My mind is a place that I can't escape your ghost
Raelyn Blackwell - 16 juillet 2024 ☆ crédit/harley

« Je sortirai. Je te le promets. »
« Jure le sur la vie de Micah. »
« Je peux pas faire ça. Tu le sais. »
« Jure le.»
« Je te le jure. »

Je suis sortie du centre correctionnel de Brisbane avec, comme à chaque fois depuis ces deux dernières semaines, le cœur en miette. Pendant le chemin du retour, j’ai invoqué toutes mes défenses, celles vieilles de plus d’une dizaine d’années, pour composer un masque d’indifférence et de froideur et ne pas m’effondrer devant l’homme de main du Club derrière le volant. J’ai contenu chaque larme, chaque cri de rage, chaque soubresaut de ma poitrine contenant mon cœur meurtri qui me hurlait de le laisser exploser. Le temps qu’a duré le trajet a solidifié mon armure, m’a permis d’enfiler mon heaume et d’affuter mon épée. Le temps qu’a duré le trajet m’a permis de ne pas m’effondrer devant le sourire de ma petite fille une fois de retour au loft. Il m’a permis d’artificiellement remplacer ma détresse par de la colère, par de la détermination à solliciter chaque avocat pénal du pays jusqu’à trouver le ténor du barreau capable de faire sortir Amos de prison. Il m’a permis de ne pas m’effondrer et de continuer à croire.

De croire que je n’étais pas en train de perdre mon âme sœur.

De croire que ce n’était pas la fin.

De croire que nous nous reverrions derrière les barreaux. Lui, libre et au gouvernail d’un catamaran flambant neuf et moi, deux pas derrière lui, Micah endormie dans mes bras et couvant l’homme qui m’a sauvée à bien des niveaux d’un regard amoureux.

Mais il n’y a pas eu de lendemain pour Amos.

Il ne s’est pas réveillé sur le catamaran. Il ne s’est pas réveillé, les bras passé autour de mon corps dans le lit de la suite parentale du loft. Il ne s’est pas réveillé sur le lit dur de sa cellule non plus. Il ne s’est pas réveillé.

J’ai reçu l’appel dans la nuit du seize au dix-sept juillet. La sonnerie de mon téléphone portable m’a tiré du sommeil alors qu’il faisait encore noir dehors et, immédiatement consciente que quelque chose de terrible était arrivé, l’angoisse m’a serré la gorge. J’ai décroché à la troisième sonnerie, coincée quelque part entre le sommeil et l’éveil. Au bout du fil, un capitaine de police, une information, il est arrivé quelque chose à votre époux, une seconde, une adresse. Celle de la prison, celle du poste, j’ai été incapable d’enregistrer l’information cette nuit-là, l’homme de main du Club posté en surveillance devant le loft l’a fait pour moi.

C’était celle d’une morgue.

Une morgue où j’ai été accueillie par des agents des forces de l’ordre, le directeur de la prison, un médecin légiste. Autant d’hommes certainement habitués à se sentir grand et fort face à une femme. Je suis habituée à retourner les rôles, dans ce genre de cas de figure. Pourtant, dans la nuit du seize au dix-sept juillet deux-mille-vingt-quatre, je me suis sentie toute petite.

Puis, je n’ai plus rien ressenti du tout.

Plus rien d’autre qu’un immense coup de poing dans le ventre lorsque mes yeux se sont posés sur le corps sans vie de l’homme que j’ai aimé de toute mon âme ces quatre dernières années. Mes poumons se sont vidés de leur air sous le coup du choc. Mes lèvres se sont entrouvertes, un filet de salive que je ne suis pas parvenue à avaler entre mes dents. Personne ne m’a dit de ne pas le toucher. Personne n’aurait été capable de m’empêcher de le faire. Lorsque j’ai posé mes mains sur ses joues, je les ai découvertes encore tièdes sous la pulpe de mes doigts. Pas tout à fait chaud, mais pas encore froid. J’ai su à cet instant que j’emporterai l’image de son corps raide, de ses veines bleues ressortant légèrement et de ses yeux clos avec moi jusqu’à mon dernier souffle. J’ai su que je me souviendrai jusqu’à ma mort de la température exacte de son corps contre la paume de mes mains. Je ne savais pas en revanche que je tenterai de la reproduire en prenant des bains glacés pour descendre la température de mon propre corps pendant les périodes les plus sombre où la folie côtoiera mon immense chagrin. Pas encore.

Un cri bestial éclate mes tympans. Je réalise que c’est de ma gorge qu’il sort. "Quel spectacle fascinant que celui d’un monstre capable d’aimer, de pleurer et de souffrir" a pensé le capitaine de police, a cet instant. Le coroner a détourné les yeux. Le directeur de la prison a quitté la pièce, certainement déjà obnubilé par l’idée de protéger son établissement des retombées d’une telle bavure. Assassiné en prison par plusieurs codétenus pendant que les gardiens détournaient le regard. Voilà ce que j’apprendrai plus tard. Une bagarre, un accident me dira-t-on, mais je n’en croirai pas un mot.

Pour l’instant, si on me dit quelque chose, je ne suis pas en mesure de l’entendre. Je ne suis en mesure que d’enroule mes bras autour de la nuque raide d’Amos, de la décoller légèrement de la table froide en métal pour tenter de le redresser, de l’attirer contre moi, de le serrer dans mes bras. On m’attrape par la taille avec délicatesse pour m’écarter de la table, j’ignore qui. Je griffe les bras qui me touchent sans la moindre douceur pour m’approcher à nouveau et pour entourer le visage de mon amour de mes paumes, pour me pencher sur lui, pour l’embrasser. Mes larmes gouttent sur son visage. Mon cœur hurle le martyr. Dans mon esprit quelques câbles se déconnectent, quelques fusibles grillent. Et je reste là. Je reste là, mon front collé contre celui d’Amos, mes lèvres posées contre la commissure des siennes pendant j’ignore combien de temps. Je lui murmure de revenir, pour moi, pour Micah, je lui ordonne de m’aimer pour toujours, je lui hurle de ne pas me faire ça.

Dix minutes. Trente, peut-être une heure. Le temps que les hommes présents dans la salle me laisse m’échappe. Lorsqu’ils font quérir l’homme de main qui m’a conduite jusqu’ici, ce dernier s’approche de moi comme une s’approche d’une bête sauvage blessée. Il est certainement le seul à avoir un peu de jugeotte dans cette pièce. Détruire, je le laisse finalement m’écarter du corps d’Amos, je le laisse s’accroupir, passer un bras derrière mes genoux et me décoller du sol. Il parle, certainement pour expliquer aux représentants de la loi, de l’ordre et de ce qui est supposé être juste – qui y a-t-il de juste dans cette situation ? – qu’ils s’entretiendront avec moi plus tard. Je ne suis de toute évidence pas en état d’entendre ce qu’ils ont à me dire, à m’expliquer. Il me porte jusqu’à la voiture, il m’y déposer, puis c’est le trou noir.

Déposée dans mon lit, je hurle, je pleure, seule dans la pièce, recroquevillée en position fœtale dans le lit. Ce lit dont les draps ont perdu son odeur il y a bien longtemps. Dans sa chambre, Micah pleure, mais je ne l’entends pas.

Amos avait quarante-sept ans lorsqu’il est mort en prison.

J’en ai trente-six quand une part de moi meurt avec lui.

***
I'll see you again, my loved one