@Joaquin Bates

Aujourd’hui était une journée presque ordinaire pour Russell mise à part qu’il avait passé la matinée chez le vétérinaire pour Tony. Le félin lui avait fait une belle frayeur pendant la nuit, se comportant de manière extrêmement étrange, avait l’air de souffrir et avait gardé le quadragénaire éveillé jusque tard dans la nuit. Il avait donc amené son chat chez le vétérinaire à la première heure tout ça pour apprendre que son chat était simplement ballonné. Une fausse alerte donc qui avait rassuré Russell sur l’état de santé de Tony. Une fois rentré à l’appartement et après avoir fait quelques caresses, il avait pris le chemin de la caserne plus tard qu’il n’aurait dû le faire. Il avait bien évidemment prévenu Quino de son retard mais il tenait à passer le voir dans son bureau pour voir ce qu’il avait raté. Alors qu’il traversait le couloir qui menait vers le bureau de son ami et capitaine, son regard fut attiré par le planning de la semaine suivante affiché au mur. Russell prit quelques instants pour le contempler. Au début rien de spécial ne le surprit, jusqu’à ce qu’il arrive à la ligne de Quino qui annonçait qu’il était absent pendant presque toute la semaine. Une nouvelle qui aurait pu paraître banale pour n’importe quelle recrue à la caserne, ça l’était beaucoup moins. Le capitaine avait toujours été du genre workaholic. Russell le chambrait souvent sur le fait qu'il n'avait pas besoin de prendre un appartement tant il passait toute sa vie à la caserne. Et c'était un point sur lesquels les deux amis se ressemblaient beaucoup. Russell et Quino étaient dans le passé bien plus souvent à la caserne que chez eux. Le pompier ne comptait plus le nombre de Noëls ou de fêtes qu'il avait passés ici avec ses collègues plutôt qu'avec ses enfants. Une situation qui avait détérioré sa relation avec Beth à l'époque qui désespérant des absences de son mari. Une situation conflictuelle qui avait eu l'effet d'un cercle vicieux : plus Beth lui reprochait son absence et plus il avait tendance à se réfugier au travail. En effet, la caserne était une véritable maison, ses collègues une deuxième famille. Russell considérait d'ailleurs Quino comme le frère qu'il n'avait jamais eu et pour Angus il avait été comme un oncle. Russell ne se souvenait même pas de la dernière fois où le capitaine avait pu prendre des vacances, ce qui rendait son absence prochaine inhabituelle. Il s'était enfin décidé à prendre des vacances et à se reposer, c'était une bonne chose du point de vue de Russell. Il poussa la porte du bureau de Quino après avoir toqué furtivement. Souriant il lança à son ami. “Salut ! Bon j'arrive à peine, Tony m'a encore fait une frayeur. J'ai cru qu'il était malade, qu'il y avait un problème et tu veux le verdict ? Il a juste trop mangé. Il me fatigue” Il secoua la tête dans un mélange de lassitude et d'amusement. Ce chat qu'il aimait tant lui causait parfois beaucoup de soucis, l'issue était très souvent heureuse et c'était le principal. “Enfin bref, c'est pas grave tout va bien, c'est le principal” Ajouta-t-il pour clore la parenthèse. "J'ai vu que tu prenais des vacances donc je crois qu'on peut annoncer une tempête de neige sur Brisbane demain.” Il aimait le taquiner, il n'y avait donc rien de surprenant. Enfin ce qui restait surprenant c'était la réaction de son ami qui était loin d'être enthousiaste à l'idée de prendre quelques jours off. "Mais t'as bien raison d'en profiter, de ralentir un peu, ça te fera du bien.”

“ Oui, certainement… » Les tentatives d’humour et de taquineries de Russell étaient confrontées à un mur. Il y avait quelque chose d’anormal à tout ça, il en était certain. Il connaissait Quino depuis toujours ou presque et il savait bien que quand il faisait cette tête c’était signe que quelque chose le travaillait. Il est bien trop crispé et nerveux. Oui bien sûr que le capitaine de la caserne par ses responsabilités est toujours sous pression mais là il y a quelque chose de différent. Parce que Quino a toujours été très résistant au stress, l’angoisse à la caserne pour lui ça n’existe pas, au contraire il la transforme en adrénaline et sait garder la tête froide. Russell sent donc que son ami ne lui dit pas tout. Il est si froid que Russell se demande s’il a fait quelque chose de mal et s’il l’a blessé sans le faire exprès. Alors que Russell s’apprête à le questionner, ce dernier brise le silence pour lui donner davantage d’explications. Quino se lève et vérifie si le couloir est vide, une action plus qu’étrange qui crispe les traits de Russell qui fronce les sourcils, un peu perdu par le comportement du capitaine. « Je vais aider ma mère, y a des travaux à faire chez elle et ce serait trop coûteux de faire appel à des professionnels. » Il ment, Russell en est certain. Tout dans son discours sonnait faux, entre le contenu qui avait l’air bidon et le ton qu’il avait pris ou encore son attitude précédente. Bien décidé à tirer tout ça au clair, Russell décida de jouer une carte : celle du bon copain altruiste. “Oh mais je peux venir t’aider sans problème. Il me reste pas mal de jours de congés et ça me ferait plaisir de t’aider.” Si Quino disait vrai, alors Russell se ferait un plaisir de venir bricoler chez sa mère. Mais si c’était un mensonge il le saurait très vite. Il connaissait son ami, qui parmi ses nombreuses qualités et talents n’était pas un bon menteur. Russell se souvenait notamment de leur première année à la caserne, où après avoir fait des conneries ensemble Quino avait essayé de mentir au capitaine qui n’avait pas été dupe. Résultat ? De corvée pour nettoyer les camions. Depuis les deux hommes avaient grandi mais ils avaient aussi appris à se connaître et à savoir quand l’autre était honnête ou pas, il y avait des signes qui ne trompaient pas. “T'es sûr que ça va ? T’as pas l’air dans ton assiette.”

L’anxiété de son ami était plus que palpable. Il n’y avait qu’à regarder son regard fuyant ou encore l’état dans lequel il avait mis cette pauvre balle en mousse. Russell le connaissait par cœur et même s’il ne pouvait pas voir son comportement suspicieux, le seul contenu de ses paroles suffisait à sonner l’alarme du détecteur à mensonges. « Je veux pas t’embêter avec les travaux, tu sais comment est ma mère… » Le quadragénaire leva un sourcil interrogateur, franchement pas convaincu par ce que le capitaine était en train de lui expliquer. Qu’entendait-il par “tu connais ma mère ?” Effectivement, Russell connaissait très bien la famille de Quino, il avait passé beaucoup de temps chez eux, de nombreux repas et il savait que sa mère était une personne très accueillante. Ce qui tranchait particulièrement avec la suite des explications bancales de son ami. « Elle se sent déjà mal que ce soit moi qui vienne l’aider, alors une personne extérieure… » Il secoua la tête en signe de désapprobation, c’était un ramassis de mensonges. Sa mère l’adorait et il avait déjà fait des travaux chez elle, il n’y avait donc rien de nouveau dans cette histoire. Le silence envahit la pièce, seul un soupir de Russell se faisait entendre. Il préférait ne rien dire et croiser les bras en le fixant, le meilleur moyen selon le père de famille pour lui faire cracher le morceau. « Ça va passer Russ, c’est rien. » Il fronça les sourcils, ne comprenant pas le lien avec les travaux chez sa mère. « J’vais à un rendez-vous médical dans les premiers jours. » L’anxiété envahit progressivement Russell qui fut pris d’un très mauvais pressentiment. Si son ami prenait des vacances et décidait de lui mentir pour couvrir son état de santé alors c’était très grave. “C’est grave ?” Il commença à demander avant de rapidement se raviser en secouant la tête. C’était une question stupide, son ami allait lui mentir c’était sûr et certain. “Bien sûr que c’est grave hein ?” Le regard du capitaine valait mille explications et au moins ce dernier ne mentait pas. “Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Et sans mentir cette fois, on se ment pas entre frères.” Russell était inquiet, très inquiet face à cette incertitude et à l’idée qu’il pouvait arriver quelque chose de grave à Quino qui était un des piliers de sa vie. Il n’était pas prêt à encaisser une mauvaise nouvelle mais il préférait une vérité douloureuse plutôt qu’un mensonge réconfortant, surtout quand il s’agissait d’un état de santé.

Russell attendait les aveux de son ami avec la plus grande impatience. Il avait la solide intuition que quelque chose clochait, pire que son ami cherchait volontairement à lui dissimuler la vérité et ce genre de comportement était très inquiétant. Le quadragénaire avait toujours considéré le capitaine comme un membre de sa famille, le frère qu’il n’avait jamais eu et il connaissait son frère par cœur. Russell l’avait décidé, il ne quitterait pas son bureau tant qu’il n’aurait pas eu ses réponses et par-dessus tout la vérité plutôt que des mensonges rassurants.  “Pendant la tempête je suis allé chez Autumn pour voir si tout allait bien et la suite tu la connais. » Le pompier hocha légèrement la tête, ne sachant pas vraiment où il veut en venir. « Mais je t’ai pas tout dit… » Russell secoua légèrement la tête en signe de désapprobation avant de marmonner un : “J’en étais sûr.” Suspendu aux lèvres de Quino, Russell s’attendait au pire. Son ami lui avait fait de nombreuses confidences dans le passé et il n’y avait jamais eu de tabous entre eux, ce qui rendait Russell très inquiet. « J’ai cru que j’allais mourir tant j’ai manqué d’air ce jour-là. » Russell fronce les sourcils, comment ça manquer d’air ? Quino avait toujours été en parfaite santé, il n’avait jamais été asthmatique dans le passé. Un millier de questions traverse l’esprit de Russell qui doit se retenir pour ne pas assaillir le capitaine de questions afin de le laisser dérouler son récit jusqu’au bout. « Autumn m’a forcé à voir un médecin, ce que j’ai fait. On a fait des analyses, ils m’ont fait passer un scanner et ont découverts des tâches dans mon poumon droit... » Et d’un coup tout s’écroulait. « J’ai repoussé le rendez-vous, mais je peux pas le repousser indéfiniment. Mon médecin me harcèle pour que je fasse la biopsie. » Russell ne pouvait pas en croire ses oreilles. Il venait de prendre une énorme claque et même en répétant cette information dans sa tête, il n’y avait pas moyen : il n’arrivait pas à y croire. “Quoi ?” Sa voix se brisa alors qu’il posait sa question. « T’es le seul au courant Russ, personne ne doit savoir... » L’anxiété avait immédiatement pris possession de l’esprit du pompier, au point où la seule solution que son esprit avait trouvé pour se protéger de cette souffrance c’était le déni. “Mais pourquoi tu me l’as pas dit avant ?” Ce n’était pas un reproche mais plutôt une véritable question. Ils avaient tous les deux étaient proches, dans les bons comme dans les mauvais moments alors Russell ne comprenait pas pourquoi son ami ne lui avait pas tout avoué plus tôt. “T’aurais dû me le dire plus tôt, j’aurais pu être là pour toi.” L’idée de perdre son ami était inenvisageable. Le pompier avait déjà perdu son ex-femme, son fils, il ne pouvait pas perdre l’un des derniers piliers de sa vie. Il aimait trop son frère pour s’imaginer vivre sans lui après 33 ans d’une amitié fusionnelle. “Il faut vraiment que t’ailles faire la biopsie, mais c’est peut-être rien hein ?” Russell essayait de se convaincre qu’il était envisageable d’envisager un scénario optimiste, alors qu’il savait très bien que le pessimisme était de rigueur dans des cas comme ça. “Je suis sûr que c’est rien… que…” Sa voix tremble et son débit de parole s’accélère. “qu’ils se sont trompés et …et que t’as juste eu un coup de mou… ou t’es peut-être devenu asthmatique.” Des explications parfaitement irrationnelles, d’autant plus que Russell avait toujours vu son ami fumer sans vraiment se préoccuper des conséquences. Décidément, la vie avait par le passé été cruelle avec Russell et elle s’en prenait désormais aux personnes qu’il aimait, le destin était définitivement injuste et persécuteur.

- J’aimerais tellement te dire que c’est pas ça Russ… » Russell essayait de retenir ses larmes du mieux qu’il pouvait mais la situation était émotionnellement très difficile à supporter. Son meilleur ami, son frère venait de lui faire une révélation fracassante à laquelle il n’était absolument pas préparé. Mis devant le fait accompli le quadragénaire essayait de digérer la nouvelle mais il n’y parvenait pas, préférant se murer dans le déni pour rendre la nouvelle supportable. « …Mais j’ai passé des semaines à me tourner la chose en boucle, à me trouver des excuses pour repousser l’inévitable. » Russell pris son visage entre ses mains tout en secouant la tête toujours sous le choc.  « Si je t’ai rien dit avant, c’est seulement parce que j’étais dans le déni le plus total. » Russell se doutait que son ami ne lui avait pas caché la vérité délibérément sans raison. « J’ai toujours fait le con Russ. » Et c’était vrai. Ils en avaient fait des conneries ensemble et tous les deux avaient longtemps fait passer leur santé au second plan, se disant qu’il n’y avait rien de grave à avoir de mauvaises habitudes. Du côté de Russell le fait qu’il devienne père l’avait remis un peu dans le droit chemin et l’avait rendu plus sérieux. Son fils c’était la raison qui l’avait poussé à arrêter la cigarette à l’époque. « Mon père est mort d’un cancer, je suis pompier et j’ai fumé pendant des années, c’était obligé que j’y passe… » Après de tels constants c’était difficile de nier l’existence de ces très sérieux facteurs de risques. Il ne trouva rien de mieux à dire à ce moment-là que des : “Fait chier putain” répétés plusieurs fois les mains sur son visage. « J’ai pas envie de crever Russ. » Russell le regardait droit dans les yeux, les larmes aux yeux et le coeur en miettes. « J’suis terrifié. » Quino s’écroula contre le mur et Russell se précipita vers lui avant de le prendre dans ses bras. Il le serrait fort, très fort, cette fois il ne pouvait pas s’empêcher de pleurer à son tour. Il n’avait jamais vu son ami dans un tel état. Russell culpabiliser : comment n’avait-il pas remarqué tout ça ? Comment est-ce qu’il avait pu ne pas être alerté par les comportements inhabituels de Quino. Il était persuadé qu’il aurait pu et surtout qu’il aurait dû le savoir. En tout cas, maintenant il était au courant et il était déterminé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour l’aider à s’en sortir. Il ne pouvait pas perdre son frère, c’était inenvisageable. “Ça va aller ok ? Je suis là, ça va aller.” Russell essayait de calmer sa respiration qui était saccadée sans trop de succès. “On va trouver une solution, y a toujours des traitements, on va se battre ok?” Il passa vivement sa main sur le bras de son ami pour essayer de lui donner du courage avant d’ajouter. “Je suis là maintenant, t’es plus seul, t’as pas à gérer ça tout seul.”

Russell aurait juré entendre son cœur se briser à l’annonce de la maladie de son ami. C’était un véritable coup de massue, un choc inouï et une révélation à laquelle le pompier ne s’attendait absolument pas. Il essayait d’intégrer cette information, de la comprendre pour en comprendre la gravité et s’il avait été spontanément dans le déni, il prenait conscience que la situation était grave, très grave. Russell s’était donc précipité vers son ami en le voyant s’écrouler au sol, en larmes et complètement paniqué pour essayer de le réconforter. Les mots qu’il avait eu pour son ami lui étaient aussi destinés : il avait besoin de se rassurer, de se dire qu’en dépit de tout ça ils allaient trouver une solution et que tout irait, que Quino irait bien. Après quelques instants la crise semblait prendre fin. Le capitaine reprenait peu à peu le contrôle, sa respiration se faisait moins saccadée et il reprit la parole. “Si c’est vraiment un cancer Russ, je sais pas comment le dire à ma famille… » Une question totalement légitime et à laquelle Quino devait réfléchir. S’il cachait cette nouvelle à sa famille encore longtemps alors le choc serait trop grand, trop terrible à accrocher. Ils avaient le droit de savoir, se s’y préparer et surtout d’être là pour le soutenir dans les moments difficiles. Quino devait donc le dire et vite. “Je sais que ça va être affreux et difficile à faire mais c’est comme un pansement que tu dois arracher. Il faut que tu le fasses rapidement.” Il fit une pause avant d’ajouter. “Je sais que tu crois les protéger en leur cachant la situation mais tu ne leur rends pas service et surtout tu ne rends pas service non plus. Ils ont le droit de savoir aussi.” Il faudrait donc qu’il trouve les bons mots et le bon moment pour annoncer cette terrible nouvelle. “Si tu veux je peux être là quand tu le diras à ta mère, c’est comme tu le sens.” Etre présent auprès de son ami était un moyen de lui donner du courage et aussi de s’assurer qu’il ne se dégonflerait pas : il était inenvisageable que sa famille découvre un potentiel cancer au moment où le capitaine perdrait ses cheveux à cause des traitements par exemple. « La dernière fois que j’ai ressenti ça c’était à la mort de mon père. » Il hoche la tête, Russell et Quino ne se connaissaient pas au décès de son père mais il a entendu suffisamment d’histoires pour comprendre à quel point cela avait pu l’affecter. “Je comprends, c’est lourd à gérer tout ça. En tout cas t’as bien fait de m’en parler et de pas rester seul avec cette angoisse.” Russell essayait de rester fort pour Joaquin mais à la minute où il quitterait son bureau il chercherait un endroit isolé pour craquer et maudire l’univers pour ce drame. Il ne savait pas comment il allait pouvoir gérer une crise comme ça : pour encaisser la nouvelle mais aussi pour être un véritable soutien pour lui.  « J’ai besoin de toi Russell, j’ai besoin que tu sois là, sinon je vais vriller... » Pendant longtemps Quino avait été un pilier pour Russell, c’était désormais à son tour de lui rendre la pareille. Même s’il se sentait complètement démuni face à cette potentielle maladie, une chose était sûre : il ne le quitterait plus, plus jamais. “Je te lâcherai pas, c’est promis.” Il essaya de cacher son émotion avant de conclure par les mots suivants : “Entre frères on se soutient et on se laisse pas tomber, alors je ferai de mon mieux pour être le pilier dont t’as besoin.”

(fin)