Il voudrait faire des blagues. Dire que s’il est là, en réalité, c’est qu’il est pas un si terrible ami que ça parce qu’il devrait être occupé à préparer le marathon contre l’avis de tous ses médecins, par exemple. Ça, ça aurait été un bon moyen d’occuper ses journées, n’est-ce pas ? Pourtant, Rhett n’est pas lâche et injuste à ce point et il ne sait que trop bien à quel point la présence de ses proches est nécessaire lors d’un accident comme celui que Channing a connu. Peu importe à quel point leur relation se voulait dernièrement tendue, peu importe tout ce qu’il lui reprochait et continue de lui reprocher, il ne fera pas passer un stupide marathon avant son envie et son besoin de répondre présent pour ceux qu’il aime. Il ne participe au marathon que pour prouver à tout le monde et à lui le premier qu’il en est encore capable, qu’il en a encore la force, la fougue et le courage. Il y participe parce que l’adrénaline lui manque, la foule tout autant. Certains seront présents pour les encourager, les soutenir, leur crier tout et n’importe quoi au visage et c’est ça qui lui manque, à Rhett. Une vie qui mérite d’être vécue, une vie dont il ne peut pas deviner le prochain plan, le prochain changement, la prochaine stratégie mise en place par l’équipe en face. Lors du marathon, l’équipe en face sera composée des quelques centaines d’autres candidats et c’est ce dont il a terriblement besoin pour se donner à fond, pour cracher ses poumons, pour enfin vivre une journée dont il sera fier et que personne ne pourra lui voler parce que oui, bien sûr qu’il ira au bout de cette course, même en ratant quelques heures d’entraînement pour être au chevet de Channing. Ce serait égoïste de dire qu’il manque de pratique parce que son ami a eu un accident, et il va prouver au monde entier que ce n’est de toute façon pas le cas, aidant ainsi à récolter de l’argent pour une association et rendant fier non seulement ses parents mais aussi ses proches. Un peu de reconnaissance, voilà tout ce qu’il demande.

Dans le contexte du marathon. Dans celui de la vie de tous les jours et dans celui d’ami, il ne demande rien. Il a pris la main de Channing dans la sienne à quelques reprises avant de toujours trouver le geste stupide et de surtout être éternellement inquiété par la froideur de cette dernière. Il a l’impression de toucher un cadavre et bien plus que de le rebuter, cela le terrifie. Il est encore jeune et fringuant (sans doute pas à cet instant bien précis mais dans la vie normale, il l’est, Rhett le jure) et n’a certainement pas le droit de déjà le quitter, ce que Rhett s’évertue à lui rappeler à voix haute, lui parlant comme tout le monde le fait dans les films lorsqu’il y a un blessé alité et inconscient. Dans les films, l’intubation est bien moins impressionnante et elle ne lui retourne pas le coeur à ce point. Jamais il n’aurait pu anticiper une telle vision de ce garçon qu’il a vu grandir en même temps que lui, raison pour laquelle il lutte avec sa langue râpeuse qu’il fait glisser contre son palais pour tenter de contrôler ses émotions, bien plus ému qu’il ne voudrait l’accepter et l’admettre. Il ne peut pas perdre tous ses amis un à un, il ne peut pas.

La tête baissée, il consent encore à reprendre sa main, cette fois-ci pour la blottir entre les deux siennes, tentant vainement de la réchauffer, comme si cela allait pouvoir aider à quoi que ce soit. Après tout, ils ne sont qu’eux deux et il n’a rien à perdre.

« Bonjour. » Le simple mot, même murmuré, sort rapidement Rhett de sa rêverie, sans doute un peu trop violemment pour qu’il ne sursaute pas sur sa chaise inconfortable. Comme pris sur le fait, il relâche la main de son ami, non sans faire attention à ses gestes pour ne pas risquer de le blesser stupidement. Ses lèvres restent closes alors qu’il observe l’inconnue aux longs cheveux de jais, son regard clair virevoltant autour de sa silhouette sans retenue. Il n’en tire aucune information, n’arrive même pas à retenir le moindre détail la concernant. Il n’arrive pas à se concentrer sur la tâche, le corps inanimé de Channing entre eux étant bien trop évident. Il brouille les ondes, cet imbécile de Chan. « J’ignorais qu’il avait de la visite » - “Et moi que je devais m’inscrire sur une liste officielle.” Ces mots ne sont pas là pour attaquer ou blâmer l’inconnue mais il n’a pas la force ni l’envie de jouer au good guy pour aujourd’hui. Ce n’est pas de sa faute à elle, certes, mais ce n’est pas de la sienne non plus. Channing est son ami depuis toujours, leur récente altercation n’est pas assez importante pour lui faire ignorer son existence et, surtout, lui ôter tout souci pour le Walker. Rhett n’aime pas l’idée de se montrer vulnérable, même si cela se résume à montrer de l’affection et de l’empathie pour autrui, alors sa seule ligne de défense reste encore l’attaque, bien qu’il soit aujourd’hui pathétique dans ce rôle-là. Numéro neuf a connu de biens meilleurs jours.

Pourtant, la jeune femme ajoute finalement une information venant renverser la donne et, avec elle, la réaction de Rhett à son égard. « Je suis Gabrielle… » Il fronce un instant les sourcils, non par colère mais bien par surprise. Il n’existe sûrement pas un millier de Gabrielle dans la vie de son ami et, à bien y penser, encore moins sont aussi belles qu’elle. En d’autres termes, s’il a bien eu la stupide idée de tomber amoureux, il y a de fortes chances pour que ce soit de la jeune femme qui se tient face à lui, elle dont il n’a finalement que peu entendu parler, le plus souvent lors de disputes d’ailleurs. Il déglutit une seconde pour retrouver contenance et raviver sa gorge sèche. Rhett ne peut pas laisser passer cette occasion de lui parler, bien qu’il ignore encore totalement ce dont il a envie de discuter. « Je vais attendre dehors. » Elle tranche alors pour deux, ne tardant pas à faire demi-tour pour quitter la salle. “Attends. Je viens avec toi.” Ce n’est pas une demande mais bien une annonce, et s’il prend une seconde de plus pour poser son regard sur Channing, il en prend une seconde lorsqu’il caresse doucement son avant-bras du bout de son pouce. Il reste là. A un mur près, il reste là. Simplement, il ne veut pas que leur discussion le dérange dans ce qu’il a espoir de n’être qu’un sommeil paradoxal, un sommeil dont il ne tardera pas à se réveiller.

A pas de loups, il quitte finalement la chambre à son tour, prenant bien soin de refermer en silence la porte, comme si le moindre bruit risquait de le réveiller. Comme si les machines reliées à son corps n’en faisaient pas déjà atrocement. “T’es la fameuse Gabrielle, pas vrai ?” C’est à la fois évident et flou au possible, comme explication, mais si elle est effectivement la Gabrielle alors elle n’aura pas de mal à comprendre ce qu’il dit. Et en réalité, il ne doute pas un seul instant déjà avoir tapé dans le mille. “Je suis Rhett. Je mentirais si je disais que Chan’ m’a beaucoup parlé de toi, mais je sais qui tu es.” Il tente d’esquisser un sourire rassurant, le ton bas pour ne pas que leur discussion soit entendue du personnel hospitalier vacant à son travail dans le couloir. “Je… Tu… Sais ce qu’il s’est passé ?” Il serre les dents, la supplie du regard. Il a beau tenter d’être un bon ami, c’est un rôle dans lequel il échoue constamment, au point de ne pas exactement savoir comment un de ses plus chers ami s’est retrouvé à l’hôpital, ni même s’il va un jour en sortir sur ses deux jambes.

Il suit la jeune femme jusqu’à la sortie, persuadé au fond de lui que Channing devrait pouvoir profiter de quelques minutes seul, comme s’il était réellement conscient de la chose. Elle a tout de celle qui passe ses nuits autant que ses journées à ses côtés, alors il est bien entouré. « Enchanté, Rhett. » Les politesses s’échangent rapidement, il ne s’attarde pas davantage, aussi peu habitué à l’exercice qu’amusé à l’idée de s’y soumettre, surtout alors que la femme face à lui ne semble pas totalement à l’aise. si Channing t’a peu parlé de moi, en quoi suis-je si fameuse ? Comme pris à son propre jeu et à ses éternelles maladresses, il hausse les épaules dans un sourire, n’ayant de toute façon aucune intention de dévoiler les discussions eues avec son ami. C’est elle qui a vécu leur relation - quelle qu’elle soit - avec le nouvel héritier Walker, alors il n’a rien à lui apprendre. Elle compte beaucoup pour lui, c’est tout ce qu’il en sait, le reste ne le regardant pas le moins du monde. « J’aimerai pouvoir en dire, mais pour le coup, Chan’ ne m’a jamais parlé de toi et je ne connais donc pas le fameux Rhett. » Il esquisse un sourire se voulant rassurant et bien qu’il aurait aimé que son prénom résonne comme un de connu, il ne se vexe pas du contraire. “Je suis un ami de son frère avant tout. Mais je l’ai vu grandir.” Et presque mourir, aujourd’hui. Il hausse les épaules une fois de plus, n’ayant rien à ajouter sur sa vie qu’il a passée à grandir jamais bien loin des Walker, jamais trop proche non plus: ils ont tous vécu leur vie sur un coin ou un autre du globe à un moment donné, lui autant que les autres. S’ils faisaient un concours de celui qui connaît Channing depuis le plus longtemps, alors Rhett aurait gagné. Mais là n’est pas le sujet, n’est-ce pas ?

Les politesses sont d’autant plus de courte durée que Rhett a des choses à lui demander, ce qu’il ne tarde pas à faire en venant ainsi pointer du doigt l’accident de leur ami commun et, surtout, le fait qu’il ne soit au courant d’absolument rien pour sa part. Il n’a pas pris la peine de creuser le sujet dans les médias, il doit bien l’avouer, trop peu enclin à croire ce qu’ils pourraient raconter, selon ce qu’ils veulent que leurs lecteurs pensent. Il l’observe s’asseoir avant d’en faire de même, pour se retrouver à sa hauteur et ainsi qu’elle n’ait pas à hausser le ton d’aucune façon. « Un accident de moto. J’étais là… » son cœur se serre un instant, sûrement moins que celui de Gabrielle, forcée de revivre la scène encore et encore. Il ignorait qu’elle y avait directement assisté, sinon il se serait gardé d’en demander davantage. « Un chauffard a grillé le feu rouge et à emporter Channing alors qu’il venait de redémarrer. Je ne vais pas te faire la scène en détails… mais le choc a été violent et Channing a perdu rapidement connaissance après l’impact… » Et lorsqu’il observe ses yeux luire sous le voile de larmes les recouvrant peu à peu, il sent sa gorge se serrer à son tour, incapable de savoir comment réagir face à une telle vague d’émotion subite. Il voudrait, pourtant, tout comme il voudrait avoir les mots nécessaires pour lui dire qu’elle n’y est pour rien et qu’elle doit s’estimer chanceuse et non coupable d’avoir été épargnée. Après tout, il connaît le rôle que tient Channing en cet instant, bien que pour sa part il avait eu le droit à bien plus de lignes de dialogue. « Sa jambe est la plus touchée, en plus des multiples autres blessures qui expliquent pourquoi il est toujours actuellement dans le coma… S’il… s’il se réveille… la convalescence sera longue. » Cette fois, pourtant, c’est par réflexe qu’il décide de passer une main contre le dos de la jeune femme et de le caresser doucement, sur de maigres centimètres. Il le fait parce que lui aussi, veut croire à ces mots qu’il avance à la volée, sans aucune source ni preuve. “Il va se réveiller. Il a fait les quatre cents coups et il en fera quatre cents de plus.” Surtout en bagnole, que Rhett se retient d’ajouter. S’il avait dû avoir un accident de la sorte, il aurait au moins pu faire la fichu effort de l’avoir sur ses circuits de voitures folles et conducteurs qui le sont tout autant. “Tu es là depuis tout ce temps ?” Il a malheureusement tout le temps du monde de s’inquiéter pour Channing quand, finalement, elle aussi vit dans la peine et la douleur. Elle est simplement différente. En l’aidant elle, il a au moins l’impression de faire quelque chose pour son ami, quelque chose de bien plus utile que d’attendre à ses côtés et prier pour qu’il se réveille. “Ce chauffeur, il a été arrêté ?” Il peut tenter de réparer les pots cassés autant qu’il le veut, Rhett ne pourra jamais nier son envie de justice.

Les questions du journaliste de pacotille se tournent invariablement vers Channing, son état de santé, et seulement ensuite sur le sien, à elle, la fameuse Gabrielle qui a tout de celle qui a passé des heures à ses côtés, sur des chaises inconfortables, à bouffer ce qui tombe de distributeurs bien trop onéreux pour que ce ne soit pas malhonnête. « Oui… je… je suis incapable de le laisser… tant qu’il ne se réveillera pas, je resterai. » Il ne devrait pas mais esquisse tout de même un sourire, sans doute quelque peu ému de la façon qu’elle a de simplement raconter la situation et parler avec son coeur. Gabrielle tente de ne pas trop le montrer, mais l’attachement qu’elle a pour Channing est évident. Ce dont il en retourne exactement ne regarde pas Rhett, bien qu’il ne soit pas stupide quant aux sentiments qu’elle éprouve à l’égard du Walker. “J’espère qu’il saura au moins te remercier pour ça, quand tout sera fini.” Parce qu’elle est un peu tête de mule, leur connaissance commune, il faut bien l’avouer. Channing a sa fierté et Rhett n’a aucune idée de ce à quoi elle pourrait ressembler après plusieurs jours (semaines ? mois ? années ?) passées dans le coma. « Je veux être là. » Et elle l’est. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Peu importe qui elle est exactement, cette Gabrielle semble être une personne de confiance, assez pour que Rhett commence à regretter les paroles autant que les pensées, toutes plus négatives les unes que les autres, qu’il a eues à son égard.

Pourtant, après les maigres sourires entendus, le besoin de vengeance et de justice l’emporte déjà sur l’australien, un peu trop habitué à appliquer la loi du terrain dans la vie de tous les jours. « Non, il a pris la fuite mais il payera, pour ce qu’il a fait » Le brun soutient son regard plein de hargne et de colère, le même qu’il affiche à son tour en relevant le menton, déjà prêt à entamer une vendetta sans même savoir contre qui exactement - et là réside tout le problème, justement. “Si je peux aider, un jour, n’hésite pas.” Il n’a même aucune idée du rôle qu’elle pourrait tenir, encore moins du sien, mais il souhaite aider. Il a des connaissances, quelques unes disons, et il pourrait tenter de leur demander des informations dans un domaine ou un autre. Il doit bien y avoir des fichus caméras à cet endroit, non ? Ce serait un début de piste, un petit quelque chose toujours plus préférable à rien du tout. “Je veux vraiment que justice soit faite.” Il rajoute donc et souligne sa pensée, sous-entendant plus ou moins largement qu’il sera prêt à tout pour que ses paroles deviennent réalité. Face à lui, il est certain d’avoir une femme sur la même longueur d’onde.

« A quel point tu le connais… ? Channing ? » Bleu dans brun, il soutient son regard sans sourciller, tentant pourtant de gagner du temps pour connaître le fond de sa pensée derrière cette question bien trop large à ses yeux. “J’ai passé toutes mes vacances avec sa famille d’aussi loin que je m’en souvienne et je me suis toujours entendu avec lui. Mais… on s’est éloignés en grandissant.” Problème d’enfants devenus adultes, comme toujours. Les amis se perdent de vue, comme toujours. Il se retire un peu de culpabilité en soulignant qu’il était l’ami d’Elijah avant d’être le sien, mais cela ne fait pas tout. “On s’est disputés avant son accident. Quelques jours avant. Et ça me tuerait qu’il se réveille jamais et qu’on en reste là.” Il serre les dents, dévie son regard du sien pour ne pas avoir à montrer sa tristesse. D’un coup de tête, il observe la porte menant à sa chambre, comme si cela allait pouvoir arranger les choses. Il a déjà perdu trop de personnes à qui il tient et d’autres continuent encore de tomber ; Channing est bien trop jeune pour être ajouté à celle liste là, et il pense que Gabrielle est bien placée pour comprendre ce qu’il lui raconte. Il n’entend parler d’elle que par phases, malheureusement.

« Crois-moi qu’elle sera faite, Rhett »
« Je compte m’en charger personnellement, avec tous les moyens qui me sont offerts pour le faire, il obtiendra justice »

Il ne veut pas savoir ce qu’elle a derrière la tête, il ne veut même pas savoir comment elle compte s’y prendre alors que le souvenir de son frère, tout sauf respectable, lui revient à l’esprit. Channing lui a dit qu’elle était différente, mais est-ce qu’il peut vraiment être objectif, lui, l’amoureux transi ? Peu importe. Cela ne regarde pas Rhett. Ce n’est pas son monde, pas ses histoires, et à ses yeux il n’y a que la finalité qui puisse importer, surtout alors qu’il s’agit de cet ami de toujours fauché en plein vol. Il ne répond pas au sourire froid de la jeune femme et se contente de l’observer, elle et ses traits si doux qui ne laissent rien présager de son histoire familiale et, par extension, personnelle. « Je ne manquerai pas de te tenir informer et te dire si j’ai besoin d’aide » - “Merci.” Il l’aidera s’il le peut, un jour, et répondra présent à la seconde où elle lui en fera la demande. Cette promesse ne connaît aucune échéance.

Avec un autre ton, Rhett évoque finalement leurs souvenirs d’enfance, cette vie passée aux côtés de l’autre, ces souvenirs dont ils n’ont jamais su reconnaître la rareté et l’importance. « Etait-t’il aussi grognon plus jeune ? » Il esquisse un sourire amusé, pris de court par cette question pourtant simple. “Il était terrible.” Sans doute pas aussi terrible que lui-même, pourtant, ce qui n’a pas empêché leurs parents de toujours l’accepter dans leurs voyages, à leurs côtés. « Je l’ai connu l’esprit plus léger… il y a de ça quelques années. » Tout était moins compliqué, il y a des années. La vie d’adulte n’est pas nécessairement une bonne chose, un avancement positif. Beaucoup gagneraient à rester des enfants insouciants, sans la moindre pression sur leurs épaules, et Channing en fait sans doute partie. Rhett aussi, par ailleurs, raison pour laquelle il comprend d’autant plus sa propre explication. Son sourire est triste ; il se demande comment il a pu manquer l’existence de ce lien si fort qui semble unir les deux trentenaires. “Les choses n’ont pas nécessairement changées pour le meilleur.” Il se contente donc d’ajouter, philosophe sur les bords mais surtout l’esprit sombre.

Ainsi, il ne peut qu’avouer à quel point les derniers événements le ronge, cette dispute avec Channing, ces mots échangés, cette distance prise en quelques secondes et autant d’années de vie oubliées si facilement, si rapidement. Il est du genre à nourrir sa culpabilité comme un grand garçon, mais en ce qui concerne Channing, elle lui a très largement échappé pour devenir bien trop immense. « Je ne peux que te comprendre… je me suis aussi disputée avec lui… la veille de l’accident. Et je ne pourrais pas supporter que ce soit les derniers mots qu’on ait échangé lui et moi » Alors, il s’est disputé d’au moins deux personnes peu de temps avant l’accident. Alors, Rhett ne peut que faire le parallèle avec sa propre histoire, avec ce qu’il a lui-même vécu, avec cette voiture que certains témoins disent ne pas avoir vu rouler en direction du rugbyman mais bien le contraire. Ces voix-là ont été tues. Il trouve la force de retrouver le regard de la jeune femme avec ces quelques mots, comprenant qu’ils vivent un chagrin similaire et que leur coeur est habité par le même poids. « C’était à quel propos ? Votre dispute ? Si ce n’est pas trop indiscret. » - “C’était… compliqué. Beaucoup de choses.” Elle était le centre de cette dispute, et il ne peut pas le lui dire aussi simplement. Ils ont parlé d’elle, de son frère, de ces putains de voitures et ce sont autant de sujets qu’il ne peut aborder avec personne d’autre que Channing lui-même, soucieux de ne pas étendre leurs problèmes et de leur donner un peu plus de raisons de vivre encore. “Les heures de visite sont bientôt terminées. Je repasserai demain pour t’apporter à manger.” Il tranche donc, ment un peu sur la fin plus ou moins proche desdites heures de visite. Peu importe, tant qu’il peut échapper à la suite de l’interrogatoire. De son côté, il ne tentera pas le Diable en lui posant à son tour la question, bien trop assuré de l’importance de leur intimité. “Je peux te laisser mon numéro ? Si tu as des nouvelles. Ou si tu as besoin de parler, aussi. Je dors jamais vraiment.” L’un comme l’autre, il aimerait avoir de ses nouvelles, pour s’assurer qu’elle n’est pas seule, pour être certain que Channing ne le soit pas non plus. Pour se faire pardonner des mots et des pensées qu’il a eu à son égard, aussi, sans même la connaître réellement.