas ce qui lui permet d’être parfaitement serein, Kieran ayant cette tendance à se flageller plus que de raison, y compris pour les choses les plus superficielles. Cela arrive à tout le monde. Et pour ce qui est de ta bio, je pense que c’est une excellente idée ! Au moins, les filles sauront à quoi s’attendre. Il reste muet quelques instants, n’ayant aucune idée de la manière dont il doit interpréter cette réflexion, qui fait pourtant écho à la sienne. Est-ce le signe que le départ est si mauvais qu’ils n’iront pas plus loin ? Est-ce que c’est une façon pour elle de lui signifier de ne rien espérer d’autre, et de l’inviter à détourner les talons avant même qu’ils ne puissent échanger plus de trois mots ? « Dire que ça m’a pris des semaines pour peaufiner cette bio, et j’ai même pas mis le plus évident. » Il préfère s’en amuser, admettant sans détournement qu’il est loin d’être un expert dans le domaine et que sa seule présentation lui a causé bien des tracas tant il est incapable de se vendre sous son meilleur jour, ni même d’être suffisamment indulgent pour se percevoir des qualités susceptibles de plaire à autrui. Il aurait pu s’arrêter-là, rattrapant le coup de cette façon, mais il est incapable de s’arrêter quand il le faut, Kieran. Et le voilà qui se présente de manière parfaitement ridicule dans un tel contexte, prêt à serrer la main d’Alice au lieu de lui faire la bise que les circonstances exigent. Il est surpris qu’elle accepte sa main tendue, même s’il ne peut s’empêcher de se questionner quant à ce qu’elle pense de cela. En vue de la manière dont elle a accepté son excuse sans émettre la moindre critique, elle est sans doute bien trop gentille pour son bien et n’ose pas lui dire qu’elle trouve cette façon de faire quelque peu particulière. Enchantée, Kieran. Au moins, les nouvelles bases sont posées et, il l’espère, plus saines. Je suis ravie de faire ta connaissance, moi aussi. Et ne t’en fais pas, on a toute la soirée pour rattraper le retard. On peut considérer ça comme un nouveau départ, non ? Il affiche un sourire timide, précisant : « oui, j’aimerais bien. » Il aurait dû s’arrêter à ça. Mais, bien sûr, il en est incapable, alors qu’il ajoute : « quoi que, pour être honnête, si on prend un nouveau départ à chaque fois que je dis une connerie, on va passer la soirée à se présenter. » Et il vient donc très clairement de lui dire qu’il ne sait pas réfléchir avant de parler et que cette maladresse ne sera que la première d’une longue série. De mieux en mieux. « Tu sais quoi ? Et si on trouvait quelque chose à taire, quelque chose qui, si possible, pourrait me faire taire ? » Il demande avec un léger sourire, qui disparaît quand il prend conscience du sens qu’on peut donner à de tels mots. « Enfin euh, je parle pas d’une activité à… enfin… un truc sexuel, tu vois, oh non, pas du tout, ça m’a jamais effleuré l’esprit. » Vraiment ? « Enfin, pas avant là, maintenant, il y a deux secondes, je t’assure que je viens pas pour ça... » Kieran laisse échapper un lourd soupir. « Je suis désolé, je suis un peu nerveux. » Un peu, c’est un euphémisme, oui. « Donc euh, bref, je disais, une activité ? Genre, du bowling ou n’importe quoi, je suis pas difficile. » Et je sais pas prendre une décision ; vraiment, je suis un très bon parti, Alice, crois-moi.

@Alice Petrov