( bring on different eyes ) Il fait lourd en cette fin d’après-midi. Un rapide coup d’oeil sur le GPS m’indique que d’ici quelques minutes je serais de retour à Brisbane. Enfin. Je soupire et retiens un bâillement. Je n’ai qu’une hâte, rentrer chez moi pour me jeter sur le canapé et me reposer un peu. Mais avant ça, je dois ramener sa voiture à Ellie, qui a eu la gentillesse de me laisser l’emprunter pour un voyage d’affaires de deux petits jours. La route défile, encore et encore, et je commence à somnoler malgré moi. Les longues heures de route auront eu raison de ma concentration, et l’envie d’un café se fait de plus en plus pressante. Doucement, l’idée de m’arrêter quelque part pour satisfaire cette envie germe dans mon esprit, et très vite, l’affaire est conclue. Quelques minutes plus tard, je m’arrête sur un petit parking à deux pas du Starbucks de Fortitude Valley, verrouille la voiture, et presse le pas pour me rendre à l’intérieur. En passant la porte, je jette un coup d’oeil à ma montre. Si les serveurs sont efficaces, je devrais pouvoir ramener sa voiture à Ellie dans les temps, et donc sans culpabiliser de cet arrêt imprévu. Avec un sourire aimable pour la caissière, je passe commande avant de me mettre un peu en retrait, le temps de la préparation. En silence, j’écris un message à mon amie, pour l’informer de mon arrivée prochaine chez elle. Et en voulant quitter l’application message, mon regard est attiré par un nom, juste en dessous de celui d’Ellie. Vittorio. Il sait que je n’étais pas en ville ces derniers jours, mais il ne sait pas que je suis déjà de retour, puisque j’étais censée ne revenir que demain. Progressivement, l’idée de débarquer chez lui ce soir, repas en main comme il l’a déjà fait un bon nombre de fois se fait de plus en plus séduisante. Étrangement, la fatigue qui m’étranglait un peu plus tôt se dissipe, et quand on m’appelle pour que je récupère mon café, ma décision est prise. À mon tour de débarquer sans prévenir. Je retourne à ma voiture, joyeuse et café en main. J’ouvre le coffre pour y déposer mon sac, abandonnant mes clés à côté du bagage le temps de farfouiller à l’intérieur pour récupérer mon téléphone -qui s’est brusquement mis à sonner. Et c’est mon petit frère qui essaye de me joindre. Distraitement, je décroche, en refermant le coffre de la voiture. « Pablo, che sta succedendo? » Et c’est à propos du mariage, forcément. Je prends le temps de l’écouter, de le rassurer. Oui, je serais là pour la cérémonie, oui j’ai bien envoyé à Nina toutes les infos qu’elle m’a demandé, mais non, je ne serais pas accompagnée. Roulant des yeux, je l’écoute s’indigner que mon actuel copain ne daigne pas m’accompagner, seulement parce qu’il a du boulot. Il n’aura fallu que quelques jours pour que ma mère alerte mon frère, et probablement le reste de la famille, sans exagération. Je commence sincèrement à me demander si c’était une bonne idée de mentir à ma mère, en lui envoyant la photo prise par Vitto l’autre jour chez moi, le tout accompagné d’une jolie histoire adroitement ficelée. La seule chose qui m’empêche de me sentir coupable à l’heure actuelle, c’est la joie immense dans la voix de ma mère, quand je l’ai eue au téléphone un peu plus tard. Je me rends compte que j’ai raté la grande majorité de ce que m’a dit mon frère dans les dernières minutes. « Je ne vais pas te l’expliquer encore une fois, il ne peut pas se libérer, ce n’est pas compliqué à comprendre! Il a du boulot. » Je me dirige vers l’avant de la voiture, préférant reprendre la route tout en continuant cette conversation, histoire d’arriver à peu près à l’heure prévue chez Ellie. Mais au moment d’ouvrir la portière pour me glisser derrière le volant, rien. C’est verrouillé. J’écarquille les yeux, fouillant dans les poches de ma veste à toute vitesse, cherchant à travers le tissu mes clés. S’en suit un éclair de lucidité. Dans le coffre. Les clés sont dans le coffre, avec mon sac. Merde. « Je dois te laisser, j’ai un souci. Je te rappelle plus tard d’accord? Ciao. » Et sans lui laisser le temps d’ajouter quelque chose, je raccroche. Quelque peu paniquée, je retourne au coffre, essaye de l’ouvrir, ce qui se conclut par un échec cuisant. Bon, il n’y a plus qu’une chose à faire, appeler Ellie pour lui demander de venir, en apportant le double des clés. Mais au moment où je vais appuyer sur le bouton d’appel, mon téléphone s’éteint. Vi prego, ditemi che è uno scherzo. J’essaye de le rallumer, sans succès. Plus de batterie. Faisant de gros efforts pour garder mon calme, je me retourne, cherchant quelqu’un aux alentours qui pourrait m’aider. Mais après quelques tentatives peu concluantes, je commence à me demander comment je vais m’en sortir. Tout est dans la voiture. Les clés mais aussi mon sac, mes papiers, et mon argent liquide. Et pour couronner le tout, quelqu’un vient d’apparaître dans mon champ de vision, à quelques mètres à peine. Se dirigeant vers moi, avec une poussette en avant, ce n'est pas n’importe qui. C’est Nino.

( Pando )

Spoiler:

Nino galérait toujours avec cette poussette dans les escaliers, la prochaine fois, il prendrait un appartement au rez de chaussé ou alors, dans un immeuble avec un ascenseur. Katherine ne voulait pas qu’il laisse la poussette en bas, de peur de se la faire voler et Nino n’irait pas la contredire, même si ce genre d’engin pour bébé n’était pas forcément très convoité dans le coin, il connaissait sa valeur et ne prendrait pas de risque de devoir la rembourser. Lucia bien protégée et attachée, en sécurité, l’italien pouvait la descendre dans son bolide pour arriver deux étages plus bas. Il craignait toujours de perdre l’équilibre et de l’emporter avec lui dans une chute redoutable. Lorsqu’il le pouvait, il demandait un coup de main à ses voisins, mais ils ne montraient pas souvent le bout de leurs nez. Allie passait quelques fois par-là, Deborah se faisait rare et quant au mari d’Allie, Nino avait tendance à le fuir, comme si c’était écrit sur son front qu’il avait déjà couché avec sa femme.
Prêt à retourner chez Katherine pour y déposer Lucia, Nino n’avait ni voiture, ni aucun autre moyen de transport à disposition, sachant qu’à cette heure-ci, les bus étaient remplis en pleine heure de pointe, il ne voulait pas prendre le risque de devoir imposer sa poussette ou d’attendre de devoir laisser passer quatre bus devant lui pour pouvoir s’y faire une place. Il s’était décidé à traverser deux quartiers de Brisbane à pied et avait pris de l’avance. L’homme que l’on pouvait apercevoir au moins une fois par semaine avec son sac à dos couleur vieux rose – Katherine avait sans doute fait exprès de choisir ce sac là pour trimballer toutes les affaires de Lucia – cet homme, c’était bien Nino.
Il connaissait le chemin par cœur et avait son petit rituel : a mi-chemin, il s’arrêtait pour faire une pause dans un café juste à côté du célèbre Starbucks, il en profite car en général, Lucia réglée comme une horloge, se met à gémir deux minutes avant d’y arriver. Si Nino avait du mal à comprendre pourquoi les premières fois, maintenant, il savait très bien qu’il était l’heure de lui donner un biberon et ce café lui servait aussi à réchauffer sa boisson.
La pause dure une bonne demi-heure, compris dans son temps de trajet, l’italien en profite pour échanger quelques derniers sourire avec sa fille puisqu’elle s’endormira sans doute une fois de nouveau dans sa poussette et qu’ensuite, elle n’aura d’yeux que pour sa mère. Sortant de là, Nino passa devant une voiture où une femme semble ne pas réussir à ouvrir la portière, n’ayant pas tout de suite conscience de qui il s’agissait, il ralentie arrivant à son niveau et remarqua alors Gaïa. Toujours présente à Brisbane visiblement, son enquête n’était alors toujours pas terminée ? Plus fort que l’italien qui aurait mieux fait de poursuivre sa route sans rien dire, il s’arrête à son niveau et lui lance : « Tu fais dans le braquage de voiture maintenant ? »se souvenant très bien comment avait terminé leur dernière rencontre… « T’as pris gout à la violence ? »

( bring on different eyes ) Le silence est pesant. Depuis que j’ai réalisé que c’est bien Nino qui s’approche de moi, tous mes muscles sont en tension. Crispée, je l’observe s’avancer vers moi et ma situation désespérée, poussette en avant, et c’est d’ailleurs ce détail qui me trouble le plus. Fronçant les sourcils, je remarque alors que, contre toute attente, au lieu de passer son chemin en m’ignorant - comme la grande majorité des passants d’ailleurs -, il fait le choix de s’approcher, réduisant la distance qui nous séparait encore, tout en conservant un éloignement raisonnable. Étonnant, comme décision. Qu’il passe son chemin nous aurait sûrement été bénéfique à tout les deux mais apparement il a décidé que non. « Tu fais dans le braquage de voiture maintenant ? T’as pris gout à la violence ? » Je grince des dents en entendant sa voix. Le souvenir de notre dernière entrevue, où il avait réussi à me faire perdre mon sang froid, est encore frais dans ma mémoire, alors qu’il remonte à plusieurs moi maintenant. Quand j’y repense, je ne peux pas m’empêcher d’avoir honte de ma réaction de l’époque, qui me parait aujourd’hui un peu disproportionné. Mon regard tombe sur la fillette qui se trouve dans la poussette  et qui m’observe de ses grands yeux, alors que je réplique. « Tu fais dans le vol d’enfant maintenant? Ça s’arrange pas à ce que je vois. » Je n’ai pas pris la peine de répondre à ses questions, ça lui ferait trop plaisir. Et puis de toute façon, tenter de se défendre avec une quelconque excuse foireuse n’aurait servi à rien face à Nino. Et je ne souhaite pas sortir à nouveau de mes gonds, comme il pourrait si facilement m’y contraindre. Mais je ne pense pas qu’il sera trop virulent, la présence de la jolie gamine qui doit frôler les un an dans sa poussette réduisant la possibilité. Je regarde autour de nous, méfiante, m’attendant presque à voir débarquer un couple, ou au moins une mère complètement paniquée, bien décidée à récupérer sa fille. Mais non. Autour de nous, les gens défilent sans nous prêter attention, nonchalants. La question subsiste donc: qui est cette petite? « Pas de mère éplorée à l’horizon… Étrange. Tu fais du baby-sitting maintenant? C’est pour rembourser une dette ou pour essayer de te racheter une conscience? » Ça me parait toujours aussi bizarre en réalité. Je n’aurais jamais imaginé Nino baby-sitter qui que ce soit, et ce peu importe la raison. Oui alors c’est que la petite a un lien avec sa famille, puisque la famille semble être la chose pour laquelle Nino ferait n’importe quoi. Mais si c’était le cas, Vittorio m’en aurait certainement parlé… Et ça fait tilt. Finalement. Et si la fille pour qui Nino avait décidé de rester en Australie -impliquant par la même occasion le fait que Vitto restait aussi- c’était cette enfant, et pas une quelconque conquête? Je fronce les sourcils L’idée prend racine, et bientôt je ne peux plus m’en défaire. Bien que je sache qu’il y a peu de chances que l’Italien me réponde sincèrement, la question me brûle la langue. « Elle est de ta famille? » À cet instant, je crois voir une vague ressemblance entre Nino et la fillette, toujours aussi sage dans la poussette. Mais c’est possiblement à cause de cette idée qui me trotte dans la tête, depuis que j’ai établi un lien. « Pas que ce soit mes affaires… » Mais je suis curieuse. S’il ne me répond pas, je serais frustrée de ne pas savoir si j’ai vu juste, s’il ment et que je m’en rends compte, aussi, et Vittorio aura le droit à un interrogatoire dans les règles. Mais il peut aussi choisir de ne pas me répondre, et de reprendre son chemin, et de me laisser me débrouiller seule, ma situation étant toujours aussi inextricable.

( Pando )

Spoiler:

Nino serait bien incapable d’expliquer pourquoi, au lieu de tracer sa route, il avait préféré faire cette remarque à Gaïa. Après tout, il aurait pu l’ignorer depuis qu’elle avait essayé de l’agresser à son tour – même si c’était bien cherché, il avait avoué à demi-mot qu’en effet, c’était bien lui qui avait ordonné son passage à tabac. Une petite leçon comme il avait pu dire à l’époque. Il se demandait comment Vitto prendrait la nouvelle d’ailleurs, s’il savait ce que son frère avait fait pour lui. Alors que ça partait d’un bon sentiment, à la base, Marchetti savait qu’il se ferait quand même passer un savon et qu’il finirait par être vexé que son frère ne reconnaisse pas ses méthodes. Anciennes méthodes d’ailleurs, car on pouvait dire que l’Australie avait eu un effet bénéfique sur l’italien. Le changement d’environnement, être perdu au milieu d’une ville et d’un pays dont il ne connaissait rien, ça l’avait fait redescendre de ses hauteurs où il s’était toujours pensé intouchable, protégé par un système corrompu il qu’il pensait impénétrable, jusqu’à ce qu’il se fasse prendre, jusqu’à ce qu’il balance, obligé de fuir sa propre ville, son propre pays parce qu’à Scampia, y a pas de place pour les vendus.
« Tu fais dans le vol d’enfant maintenant? Ça s’arrange pas à ce que je vois. » réponse bien trop facile, il se contenta de regarder Lucia qui du haut de ses 10 mois avait l’air de lui dire : mais c’est qui celle là ? Ca le faisait sourire l’italien, il comprenait bien ce qu’il voulait comprendre mais ne releva pas la remarque de Gaïa. « Pas de mère éplorée à l’horizon… Étrange. » elle en rajoute une couche… « Tu fais du baby-sitting maintenant? C’est pour rembourser une dette ou pour essayer de te racheter une conscience? » il avait rien à racheter Nino, il vivait avec ses vieux démons et faisait de la colocation avec eux, apprenant en même temps à vivre avec une autre sagesse à présent – non sans dire que c’était lui le sage, il n’en était pas là. « Même pas. » qu’il laisse en suspens, est ce qu’il allait vraiment lui dire qu’elle était sa fille ? Ca lui en boucherait un coin à la journaliste. Elle le croirait sans doute pas. « Elle est de ta famille? » la curieuse. « Pas que ce soit mes affaires… » elle doute encore. « Tu crois sérieusement que j’ai kidnappé un bébé ? » qu’il est presque dégouté. Oui, parce qu’il y a un monde entre être un délinquant, dealer et voleur et un kidnappeur. Pas touche aux mômes et encore moins maintenant qu’il était papa. « C’est ma fille. » et il insiste bien sur ce pronom possessif. « Même la pire espèce peut encore se reproduire sans avoir de compte à rendre. » il cligne des yeux, il voit déjà les pensées de la jeune femme. Comment un homme comme lui peut-il bien avoir un enfant ? Qui voudrait de lui ? Personne n’avait-il encore alerté les autorités ? L’enfant était-il en sécurité avec Nino ? « Tu vois, elle est en bonne santé et pas maltraitée. » qu’il est presque fier de lui faire remarquer.
Il jette un oeil à la voiture, se demandant toujours ce qu'elle est entrain de faire autour du véhicule. « C'est quoi l'soucis? »

( bring on different eyes ) Le regard de Nino dévie souvent sur la fillette, qui le regarde de ses grands yeux presque sans interruption, lançant de temps en temps de vagues coups d’oeil dans ma direction. Si la gamine affiche une moue qu’on pourrait attribuer à de l’inquiétude, ce n’est pas le cas de l’Italien, qui lui sourit. Chose assez incroyable, Nino ne relève pas ma première remarque acerbe, ni la deuxième… Et quand je lui demande si par hasard il aurait décidé de se ranger en faisant du baby-sitting, il a enfin une réaction, qui est loin de celle que je lui aurait assigné. « Même pas. » Vient alors la seconde option, qui me semble hautement improbable, mais sait-on jamais… Curieuse, je lui demande si elle est de sa famille, sans pour autant aller jusqu’à demander si c’est sa fille, à lui. Imaginer Nino en père est certainement la chose la plus bizarre que j’aie eu à concevoir ces derniers temps. « Tu crois sérieusement que j’ai kidnappé un bébé ? » Je hausse les épaules. J’en sais rien, mais avec notre passé commun, ça paraissait plausible. Peut-être à cause de la rancoeur qui reste, tapie quelque part dans un coin de ma tête, toujours là même si ne revenant en surface que lorsque que je me retrouve en face de l’Italien. Je ne dis rien, et attends patiemment qu’il continue. « C’est ma fille. Même la pire espèce peut encore se reproduire sans avoir de compte à rendre. » J’ai eu ma réponse, et de façon on ne peut plus claire. Face à sa tirade, des questions se bousculent dans ma tête. Beaucoup de questions, certaines sans queue ni tête, juste de passage, et d’autres revenant plusieurs fois, s’attardant dans mon esprit. La première: qui est la mère de cette enfant? Est-elle au courant du passé de Nino pour accepter de lui laisser sa fille? Cette dernière réflexion amenant la seconde grande question: est-elle en sécurité avec lui?  A-t-il encore des mauvaises fréquentations, sur le sol Australien, qui pourrait nuire à la gamine? Peut-il subvenir à tous ses besoins? Comme s’il avait lu dans mes pensées, Nino continue. « Tu vois, elle est en bonne santé et pas maltraitée. » J’entends un éclat de fierté dans sa voix, alors qu’il se redresse légèrement, probablement sans même s’en rendre compte. Pas besoin de m’attarder trop longtemps sur la silhouette de la fillette pour comprendre qu’il a raison. Et le fait qu’elle regarde son « papa » avec adoration ne fait que renforcer cette conclusion. Ne trouvant rien à répondre à cela, je me contente de hocher la tête, ne voyant pas l’utilité de déclencher des nouvelles hostilités avec Nino, alors que pour une fois il n’y a pas lieu d’être. Pendant un instant, je me demande s’il ne va pas simplement tourner les talons, et s’en aller avec sa fille, calmement et sans un mot de plus. Mais son regard dévie vers la voiture d’Ellie, derrière moi, et que j’avais presque oublié. « C'est quoi l'soucis? » Je hausse un sourcil, intriguée. Vient-il vraiment de me demander quel est mon problème avec cette voiture? Nino? Mais bizarrement, il n’a pas l’air de rire de la situation -pour l’instant en tout cas- , alors je ravale une remarque et me contente de lui répondre. « C’est celle d’une amie, elle me l’a prêté pour un déplacement pro. Comme une idiote j’ai réussi à m’enfermer à l’extérieur, les clés, mes papiers et mon téléphone sont dedans. Une seconde d’inattention et voilà… » Je soupire. Me voilà en train de raconter mes problèmes à Nino, qui a sûrement d’autres chats à fouetter à l’heure actuelle. Sans lâcher la voiture des yeux, je continue. « T’as le droit de te moquer, promis je te sauterais pas à la gorge pour ça. » La fatigue, principalement due à la route, commence à me rattraper, et je n’ai qu’une envie, c’est rentrer chez moi. La solution la plus simple serait de demander son portable à l’Italien, qui a l’air plutôt bien luné aujourd’hui, en compagnie de sa fille. Mais le seul contact que nous avons en commun, c’est Vitto, et je ne suis pas sûre que l’appeler avec le portable de son frère soit l’idée du siècle. Surtout que je suis un peu dans le flou en ce qui concerne la relation entre les deux frangins, et que je n’ai pas la moindre idée de si Vitto a parlé à son frère du fait que nous avions recommencé à nous voir régulièrement. Je fixe Nino. Étrangement, je pense que s’il en avait conscience, il ne serait pas aussi calme. Il ne me reste donc plus qu’à prier pour que l’Italien ait une solution, quelle qu’elle soit, ou pour arriver à me souvenir correctement du numéro de téléphone d’Ellie, pour peu que j’arrive à emprunter un téléphone.

( Pando )

Spoiler:

Gaïa avait toutes les raisons de se méfier de Nino. Après tout, il avait fait preuve de peu de sympathie envers elle et il avait été jusqu’à orchestrer un passage à tabac sous couvert de vouloir venger son frère qui ne lui avait rien demander. Nino pouvait se montrer capable du pire, s’acharner sur une femme qui s’était attaqué à sa famille, roulant dans la boue son frère pour des erreurs qu’il n’avait pas commises lui-même. Il y avait sans doute une part de culpabilité chez l’italien, il était lui-même à la source de ces problèmes qui avaient mené Vittorio au placard, mais il avait été plus simple d’accuser celle qui avait mis tout ça au grand jour, à la vue du grand public, torchon de journaliste qui n’avait rien de mieux à faire. L’italien n’avait pas assumé que sa famille, laissé dans l’anonymat depuis toujours était, d’un coup, passée dans la lumière, pour être jeté en pâture aux loups. Mais quand même, s’attaquer à des enfants, kidnapper un bébé… hm, pour le coup l’italien se sentait presque attaqué et sans aller dire qu’il était blessé, car l’attaque venait de Gaïa avec tout son sarcasme, il n’en restait pas moins touché. Il faut dire qu’il en avait fait du chemin depuis son arrivée à Brisbane et que s’il avait toujours un peu flirté avec le banditisme, il avait enfin réussi à tirer un trait sur ces démons – pour le moment en tout cas – et s’il était toujours en contact avec certains de ses camarades de jeux, il n’avait aucune envie de flirter à nouveau avec le danger. Restant loin de ces tentations, il savait qu’à présent la vie n’était plus la même, que quelqu’un ici-bas compterait sur lui, que quelqu’un avait, pour une fois, vraiment besoin de lui : sa fille.
Il avait cette sensation de devoir se justifier avant qu’elle ne se décide à appeler la police pour signaler la présence d’un homme au comportement étrange, en présence d’un bébé dans une poussette. Oui, Lucia était sa fille, quoi qu’on puisse croire. Quant à Gaia, il se doutait bien qu’elle n’était pas non plus entrain de chercher une solution pour voler cette voiture. Il n’était pas mécanicien, mais pour avoir retaper quelques voitures à Scampia, il pouvait peut-être lui donner un coup de main, au cas où elle ait un souci.
« C’est celle d’une amie, elle me l’a prêté pour un déplacement pro. Comme une idiote j’ai réussi à m’enfermer à l’extérieur, les clés, mes papiers et mon téléphone sont dedans. Une seconde d’inattention et voilà… » il pouvait pas s’empêcher de lever les yeux au ciel et de se dire qu’il fallait bien qu’une femme fasse ce genre d’erreur d’inattention… « une seconde oui. » c’était plutôt dans ses gênes oui ! « T’as le droit de te moquer, promis je te sauterais pas à la gorge pour ça. » il gardait tout de même ses distances, il savait à présent de quoi elle était capable, de lui sauter dessus tel un chat enragé, prête à sortir ses griffes et mordre aussi. « J’me suis fait avoir une fois… » qu’il lance tout en exagérant cette distance sociale qu’il avait laissé entre eux. « ta pote habite pas dans l’coin ? Elle doit bien avoir un double. » il s’approche un peu plus de la voiture, en fait le tour et vient du côté de la portière du conducteur et observe que la fenêtre n’est pas totalement fermée et une ouverture d’un demi centimètre. « C’est ton jour de chance ! » enfin, si jamais son ami était dans le coin, ce serait quand même plus simple. Il jeta un œil aux chaussures de la jeune femme. « Retire tes pompes et donne-moi un lacet. »

( bring on different eyes ) Je lui explique ma situation rapidement, que c’est la voiture qu’un amie m’a prêté pour que je puisse aller à mon séminaire sans avoir besoin de prendre le train ou de covoiturer. Quand j’arrive à la partie où je lui expose les faits, que tout ce qui pourrait m’aider est enfermé dans le coffre de la voiture, je le vois qui lève les yeux au ciel, une réaction autre de sa part m’aurait franchement étonnée. « Une seconde oui. » Je lui lance un regard agacé. Pas besoin de prendre un ton condescendant, je me flagelle déjà assez par moi-même pour cette erreur ridicule. Si l’un de mes amis l’apprends, j’en entendrais parler pendant des lustres. Mais il y aura forcément quelqu’un au courant, puisque c’est la voiture d’Ellie, je serais bien obligé de lui exposer la situation, ne serait-ce que si je dois l’appeler pour lui demander de l’aide. Nino n’a pas encore ri ouvertement, et pour ça je lui en serais presque reconnaissante, alors je décide d’essayer de détendre un peu l’atmosphère en lui disant que s’il veut se foutre ma gueule une bonne fois pour toute, il en a l’autorisation - comme s’il aurait attendu que je lui dise qu’il pouvait le faire… S’il en avait eu l’envie il l’aurait déjà fait sans se priver. Mais il reste calme, et reste même à une distance raisonnable, comme quoi peut être que l’épisode de la dernière fois l’a marqué plus que je l’aurais cru. « J’me suis fait avoir une fois… » Il s’éloigne encore une fois, exagérant encore la distance, et je réprime de justesse un sourire. J’ai une mimique gênée, on ne peut pas dire que je sois très fière de ce qui s’est passé ce jour là, même si j’avoue apprécier le fait qu’il s’en souvienne suffisamment pour ne pas risquer d’en venir aux mains une seconde fois. « ta pote habite pas dans l’coin ? Elle doit bien avoir un double. » Il s’approche de la voiture, et je le fixe, attentive et vaguement méfiante tant à ce qu’il va faire. Cependant, je me garde bien d’intervenir sachant qu’il a quand même eu la gentillesse de mettre en pause sa balade avec sa fille, alors même que notre situation est compliquée. « Non justement, elle est assez loin, à l’autre bout de la ville en fait, sinon j’aurais déjà fait la route à pieds… » Je hausse les épaules. « Mais bon, à moins que tu puisses faire quelque chose, c’est ce que je vais finir par devoir faire. » Mais il ne s’arrête pas pour autant et continue à contourner la voiture, cherchant je ne sais quoi. Je ne dis rien, observe, autant parce que je me sens obligée de le surveiller que parce que je ne sais pas quoi rajouter pour troubler le silence. Puis il s’arrête et s’exclame. « C’est ton jour de chance ! » Piquée au vif, je me rapproche, une bouffée d’espoir m’envahissant. Je viens me placer à côté de lui et vois ce qu’il a remarqué, à savoir l’une des vitres de la voiture, ouverte, mais seulement d’un espace minuscule. « Retire tes pompes et donne-moi un lacet. » Je le regarde, lève un sourcil, sans savoir où il veut en venir. Mais je m’exécute sans rien rajouter, en louant le fait d’avoir opté pour des baskets légères ce matin au lieu des escarpins habituels. Je me penche, défais le noeud et lui tend la lanière de tissu.

( Pando )

Spoiler:

l’Italien se concentrait davantage sur la voiture et sur la manière dont il allait pouvoir aider Gaia que sur les réponses qu’elle pouvait lui apporter. Parce qu’il se foutait de savoir où habitait son amie à vrai dire et qu’effectivement, il se doutait que si Gaïa n’avait pas pensé à d’abord l’appeler pour récupérer le double, c’est que peut être, elle n’était ni disponible, ni dans le coin. Alors il fit le tour et remarqua cette fenêtre légèrement ouverte, merci aux chaleurs étouffantes de l’Australie, il fallait sans cesse aérer les voitures pour ne pas avoir à se brûler quand on s’y installait. Et à voir la tête de cette voiture, il se demandait s’il y avait la clim à l’intérieur d’ailleurs.
L’italien était presque content d’avoir trouvé une faille sur la voiture – enfin, une fente pour accéder à l’intérieur en fait – il avait comme l’impression de devoir braquer une voiture alors que cette fois ci, c’était pour rendre service. Mais combien de fois avait-il du faire ça pour voler un poste de radio, pour voler un sac qui trainait sur une banquette, pour prendre ce téléphone oublié sur le tableau de bord ? Si facile d’aller se servir dans les voitures des têtes étourdies… Il se tournait vers la brune pour lui sommer de retirer ses pompes et lui donner ses lacets. Il était hors de question qu’il retire ses propres baskets pour retirer ses propres lacets, puisqu’elle avait ce qu’il fallait et qu’en plus, c’était pour elle qu’il allait faire ça. Elle avait pas l’air de saisir pourquoi il lui demandait ça et d’un geste rapide de la main il lui signala de se dépêcher et hop, elle s’exécutait. L’italien se montrait assez patient ensuite jusqu’à ce qu’elle lui tende le file en coton. Un nœud coulissant au bout du lacet, l’italien le fit passer par la fenêtre de la fenêtre ouverte et le fit tomber le long de celle-ci jusqu’à arriver au niveau du bouton d’ouverture centralisée des portières. Heureusement que ce modèle en possédait encore un parce que c’était de plus en plus rare sur les nouvelles voitures. Il était concentré, il devait viser juste, réussir à faire passer le petit bouton dans le nœud et tirer doucement pour que celui-ci se referme tout autour du bouton. « Ca devrait plus être très long. » sauf que l’italien venait de tirer trop fort et avait loupé son coup. Il ressortie le lacet pour refaire son nœud coulissant à nouveau. « J’ai plus la main. » qu’il se vente presque, sans honte, avouant qu’il y était pas à son premier coup d’essai. Ca l’faisait sourire, et il y retournait. Cette fois ci, il y allait plus doucement et le nœud se referma tout juste sur le bouton, le prenant au piège et lorsqu’il tira doucement mais surement sur le lacet, hop, la voiture s’ouvrit comme par magie. « Et voilà ! » il lui démontra qu’il pouvait ouvrir la portière sans mal aussitôt. « Tu devrais pouvoir rouvrir ton coffre, en passant par la trappe de la banquette arrière… » il la laisserait se faufiler pour aller reprendre les clés en passant par l’intérieur de la voiture.

Gaïa avait presque fait un cadeau à l’italien en oubliant ses clés dans le coffre de la voiture. Alors même s’il ne faisait pas une action illégale, puisqu’il avait l’aval de la propriétaire de la voiture pour l’ouvrir par effraction, il ressentait presque une fierté d’y avoir réussi et d’avoir toujours ses vieux reflex. Même s’il avait du s’y reprendre à deux fois, qu’il n’avait pour autant pas ressenti toute l’adrénaline que pouvait lui procurer une telle action il y a quelques années, se remettre en selle lui confirmait qu’il n’avait pas perdu la main. Mais pour autant, l’italien n’avait pas le besoin de s’y remettre et de repartir dans ses travers.
La voiture à présent ouverte, mission accomplie, Gaïa pouvait se faufiler sur la banquette arrière pour aller se jeter dans le coffre et y récupérer les clés. Clairement une scène que Nino ne louperait pas. Il retourna près de Lucia quand même, ayant presque honte de l’avoir oublié l’espace de quelques instants, mais il était certain que Gaïa avait jeté un œil sur elle pendant qu’il s’occupait de sa voiture. « Tiens, ton lacet. » il pouvait quand même lui rendre, elle en aurait sans doute besoin.
« Sincèrement. Tu m’as retiré une sacré épine du pied, et tant donné notre passé, jamais je n’aurais parié là dessus… » est-ce que l’italienne était obligée de ramener le sujet sur le tapis ? Ne pouvait-elle pas se contenter d’un merci et basta ? L’italien haussa les épaules. « C’est du passé. » et il estimait qu’il lui avait rendu la monnaie de sa pièce, c’était surtout à elle d’être rancunière à présent puisqu’elle avait passé un sale quart d’heure, à être rouée de coups de la part de grosses brutes sous les ordres du Marchetti.
« J’vais m’contenter d’te regarder galérer à aller chercher ton sac dans l’coffre et après ça, j’me barre. » qu’il ajoute avec un petit sourire satisfait sur le visage, empoignant la poussette de Lucia, tout en restant spectateur de la scène qui allait s’offrir à lui.

« Sérieusement Nino? Ça va t’apporter quoi de rester pour regarder ça? » bonne question, absolument rien en fait, juste un petit plaisir sur le moment et encore, même pas certain que ça le fasse tant marrer que ça. Mais il savait qu’elle allait être gênée alors pourquoi s’en priver. Il haussa les épaules, jetant un coup d’œil complice à sa fille, comme si elle savait ce qu’il pensait réellement et il déposa à nouveau ses yeux sur l’italienne qui se résigna à s’exécuter, sachant sans doute pertinemment qu’il ne bougerait pas avant qu’elle ai récupérer son sac. Bon, aller, pour le plaisir, il souriait quand même et il croisait presque les doigts pour qu’elle se cogne ou qu’elle n’arrive plus à sortir de là. Faut dire aussi qu’elle offrait un joli spectacle à l’italien qui ne s’empêchait absolument pas de se rincer l’œil, profitant de la cambrure de ses reins et de ses fesses rebondis sous ses yeux. Pourquoi se priver ? L’italien fu sortie de sa petite rêverie quand le bruit de déverrouillage automatique se fit entendre, signe qu’elle avait retrouvé le saint graal. Elle ressortie de la assez rapidement, allant récupérer son sac par la voie d’accès normale et le brandit sous le nez du Marchetti. Fière d’elle. « C’est bon tu t’es bien marré? » il haussa les épaules, il aurait répondu qu’il s’était bien rincé l’œil surtout mais préférait taire ses pensées : respect pour Adèle avant tout. « Merci. » La, il hocha la tête. « Quand même. » comme quoi, son passé et ses expériences pouvaient quand même servir pour la bonne cause de temps en temps. « Pas d’problème. » cette fois, il pouvait bel et bien s’en aller, mission accomplie. Et surtout, Kate attendait sans doute déjà de pied ferme qu’il lui ramène Lucia. Il s’étonnait de ne pas sentir son téléphone vibrer dans sa poche depuis belle lurette.
Sans rien dire de plus, l’italien ouvrit la marche mais fit un arrêt un mètre plus loin avant de se retourner sur Gaïa. « J’suis désolé. » pour tout, pour ce qu’elle a subi a cause de lui. Pour le passage à tabac dont elle avait été victime, même s’il avait toujours dit qu’elle l’avait bien cherché. Mais ses mots de leur dernière altercation l’avaient finalement touché et peut être bien qu’avec le temps, Marchetti était capable de se remettre en question de temps en temps…
Cette fois, il était vraiment temps de s'en aller.