L’anniversaire d’une de mes tantes, et pas n’importe quel anniversaire. Un tout pile. Elle a 50 ans, ça se fête. La famille a bien organisé ça, dans une petite salle spécialement pour l’occasion. Y’a du monde et il fallait bien ça. Moi j’ai posé ma journée pour l’occasion. Enfin j’ai demandé à avoir mon jour off ce jour précisément. C’était prévu depuis longtemps alors j’ai eu droit à cette faveur. Le chef est assez cool avec nous, il ne nous met pas des batons dans les roues. Il sait ce que c’est que d’avoir une vie en dehors du boulot, même si c’est pas vraiment le plus simple avec un travail pareil. On fait comme on peut avec les horaires qu’on a. Moi je suis encore célibataire et sans enfants, donc je le vis plutôt très bien. Ca ne me dérange pas.

Je passe pas mal de temps avec ma grand mère. Je l’adore. Je ne la vois pas assez à mon goût. Je devrais prendre plus de temps, c’est vrai, mais la vie fait qu’on voit pas toujours le temps passer. On s’en rend compte trop tard. Avec les fêtes qui arrivent j’ai envie de passer du temps avec ma famille et donc cet anniversaire était vraiment à ne pas rater. Le repas est terminé depuis un moment et je vais passer un peu de temps avec les autres membres de ma famille. Surtout ceux que je vois pas souvent. C’est à dire que je laisse de côté mes parents et mon frère qui sont aussi là. On se voit assez souvent. On essaie de se faire un repas ou un resto par semaine. C’est toujours en fonction de mes horaires et je les en remercie pour ça. Sinon je pourrais pas et ils en sont bien conscient.

Je vois Ambroise et je remarque après un coup d’oeil au monde que Sybille n’est pas là. Dommage. Je vais m’installer à côté de mon cousin. Ca fait un moment qu’on s’est pas vu. Je souris quand il me fait sa remarque sur « ma tournée ». C’est vrai que ça fait un peu ça.

« Presque. J’ai vu presque tout le monde. »

Il me parle de Lizzie et Frank et c’est vrai qu’étant près d’eux au repas on a beaucoup discuté. Mais ma grand père a réussi à m’accaparer pas mal au milieu, vu qu’elle était de l’autre côté de la table. Pas de jaloux comme ça.

« Haha t’as vu ça ? Mais ça va, c’est eux qui ont fait la plupart de la conversation. »

Du coup j’ai pu manger tranquillement. Je ris de nouveau quand il me parle de chanson.

« Non pas encore ! Et j’ai pas pris ma guitare donc vaut mieux pas que quelqu’un lance l’idée ou je vais être dans la merde. »

Chanter a capella c’est pas trop mon truc.

« Tout le monde sait qu’ils peuvent venir à une de mes soirées open mic pour me voir chanter. »

Ils viennent parfois. De moins en moins parce que j’en fais vraiment souvent, mais ma famille m’a encouragé énormément quand je me suis lancé.

« Sybille n’est pas venue ? C’est dommage ça fait un baille que je l’ai pas vu elle aussi. »

Parce que c’est pareil pour lui. Je me lève pour aller récupérer mon verre à la table et je reviens m’installer à côté d’Ambroise.

« Quoi de neuf depuis le temps ? C’était quoi la dernière fois qu’on s’est vu ? Ca remonte bien à Juillet. »

Je me souviens parce qu’on était plutôt couvert.

« Comment elle s’appelle déjà ta petite chérie ? »

Ca c’est ma grand mère qui passait dans le coin. Elle s’est penché vers moi, dans mon dos, posant une main sur mon épaule.

« Nina. »

« Ah oui Nina. »

Et elle repart comme si de rien n’était. Je souris à Ambroise.

« J’ai une copine. Mais ça n’a pas l’air très sérieux entre nous. C’est… Spécial. »

Je sors pas les détails parce que je vais pas dire alors que y’a du monde qu’on n’a toujours pas couché ensemble. Ca se fait pas. Je ne sais pas si « spécial » était le bon mot, mais c’est tout ce qui m’est venu à l’esprit.

Je plisse les yeux quand il menace de lancer l’idée de me faire chanter. J’ai pas trop envie.

« Je chanterai joyeux anniversaire et ce sera tout. »

Ou comment me défiler en beauté. Je demande à propos de Sybille et j’apprends qu’elle n’est pas en ville. Elle est allée voir son père. J’hoche la tête, c’est une excuse assez valable, même si on a pas tous les jours 50 ans. Je ne suis pas là pour juger. Elle fait ce qu’elle veut. Je ne fais cependant pas de commentaires, parce que ça a toujours été compliqué avec son père. On est pas là pour parler de choses qui fâchent. Et quelque chose me dit que Ambroise n’est quand même pas très ravi que sa soeur l’ait laissé « tout seul » pour leur père.

« Ouais c’était pour votre anniv ! »

Maintenant qu’il le dit ça me revient. Ca fait un bon moment quoi. On a des vies bien remplies, on ne prend pas le temps de se voir en dehors des célébrations familiales. Après y’a les réseaux sociaux où une grande partie de la famille se trouve et où on discute assez fréquemment. On ne se perd jamais réellement de vue pendant plusieurs mois. Je souris quand Ambroise me dit qu’il a sûrement son année. Bien sûr qu’il va l’avoir. C’est une tête ce mec. Je suis vraiment impressionné à vrai dire. Il me parle de Clément, son meilleur ami. Ce n’est pas la première fois qu’il me parle de lui mais je ne l’ai jamais rencontré. Je l’ai vu sur quelques photos et commentaires sur les réseaux sociaux mais ça s’arrête là. Du coup c’est vrai que j’ai un peu l’impression de le connaître alors que pas du tout. La magie des réseaux sociaux. J’hoche donc la tête quand il me parle de lui, je vois tout à fait de qui il parle.

« Plutôt cool de vivre avec son meilleur ami. Juste j’espère que vous allez pas finir par vous entretuer. Ca peut être pas évident de se supporter 24 sur 24. Mais bon ne parlons pas de malheur. J’espère que ça va être cool pour vous deux. »

Je suppose qu’en plus Sybille le connait bien. Ca a l’air d’être une bonne coloc comme ça. Ma grand mère nous interrompt et je lui parle de Nina. Je précise que c’est spécial comme relation. Je ris un petit peu quand Ambroise dit que le spécial ça le connait.

« Ouais Nina. Spécial parce que ça fait bientôt deux mois qu’on se voit… Mais on est comme deux collégiens dans cette relation. »

Je me mordille la lèvre, je ne sais pas trop si j’ose donner plus d’explications. Je pense qu’avec seulement ces quelques mots ce ne sera pas assez claire pour comprendre la situation. Alors je reprends.

« On en est qu’à la première base. Depuis tout ce temps. Et bon je suis du genre patient je commence quand même à me poser des questions. Je l’ai invité chez moi plusieurs fois et elle s’esquive subtilement tout le temps. Alors je sais pas trop quoi faire. On se voit environ une fois par semaine. »

Je me sens trop con d’avouer ça mais bon, c’est la vérité et je suis bloqué dans cette situation.

« C’est super compliqué les filles. Et moi j’ose pas lancer une conversation sérieuse à ce propos. J’ai pas envie qu’elle pense que je m’impatiente, que je n’ai qu’une envie c’est de coucher avec elle… Alors que clairement c’est le cas. »

Ca me fait rire jaune cette histoire.

« Enfin voilà. C’est spécial. Je fais preuve de patience, mais je sais pas jusqu’à quand je vais tenir comme ça. Mais en même temps elle continue d’accepter qu’on se voit donc c’est qu’elle m’apprécie vraiment ? J’en sais rien… »

Visiblement j’en ai des trucs à dire sur le sujet. Je m’en étais pas rendu compte. Je soupire à la fin de ce petit monologue.

« Oh et elle a 20 ans. Donc y’a peut être de ça aussi. »

Petit détail qui est assez important à mon sens.

Clément avait des craintes sur sa colocation avec mes cousins. C’est bien, apparemment ils en ont bien parlé avant de sauter le pas. Ca promet une bonne collaboration et une bonne colocation avec un discours ouvert. En même temps ils sont BFF, obligé qu’il y a du discours entre eux. C’est une relation saine. Je ne fais pas de commentaire sur les raisons de la venue de Clément chez mon cousin. Il fait ce qu’il veut après tout, je ne connais pas sa vie de famille. J’espère juste qu’il paie sa part dans l’appart’, parce que vivre sous un toit qui n’est pas celui de ses parents, ça a forcément un coût.

« Mais t’as une chambre de plus chez toi ? Ou bien il squatte le canapé ? »

Ouais j’ai pas pu me retenir de faire cette interrogation. Je me demande, ça m’intrigue. Je veux en savoir plus du coup.

« Mais c’est cool en tout cas, ça vous fera un loyer moins cher avec une personne de plus. »

Comment dire subtilement « j’espère qu’il paye sa part » made in Kane. La conversation dérive sur Nina. Il parle de discuter et c’est vrai que c’est la meilleure chose à faire. Sauf que j’ai pas voulu passer pour le type impatient.

« Ouais… Je pense que je lui parlerai la prochaine fois que je la verrai. En étant subtile. J’essayerai. »

Je me mordille la lèvre alors que je commence déjà à réfléchir à ce que je pourrais dire pour que ça passe crème. J’écoute Ambroise et c’est vrai ce qu’il dit. Y’en a qui veulent prendre plus leur temps pour le sexe. Ca m’étonne juste que ce soit le cas de Nina. Elle a déjà essayé de me mettre le grappin dessus y’a quatre ans, elle avait l’air d’être le genre de fille entreprenante de ce côté là. Elle a peut être changer, ou alors ce n’était qu’une façade. Je ne sais pas. En tout cas elle prend le temps maintenant et elle met ma patience à rude épreuve. Il termine par dire que les meufs c’est compliqué et j’hoche la tête.

« Trop compliqué. »

On parle de la différence d’âge et j’hoche la tête.

« Ouais ça va. Je le remarque pas vraiment en fait. Je me sens toujours jeune dans ma tête. Comme si j’avais pas dépassé les 23 ans. »

Et ça me fait rire.

« Je la connais depuis plusieurs années en fait. Elle avait 16 ans la première fois qu’on est sorti tous les deux. Mais quand j’ai appris qu’elle avait 16 ans j’ai décidé d’arrêter. Et on s’est revu y’a quelques mois sur le campus de l’université, on a mangé ensemble et on a discuté. Et puis encore après elle était à la soirée des pompiers. On s’est rapproché là. »

Je parle trop. Je bois une gorgée de mon verre pour m’arrêter. Mais je reprends.

« Mais bon c’est pas très intéressant maintenant que j’en parle. »

Je veux pas le saouler avec Nina. Un peu ça va mais comme il n’y a rien de très concret à part des rendez vous, je n’ai pas envie d’en parler pendant dix ans. J’enchaîne donc en changeant de sujet de conversation.

« Et toi sinon ? Toujours célibataire ? Crois pas que je sois le genre de personne à faire chier les gens parce qu’ils sont célibataire. Tu me connais. »

Je suis célibataire depuis tellement longtemps de mon côté, je ne vais pas le juger là dessus. Je reprends la parole avant qu’il ait le temps de faire une remarque.

« Je dis juste ça pour continuer sur le même sujet. Des trucs à me raconter ? T’as rencontré des gens intéressant ? Un crush ? »

Je fais attention à utiliser des pronoms neutre parce que je sais qu’il est pas dérangé par le sexe de son partenaire.

Il avait donc une pièce supplémentaire qu’il a pu transformer en chambre. Pratique. Il a l’air d’avoir un bon appart’ le petit. Oui j’avoue je ne suis jamais allé chez lui. On se voit surtout aux réunions familiales. Je suis content d’apprendre que Clément participe aux frais, c’est bien, c’est correct. Mon petit Ambroise ne se fait pas avoir. Non pas que j’aurai cru qu’il soit une bonne poire mais c’est toujours agréable de savoir que la relation est juste pour tous le monde. Avoir quelqu’un en plus chez soit c’est pas rien. Même s’il s’agit de son BFF.

J’aime bien que Ambroise approuve le fait que je me sente jeune. Ca veut dire qu’à ses yeux je le suis aussi. Sinon je suis sûr qu’il m’aurait pas épargné d’une remarque. Après tout j’ai déjà 29 ans, la trentaine se profile, mais je ne le sens pas arriver. Ca ne me dérange pas. L’âge n’est qu’un chiffre après tout. Au fond je suis content qu’il soit de plus en plus élevé, ça prouve que je suis toujours en vie. Je pense souvent à la mort avec mon métier. Je la cotoie régulièrement, si ce n’est quotidiennement (faudrait vraiment qu’on ait pas de bol pour que ce soit le cas, y’a des jours où on fait des sauvetages réussi).

Il me charrie sur le fait d’avoir fricoter avec une fille de 16 ans.

« Drôle je sais pas si c’est le terme, mais ouais… C’était pas très correct. Ca m’a fait flipper. »

« Pas très correct » je sais pas si c’est le bon terme parce que je pense qu’en soit tant que les deux personnes sont consentante et mâture, il n’y a pas de soucis, mais aux yeux des autres, c’est une autre histoire. De la justice aussi. J’ai pas envie d’avoir ce genre de soucis. Je change de sujet parce que je trouve qu’on a un peu trop parlé de moi, alors que la vie de Ambroise est aussi très intéressante. Il est donc toujours célibataire, mais ça m’étonne pas, il est jeune encore. Il a tout le temps. Pas comme moi qui me prend des remarques régulièrement par ma famille et ma grand mère spécifiquement. Pour ça que je n’ai pas hésité à lui dire que je voyais quelqu’un. Je savais que ça allait lui faire plaisir. En tout cas Ambroise a rencontré des gens, il ne doit pas être seul tout le temps. C’est un mec bien et plutôt charmant, ça ne m’étonne pas qu’il trouve chaussure à son pied pour s’amuser. Je l’écoute avec attention quand il me parle plus particulièrement d’un mec mais qui ne le séduisait pas entièrement.

« Ah ouais c’est sûr c’est dur de tomber sur quelqu’un de parfait pour nous en tout points. Enfin… »

Je pense à Wendy qui était vraiment parfaite pour moi. Ca me fou les boules de savoir qu’on aura pas pu tenter de faire quelque chose tous les deux. Je suis profondément tombé amoureux de cette fille. Mais bon je vais pas lancer le sujet là dessus sinon je vais déprimer.

« Ouais si t’arrives à t’amuser quand même c’est cool. Et puis t’es jeune t’as le temps d’en tester plusieurs avant d’avoir le bon ou la bonne. »

Même si je sais que le sexe ne fait pas tout, ça reste important. Là encore tu espères secrètement qu’avec Wendy ça n’aurait pas marché de ce côté là, mais tu sais que tu te leurres, parce que ça aurait été parfait. Oui tu penses encore beaucoup à elle malgré Nina. Wendy était tellement parfaite.

« J’ai une collègue de travail qui m’a avoué être bisexuelle. Elle m’a emmené au strip club y’a pas longtemps. J’ai trop cru que c’était pour me faire plaisir mais elle aussi était très contente de l’escapade. »

Je ris un peu. Je sais pas pourquoi je lui dis ça. Sûrement parce que lui aussi joue sur les deux bords. C’est une petite anecdote comme une autre.

« C’est la première fois que j’allais dans un endroit comme ça. C’est franchement pas mon truc même si c’était… agréable. J’étais pas trop à l’aise quand même. »