Un repas de famille. Tout ce qu’il y a de plus normal chez les Williamson. C’est pas qu’on en fait souvent, c’est que je me ramène régulièrement. J’aime la compagnie de ma famille et je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde, alors je profite de cette bonne entente parmi nous. En plus y’a ma grand mère ce soir alors ça me fait doublement plaisir. Austin est de la partie, ce qui n’est pas toujours le cas avec son boulot et ses potes, donc c’est au top. Ma mère a préparé un très bon repas, comme d’habitude. Elle adore cuisiner. J’ai pas tiré ça d’elle. C’est vrai, c’est surtout pour avoir des repas divers et variés que j’aime venir à la maison aussi.

La télé est allumé, ça fait plus office de bruit de fond qu’autre chose parce qu’on discute beaucoup entre nous. Ma grand mère commence à raconter l’histoire d’une amie à elle qui a son petit fils qui est gay.

« Apparemment tous les homosexuels vont en enfer. »

J’aime pas trop entendre ce genre de truc, mais je sais que les personnes âgées doivent avoir du mal avec ça. Surtout que c’est une amie avec qui elle va à l’église. Je vois Austin qui se lève de table.

« Où tu vas ? »

Mon père qui demande.

« En enfer apparemment. »

OH. NON. WHAT. QU’EST-CE QUE JE. NON. OH MON DIEU. Me voilà complètement mortifié par cette vanne qui a glissé entre mes lèvres. Comment j’ai pu oser ? Les yeux grands ouverts je regarde Austin et je cherche quoi dire pour que ça passe. Je regarde mes parents qui nous interrogent du regard tour à tour mais sans avoir l’air soucieux pour autant, juste curieux. Ma grand mère n’a pas l’air d’avoir compris parce qu’elle est juste en train de manger en jettant des coups d’oeil à la télé. Peut être que ça va passer. Je suis tellement sûr qu’ils vont bien le prendre mais quand même, c’était pas à moi de mettre ça sur le tapis. Et puis surtout : il n'est pas gay !

Il y a plus trépidante comme soirée que de rester à la maison avec ses parents, son frangin et sa grand-mère mais de temps en temps, ça ne fait pas de mal de se retrouver en famille. Austin n'a pas vraiment besoin de se forcer pour être aimable et souriant. Il est tout à fait conscient que ces moments sont importants et puis il est souvent agréablement surpris par le déroulement de ces soirées... souvent, mais pas toujours. De tous les sujets de conversations qu'ils pouvaient aborder ensemble au cours du repas, il a fallu que sa grand-mère amène celui de l'homosexualité et pas pour en parler en de bons termes. Austin n'a pas d'autres choix que de rester là à l'écouter alors que son discours le met franchement mal à l'aise. Il se sent mal aussi vis-a-vis de ce garçon dont elle parle et qui ne soupçonne même pas que sa vie privée se retrouve étalée auprès d'inconnus. Ça ne se fait pas, c'est totalement irrespectueux mais tout le monde la laisse faire. Austin, lui, a une bonne raison de se taire alors que dans le fond, il aurait presque envie de balancer à sa chère grand-mère que son amie n'est pas la seule à avoir un petit-fils qui couche avec des mecs, juste pour le plaisir de voir sa tête. Il se contente seulement de l'imaginer puisqu'il ne prendra pas le risque de dévoiler cette partie de sa vie devant ses parents et leur silence le conforte dans l'idée qu'il vaut mieux qu'il continue de garder ça pour lui.
Autour de cette table, il n'y a que Kane qui connaisse la vérité pourtant Austin préfère éviter de croiser son regard, fixant toute son attention sur le contenu de son assiette. C'est assez pénible pour lui de rester passif face à un tel discours mais quand sa grand-mère en vient à faire le lien avec la religion et surtout à l'enfer, là c'en est vraiment trop pour lui. Austin préfère se lever et quitter la table, dans l'idée d'aller chercher un truc – n'importe quoi – dans la cuisine, en espérant qu'ils auraient changé de sujet à son retour. Il veut juste s'éclipser un moment mais son père le prend un peu de court par sa question. Il doit probablement se demander s'il va bien puisque Austin a perdu le sourire depuis un moment déjà mais ce n'est rien comparé à la tête qu'il fait quand il entend son frère prononcer cette phrase, qui, pour Austin, semble avoir à peu près le même effet qu'un gros coup de massue. Sur le coup, il n'arrive même pas à croire qu'il ait pu dire une chose pareille, surtout devant les autres membres de la famille. Pendant quelques secondes, qui lui semblent durer bien plus, Austin fixe son frère avec un mélange d'incompréhension et d'amertume. Il ne regarde que lui, ne voulant surtout pas croiser le regard de ses parents qui ne ferait que le déstabiliser encore plus. Il faut qu'il réfléchisse, vite, et qu'il trouve le moyen de rebondir là-dessus et de se tirer de cette situation tout seul, puisqu'il ne peut visiblement pas compter sur l'aide de son frère.

- I'm on the hiiiighway to hell !

Et tout en chantonnant – c'est tout ce qui lui est passé par la tête – il s'éloigne de la table en ayant l'air le plus détendu ou normal possible. Il n'a aucune idée de si ses parents ont compris quelque chose ou pas et il ne veut même pas le savoir. Austin veut juste se tirer d'ici au plus vite mais plutôt que de se rendre dans la cuisine, comme il l'avait prévu au départ, il poursuit sa route comme pour se rendre aux toilettes alors qu'en fait, il part plutôt se réfugier dans sa chambre. Il a besoin de se calmer et de respirer un moment parce qu'à cause des conneries de son frère, son cœur bat aussi vite que s'il venait de courir un marathon. Austin est tellement nerveux qu'il n'arrive pas à tenir en place et après une minute ou deux à tourner en rond dans sa chambre, il prend son téléphone d'une main tremblante pour envoyer un message à l'attention de son frère :

Austin
T'ES COMPLÈTEMENT CON!!!!!

Il fallait que ça sorte, d'une manière ou d'une autre.

Nos regards se croisent avec mon frère et je sais que j’ai merdé. Je sais que je vais passer le reste de ma vie à essayer de me faire pardonner de cette énorme boutade. Je suis déjà en train de m’excuser au travers de mon regard mais je ne crois pas que ça fonctionne très bien. Austin est halluciné et c’est normal. Je le suis tout autant. Je ne l’ai pas vu venir celle là. Pourquoi j’ai fait ça ? Je suis trop con. On reste à se sonder du regard pendant quelques secondes mais j’ai l’impression que ça dure une éternité. Je m’attends à ce qu’il fasse un commentaire ou quoi que ce soit, mais il se contente de chanter AC/DC ce qui me rassure un petit peu. Il n’en fait pas un plat. Il ne réfute pas non plus. Je pourrais presque dire qu’il le prend bien si je n’avais pas eu ces regards de sa part juste avant. Non. Ca ne va pas du tout parce qu’il quitte le salon et c’est tout à fait justifié. Il doit pas être bien. Je crois qu’il faut que je le rejoigne mais je vois ma mère et mon père qui, évitant de regarder ma grand mère, sont en train de se questionner. Je suis sûr que je vais avoir droit à un interrogatoire quand la sexagénaire ne sera plus là. Sujet délicat avec elle aux alentours. D’ailleurs elle reprend son histoire sans avoir réalisé que Austin était parti, car toujours partiellement absorbé par la télé. Je suis pas très à l’aise. Ca se confirme quand mon téléphone vibre et que je vois le message d’Austin. Je souris à ma famille et je me lève.

« Je reviens. »

Et je file dans le couloir à la recherche de mon frère. Je le trouve dans sa chambre et je n’en mène pas large. Je ferme la porte derrière moi parce que j'ai tout intérêt à ce que cette conversation reste privée. J'ai assez merdé comme ça. Je commence un petit monologue parce qu’il faut que je lui dise tout ce que j’ai sur le coeur sans qu’il ne m’interrompt. Avant qu'il m'en colle une en pleine gueule. Oui. Je pense que c'est un scénario possible. Et je le mériterai.

« Je suis qu’un connard. Je suis désolé. J’ai pas voulu c’est juste… Je sais pas, c’est sorti tout seul. Je suis trop trop désolé Austin. Je sais pas ce que je peux faire pour me faire pardonner. Si ça peut te rassurer mamie n’a rien remarqué et papa et maman… Ils ont pas l’air sur le point de te déshériter… Mais je sais que ça ne pardonne rien du tout. Je m’en veux trop. »

Mais en même temps peut être qu’il était temps ? Peut être que la vie d’Austin n’en sera que meilleure maintenant qu’il n’a plus besoin de se brider à propos de sa sexualité. Pas qu’il doive nous faire un rapport détaillé de ses entretiens sexuels mais y’a des sujets liés à sa communauté qui peuvent être abordé plus librement à présent.

Les minutes défilent, s'écoulent rapidement les unes après les autres, et plutôt que d'arriver à retrouver son calme, Austin semble de plus en plus céder à la panique. Il sait qu'il ne va pas pouvoir rester dans sa chambre très longtemps. Son absence à table risque de soulever encore plus de questions mais en même temps, il ne se sent pas encore capable de retourner s'asseoir à sa place et de faire comme si rien de tout ça ne s'était passé. C'est ce qu'il devrait faire pourtant, c'est ce qu'il veut pouvoir faire mais il n'y arrivera pas, du moins pas s'il reste dans cet état. Son téléphone encore serré dans sa main, il arpente sa chambre de long et large sans réussir à se poser où que ce soit. C'est seulement lorsqu'il voit la porte de sa chambre s'ouvrir qu'il se fige sur place, en attendant de découvrir la personne qui se trouve derrière. Austin ne prononce pas un mot en voyant qu'il s'agit de son frère mais c'est avec un regard noir que ce dernier se trouve accueilli. Oh oui il lui en veut, il lui en veut tellement et pourtant, il n'aurait pas voulu voir une autre personne franchir cette porte. Non pas qu'il avait envie de voir Kane mais à choisir entre lui, l'un de ses parents ou même sa grand-mère, le choix est plutôt vite fait. Il le laisse parler, il n'a pas vraiment le choix en fait mais il n'en a rien à faire qu'il soit désolé. Le mal est fait et ce n'est pas ses excuses qui vont l'aider à réparer ses conneries. Austin est furieux contre son frère mais quand il se met à parler de leurs parents, il sent s'ajouter une grosse montée d'angoisse.

- Oh non non non non !

La tête entre les mains, Austin se remet à tourner en rond, bien conscient qu'il n'y a sans doute plus d'échappatoire possible à présent. Il va devoir faire face à ses parents mais c'est une chose qu'il voulait à tout prix éviter et Kane était censé le savoir aussi ou bien l'avoir compris. Ce qu'il lui a fait là, il le prend comme une véritable trahison et pour l'instant, il n'est pas sûr de pouvoir lui pardonner.

- C'était pas à toi de balancer ça comme ça ! Putain mais à quoi tu pensais ?! Et je fais quoi moi maintenant ? Je devais le leur dire moi-même quand je me serais senti prêt à le faire et là... là, c'est... c'est trop tôt.

La colère qu'il ressent envers Kane ne disparaît pas complètement mais elle s'estompe peu à peu, remplacée par des doutes et des craintes. Au fond de lui, il sait bien qu'il n'aurait jamais été vraiment prêt à leur dire la vérité. S'il n'a jamais voulu dire quoi que ce soit à sa famille jusqu'alors, c'est qu'il avait de bonnes raisons pour ne pas le faire. Même à Kane il n'a jamais tenu à le lui dire et s'il ne l'avait pas découvert tout seul, il l'ignorerait sûrement encore. Austin est tout à fait conscient des risques que ça représente de dévoiler cette partie de sa vie et des changements que ça peut occasionner dans leur vie de famille. Des risques qu'il n'était pas sûr de vouloir prendre mais il n'a plus vraiment le choix maintenant. Il va devoir apprendre à faire avec, à cause de la stupidité de son frère. Austin se tourne vers son lit pour y lancer son téléphone. Il ne sait même pas pourquoi il l'avait gardé dans la main. Peut-être pour se retenir de frapper son frère justement mais il ne ressent plus l'envie de le faire. C'est plutôt la panique et la nervosité qui le gagnent de plus en plus mais il a au moins fini de faire les cent pas dans sa chambre.

- J'suis pas prêt pour gérer ça devant eux. Tu comprends ?

Austin aurait bien besoin de temps pour digérer tout ça mais du temps, c'est bien ce qu'il n'a plus. Jamais il ne s'était senti aussi mal et plutôt que d'être enfoncé par son frère cette fois, il aurait plus besoin de pouvoir compter sur son aide et sur son soutien.

Apparemment ce que j’ai dit ne le rassure pas du tout vu comme son comportement s’emballe. Est-ce qu’il va me faire une véritable crise de panique là ? Je suis tout à fait habilité à l’aider à faire passer ça mais je ne sais pas si ça marcherait au fond. Je suis le soucis dans l’histoire. Ma présence ne va pas l’aider à se calmer, même avec tous les stratagèmes du monde. J’espère qu’on ne va pas en arriver là. Austin est intelligent, il devrait pouvoir comprendre que sa vie va pas changer après ma connerie. Ou du moins, pas en mal. Surtout que mamie n’a rien capté !! Il pourrait voir le bon côté des choses ! Je lui ai rendu service. Non je sais que c’est horrible de penser comme ça. Il ne voit pas tout ça de ce même oeil que moi. C’est simple pour moi. Je suis un homme blanc hétéro. Tout me souris. Je peux pas comprendre ce qu’il traverse en ce moment. Je reste convaincu qu’il se prend la tête pour pas grand chose. Mais je suis comme lui dans d’autres situations. Je ne peux pas le blâmer.

Austin me dit des trucs que je sais déjà, mais je sais qu’il a besoin d’évacuer sa haine, sa colère à mon encontre. Il sait pas comment gérer tout ça. Je le regarde, restant debout devant la porte de sa chambre. Je ne prends pas le risque de m’approcher plus de lui. Il est comme un animal sauvage là. Il risque de me sauter dessus à tous les instants. A la gorge direct. La jugulaire. Mais on dirait qu’il se calme petit à petit et je me dis que tout n’est pas perdu. Mon frère va peut être pas m’en vouloir éternellement. Je ne le quitte pas des yeux et il reprend la parole. Il a l’air désespéré. Je vais m’asseoir à côté de lui sur le lit parce que j’ai l’impression que ça va mieux. Je sens qu’il a besoin de moi même s’il a juste envie de me tuer là.

« T’es pas obligé de leur donner une confirmation ou quoi. Tu leur diras clairement quand tu voudras. »

S’il le dit un jour. D’ailleurs… Ca me fait penser à notre oncle Dominic. Il a 55 ans, il est célibataire, il n’a pas d’enfant. Le sujet n’a jamais été vraiment abordé mais ça ne m’étonnerait pas qu’il soit gay.

« Et je sais que c’est sûrement très facile à dire mais je suis sûr que ça va absolument rien changer Austin. Papa maman sont pas comme ça. Ils vont pas… t’aimer moins. Tu les as déjà vu faire des remarques homophobes ? Non… »

Je marque une légère pause avant de reprendre.

« Ta confiance en moi est certainement en train de s’effriter et je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire pour réparer ça mais… Je serai toujours là si t’as besoin de moi. Même si tu décides de plus me parler ou de m’en vouloir jusqu’à la fin de tes jours. Parce que t’es mon frère et que je t’aime et que t’as pas à te sentir si mal parce que t’es pas aux standards de la société. C’est nul d’être comme tout le monde. »

Mon petit côté rebelle. Non mais en vrai ne pas être marié avec des gosses à mon âge, c’est hors du schéma standard également. Mais je ne vais pas lui dire ça parce que j’ai pas l’impression que le niveau soit le même.

Des idées, Austin en manque très rarement mais c'est bien la première fois qu'il ne voit pas de quelle manière se sortir du pétrin dans lequel son frère l'a fourré. Depuis qu'il est tout petit, il a toujours été le roi des pirouettes, s'amusant à manipuler son entourage avec beaucoup d'aisance mais là, c'est le vide dans sa tête. Il ne voit rien qu'il puisse dire ou faire qui pourrait arranger la situation. C'est probablement parce qu'il n'y a aucune solution cette fois et c'est bien ce qui l'effraie le plus. Il laisse Kane venir s'asseoir à côté de lui en ignorant totalement sa présence, même s'il écoute quand même ce qu'il lui dit. Il ne tient pas à le regarder, ni même à lui répondre, mais il ne peut pas s'empêcher de pousser un soupir exaspéré après ce qu'il vient d'entendre. Il ne peut pas penser sérieusement que la porte puisse encore se refermer après l'avoir enfoncé comme il l'a fait. Même en supposant que leurs parents n'ont pas déjà compris pourquoi Kane a sorti ça à table, ils vont forcément se poser des questions et finir par se douter de quelque chose. Non là, même en cherchant bien, il ne voit pas du tout comment ils peuvent revenir en arrière ou espérer réparer ça. Il n'a pas les idées très claires mais s'il y avait vraiment un moyen de noyer le problème pour faire en sorte que leurs parents ne se doutent de rien, il y aurait sûrement déjà pensé. Les tentatives de son frère pour le rassurer ne sont pas d'une grande efficacité non plus. La vérité c'est que, l'un comme l'autre, ils ne peuvent pas prévoir à l'avance la réaction de leurs parents. Le seul point positif c'est que, même si Austin ressent encore beaucoup de colère envers son frère, il sait bien qu'il est de son côté et qu'il n'a pas cherché volontairement à lui attirer des ennuis.

- J'arrive à assumer ce que je suis, c'est pas le problème. Ça fait longtemps que je me gêne pas d'embrasser des mecs en public mais ça reste devant des potes ou des inconnus. Avec papa et maman, c'est... différent. Même avec les parents les plus cool du monde ou les plus ouverts d'esprit, faut pas s'attendre à ce que ça leur fasse plaisir d'apprendre qu'un de leur enfant est homo ou bisexuel. Je sais bien que je resterais toujours leur fils mais...

Austin préfère s'arrêter là, n'arrivant même pas aller au bout de sa phrase. Rien que le fait d'en parler, ça le rend déjà tellement mal alors devant ses parents, il n'imagine même pas dans quel état il va être. Il aimerait que Kane puisse le comprendre mais il se rend bien compte que ce n'est pas le cas. Lui, il voit les choses seulement d'un regard extérieur, il ne se trouve pas directement concerné. C'est beaucoup plus facile pour lui de relativiser, voire même de minimiser l'impact que ça pourrait avoir sur leurs parents. Austin se mordille nerveusement la lèvre inférieure puis tourne la tête vers son frère avant de reprendre.

- Toi, tu l'as bien pris mais au début ça a quand même dû te faire un choc. Enfin... ouais, non, mauvais exemple.

Il secoue rapidement la tête, comme pour chasser ce souvenir. Forcément que ça l'avait choqué de retrouver son petit frère à moitié à poil, dans les bras d'un mec et en plus sur son propre plumard. Austin prend le temps de réfléchir quelques secondes à une autre idée et se tourne à moitié sur le lit pour faire face à son frère.

- Imagines une minute s'ils découvraient tout ce que tu fais au lit avec Wendy, tu te sentirais pas super à l'aise devant eux alors qu'avec elle t'assumes. Bah là, c'est à peu près pareil.

Oui bon, c'est pas tout à fait pareil mais c'est ce qui s'en rapproche le plus parmi les choses qui devraient réussir à parler à son frère. S'il arrive à se projeter dans cette situation, alors il devrait pouvoir comprendre un petit peu mieux les craintes et les inquiétudes qui occupent l'esprit d'Austin.

- C'est ma vie privée, je voulais pas qu'ils sachent ou qu'ils imaginent ce que je fais. J'ai pas envie de les décevoir ou... de les dégoûter...

Si d'habitude Austin donne l'impression de n'avoir peur de rien, là sa confiance en lui semble avoir complètement dégringolée. C'est sans doute parce que c'est la première fois qu'il se confit autant sur ce sujet et pas seulement à Kane. Quoi qu'il se passe, quoi qu'il arrive, il sait que les révélations sur sa vie vont obligatoirement ternir l'image que ses parents ont de leur garçon et ça, même pour Austin, c'est quelque chose qui est difficile à accepter.

J’aime qu’il s’assume. C’est déjà ce soucis en moins sur la liste actuelle. Je suis quand même un peu surpris de l’entendre dire qu’il ose embrasser des mecs en public. Pas que ce soit choquant mais on vit dans un monde où y’a beaucoup de cons et ça peut effectivement choquer certaines personnes qui sont encore au siècle dernier dans leur tête. Je suis pas mal fier de mon frère du coup. Et je me dis que s’il avait croisé papa ou maman un jour où il est en pleine effusion, ça aurait arrangé mes affaires mais non. On en est là, à ma connerie. Putain. Je suis trop con.

Il me fait part de ses inquiétudes. Je l’écoute sans rien dire. J’ai l’impression qu’il en a pas mal à évacuer encore. Ouais mauvais exemple quand il parle de comment j’ai découvert qu’il n’était pas hétéro. Je ne fais pas de commentaire. Je pense que ce moment là doit encore le hanter, même si ça s’est bien fini cette histoire. J’ouvre de grands yeux quand il essaie de me mettre dans ses chaussures à parler de ma vie sexuelle avec Wendy. Il n’a pas tort du tout et c’est un très bel exemple qu’il m’a sorti là. Je sens déjà l’angoisse me venir si mes parents s’imaginaient ce que je fais avec Wendy. Pas que j’en ai honte non mais…

« Je vois tout à fait… Même trop bien. »

Je suis limite pétrifié là.

« Hem… Ma vie sexuelle avec Wendy est pas très conventionnelle… »

Je m’en veux d’avoir exposé mon frère alors j’ai envie de lui partager une partie de moi. Je ne sais pas si ça va réellement l’intéresser ou quoi. S’il va être curieux à ce propos mais voilà, au moins il sait un petit peu. Il peut se faire une idée, même fausse.

« On fait pas des trucs de fou genre SM ou quoi hein ! »

Je sais pas jusqu’où va son imagination suite à cette information que je lui ai donné. Je préfère éviter qu’il me visualise en cuire avec un fouet.

« Mais… Je te comprends très bien. Mais tu vois… Je pense pas qu’ils y penseront donc y’a pas trop de soucis. Enfin… Je sais pas ce que tu fais avec tes boyfriends en même temps. Mais si tu veux je te donne ces munitions pour contre attaquer devant papa et maman on sera quitte… »

Je serai mort de honte mais c’est un risque que je suis prêt à prendre si c’est tout ce qui peut rattraper mon faux pas. La culpabilité me ronge et on a même pas encore affronté de nouveau le regard de nos parents.

Faire comprendre à son frère ce qu'il ressent n'est pas si facile que ça. Même en se dévoilant comme il ne l'a jamais fait auparavant, ses explications sont encore loin d'être suffisantes. C'est seulement lorsqu'il a l'idée de lui parler de sa relation avec Wendy qu'il sent quelque chose changer dans le regard de son frère. Comme quoi, qu'on soit hétéro ou non, il y a toujours certains aspects de la vie sexuelle qui restent difficiles à assumer, surtout face à ses propres parents. S'il en juge par la tête que fait Kane, il a plutôt vu juste mais il ne s'attendait pas vraiment à avoir droit ensuite à des confidences sur un sujet comme celui-là. Austin reste un moment à fixer son frère d'un air intrigué, sans vraiment savoir ce qu'il doit comprendre par là. C'est plutôt vague mais soit il en a déjà trop dit, soit pas assez parce qu'après ça, c'est difficile de passer – et surtout de penser – à autre chose. Qu'il le veuille ou non, son cerveau s'active déjà pour essayer de combler les manques dans cette histoire. Il peut imaginer tout et n'importe quoi mais il est plutôt rassuré d'apprendre que ça ne cache aucune pratique SM. Il ne voyait pas du tout son frère dans un délire comme ça de toute façon, sauf si c'est Wendy qui tient les rênes mais... non, non, non. Il ne veut pas laisser le temps à son esprit de visualiser quoi que ce soit dans ce genre entre son frère et sa copine. Kane reparle de leurs parents et il n'est pas tout à fait d'accord sur ce qu'il dit mais Austin secoue la tête quand il comprend la diversion qu'il lui propose ensuite. Il voulait que son frère arrive à se mettre un peu à sa place mais pas qu'il s'expose lui aussi.

- C'est sympa de vouloir te sacrifier avec moi mais je vais pas te demander de faire un truc pareil. Et puis penses un peu à Wendy. Tu crois pas qu'elle aurait son mot à dire avant que tu balances votre vie de couple aux parents ?

Elle aurait toutes les raisons de l'étriper d'ailleurs et il n'a aucunement l'envie d'être responsable de leurs embrouilles. Il a déjà bien assez à faire avec Sam et il n'est même pas sûr que le malaise de la dernière rencontre avec Wendy soit déjà passé. Ses pensées se mettent à dévier sans qu'il puisse le contrôler réellement... Mais bien sûr, ça lui paraît tellement évident à présent.

- C'est elle qui t'as initié à ces nouveaux « trucs », c'est ça hein ?

Avec un petit sourire en coin, Austin regarde son frère sans vraiment avoir besoin de réponse pour savoir qu'il a raison. Ça lui paraît plutôt logique en fait. D'autant plus qu'en étant lesbienne, Wendy a forcément eu des expériences disons... différentes. Il ne va pas se mettre à le questionner davantage puisqu'il ne tient pas à se montrer trop indiscret. Kane ne l'a jamais assommé de questions, même après avoir découvert que son petit frère couchait avec des mecs, et c'est quelque chose qu'il apprécie. En réalité, il se doute que son frère n'a sûrement pas envie d'en savoir plus mais même avec les filles, il respecte aussi sa vie privée. Peu à peu, Austin réalise que toute cette conversation a non seulement permis de détourner son attention du problème de ce soir mais que ça lui a aussi permis de relâcher un peu la pression qui pèse sur ses épaules. Il ne sait pas du tout si c'était voulu de la part de Kane mais il se sent un peu moins seul grâce à lui.

- Merci Kane... Enfin, pas pour tout ce bordel que t'as foutu ce soir mais... tu sais, d'être là.

Et puis merde. Il se rapproche de son frère pour le prendre dans ses bras et lui faire un câlin. Une envie, comme ça, ou juste parce qu'il en avait besoin. Il ne peut pas encore lui pardonner complètement ce qu'il a fait mais il s'est déjà un peu rattrapé et puis, il a plus besoin d'avoir son frangin à ses côtés plutôt que de le haïr éternellement. Après avoir lâché son frère, il se recule et tourne son regard vers la porte de sa chambre. Le plus dur reste encore à venir et il va devoir bientôt y faire face. Ils ne vont pas pouvoir restés cachés là encore très longtemps.

- C'est le moment si t'as un dernier conseil, un plan d'action... ou d'évasion.

Il plaisante bien sûr... enfin, peut-être pas tant que ça.

J’ai un petit peu oublié Wendy dans l’affaire c’est vrai. J’ai pensé trop vite. Comme souvent. Mais heureusement rien n’a été mis en pratique donc le mal n’est pas fait. Les parents ne savent pas. Ne sauront jamais. Sauf s’ils tombent sur notre carton rempli de sex toys chez moi. Mais non. Il est bien caché. Je réponds donc par une grimace à mon frère qui a visé juste. Non. Je ne dirai rien aux parents, ou du moins, pas si ce n’est pas obligatoire. Austin veut en savoir plus à propos de ce que j’ai avancé. Je comprends pourquoi. Je lui ai mis la puce à l’oreille avec mes paroles. Je sais pas ce qu’il s’imagine du coup, peut être que je devrais juste lui dire ? J’ai toujours eu Ariane et Levi pour parler cul. C’est pas le genre de truc que j’ai abordé avec Austin très souvent. Je l’aime plus que tout mon frère et on est proche, mais pas à ce point là.

« Ouais c’est elle… Elle avec tous les sex toys… »

Mes joues deviennent un peu rosées. Je me retiens bien de dire que Ariane nous en a fourni quelques uns parce que même si c’est la vérité, ça n’avance rien à l’histoire. Je pense que j’ai dit les mots juste parce qu’il me remercie et ça me fait du bien. Après avoir foutu la merde dans sa tête à le outer comme ça, je me sens un peu mieux. Il vient se mettre contre moi et je passe mes bras autour de lui pour le serrer doucement. Je pose ma tête contre la sienne, profitant de l’étreinte. On s’en fait pas assez à mon goût alors je profite du moment. La dernière fois j’étais bourré je crois, parce que ouais quand je suis ivre je dis à tout le monde que je les aime et je fais des hugs à tout va. Mais ça doit remonter à quelques années parce que ça fait un moment que j’ai pas vu mon frère en étant bourré. Faudra remédier à ça, on ira au bar, ou chez moi pour pouvoir rester sur le canapé à comater sans problèmes.

« Je sais, je suis désolé. »

J’embrasse le haut de sa tête, serrant mon bras autour de lui parce que je l’aime si fort. Je m’en veux tellement aussi.

« Je serai toujours là pour toi. »

Je pense qu’il le sait déjà mais je le répète. On sait jamais. C’est important. Je sais que je vais essayer de me racheter pour le reste de ma vie de ce que j’ai laissé glisser au repas. L’étreinte se défait et il a l’air prêt à affronter les parents. Je souris un peu en l’entendant mais je sais qu’il est tout à fait sérieux.

« Change rien. T’es parfait comme t’es. »

J’embrasse sa joue avant de me lever pour retourner au salon, lui laissant le temps de venir quand il le sent de son côté. Le temps d’affronter le regard de nos parents qui en ont profité pour terminer de manger sans nous. Ils sont tous devant la télé dans les canapés alors je m’assois à la table, pour terminer mon assiette. J’ai un coup d’oeil de ma mère qui s’interroge un peu mais qui ne demande rien. Je la rassure de mon regard et puis elle reprend de regarder son film qui commence.

Le monde continue de tourner le plus normalement possible. Peut être même mieux qu’avant.