Dans un geste de rage je claque la porte de la maison qui s'ébranle, tant les fondations Indienne ne sont pas faites pour pouvoir contenir l'impulsivité des allemands. J'ignore toutefois les plaintes en langue étrangère et commence à marcher pour remonter la rue jusqu'à arriver au bord du village. Là, je vire à gauche pour emprunter un chemin caillouteux qui traverse une petite forêt et qui débouche sur un lac. C'est à cet endroit que je me stoppe et que je laisse échapper un hurlement de rage que j'ai réussi à contenir jusqu'ici. Je laisse durer le cris jusqu'à ce qu'il ne s’essouffle de lui-même et fini par m'accroupir au sol dans un soupire de lassitude.

Trois ans. Voilà le temps qu'il nous a fallut à mon frère et a moi avant notre première vraie dispute. Nous avions presque réussi à passer le cape des trois ans sans engueulades, mais je crois que chacun d'entre nous à emmagasiner bien trop de pression et que celle-ci devait sortir à un moment donné. Malheureusement, c'est sorti au pire moment car ça ne fait que 12h que nous avons emménagé dans cette maison  pour travailler dans ce village afin de mettre un peu d'argent de côté avant de repartir sur la route. A la base, notre but est d'atteindre le Nepal avant l'arrivée de l'hiver. Malheureusement, depuis notre arrivée en Inde, toutes les galères que nous avions réussi à éviter jusqu'alors semblent nous tomber dessus d'un coup. C'est sans doute pour cela que nous nous sommes prit la tête, car la pression devait bien sortir un jour.

Dans un nouveau soupire, je me laisse tomber en arrière sur les fesses et m'installe à même le sol, le regard rivé sur la surface plane de ce lac. Observant le couché de soleil qui se reflète gentiment sur l'eau, je me viens à me demander si toute cette idée de tour du monde était la bonne, avant de me sortir directement cette idée de la tête. Je ne vais quand même pas remettre en question toutes ces années de bonheur juste à cause d'une simple prise de tête avec Ian. Certes, cette engueulade était violente et chacun d'entre nous a balancé d’atroces obscénités à la gueule de l'autre, mais ce n'est pas la première fois que nous agissons comme cela. Au final, nous avons toujours réussi à nous en sortir et à nous réconcilier. Mais alors pourquoi ai-je l'impression que cette fois-ci on ne parviendra pas à faire la paix à temps ?

Je l'aime mon frère, genre vraiment. Je ne pourrais être sur les routes avec personne d'autre tant nous sommes complémentaires. Bien que nous n'ayons aucun point commun, nous nous sommes découvert ce profond respect mutuel qui nous aide à surmonter bien des défis. Cette dispute, bien que violente, n'est que logique, non ? Quelque chose par où nous devons passer et non une épreuve qui va nous mettre dans la merde. Fermant les yeux, je me masse les paupières quelques instants et soupire doucement, las de toute cette situation, las des galères qui nous arrivent sur la gueule, las de cette fatigue qui s'accumule dans mon corps. Las de la vie actuelle. Je sais bien que dès demain tout ira mieux, que nous aurons une belle discussion telles les deux adultes que nous sommes et tout s'arrangera. Mais aujourd'hui j'ai juste envie de crier et hurler toute ma frustration.

Malheureusement, je remarque bien trop rapidement que je ne suis pas seule car une voix féminine m'interpelle, expliquant qu'elle a surpris mon cri de rage et qu'elle se demandait du coup si tout allait bien. Rouvrant les yeux, je lève la tête alors que mon regard se pose sur la silhouette d'une jeune femme. Plissant les yeux et mettant une main en casquette au dessus de mes yeux à cause du soleil se trouvant derrière elle, je ne peux qu'hocher la tête lorsqu'elle me demande si elle peut s'installer à mes côtés. D'un reflex idiot, je me décale légèrement vers la gauche pour lui laisser assez de place.

 « ça va» assurais-je après quelques instants de silence  «Vraiment, je … enfin c'est juste un trop plein d'émotions qui devaient sortir là » j'hausse les épaules puis reporte mon attention sur le lac et ramène mes genoux vers mon torse, les entourant de mes bras  « Je voyage avec mon frère depuis trois ans déjà et tout se passait tellement bien. On a fait une bonne partie du monde et c'est notre deuxième fois à Indes. La première fois s'est passée tellement bien et là … y a que des galères. Y a absolument rien qui va et je crois qu'on a tous les deux emmagasiner bien trop de frustrations donc ça a explosé aujourd'hui» je soupire et secoue doucement la tête, un fin sourire venant enjouer mes lèvres  «Nos pauvres hôtes n'ont sûrement pas compris ce qui leur arrivait lorsqu'on a commencé à s'engueuler en allemand » je me masse un instant le front puis tourne mon regard vers la jeune femme  «C'est gentil de t’inquiéter pour le sort d'un illustre inconnu, mais vraiment ça va» je lui adresse un doux sourire puis lui tend la main  « Martin»

C'est bizarre, mais les paroles de cette inconnue ont cette faculté d'être rassurants. Le ton sur lequel elle s'exprime est doux et ses mots sont parfaitement choisis pour apaiser mon esprit qui s'est un peu trop emballé. Elle me prouve, en parlant ainsi, que les dires des gens qu'on ne connaît aucunement ont un pouvoir inégalable. D'autant plus que ses mots sont vrais et emplis de sincérité. Car elle ne me connaît pas, ni d'Adam ni d'Eve, pourquoi devrait-elle me mentir ? Dans un léger soupire, j'hoche doucement la tête lorsqu'elle me dit que les prises de tête sont quelque chose de normal et que malgré tout j'ai beaucoup de chance de voyager avec mon frère, que les galères font aussi parti du voyage et que tout ne peut pas toujours être parfait. Elle avoue ensuite avoir deux frères qui lui riraient au nez s'ils l'entendaient parlé ainsi.  «Les frères sont toujours tous pareil » dis-je avec un petit rire.

 « Mais tu as tout à fait raison» reprenais-je finalement  «Malgré tout, j'ai de la chance de pouvoir voyager comme je le fais et même si c'est pas toujours rose, je dois avouer que je vis clairement ma meilleure vie depuis 2007» je laisse échapper un soupire puis étend mes jambes devant moi et secoue doucement la tête  « et ouais, je suis allemand» expliquais-je lorsque la jeune inconnue s'étonne de mes origines  «Je suis né Munich, une ville dans le sud de l'allemagne. Ma mère était allemande et mon père était français, donc j'ai grandit entre les pays et les deux langues en vrai. Et l'anglais est venu s'ajouter de façon tout à fait naturelle  » je ne me rend compte qu'après avoir parlé que j'ai parlé de mes parents au passé. Même si dans à peu près deux mois ça fera 10 ans qu'ils ne sont plus de ce pays, j'avoue que j'ai encore du mal à utilisé le passé lorsque je parle d'eux.

Mais, histoire de changer de sujet, je décide de remercier mon inconnue de s'inquiéter pour moi et, espérant quelque part qu'elle ne rebondira pas sur le sujet de mes parents, je me présente. A son tour, elle me révèle son prénom m'avouant s'appeler Zoya. Court, simple, efficace et tout juste assez original pour que je n'aurais pas de problèmes pour le retenir.  « Enchanté Zoya» souriais-je en serrant sa main dans la mienne. Lorsque je relâche ses doigts, elle me demande si ça m'a fait du bien de crier et j'hausse les épaules  «je crois bien que oui» dis-je après quelques secondes de réflexion  « enfin bref … comment ça se fait que tu sois venu te perdre ici, dans ce petit village ?» demandais-je finalement afin d'embrayer sur un nouveau sujet qui sera sans doute plus intéressant que mes déboires avec mon frère.

Je recule légèrement la tête dans la nuque alors qu'une moue de réflexion s'affiche sur mon visage  «hm... » je fronce légèrement les sourcils  «Tu veux pas plutôt la liste des pays que je n'ai PAS visiter ? Ce sera plus simple ! » je laisse échapper un rire amusé et me redresse un peu, changeant mes appuies sur le sol  «Alors, je suis parti en Nouvel Zélande en janvier 2007. J'y ai rejoint mon frère qui était déjà parti quelques années plus tôt. Après quelques semaines de négociation, il a mit ses études en pause et on est parti. On a commencé par l'indonésie, puis le vietnam, la Thaïlande, l'Inde … puis on est parti en Europe où on a fait le suède, la norvège, l'Islande avant de revenir en Allemagne en faisant un détour par la France...et ça fait un mois qu'on est de retour ici, en Inde parce qu'on avait adoré ce pays lors de notre première visite » je souris doucement et pose mon regard sur Zoya  « D'ici un ou deux mois on prend l'avions pour traverser le globe et partir à Buenos Aires. Et je pense que notre destination finale ça va être l'Australie» mon sourire s'agrandit  «L'Australie c'est un rêve, genre un vrai rêve depuis que je suis gamin. Faut voir comment on va gérer avec les visa et tout ça mais je partirait sur un Permi Visa travail dans un premier temps et j'aviserais sur place je pense » j'incline légèrement la tête sur le côté  « T'as déjà été en Australie ?» demandais-je finalement, toutes explications étant bonne à prendre.

J'évoque ensuite mes origines sans trop entrer dans les détails et apprend ainsi que la mère de Zoya est espagnole, ce qui l'a énormément aidé pour en apprendre la langue  « Tu me donneras des cours d'espagnol ? C'est une des langues dont j'ai absolument AUCUNE connaissance. Mais genre vraiment rien. A part Hola quoi» je me redresse, époussetant mes mains pleines de poussières, alors que Zoya entreprend d'expliquer le pourquoi du comment elle est ici, dans ce petit village perdu au fin fond de l'Inde.  « Ah ouais ! Donc c'est organisé quand même. Et c'est quoi ton travail ici ? » demandais-je, curieux de savoir ce qu'une photographe peut apporter au niveau humanitaire.

Lorsqu'elle me propose par la suite de me prendre en photo, arguant avec le fait que ce serait dommage de se passer d'une si belle lumière, j'hausse les épaules  «Et d'un si beau model aussi hein » surenchérissais-je en faisant un mouvement de tête pour rejeter mes cheveux -qui mériteraient VRAIMENT quelques coup de ciseaux- en arrière avant d 'éclater de rire  « Mais ma foi, pourquoi pas écoute» j'hausse les épaules et me déplace un peu  « Tu me dis quoi faire hein, parce que j'ai autant de connaissance en modélisme qu'en espagnol !»

Ce n'est que lorsque je parle de mes destinations et que je les évoque un peu plus en détail que je me rend compte tout le chemin que nous avons parcouru mon frère et moi depuis notre départ en 2007. Evidemment, en quatre ans nous avons eu le temps de faire et voir beaucoup de chose, mais je n'y avais jamais réellement réfléchit tant c'était, pour moi, une évidence. Je souris doucement lorsque Zoya me dit que je la fais rêver avec mon récit et ce même sourire s'agrandit graduellement en même temps que mes yeux s'écarquillent de surprise lorsqu'elle m'avoue être Australienne ! Elle me parle rapidement de son pays et ses quelques paroles me confortent réellement dans l'idée que l'Australie sera obligatoirement ma destination finale. J'hallucine d'autant plus quand elle évoque la ville de Brisbane dans laquelle elle habite.  «Tu déconnes ?! » m'exclamais-je  « Brisbane c'est la ville d'origine de mon meilleur ami» je laisse échapper un rire amusé  « Il y est né mais on a grandit ensemble en Allemagne et ...enfin il m'a suivit en nouvelle zélande avant de repartir à Brisbane avec son père quand je suis parti sur les routes avec mon père. J'avais justement prévu d'aller le voir la-bas» je secoue doucement la tête avant d'hocher vivement la tête quand Zoya m'explique que j'aurais un hébergement chez elle mais qu'en contre partie je devrais l'emmener avec moi lors de mes prochains voyages  «Allez, deal ! » souriais-je en lui tendant la main.

Elle m'explique ensuite rapidement ce qu'elle fait ici, parlant de sa formation de photographe mais aussi du rôle qu'elle joue dans ce village grâce au voyage humanitaire.  «Oh c'est trop cool ça ! » dis-je lorsqu'elle évoque le fait qu'elle se rendra demain dans l'école pour distribuer du matériel scolaire  « Tu crois que je peux venir avec ? » demandais-je en inclinant légèrement la tête sur le côté  « Je suis ici avec mon frère pour aider dans une ferme mais notre travaille ne commence qu'après demain, donc j'ai toute la journée de demain de libre» haussais-je les épaules, me disant que ça vaut le coup de demander et que de toute façon au pire elle dira non.

En parlant de photographie, Zoya décide brusquement que je serais un parfait model pour un shooting. J'accepte assez facilement et fait ce qu'elle me demande de faire. Bien que la situation soit assez stressante car je n'ai absolument aucune expérience face à un objectif, c'est assez plaisant en vrai. D'autant plus que les photos qu'elle me montre sont magnifiques !  «T'arrive à me rendre beaux en vrai » hochais-je doucement la tête, laissant échapper un rire amusé  « Bravo, ce n'est pas donné à tout le monde» j'observe les photos qu'elle fait défilé avant de relever le regard vers la jeune femme. Et c'est là, en me rendant compte à quel point elle est proche de moi, que je fais la chose la plus spontanée que j'ai pu faire cette année : je m'approche d'avantage et dépose mes lèvres sur les siennes, les scellant dans un baiser qui reflète la douceur de ce couché de soleil.

Sérieusement, quelles étaient les chances que je rencontre une Australienne ici, d'autant plus quelqu'un qui vient de Brisbane, aka la ville qui était sur mon radars des destinations finale. Si j'avais hésité encore avec Perth ou Adelaïde, maintenant ma décision est prise : ce sera Brisbane. En rentrant tout à l'heure, j'annoncerais ma décision à mon frère et je mettrais en route l'administratif pour avoir le PVT en temps et en heure. En attendant, je suis bien décidé de rester encore quelques temps ici, au bord de ce lac en si charmante compagnie. D'ailleurs, la discussion devient plus intéressante encore lorsque Zoya me parle des actions que son groupe et elle mettent en place pour venir en aide aux enfants du village. Ni une ni deux je saute sur l'occasion -surtout pour, avouons-le, avoir l'occasion de passer encore plus de temps avec la jeune femme- pour lui demander si je peux l'accompagner. La jeune femme a tôt fait d'accepter et c'est avec un large sourire que j'accepte ses conditions  « Y a absolument aucun problème pour ça. Par contre ils vont avoir peur quand je leur parlerais allemand» annonçais-je en laissant échapper un rire amusé  «Enfin, on verra bien. Vous y aller à quelle heure ?  » demandais-je en reportant mon regard sur la jeune femme  «Demain je comptais faire un tour dans cette forêt aussi » dis-je en désignant la dite forêt d'un coup de menton  « apparemment y a des trésors cachés qui valent le coup d'être découvert. Et ensuite j'irais bien visiter le temple non loin d'ici. Si jamais ça te tente de m'accompagner...» je laisse la question ouverte et en suspens, haussant les épaules en priant secrètement que la réponse de la jeune fille sera positive.

Lorsque celle-ci me demande si elle peut prendre quelques photos de moi car elle veut profiter de cette magnifique lumière du couché de soleil, je ne peux faire autrement que d'accepter et me place comme elle me demande de le faire. Quelques minutes, où seules les cliquetis de l'appareil photo brisent le silence environnant, plus tard, Zoya me rejoint sur le ponton et s'approche de moi pour me montrer les images. Je les observe quelques instants avant que mon regard ne soit à nouveau attiré par la jolie brune et, sans réfléchir plus longtemps, je m'avance vers elle pour l'embrasser. Sous mes lèvres, je la sens qui répond à cet acte de bienveillance et souris intérieurement jusqu'à ce qu'elle ne brise cet échange. Nous nous reculons un peu, légèrement essoufflé, et j'affiche la moue la plus innocente du monde lorsqu'elle me demande si ça m'arrive souvent d'embrasser les inconnues comme je l'ai fais.  «Nop, c'est la première fois » annonçais-je dans un souffle alors que quelque chose en moi se réveil. Cette envie de goûter à nouveau à la douceur et au sucré de ses lèvres se fait plus grande au fur et à mesure que les secondes passent et je pense que si Zoya ne s'était pas approchée d'elle-même, j'aurais réitéré ce magnifique baiser.

Lorsque nos lèvres se rencontrent à nouveau, je me redresse légèrement et pose une main sur l'épaule de l'australienne. Lentement, mes doigts remontent le long de sa nuque alors que mon autre main caresse lentement son flan jusqu'à finir sa course dans son dos. C'est doux, c'est sucré, c'est infiniment bon et si je pouvais je ferais durer cet échange éternellement. Je fini toutefois par me redresser à nouveau et, dans un léger soupire, je brise l'alliance de nos lèvres, offrant un doux sourire à la belle inconnue.  «Je crois que tu viens de briser la malédiction de malheur dans laquelle je me trouve depuis mon retour en Inde » dis-je, mon sourire s'agrandissant d'avantage alors que je caresse légèrement la joue de la jeune femme avec mon pouce.