Un enterrement. Un de plus. T’as été à plus d’enterrement que de mariage dans ta vie. C’est limite normal pour toi d’être entouré de fantômes. D’aussi loin que tu te souviennes. Les cimetières, les crématorium, c’est la maison. Peut être pas. Mais ouais, c’est triste que ce soit un truc si commun pour toi. La mort fait parti de la vie. Tu le sais depuis ton plus jeune âge. Depuis que t’as compris que quand on dit que ta mère est au ciel, c’est pas parce qu’elle est hôtesse de l’air. Nope. Elle est au paradis. Un jour t’as compris. T’étais petit. Mais tu t’en souviens comme si c’était hier. Et là aujourd’hui, alors que tu es dans le jardin de la maison familiale de Vinny, tu te perds dans tes pensées. La dernière fois que t’es venu ici c’était y’a des années lumières. Jamais dans ce monde tu aurais pensé que ce serait pour ses funérailles que tu reviendrais ici. C’était un ami proche y’a quelques années de ça et puis vos chemins se sont un peu séparé parce que justement il touchait trop à la drogue. Ca fait plusieurs années que tu n’es plus consommateur régulier de ton côté. Tu sais te gérer. Tu n’en as aussi plus besoin comme avant. T’es en paix avec toi même. Tu sais que c’est pas facile à faire. Chacun son parcours, chacun sa façon de gérer la vie. T’as fait ce que t’as pu pour l’aider mais sans jamais le forcer à quoi que ce soit. Si les gens ne veulent pas s’aider, ça sert à rien. C’est comme ça que tu vois les choses. T’as rien pu faire de plus que l’aimer et t’éloigner petit à petit parce que ça fait mal de voir quelqu’un qu’on aime se détruire. Quelqu’un qui prend pas les mains que tu lui as tendu maintes et maintes fois. Ca n’empêche que t’es là aujourd’hui parce que vous vous appeliez toujours deux fois dans l’année. Son anniversaire et le tiens. Tes yeux se retrouvent sur un bout de la clôture en bois qui est cramé. C’est toi qui avait fait ça. Il y a bien longtemps. Tu t’approches et tu vas passer tes doigts dessus.« Là. Prend de quoi manger. » Tu reconnais la voix de la mère de Vinny. Tu tournes la tête pour la voir te tendre une assiette qu’elle a rempli de mini sandwich du buffet froid. Mais genre, y’a une pile carrément, une montagne. Ca te fait marrer.

« Toujours dans l’extrême. »

« T’es trop maigre. » Elle te fait trop rire et y’en a plein qui pourrait dire que c’est déplacé de rire avec la mère du défunt mais la vie continue malgré tout ce qu’on peut en dire. Et Kristen est comme une tante que tu n’as jamais vu assez mais qui prenait toujours des nouvelles de toi malgré tout. C’est ça de la connaître depuis que t’as 15 ans.

« Je suis pas trop maigre. »

Elle fait « non » de la tête. Elle est pas du tout d’accord avec toi et elle est déjà en train de filer parce qu’elle est pas d’humeur et tu comprends. Evidemment. Sauf que tu vas la rattraper, une main qui tient ton assiette pleine à craquer et l’autre qui va la passer autour de ses épaules pour aller lui faire un hug et un baiser sur sa joue.

« Merci. »

Tu sais ce qu’elle fait là. Elle prend soin de toi parce qu’elle peut plus prendre soin de Vinny. « Ca va ça va. » Et elle se défait de toi comme si elle était saoulé mais elle est restée contre toi bien trop longtemps pour que ce soit le cas. Tu n’en fais pas état. Cette journée, et toutes les autres qui vont suivre, seront difficiles pour elle. Tu la regardes filer et tu prends un mini sandwich que tu mets dans ta bouche avant de croiser le regard de Aylin non loin. Tu lui tends ton assiette si elle a faim. Y’en a vraiment trop juste pour toi là. Je peux tout manger facile.

Tellement de visages que tu n’as pas vu depuis longtemps ici. Tellement de gens que tu es sûr d’avoir fini en mauvais termes parce qu’à une époque, t’étais tout le temps high ou ivre. Du coup c’est facile pour que ça dérape. Tu oses pas du tout aller vers eux parce que tu te souviens pas. Tu veux pas lancer un drame alors que vous êtes là pour saluer la vie de Vinny. C’était un gros bordel ça changerait pas grand chose Et puis il y a le visage de Aylin qui est déjà plus réconfortant. Elle était aussi high que moi. Ouais, les plupart des fois que vous vous êtes vu par le passé. Mais tu sais aussi qu’elle a changé sa vie et c’est aussi ton cas. Tout ça pour dire, que vous vous comprenez et ressemblez sur bien des facettes. C’est donc naturellement que tu lui offres une invitation silencieuse à te rejoindre. Ce qu’elle fait et tu apprécies beaucoup. - Quelle journée pourrie hein ? J’aurais jamais pensé qu’on se recroiserait pour ce genre d’évènement. Tu hoches la tête.

« Ouais… »

T’es un peu dans tes pensées, en train de manger un des milliers de mini sandwich de ton assiette. J’aurai dû venir voir la mère de Vinny plus souvent. Tu sais pas pourquoi tu penses ça parce que t’en sais rien si ça aurait changé quoi que ce soit. Tu essaies de chasser cette pensée parce que tu sais pertinemment que des « si » ne servent à rien du tout. Voir la mère de Vinny prendre tant soin de toi, ça te rempli le coeur et t’es sûr qu’elle n’a pas eu beaucoup d’occasion de s’occuper de quelqu’un depuis longtemps. Et toi. T’as jamais eu de mère et elle autant que ta belle-mère Maria te donnent l’illusion de ce que ça aurait pu être. Tu sors de tes pensées en réalisant que tu fixes Aylin depuis peut être trop longtemps.

« T’as super bonne mine. »

C’est vrai. Les principaux souvenirs que t’as d’elle, elle était loin de rayonner comme ça. Tu sens le regard de quelqu’un sur toi et tes yeux dévient légèrement vers ladite personne qui tourne la tête aussi pas discrètement et tu roules les yeux.

« Est-ce que toi aussi y’a des gens qui te dévisagent mais tu te souviens pas du tout d’eux ? Ou bien je suis juste parano ? »

Ca te fait un tout petit peu sourire parce que tu essaies de dédramatiser la situation. T’es parano. Ca t’arrives. Tu l’étais à la puissance mille quand tu étais high. T’aimais pas ce feeling là du tout. Horrible.

« Heureusement ils ont l’air tous assez civilisé et ils viennent pas se jeter sur moi pour me mettre une droite. »

Nouveau léger rire. Je suis trop drôle.

- Merci, qui aurait su qu’essayer de ne pas se tuer à petit feu ferait autant de bien à la peau ? Tu as bonne mine aussi. Elle est drôle. Elle est souriante. C’est exactement ce qu’il te fallait là tout de suite. Quelqu’un qui n’a pas peur de rire de soit. De sa déchéance passée. Parce que tu t’identifies bien trop à ça. C’est exactement ton parcours aussi. T’as pas peur d’en parler non plus. Signe que ça va vraiment mieux maintenant. Tout va bien. Et elle aussi va bien. - Je t’avoue que j’ai une tellement grosse partie de ma vie dans le brouillard que pour moi la moitié des gens qui nous dévisagent sont de parfait inconnus. Je pense pas que tu le sois complétement. Vraiment, vous vous comprenez trop bien. Tu hoches la tête. Vous êtes pareil. - Je pense que c’est pas que toi, je suis certaine que je m’en souviens pas mais je dois surement de l’argent à quelques-uns. Tu lâches un gros rire. Tu penses que toi aussi sûrement. T’as pas toujours eu l’aisance que tu as maintenant depuis que t’as gagné au loto et que tu as du succès dans ton travail. Tu penses qu’ils se jettent sur nous dans pas longtemps, je dirais dès que la drogue sera un peu redescendue.

« Oh gosh, c’est grave salaud ce que t’as dit ça. C’est la strict vérité en même temps. »

T’es pas mieux qu’elle. Vous pouvez rire de ce sujet et ça fait un bien fou. T’aimes pas quand les gens s’offensent pour un rien. Malheureusement c’est la plupart des gens de nos jours. Tes yeux sont attirés vers la mère de Vinny qui est un peu plus loin, avec une sale mine. Normal. Tu perds ton sourire et tu te perds aussi dans tes pensées avant de reprendre la parole.

« C’était quand la dernière fois que tu l’as vu ? »

Bien sûr tu parles de Vinny.

« Je me souviens plus quand je l’ai vu en dernier, ça remonte à trop loin…Mais je l’ai eu au téléphone pour mon anniversaire. Il est un des rares qui prenait encore le temps de téléphoner plutôt que de mettre un message sur facebook. »

Il te manquait déjà. Il va te manquer jusqu’à la fin de tes jours maintenant. Trop dommage qu’il s’en soit pas sorti…

- Bah quoi c’est la vérité, je pense que un tente il tombe le nez en premier sur la table. Je crois pas que je vais faire de vieux os ici. Tu ris avec elle. Elle y va pas avec le dos de la cuillère et c’est vraiment bien. Un peu de bonne humeur dans cette journée triste. Et toutes les autres qui vont suivre. Que tu penses quand tes  yeux se posent sur la mère de Vinny. C’est une journée pour se souvenir de lui. Il vous réunis tous ici aujourd’hui alors tu commences à parler de souvenirs. La dernière fois que tu as eu de ses nouvelles. Tu manges un nouveau sandwich alors qu’elle prend le temps de te répondre. - Je ne sais plus trop… Je crois que la dernière fois c’était peu avant mon overdose. J’étais venu lui demander de me dépanner de la cock car j’avais plus rien et on s’étaient engueulés car il avait pas voulu. A ses yeux je sombrais de plus en plus et ça l’inquiétait, je l’ai envoyé chier et au final il avait raison, 3 jours après overdose. Tu hoches la tête. T’étais pas au courant de cette histoire. Vinny voyait les gens se détruire mais il ne voyait pas ce qu’il se faisait à lui-même en même temps. C’est tellement ironique. On veut aider les autres mais ne pas s’aider en premier alors qu’on est la personne la plus importante de notre vie après tout. Ca te fait très chaud au cœur d’apprendre cette partie là de la vie de Vinny et Aylin. - Franchement il me manquera celui-là, y’en avait pas 36 des gens comme lui. Il était toujours là pour nous aider et se rappeler qu’on existait. Tu hoches la tête à ses mots. La réalité qui te remet une claque. Il est parti. Ca y est. Tu ne le reverras plus jamais. Tu sais même plus quand était la dernière fois que tu l’as vu, c’est triste. La vie est compliqué. T’as fait ce qu’il fallait pour toi avant tout. Il n’a pas voulu t’écouter. Tu n’as rien à te reprocher. - Ça te dit qu’on sort un instant ? J’ai besoin de fumer… Je crois que c’est trop pour moi là. Tu hoches la tête de nouveau et la suit à l’extérieur où tu te sens le mieux. Pas comme si t’étais dans une prison dans la maison mais, là y’a de l’air, tu peux respirer. Et elle prétexte devoir fumer mais t’es sûr qu’il y a autre chose de plus là-dessous.

« Sinon, t’habites dans quel coin maintenant ? Tu fais quoi ? » Parce que ça fait vraiment beaucoup de bien de la revoir après tout ce temps. De la revoir en si bonne santé. « Moi je suis à Fortitude Valley depuis genre 5 ans. » Le quartier que tu squattais tout le temps plus jeune. Le quartier où tu proposais toujours de vous voir avec le gang. Où souvent ils te disaient d’aller te faire foutre parce que c’était trop loin. Et t'enfournes un nouveau sandwich. Apparemment tu vas tous les manger si tu continues à ce rythme. J'ai pas grand chose chez moi. Donc tu fais ton repas du soir maintenant.

- Figure toi que j’habite à Fortitude aussi mais depuis quelques mois. Après ma cure je suis allée vivre chez mon frère un an car j’avais nulle part d’autre où aller. Puis me voir après 5 ans sans nouvelles dans un hosto ne la pas motivé à me laisser repartir dans la nature comme si de rien n’était. J’ai trouvé un taff dans une association contre les addictions, je m’occupe de l’accueil. Le boulot est pas ouf et ma collègue un peu chiante mais ça me permet de rester dans le droit chemin. Ta cure toi c’est quand t’as retapé la maison que t’as acheté. Tu t’es mis corps et âme là dedans même si techniquement c’est pas toi qui a fait tous les travaux mais tu étais là à tous les instants. Tu as mis la main à la patte. Surtout dans la peinture pour dire la vérité. T’as beaucoup trop aimé pouvoir faire des graffiti sur ton mur librement sachant qu’après ce serait recouvert. Sauf que t’y as pris beaucoup trop goût et t’as fini par écrire un tas de paroles. Certaines que t’avais déjà sous le coude et d’autres sur l’inspiration du moment. T’as l’impression d’être entouré de tes mots chez toi sans que personne ne le sache. Et sans que tu ne t’en rendes compte, t’avais pas touché à la drogue pendant plus de trois mois. T’avais un nouveau fix. Ta maison. C’était sain. Ca l’est toujours.

« C’est super cool ton job. T’as vraiment le background qu’il faut pour. » Tu sais qu’elle peut véritablement aider les gens parce qu’elle est passée par là. Pas comme tous les professionnel qui voient juste des patients et sont dans leurs théories. Elle, elle l’a vécu. Ca vaut tous les diplômes du monde à ton avis. Les gens vont plus la croire elle qu’un autre. Raconter ton histoire aussi ça a aider certains. T’as bien retenu la fin de son speech. Ca l’aide à rester dans le droit chemin. C’est clairement pas facile tous les jours. Elle était très très dépendante. « Je suis fier de toi. » Parce que c’est pas facile.

- Et maintenant j’ai mon propre appart à Fortitude. Et toi tu deviens quoi ? Toujours branché musique ? Si tu savais à quel point je rêve de me refaire un concert, ça me manque. Large sourire sur tes lèvres. Tu hoches la tête. « Toujours. » C’est ce qui t’a tenu en vie toutes ces années et qui continue encore. Tu peux pas t’arrêter. C’est ta thérapie. « Suffit de demander. Y’a Polaris bientôt mais je sais pas si tu kiffes. » Parce que c’est du lourd. « J’y vais en tout cas si jamais tu veux passer la soirée avec un fanboy, c’est ta chance. » Surtout que c’est tes potes les gars. « Je t’invite. » T’es trop généreux. Si elle aime pas la musique au moins elle aura pas payé. C’est pas faux. T’as oublié d’approfondir sa première question. Tu t’es envolé passionnément dans la conversation sur les concerts à venir ou le concert dans ce cas là.

- Oui c’est pas mal, je me sens un peu utile comme ça même si la plupart du temps je fais juste les renseignements et l’accueil. Mais en tout cas ouais c’est sûr que c’est mieux d’avoir quelqu’un qui a vécu la même chose que toi en face au début, que tomber sur quelqu’un qui n’a aucune idée de la merde que ça peut-être et qui te prend de haut. Et ça ça vaut tout l’or du monde à ton avis. T’écoutes beaucoup plus les gens qui ont vécu un truc que ceux qui ont juste lu dans les livres.   - Je suis fier de toi aussi ! Un sourire sur tes lèvres. Vraiment vous en avez fait un sacré bout de chemin tous les deux. Vous êtes si beaux. Vous êtes si responsable. A des années lumières de l’époque où vous vous fréquentiez. Tu dis pas non faire un concert avec elle en étant pas high pour une fois. - Oh sérieux ? Merci beaucoup pour l’invit’ ! Je connais pas mais je fais confiance en tes gouts pour savoir que dans tous les cas ça sera un groupe de qualité. Donne-moi ton num’ je l’ai perdu en changeant de téléphone. Tu sors aussitôt ton téléphone qui n’est jamais bien loin de toute façon. Tu lui donnes ton numéro. - Ça te dit qu’on aille boire un coup dans un bar ? Je t’avoue que me sentir cerné par des gens qui me donnent l’impression qu’ils veulent me sauter dessus me fatigue. Tu remarques les gens qui détournent leur tête quand tu relèves la tienne. Tu roules les yeux.

« Je vais dire au revoir à Kristen et ouais. Je te suis. »

Parce que de toute façon tu sais qu’elle va être occupé avec tout le monde ici pendant encore de longues heures. Y’a qu’elle qui est importante pour toi ici. Tu repasseras demain quand ce sera plus calme. Tu as déjà dans l’idée d’acheter un gateau au chocolat ou de la glace ou des tablettes. Du chocolat en tout cas. Vous allez vous empiffrer tous les deux. C’est ça ton plan chill du lendemain. Le plan pour avoir un petit peu de plaisir malgré les souffrances de l’âme. C’est donc sans aucune gêne que tu coupes la conversation que Kirsten a l’air d’avoir avec quelqu’un que tu ne connais pas. Tu la prends doucement dans tes bras et dieu sait que ce n’est pas un geste que tu fais à beaucoup de monde. Tu embrasses sa joue doucement.

« Je repasses demain. »

Elle hoche la tête et tu sens qu’elle s’accroche à toi. Tu frottes doucement son dos et la garde contre toi un moment non négligeable. Elle en a besoin. Peut être que toi aussi. Ca fait longtemps que t’as pas hug qui que ce soit. La tendresse ça fait du bien. Les câlins. Ouais ouais. Fait pas genre Jordan. Tu te rends même pas compte que t’es en manque de douceur. Je suis très bien comme ça. Alors il serait temps de lâcher Kristen. Encore quelques secondes… Et un baiser sur la tête supplémentaire, elle se détache et tu fais genre tu ne remarques pas ses yeux humides. Un dernier clin d’oeil et un sourire avant de faire un signe général de la main pour tout le monde dont tu en as rien à cirer qui sont là. Et te voilà en train de sortir de la maison, piquant un dernier mini sandwich pour la route.