fortitude valley :: logements

Assis en tailleur sur mon fauteuil une place, une canette de jus fruité sur le rebord de ma fenêtre, Patronus allongé de tout son long sur le divan en face, je tournais négligemment les pages de ma lecture, lorgnant sur mon téléphone portable à chaque chapitre terminé. Le retour de Noor était prévu pour la soirée et si je m'étais interdit de traquer les différentes arrivées aériennes, je ne pouvais m'empêcher de trépigner d'impatience à son prochain SMS. Je soupirais doucement en m'étirant en constatant l'heure avancée. Je portais ma canette à mes lèvres, croisais le regard inquisiteur de mon animal de compagnie. « Me regarde pas comme ça. Toi aussi, tu la kiffes, et tu t'en caches même pas, » je rétorquais avant de me plonger dans un nouveau chapitre.

« Tu devrais vraiment fermer cette porte, tu vas finir par avoir de mauvaises surprises. » Je levais les yeux de mon bouquin, le menton coincé dans ma paume, bras accoudé sur mon genou. « Jusqu'ici, je n'en ai eu que des bonnes, » je rappelais avec un sourire triomphant pendant que Patronus se pressait vers l'architecte en ronronnant bruyamment. Le chat fut aux anges lorsqu'il se vit hissé dans les bras de la femme pour un câlin duquel il ne se priva assurément pas. Je calais un marque-page dans mon livre et rejoignais le duo. « Je te dérange pas ? Je peux te voler ton chat et un coin de canapé ? » « On t'attendait, » je confessais, incriminant le félin sans gêne. « Fais comme si c'était encore chez toi, » j'invitais en prenant son sac de manière à le poser à côté du canapé, plus loin de l'entrée. « Tu as faim ? Au menu, j'ai du donburi et possiblement le palak paneer avec des samosas de l'indien que tu aimes bien. » Je me déplaçais vers la cuisine, m'enquérant : « Alors ? Tu es contente de rentrer ? » Pour ce qui était de la confrontation que j'avais eue le jour de son départ avec son meilleur ami, j'en gardais le récit pour plus tard.

Toute trace d'ennui et de morosité s'était instantanément évaporée de mon organisme à l'entrée de Noor dans mon appartement. M'évertuant à la nonchalance, j'accueillais d'abord la jeune femme sans quitter le canapé où je m'étais installé plus tôt, accordant l'exclusivité des premiers contacts à Patronus. Puis, je rejoignais le duo, non sans flirter et user de taquinerie avec ma voisine.

Un sourire satisfait apparut sur mes lippes lorsque la jeune femme approuva le menu que je lui proposais. « Toi, tu sais parler à mon ventre. Je suis ravie de t'avoir converti à ce restau indien ! » « Et moi je suis ravi d'avoir une bonne connexion avec au moins une partie de toi, » je faisais avec malice. Tout en préparant les différents mets dans l'objectif d'offrir un repas d'accueil digne à Noor, je l'interrogeais sur ses sentiments quant à son retour en Australie. « J'ai beaucoup aimé les photos que tu m'as envoyées, » je formulais. Clichés de l'Italie comme d'elle, d'ailleurs, avec une préférence pour la deuxième catégorie. « Tu irais dans quels pays ? » Je questionnais, ma curiosité aguichée à son souhait de repartir pour l'Europe du Sud. Je hochais ensuite la tête en signe de dénégation lorsqu'elle me demandait si je m'étais déjà rendu sur ce continent. « Je n'ai jamais quitté l'Australie, » je lui avouais, neutre. Si beaucoup s'embarrassaient de l'idée de ne pas avoir quitté leur terre natale, pour ma part, je l'assumais entièrement, n'ayant pas spécialement ressenti le besoin d'aller voir ailleurs. J'appréciais maîtriser l'environnement où je me trouvais. « Je te fais quoi à boire ? » Je proposais. Je dressais la table basse du salon avec les plats et rafraîchissements, reproduisant dans les grandes lignes notre premier repas. « Je suis flatté que tu sois venue ici avant même d'être passée chez toi, » j'annonçais, désignant le sac de la Guerrero qui me conduisait à cette déduction. « Est-ce que tu sais comment tu vas amener ton séjour en Italie à ton travail ici ? » Je questionnais sur l'apport de ce voyage dans la carrière professionnelle de la jeune femme, dont le parcours me laissait admiratif.

Je m'appliquais à adopter une attitude nonchalante quand bien même j'exultais intérieurement que Noor se retrouve au sein de mon appartement si peu de temps après son retour en Australie. Curieux, je m'enquérais sur son expérience italienne alors que Patronus ronronnait à ses côtés, non sans au préalable vanter les photos que j'avais très fortement apprécié recevoir de sa part. Mes sourcils se froncèrent légèrement lorsqu'elle m'avouait peiner à comprendre les espagnols, conjecturant : « Ils ont un accent si différent du mexicain ? » Puis je remarquais, armé d'un sourire en coin complice : « Tu as l'air de beaucoup aimer la zone Europe, je me trompe ? »

Le séjour de Noor semblait la réjouir, ce qui laissait dessiner sur mon portrait en écho un sourire heureux. « Je suis content d'entendre ça ! C'est génial que tu aies pu assister à ce congrès international. » Et fortement impressionnant, j'en convenais. « J'en doutais pas mais en fait, tu es méga talentueuse, créative et influente pour que ton cabinet t'envoie là-bas, » je déduisais. « Surtout que tu leur as forcément fait bonne impression. » J'ajoutais, en clin d'œil aux quelques anecdotes italiennes que Noor m'avait révélées par écrans interposés. Aussi, si j'avais bien compris, la jeune femme évoluait dans cette boîte depuis peu et pourtant, c'était elle qu'ils avaient envoyée à des heures de route pour les représenter et leur apporter des outils judicieux pour développer leur cabinet. « C'est très canon, tout ce pouvoir. A quand l'essor des constructions Guerrero ? » Je complimentais, trahissant par la même occasion que j'avais appris et retenu son nom de famille. C'est qu'il se trouvait juste à côté de Hugo Blanchard - son meilleur ami qui me donnait à chaque échange indésirable une raison supplémentaire pour ne pas l'apprécier. Heureusement, fréquenter Noor valait ces quelques morsures de langue pour ne pas dépasser les bornes avec le barman, même si je me félicitais de voir son sac dans mon logement plutôt que dans le leur.

C'était aussi ma margarita que la trentenaire sollicitait et c'est avec une entière satisfaction que je reproduisais les mêmes cocktails que ceux que je nous avais servis, lors de notre première rencontre inopinée. « Oui. C'est une affaire d'envergure, elle passera au tribunal début juillet et les audiences se tiendront toute la semaine. Ca fait depuis 2020 qu'on bosse dessus. J'ai confiance. » Et je refusais catégoriquement que ce dossier brise mon record de réussites. J'invitais Noor à s'asseoir en déposant la margarita à la place qu'elle avait occupée la première fois. « Il a l'air de t'avoir fait du bien, ce voyage. Tu m'as l'air plus sereine et pétillante, je me trompe ? » J'aurais pu accuser la fatigue du voyage, mais même par FaceTime, Noor paraissait comme soulagée d'un poids. Certes, la communication était parfois pixelisée, mais j'avais observé plusieurs attitudes tendant vers ce constat. « A ton retour à Brissie ? » Je proposais de trinquer. « Je t'avoue que j'avais quand même peur que tu décides de rester en Italie, vu comment tu avais l'air de t'y plaire ! J'aimais nos communications à distance, mais t'avoir juste à côté est quand même plus agréable. »

« Mh, je vois, » je fais, songeur, lorsque Noor me présente la différence d'accent et de vocabulaire rendant plus hasardeux à comprendre les propos d'une personne quand bien même la même langue soit parlée. « T'aimerais bien apprendre d'autres langues ? » Je questionne ensuite curieusement, déterminé à creuser sur l'intérêt de Noor vers l'étranger (et appréciant le sous-entendu de mon interrogation par la même occasion. Les fantasmes sont assumés).

Si je peux produire quelques parallélismes entre l'expérience de Noor en Europe et ma vie à Brisbane, je présume qu'un sentiment particulier doit être en addition attaché à un territoire où l'on a gagné son indépendance en entrant dans l'âge adulte. Pour ma part, ma vie a suivi son cours à Brisbane, sans jamais qu'il n'ait été question d'en déménager. Même si la moitié de mon patrimoine génétique est japonais, je n'ai jamais ressenti le besoin de mettre les pieds dans un tel pays, tout comme je n'avais jamais souhaité quitter le milieu que je connaissais. A mes yeux, cela rimait à me mettre en danger, à perdre une maîtrise que j'avais façonnée et consolidée à mesure des années. Je créais mon identité par mes connaissances et moins par ma nature initiale. Pour Noor, j'imaginais que les leçons de vie qu'elle provoquait par ses voyages l'enrichissait.  

Je plissais légèrement les yeux lorsque Noor m'avouait qu'être son propre patron n'était pas dans ses ambitions, favorisant la liberté que suscite le fait d'être simple employée. « Je n'aime pas avoir de supérieur, » je répondais. J'étais possessif et orgueilleux, je désirais n'obéir qu'à mes aspirations, être totalement responsable de mon avenir professionnel, ne dépendre de personne. Certes, il m'avait fallu m'associer pour se faire et encore aujourd'hui, les partenariats étaient judicieux. Néanmoins, j'étais fier que le nom Max Novak ait toute une réputation dans le monde du droit des mineurs et qu'il ne soit pas jumelé à un cabinet, souvent transmis de génération en génération et au sein desquels les vrais talents sont étouffés car ils ne portent pas le patronyme vanté. « Qu'est-ce qui se passe si tu veux bosser sur un projet et que ton boss le confie à ton collègue ? » Je présentais le scénario, curieux de découvrir les nuances de l'ambition de Noor. Quittait-elle facilement ses employeurs ? Etait-elle conciliante sur les missions qui lui étaient dédiées ? Faisait-elle partie de ces optimistes qui considéraient que toute expérience était bonne à prendre ou se rangeait-elle parmi les individus investis qui tenaient d'arrache-pied à leur vision du travail à accomplir ?

« Malheureusement, il s'agit de la deuxième option, » je lui répondais lorsqu'elle me questionnait sur l'affaire d'envergure qui occupait une bonne partie de mon temps de travail. Si je pouvais glisser néanmoins quelques éléments à Noor et ne pas la laisser dans l'ignorance totale, je préférais exploiter le secret professionnel jusqu'au bout : il était toujours utile de disposer de cette excuse de silence, surtout maintenant que mon quotidien était tributaire des missions du PSI que je venais récemment d'intégrer.

« Tu as bien fait. Et tu repars sur de bonnes bases, alors. » Je résumais, en potentielle question volontairement ouverte, quand Noor annonçait avoir réglé ses problèmes avant son départ et d'avoir pu ainsi profiter de Venise pour se ressourcer. Si je me satisfaisais de la constater plus sereine et heureuse, mon naturel méfiant soupçonnait que la proximité de ses problèmes puisse les réanimer. J'évitais que le silence s'installe trop longtemps en trinquant à son retour à domicile - en particulier au mien -. Si j'aimais voir Noor épanouie, je préférais célébrer avec elle aujourd'hui qu'entrer dans quelconque psychologie. « Je suis contente d'être rentrée. » Un rictus fier apparut sur mon portrait. « Et puis, fallait bien que je revienne vers toi pour te convaincre de partir avec moi si je fais un prochain voyage ! » Un rire fila entre mes lèvres. « Tu es assez déterminée, non ? » Je taquinais. « Je dois faire quoi pour te convaincre de partir en vacances avec moi ? » Je mordillais avec envie ma lèvre inférieure, soutenant quelques instants le regard de Noor avec éloquence. « J'ai bien quelques idées mais c'est mieux si ça vient de toi, » je faisais, énigmatique et joueur. « Tu sais que j'ai même pas de passeport, » j'indiquais, bien que cela ne soit qu'une formalité administrative. Un fait assez ironique, qui plus est, lorsque je produisais en quantité pharamineuse des faux documents d'identité depuis mes quinze ans. D'une certaine manière, je m'étais toujours dit que le fait de ne pas posséder de passeport ajoutait une petite sécurité sur mes activités illicites. Comment un homme pourrait-il tant fausser sur des pièces desquelles il se désintéressait assez pour ne pas s'en procurer une, ni même jouir d'un authentique en exemple ? « Tu pourrais commencer par me montrer la plus-value d'un voyage avec toi, » je suggérais néanmoins. Qu'y aurait-il à gagner, quand je pouvais aussi avoir Noor dans mon confort à Brisbane ?

Un sourire satisfait apparaît sur mes lippes tandis que Noor me relate la praticité qu'elle attribue à savoir communiquer dans plusieurs langues. « Une vrai globe-trotteuse qui peut se faire comprendre partout, » je complimente avant d'ajouter, charmeur : « Je ne parle que l'anglais mais je connais aussi une autre langue universelle avec laquelle je compte bien ne pas te décevoir. » Les sous-entendus sont nombreux tandis que mon regard dévie sensuellement vers ses lèvres avant de se plonger de nouveau dans ses prunelles noisettes.

« Ca fait combien de temps que tu travailles pour ce cabinet ? » Je ne peux m'empêcher de questionner, méfiant, Noor sur son employeur. Le tableau solidaire qu'elle me décrit me paraît bien trop beau pour être vrai et échaudé, je redoute davantage que la jeune femme soit encore en phase d'accueil chaleureux parmi ses pairs avant que ces derniers ne puissent éventuellement révéler leur véritable visage. Période primaire qui aurait pu intégrer ce séjour professionnel en Italie qui, je devais l'avouer, m'avait fait rêver. Non pas pour le voyage, mais pour l'idée d'être en tête-à-tête avec la Guerrero sur plusieurs journées. En attendant, je me retiens durement de ne pas l'interroger sur les clauses de son contrat, ambitionnant de la protéger de magouilles.

Je ne peux m'empêcher de rire face à la surprise de Noor lorsque je lui révèle ne pas posséder de passeport, puis à l'écoute de son ambition à me faire découvrir le monde qu'elle apprécie. J'endosse sans difficulté le rôle de celui qui a besoin d'être convaincu pour sortir de sa routine et si je n'ai jamais été attiré par l'extérieur, mon interlocutrice me débite une quantité d'arguments à une vitesse impressionnante reflétant toute sa passion pour la découverte de l'autre et m'attendrissant au passage. « T'arrêtes pas en si bon chemin, je suis toute ouïe, » je l'encourage avec un sourire tendre après qu'elle s'eût arrêté net dans son énumération et que ses joues eurent prit une couleur rosée. Je baisse les yeux, songeur, lorsqu'elle m'invite à rechercher un endroit que j'aimerais voir de mes yeux plutôt qu'en photographie ou sur un écran. Je soupire ensuite, un rictus habite la commissure de mes lippes. « Je ne sais pas trop. Les illusions c'est pas mal non plus. » Il y a bien ces merveilles du monde, ces monuments historiques, ces parcs naturels, mais si j'essuyais une déception en les découvrant en réalité et que finalement, je regrettais d'avoir fait tout ce trajet pour quelque chose que j'imaginais bien plus beau par les vecteurs d'information ?  « Ce qui m'intéresse vraiment de ta liste, c'est le temps de qualité avec toi. » J'avoue en réduisant suavement la distance entre nous. Mes doigts vinrent caresser doucement le dos de sa main. « Les voisins relous, je peux m'en occuper. Pour ce qui est des nouvelles choses et des langues étrangères, je peux lancer un podcast en japonais si tu veux. Puis tes soucis, je suis sûr de pouvoir te les faire oublier au moins quelques minutes... » Je souris, soupçonnant que cela ne suffirait pas à la brune. « T'es celle qui ne se fait pas berner et veut la vérité. Moi j'suis celui qui aime les illusions. » Je marque une pause puis capte son attention, sincère. « Tu m'emmènerais où ? Où est ton endroit favoris au monde ? » Je demande, intéressé et ne souhaitant pas couper l'enthousiasme de Noor ou nuire à notre relation florissante par mon sédentarisme.

Je haussais les sourcils, défiant, en annonçant à Noor : « Je me trouve juste dans mes propos et je suis prêt à te le prouver. » Un sourire malicieux apparut sur mes lippes et quand bien même le corps de la mexicaine ne me laissait assurément pas indifférent, il n'en demeurait que j'étais aussi intéressé par la femme qu'elle composait. Il y avait du piquant dans la personnalité de ma voisine, ainsi que dans son histoire, et je me délectais de chaque nuance pimentée de sa personne. Je m'éblouissais du rayonnant de son âme. Néanmoins, je reconnaissais également que Noor savait ce qu'elle voulait ; une qualité plus qu'essentielle en ma compagnie, même si je restais sur ma faim de ses ambitions que je ne partageais pas. Il me fallait comprendre que l'architecte n'était pas mon alter ego ; au mieux, elle me complétait. En réalité, à mesure de nos conversations, je déduisais davantage que nous étions deux aimants qui s'attiraient.

« T'es du genre à aller au cinéma plutôt que de regarder le film chez toi, j'me trompe ? » Je conjecturais. J'aimais le confort de mon domicile et j'avais, très tôt, très jeune, perdu toute innocence dans mon regard. Si Noor savait s'émerveiller des lieux et des expériences, je n'y percevais que ce goût amer lancinant de tout le négatif qu'il pouvait composer et haïssais son aspect éphémère. Mais la trentenaire persistait à m'évader avec ses destinations nombreuses, m'inoculant l'impression qu'un globe défilait devant mes yeux. Je taisais mes questions sur ses rêves de mariage, ne voulant pas m'enfoncer dans ce bourbier potentiellement houleux, et je finissais par caresser les cheveux foncés de la jeune femme qui venait de déposer son front sur mon épaule. « Si tu n'avais pas pu être architecte, tu aurais fait quoi ? » J'interrogeais avec intérêt, adhérant plus facilement au volet professionnel qu'aux voyages. J'étais cruellement basique, en réalité. Mon père ne m'avait jamais manqué car je ne l'avais jamais connu. Les voyages ne m'avaient jamais intéressé car je n'y avais jamais ressenti le moindre intérêt, n'ayant jamais bougé de Brisbane. Peut-être qu'une simple escapade me procurerait la bougeotte mais je demeurais méfiant, et aussi, craintif de laisser ma mère seule à Brisbane. Certes, je pouvais compter sur ma tante et Logan pour veiller sur elle, sans compter qu'elle savait très bien se défendre toute seule, mais la protéger était ancré en moi, comme un instinct de survie, tout comme l'incapacité à confier ce que j'avais de précieux à une tierce personne. Aussi, ma tournure de question n'était pas insignifiante : c'était une manière détournée de palper la détermination et la passion de Noor. Aurait-elle su viser une autre profession ? Aurait-elle persévéré jusqu'à atteindre son objectif ? Etait-il inconcevable pour elle de ne pas obtenir ce qu'elle visait ? Etait-elle de ces personnes modelables par les occasions manquées ?

Un sourire moqueur se dessina sur mes lèvres face à la grimace de Noor et son argumentation me confirmant avec satisfaction que je la cernais bien. Noor était de ceux qui cherchaient l'expérience aussi réelle que possible, un simple petit écran ou des revues publicitaires ne la rassasiaient pas. Un point sur lequel nous divergions, quand j'étais effectivement plutôt de ceux qui favorisaient le confort de leur domicile et portait peu d'espoir vers les aventures en temps réel. « Je préfère le confort de mon domicile, mater Netflix sur mon canapé ou dans mon lit sur mon petit écran. Je peux m'installer comme je veux, m'habiller comme je le souhaite, manger ce que j'ai envie, et il n'y a aucun bavardage ni grosse tête qui m'empêche de bien suivre le film. » Sonnais-je comme une personne âgée désabusée ? Ou alors, m'étais-je tant habitué au strict minimum et convaincu qu'il était le meilleur que j'étais désormais fermé aux grandes envolées audacieuses ou imaginaires ?

Je considérais quelques instants Noor qui revenait à la charge sur sa thématique des voyages. Sa détermination me charmait, assurément. « J'ai un boulot qui rend difficile le fait que je m'absente, oui, mais c'est surtout que je suis peu convaincu d'être aussi attiré que toi par ces idées de voyages. » A mes yeux, ils rimaient plutôt en une perte de temps, d'énergie et d'argent. Je n'étais pas capable de valoriser les potentiels bons souvenirs que j'en tirerais. Encore une fois, probablement parce que j'en manquais déjà de base et ne connaissais pas réellement leur goût ni leur pouvoir sur l'esprit.

Le récit relevant la passion naturelle pour l'architecture de Noor me touchait. Ce domaine coulait de source pour elle et elle représentait assurément une princesse hors normes. « Je trouve ça tout de même épatant que tu aimes tant tracer des maisons mais il n'y en a aucune pour toi. » En avait-elle dessiné également pour sa famille ? Peut-être que Noor n'avait simplement pas les moyens de construire sa propre maison, ou n'avait-elle pas trouvé la ville où elle désirerait se sédentariser un minimum. « Ce serait un sacrilège que tu reconsidères ta carrière, » j'annonçais sur un ton qui se voulait intransigeant. « Une telle passion, il faut l'alimenter. » J'ajoutais avec un sourire complice. « Mais je connais un prince mignon et célibataire qui admire ta détermination et ton ambition, » je déclarais, entendu, avant d'attirer légèrement Noor vers moi pour déposer un baiser sur ses lèvres. « Et il a un chat qui se demande si tu ne peux pas lui construire un domaine ? » Je soumettais, malicieux.