Ah cette soirée Speed Dating, c’était parti d’une stupide compétition avec Murphy. Une boutade toute gentille à la base mais ça s’est tourné en un veritable challenge que ni toi ni elle n’a voulu abandonner. C’est comme ça que tu te retrouves ici avant l’heure prévu parce que t’avais mal vu mais c’est pas plus mal. T’as le temps de regarder les environs. Les gens qui sont dans le coin. Et puis y’a ce gars là plutôt très cute qui a l’air d’attendre quelque chose ou quelqu’un. Toi tu commences à être nerveux comme un con et les clichés ont la vie dure mais ce gars là a une tête de type qui a sûrement de l’herbe sur lui. Ca te détendrait bien. T’es pas un gros fumeur mais ça t’arrive. Ca t’arrive même plus que de raisons en soirées mais sinon tu fumes rarement. Un petit joint là ça te ferait le plus grand bien. C’est d’ailleurs exactement ce qu’il te faut. Tu fais un pas vers lui, te disant que s’il s’en va ou si quelqu’un se ramène c’est un signe de l’univers qu’il faut vraiment pas que tu te roules un joint là maintenant. Parce que au fond de toi t’es sûr qu’il a tout ce qu’il faut le gars. Tu juges grave Jordan c’est pas bien. Nah. C’est ton subconscient qui a juste très envie de se relaxer en un temps record. Sans avoir à aller faire une balade du pâté de maison avec ta playlist Piano dans les oreilles.

« Hey… T’as pas une clope pour me dépanner ou… Je sais pas. » Jordan, t’es le gars le plus embarrassant de la planète. « Juste une clope ça va en fait. » T’as envie de te mettre des claques parce que t’es trop con à commencer ta demande et à t’arrêter en plein milieu. Peut être qu’il a de la coc’. Ca se serait parfait d’ailleurs, mais ça ferait désordre car les effets sont pas les mêmes que de l’herbe pour te détendre simplement. « Mais si jamais t’as autre chose… » Jordan. Ta gueule.

Le gars est surpris par ta question mais tu sais pas, t’as une vibe parce qu’il te ressemble vu comme ça. Il te fait penser à toi. On t’a déjà abordé pour te vendre des substances dans la rue. C’est drôle quand on te prend pour un crack head. T’en as rien à faire. Tu le prends pas personnellement. Tu regardes même la marchandise parfois. On sait jamais. Mais non. Tu restes sur tes fournisseurs habituels qui sont plus de confiance. Autant qu’on puisse faire confiance à quelqu’un qui deal. Tu vois que le brun n’est pas en mode je suis outré je vais te casser la gueule et ça c’est plutôt cool. T’es pas venu pour finir avec des bleus sur ta tronche. T’en as déjà vu beaucoup. C’est vrai que ça fait longtemps tu t’es pas cassé un truc. Tu t’assagis mon petit. Et lui il te propose son paquet de clope comme si c’était la chose la plus naturelle alors que ça coûte super cher. – Tiens, sers-toi. Alors tu en prends une. – T’as cru que je dealais ou quoi ? Un sourire se forme sur tes lèvres parce que oui. – J’aurai choisi un autre spot pour ça, y’a que des coincés qui vont à s’genre de truc.

« Ou au contraire, c’est le meilleur spot. » Tu fais signe avec tes mains pour lui faire comprendre que tu veux son briquet. Vraiment tu as cru c’était ton pote le gars. Mais vu ses répliques, il est chill. C’est ce que tu as besoin là. « J’y vais juste parce qu’une meuf m’a mis au défi de le faire. Je l’ai inscrit et elle m’a inscrit. Je l’ai pas encore vu mais c’est sûr qu’elle va venir. Elle déteste perdre. » Penser à Murphy te relax un peu. C’est qu’un jeu. Faut que tu gardes ça en tête. T’aimerais bien voir sa tête blonde avant d’entrer là bas mais elle n’est pas à l’horizon. And that’s a shame. Sauf qu’à ce moment là une tête blonde se fait voir un peu plus loin dans la rue et ton cœur s’accèlère avant de se calmer parce que non ce n’est pas elle.

« J’espère que y’aura vraiment que des coincés comme tu dis. Ca va pas lui plaire. » Parce que t’as pas du tout envie qu’elle trouve mieux que toi. C’est avec toi qu’elle rentre ce soir. C’est ça ton plan. Tu le vois pas autrement. Ca te ferait bien chier sinon. Pourquoi elle est pas là. Parce que t’es en avance espèce de con. Détends toi. T’es tellement nerveux c’est risible. Et tu sais même pas pourquoi tu l’es en plus, c’est ça le plus hilarant.

Les speed dating, aka les événements devant lesquels je ricane en lisant les annonces. C'est un truc de merde, je suis persuadée que y'a que les accrocs au cul - ou les complètement paumés - pour aller à un truc pareil. Et pourtant, quand avec Jordan nous avons vu qu'un événement comme ça se tramait en ville, on a sauté sur l'occasion. C'était un défi de merde, pendant une soirée de merde. Un truc pas sérieux, du genre "si tu le fais je le fais". Et me voilà, les lunettes de soleil sur le nez et la moue contrite, vêtue d'une robe bleue. C'est vraiment un record, que je ne sois pas en retard. C'est même un record tout court que je me présente avec de l'avance. Une première aussi, pour le speed-dating, donc.

En fredonnant Only She Knwos de Loving, je me dirige tranquillement vers le lieu du rendez-vous. Je ne sais pas si Jordan a été convoqué à la même date que moi. "Convoqué". On dirait un truc très sérieux pour un job - si seulement. La porte est enfin en vue, et mes yeux se baladent ça et là pour essayer de deviner les candidats potentiels. Pour l'instant, nous ne sommes pas sur du gros niveau - pardon, je suis mauvaise langue : personne ne m'inspire la confiance que j'aurais aimé ressentir. Au moins, l'endroit n'est pas trop glauque.

Et là, surprise : c'est sur une tignasse blonde que mes yeux se posent, une tignasse que je suis certaine de reconnaître. Sa voix me le confirme bientôt. Un sourire fleurit sur mes lèvres et je m'approche, l'air de rien, alors que Jordan Fisher est en train de discuter avec - avec qui, d'ailleurs ? Il est très tôt, et je ne savais pas que Jordan était du genre ponctuel. En avance, même, si on en juge de l'heure. Le type avec lui est peut-être un ami. Ou peut-être qu'il vient pour le speed-dating, lui aussi. J'aurai peut-être le plaisir de le savoir plus tard, qui sait. « ...y’aura vraiment que des coincés comme tu dis. Ça va pas lui plaire. » « De qui tu parles ? De ton amoureuse secrète ? » Sans lui laisser le temps de réaliser, je viens lui planter un baiser sur la joue. L'allure vive, je m'éloigne déjà du lieu de rendez-vous. Il est trop tôt. Je préfère encore aller boire un verre dans la rue adjacente plutôt que de me pointer pour m'asseoir sur une chaise, l'allure trop désespérée pour ce truc que j'ai accepté de faire par défi. « C'est dedans, les rencontres amoureuses, les garçons ! Vous allez griller vos chances si vous discutez avant ! C'est mathématique ! », que je lance en traversant la rue, le sourire jusqu'aux oreilles.

T’allumes la clope avec le briquet qu’il te file. Ca faisait longtemps que t’avais pas fumé une clope normale. – Les coincés fument pas de l’herbe, même si ça leur f’rait pas d’mal mais bon… Tu lui rends son zippo. Il te fait rire comme il a l’air sûr de lui. Le gars il a une gueule et il sait s’en servir. T’aimes sa façon d’être. Il te fait penser à toi avant. Quand tu détestais tout le monde tout le temps. Maintenant tu détestes juste ton père et le fils de pute qui a créé l’accident de Rosa. - Tu vas t’faire chier comme un rat mort à mon avis… Surtout si t’y vas avec la meuf que t’as envie de serrer à la base. Un sourire amusé sur tes lèvres. Comme il dit ça. Il est si nonchalant. Il a la réponse à tout. T’aimes les gens qui n’ont pas peur de dire le fond de leur pensée. « ...y’aura vraiment que des coincés comme tu dis. Ça va pas lui plaire. » « De qui tu parles ? De ton amoureuse secrète ? » Oh. Okay. Elle est là. Y’a ses lèvres sur ta joue que tu sens bien et ton bras qui va rapidement se mettre autour d’elle mais elle est déjà en train de filer, t’as pas pu profiter de la sensation. C’est pas grave. Mais t’as un putain de sourire de con qu’elle soit venu t’embrasser alors que vous faites pas équipe ce soir. C’est chacun de votre côté. Tu voulais la voir avant de commencer mais la voir de loin. Est-ce qu’elle se rend compte qu’elle vient de perdre ? Mais t’es très heureux qu’elle ait laissé son ego de côté une minute le temps de venir te dire bonjour. Parce que c’est comme ça que tu le prends.  « T’aimerais bien. »

T’es con. T’es trop con. Mais t’aimes trop ça jouer avec elle. Ca te fait bien fou quand t’es avec Murphy. C’est bon. Elle est là. Elle est même en avance. « C'est dedans, les rencontres amoureuses, les garçons ! Vous allez griller vos chances si vous discutez avant ! C'est mathématique ! »

« T’inquiètes, je suis sur un coup. » Tu fais bien sûr référence à Abel alors que t’es en train de mater le cul de Murph qui est en train d’aller de l’autre côté de la rue. Tu sais pas si elle t’a entendu. – Elle est bonne, j’comprends.  Il l’a vu lui aussi. Tu retires sur ta clope. Pensif… « Ouais. » – T’es trop stressé, mec en tout cas ! J’suis pas dealer, mais j’ai ce qu’il te faut pour te détendre s’tu veux… A condition qu’on s’éloigne un peu, là ça craint, on dirait deux pauvres tâches qui s’répètent leurs meilleures tirades de drague pour pas s’faire jeter dès la première minute ! C’est un système de minutes ou quoi ? Tu sais si y’a genre un temps de présentation, des temps à deux ou à plusieurs ? Le gars il parle beaucoup mais il dit pas que de la merde et toi tu l’avais cramé à dix kilomètres à la ronde qu’il avait des trucs pas légaux sur lui.

 - Viens, suis-moi… Fuck yes. Tu le suis sans broncher.  – C’est d’la weed. Fuck yes. Il a pas l’air serein. Tu veux bien croire qu’il est pas dealer. Il est pas habitué à sortir sa came dans la rue comme ça.  – Tu devrais pas t’inquiéter, y’aura que des coincés barbants à l’intérieur. J’dis pas qu’ils vont pas tous la mater elle, car clairement ça va être le cas, mais… y’en aura pas deux comme toi à là-bas, t’inquiète.  Tu le trouves super sympa à dire tout ça pour te rassurer. Le gars tu le connais de nulle part et il te dit ces mots réconfortant. Tu sais pas pourquoi t’as mérité ça mais vraiment, t’es touché. Tu tires sur le joint qu’il vous a préparé. Parce que oui, tu viens de décrété qu’il était à vous deux. T’es en avance. T’as le temps de tout fumer. Ta clope à la main qui se consomme alors que les choses plus intéressantes se trouvent à tes lèvres. « Thanks man. » – Tu t’appelles comment ? Moi, c’est Abel. 

Tu souffles la fumée. « Romeo. » Tu crains Jordan. Quoi. Vraiment, t’es incroyable. Cette obsession avec Romeo. C’est pas sain du tout. Mais t’as pas pu t’en empêcher.« C’est mon premier date depuis des années et je suis sûr que même ta weed va pas suffire à me calmer. » Parce que c’est bien light tout ça. T’es trop habitué à charger comme un gros forcené. « Je me sens trop con d’être si nerveux je pensais pas. » Vraiment. T’as envie de te facepalm. « Bon et toi ? Pourquoi tu détestes le monde entier ? » Parler de lui c’est mieux. Ca va te faire oublier ton propre stress.

Il se marre à ton prénom. C’est limite si tu vas pas être outré parce que c’est un putain de beau prénom et tu aurais rêvé l’avoir pour de vrai. T’as déjà pensé à le mettre comme nom d’artiste mais tu l’as pas fait. Ton nom. Ton vrai nom. C’est important. Que tu montres à ton père que son nom est connu même s’il a aucun mérite pour ça vu qu’il ne t’a jamais soutenu. Il a aucune idée. Il s’intéresse pas à toi. – Oh pardon mec, mais sérieux… Roméo au speed-dating ! T’as refait ma nuit-là, putain… Ca te fait sourire qu’il prenne ça comme une bonne histoire à raconter. T’es le Romeo de l’ombre. Car tu ne l’es pas vraiment. C’est ton identité secrète. Comme Batman.   – Non sérieux, tu t’appelles vraiment Roméo ou tu t’fous d’ma gueule là ?  « Quoi ? J’ai pas une gueule à m’appeler Romeo ? »

Tu tires un peu plus sur ta clope et tu vas le laisser dans cette illusion que tu t’appelles vraiment Romeo. Tu l’es un petit peu si lui le croit vraiment. Suffit que quelqu’un croit tes paroles pour leur faire prendre vie. Ca te plaît d’être Romeo aux yeux de quelqu’un.  Et tu sais pas pourquoi ce gars il continue de te rassurer mais il le fait. – Y’a pas d’enjeu mec, détends-toi. Qu’est-ce t’en as à foutre en vrai ? La meuf que tu veux, elle vient de passer là et elle a clairement marqué son territoire donc… Tu devrais l’prendre différemment puisque y’a pas d’enjeu : t’es pas là pour pécho une meuf. Si ? Fin, j’veux dire… Tu peux pécho facilement en vrai, t’as juste à sourire et c’est bon mais… C’est ce que tu veux ? Ses mots te font du bien et ça te fait tellement bizarre d’être dans cette configuration de nouveau. T’as l’impression d’avoir 16 ans. Murph. Elle est trop souvent dans tes pensées pour que ce soit juste chill comme tu essaies de garder tout ça tout le temps. Et je vais continuer. Parce que t’es dans un gros déni sur le véritable conflit qui se cache là-dessous. Est-ce que c’est ça que tu veux ? Tu veux pécho le premier venu ? Nope. Voilà. – Parce que si tu t’en fous, y’a pas d’raisons d’être stressé.  

« Ouais.. » C’est bien là le problème. Ta tête te dit que tu t’en fou, mais ton cœur pense tout autre chose. Ca te fait chier. Alors tu tires plus fort sur ce joint que tu oublies de faire circuler. C’est le tiens maintenant. Et vraiment t’as besoin d’arrêter de penser à tout ça. Une latte de plus et tu changes le sujet. – Parce que le monde entier me baise. Tu connais ce feeling. « J’ai pas eu cette chance là. » T’es con. La weed fait son effet. T’as un léger sourire aux lèvres.  

« J’espère que le karma va tourner en ta faveur man. » T’espères aussi que karma va apaiser tes réflexions. Je gère. Tu gères rien Jordan, t’es stressé pour un jeu de speed dating c’est totalement risible. Tu tires de nouveau sur le joint. Je veux pas être en retard. Tu veux surtout avoir de nouveau tes yeux qui se posent sur cette tête blonde.  « Merci pour la weed. » Il était pas obligé vraiment. C’est généreux de sa part. « Et pour tes mots. » Les mots et toutes ses phrases t’ont fait du bien. Quand on est angoissé de façon irrationnel c’est vraiment tout ce qu’on demande. Que quelqu’un nous dise que tout va bien se passer. Aucune idée si c’est la vérité mais rien que ces mots t’apaisent pour l’instant. Ou pas. Mais tu t’y accroches.

– Pas vraiment, mec. Mais c’est cool, fin… L’ironie t’sais : Roméo va au speed-dating.  Ca te fait sourire. C’est vrai que vu comme ça, c’est très risible. C’est que ça t’inspirait presque une chanson cette affaire là. A méditer. Ton téléphone est déjà rempli de notes, d’idées, de bouts de phrases, d’associations de mots. Ca en fera une de plus à la liste. Une qui s’accordera à une autre phrase pour former un tout quand le moment sera le bon.  – Tant mieux pour ton cul.   Nouveau sourire. Tu essaies de mettre ça sur le compte de la weed mais tu sais que c’est lui, ce gars là et ce gars seul qui te change les idées là maintenant tout de suite. Que ce soit via le joint ou ses phrases à la con, c’est tout lui. Thanks man. Que tu le remercies de nouveau dans ta tête parce que tu sais que tu viens juste de le faire. T’es anxieux, tu le sais, il le sait aussi, tu vas pas pousser à lui faire pitier à force de le remercier. Dans deux minutes tu vas commencer à t’excuser d’exister. Non. Tu refuses. – Normal, mec, ça va bien s’passer t’inquiètes. Tiens, file-moi ton numéro, tu m’raconteras la fin de soirée. Si t’as pécho une go, ou ta go… Il est vraiment sérieux là ? Il veut un suivi de ta soirée ? Et toi t’es sérieux à prendre son téléphone pour y entrer ton numéro comme il le suggère ? « J’aime comme t’es investi. »

Sourire amusé aux lèvres mais vraiment, tu pensais pas qu’il s’intéresserait autant à ton petit bout de vie de ce soir. Il a aucune idée de tout ce qui se cache derrière tes doutes de ce soir. T’aurais besoin d’une vie entière pour t’expliquer. Mais il ne demande pas ça, il veut juste le fin mot de l’histoire. C’est qu’une distraction pour lui. C’est comme ça que tu le prends et tu t’en fous, chacun trouve ce dont il a besoin dans cette situation et tout le monde est content. C’est l’important.  T’essaies de rester chill, tu lui fais un clin d’oeil avant de filer de ton côté. « Si t’as pas de nouvelles ce soir prend ça comme un bon signe. » Ou bien que tu seras aller te jeter du toit d’un immeuble mais tu retiens fort cette pensée, tu ne sais pas s’il prendra l’humour noir si bien. Tu le connais pas du tout le gars en fait. Après quelques pas tu prends une profonde inspiration parce que ouais. T’es anxieux.