logan city (logements) - février 2024
@olivia welch

Il n’y avait rien d’étonnant à voir Louis se présenter à la porte d’une maison qui n’était pas la sienne, deux boites de pizzas encore fumantes entre les mains. Après tout, c’était exactement en quoi consistait son travail chez PlateMate depuis plusieurs mois maintenant. La retraite qu’il touchait grâce à son statut d’ancien militaire couvrait une bonne partie de ses dépenses, mais c’était à peine suffisant et surtout il avait eu besoin d’occuper ses longues journées passées à fixer le plafond en se demandant à quoi rimait sa vie. Etonnamment (non), il n’était pas si facile de trouver du travail lorsqu’on ne possédait aucun diplôme et qu’on souffrait d’une amnésie suffisamment sévère pour justifier des aller-retour fréquents à l'hôpital. Son profil faisait peur aux recruteurs, alors PlateMate et sa politique de réinsertion post-carcérale avaient eu l’air d’un cadeau tombé du ciel. Louis avait d’abord hésité à postuler - craignant de voler la place de quelqu’un qui en aurait eu plus besoin - et c’était finalement sa thérapeute qui l’avait convaincu de le faire. Après quelques entretiens, on lui avait remis un vélo, un caisson de livraison et un coupe-vent aux couleurs de PlateMate, pour qu’il puisse sillonner les rues de Brisbane et livrer à ses habitants leurs commandes.

Il n’y avait donc rien d’étonnant à voir Louis se présenter à la porte d’une maison qui n’était pas la sienne, deux boites de pizzas encore fumantes entre les mains. Ce qui l’était davantage, c’était sa tenue - le logo de l’entreprise ne figurait nulle part sur son jean ou sa chemise bleu clair - et la nervosité que trahissaient ses gestes. Il piétinait devant la porte depuis cinq bonnes minutes, et il avait arrêté de compter le nombre de fois où il s’était passé la main dans les cheveux. En fait, ce soir, Louis ne travaillait pas. Il livrait bien des pizzas, mais cette fois il espérait ne pas avoir à repartir dès son pourboire empoché. Il avait été invité à passer la soirée dans cette maison. Avec son occupante. Un date, tout simplement, qui le rendait plus nerveux qu’il ne voulait bien l’admettre. Si d’ordinaire, les situations sociales ne le mettaient pas toujours à l’aise, Louis était particulièrement stressé à l’idée de faire une mauvaise impression dans ce contexte particulier. L’espace d’un instant, il hésita même à laisser les pizzas sur le pas de la porte et partir en courant. Il finit tout de même par prendre son courage à deux mains et appuyer sur la petite sonnette installée à côté de la porte d’entrée. À l’intérieur, quelqu’un l’ouvrit, et Louis eut l’image fugace d’un homme se jetant volontairement dans la fosse aux lions. « Hey. » Sa voix craqua légèrement, et Louis se racla la gorge alors qu’il sentait déjà le rouge lui monter aux joues. « Je t’avais promis les meilleures pizzas de Brisbane, j’espère que tu ne seras pas déçue. » Joignant les gestes à la parole, il souleva légèrement les deux boîtes qu’il tenait entre ses mains. Se fiant aux commentaires des clients de PlateMate et à ses propres tests, Louis s’était donné pour mission d’élaborer le top 5 des meilleures pizzerias de Brisbane. S’il avait dû changer trois fois de tenues avant d’être - moyennement - satisfait, le choix de leur repas avait donc été plus simple.

Lorsqu’il croisa le regard d’Olivia face à lui, Louis se rappela soudain de ses bonnes manières. « C’est Louis, d’ailleurs, de l’app. Pour la soirée pizza-true crime. » Intérieurement, il croisait les doigts pour qu’elle n’ait pas oublié, sinon la situation risquait de devenir encore plus gênante qu’elle ne l’était déjà.

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Il était certes peu altruiste, mais rassurant, de se retrouver face à quelqu’un qui n’avait pas l’air beaucoup plus à l’aise que lui dans cette situation. Comme s’ils partaient sur un pied d’égalité. « Enchantée ! Et je suis Olivia, mais ça tu le sais déjà » Même si elle ne lui avait pas donné son prénom, Louis aurait deviné qu’il s’agissait bien de la Olivia avec qui il avait discuté par message. Dans ce cas-là, les photos ne trompaient pas, et il se trouvait bien face au même sourire, bien qu’un peu plus mal à l’aise ce soir. « Enchanté, Olivia. » Il tenta du mieux qu’il le pouvait de détendre son visage pour ne pas paraître trop stressé, mais il n’était pas certain du résultat. À son invitation silencieuse, il entra, et se retrouva à l’intérieur d’une maison qui lui rappelait douloureusement qu’il n’avait plus vingt ans. Finis les dates dans des bars en centre-ville, à la suite desquels on n’était plus vraiment sûr de rentrer au bras de la personne avec qui on avait commencé la soirée. En un claquement de doigts - ou plutôt en une amnésie de dix ans - ils avaient été remplacés par des dates dans des maisons individuelles de banlieue, et Louis n’était pas sûr de savoir s’il appréciait le changement ou non. L’avenir le lui dira. Peut-être. « Je crois que je n'ai jamais testé cette pizzeria ! » « Tant mieux ! » Il était vrai que la pizzeria ne se trouvait pas tout à fait dans le quartier. Louis avait même dû faire un détour pour s’y arrêter. Mais de son point de vue, ça en valait le coup. Il espérait simplement qu’Olivia soit du même avis.

« Tu veux boire quelque chose avec ta pizza ? Vin, soda, eau ? » « Un soda, ce serait parfait s’il te plait. » Il avait conscience que ce n’était pas ce qui allait le faire passer pour un adulte responsable, mais il était encore trop tôt pour lui parler du centre de rééducation et des dégâts causés par l’alcool qu’il y avait vus, parce qu’il savait que ça dériverait forcément vers son accident, et ce n’était pas un sujet dont il avait spécialement envie de parler lors d’un premier rendez-vous. Il était là pour penser à autre chose, et trouver des raisons de laisser le passé derrière lui pour avancer.

L’attention de Louis fut vite attirée par une petite boule de poils venue renifler ses jambes. Cela le fit sourire, et il s’accroupit pour venir gratouiller entre ses deux oreilles. « Salut toi ! Comment tu t’appelles ? » Lors de leur conversation, Olivia lui avait effectivement parlé de ses compagnons poilus, et Louis était ravi de faire leur connaissance en vrai. Après quelques gratouilles, les bonnes manières se rappelèrent à son bon souvenir, et Louis se releva brusquement. « Tu as besoin d’aide peut-être ? Pour les boissons, ou autre chose ? Normalement les pizzas sont encore chaudes, mais pour être sûr on peut les passer au four quelques minutes. »

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À travers les messages d’Olivia, Louis s’était plus ou moins attendu à pénétrer dans une maison envahie de jouets d’enfants. Il fut donc agréablement surpris de n’en voir aucun, giser là, abandonné sur le sol. Puis il regretta immédiatement d’avoir pensé cela. Pour sa défense, Louis avait conscience d’avoir atteint un âge auquel beaucoup commençaient à y réfléchir, alors que lui avait la sensation d’être bloqué de nombreuses années en arrière, n’arrivant pas à s’imaginer responsable d’un petit être humain alors qu’il avait encore tant de mal à se gérer lui-même. Mais c’était à lui seul de résoudre ces questions, et pas à d’autres de s’adapter à ses blocages. Heureusement, il était plus à l’aise avec les animaux qu’avec les enfants, et il n’hésita pas une seconde avec de caresser le chat qui venait se frotter à ses jambes. « Elle s'appelle Reid, et elle aime les câlins et chipper la nourriture » « On va bien s’entendre, toi et moi. » Évidemment, Louis se plierait aux règles de la maison et ne lui donnerait pas de miettes de son repas si ce n’était pas autorisé. « J’ai le même à la maison, » poursuivit-il en détournant son regard vers Olivia. « Mais la version plus grosse et qui a besoin de sortir dehors pour faire ses besoins. » Un chien qui aimait les câlins et chiper la nourriture, pour faire simple. « JJ va sans doute rester au loin, il est plus sauvage et ne va pas vraiment vers les inconnus. Surtout les hommes. Je pense qu'il a été battu par un homme, même si on ne sait pas grand chose de son histoire. » Louis hocha la tête pour faire comprendre à Olivia qu’il l’avait bien entendue, tout en regardant ledit JJ de loin. Ce fut à cet instant qu’une idée surgit, à propos du nom des deux chats. « C’est moi ou dans la série Reid était le petit génie pas très à l’aise avec d’autres humains, et JJ l’agente badass du FBI ? » Si ses souvenirs ne lui faisaient pas défaut - pour une fois - alors Olivia s’était amusée à mélanger les genres, et Louis trouvait ça amusant.

« Ne t'inquiète pas, tu es l'invité ici ! Fais-moi juste penser à sortir les pizzas du four d'ici quelques minutes, parce que je suis tout à fait capable de l'oublier » Obéissant, Louis se rassit sur le canapé avant de répondre. « Je vais essayer d’y penser alors, même si je suis plutôt du genre à oublier ce genre de truc aussi. » Le concept d’adulte responsable n’était pas tout à fait acquis chez lui, même s’il tentait de donner le change du mieux qu’il le pouvait. Particulièrement dans ce genre de situation. « Tu as passé une bonne journée ? » Avant de répondre, Louis remercia Olivia pour le verre de soda qu’elle venait de lui servir. « Oui, une journée basique disons, j’ai bossé une partie de la journée. » Et il devait une fière chandelle au collègue qui avait accepté de le remplacer ce soir. Il ne pourra pas lui dire non la prochaine fois qu’il lui demandera un service. « Et toi ? » En attendant la réponse d’Olivia, il avala une gorgée de soda avant de reposer son verre sur la table basse et de faire une liste mentale de différents sujets de conversation au cas où, pour éviter qu’un silence gênant s’installe entre eux au cours de la soirée.

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« Je t'assure que cette version sort pour faire ses besoins ! » Louis laissa échapper un rire amusé en glissant une dernière caresse entre les deux oreilles de la petite chienne. Certes, elle était un modèle réduit par rapport à Campese, mais elle restait une chienne qui avait sans doute besoin d’être sortie régulièrement.

« Je vois que tu as bien fait tes devoirs ! C'est tout à fait ça. Mais j'avais déjà Reid quand on a adopté JJ, alors je pouvais pas laisser notre petit asocial être le petit génie pas à l'aise envers les inconnus. » « Ça doit être la première fois de ma vie qu’on me dit que j’ai bien fait mes devoirs, » s’amusa Louis. Sans être un cancre, il n’avait jamais fait partie des meilleurs de sa classe pendant toute la durée de sa scolarité. Et ce qui agaçait surtout ses professeurs, c’était sa manie de ne pas savoir rester en place. Un trop plein d’énergie dont il ne savait que faire et qui se transformait souvent en bêtises. « T'as aimé les premiers épisodes que tu as vu ? » « Ça remonte à longtemps, avant 2010 sûrement. C’était l’époque où on regardait les épisodes quand ils passaient à la télé, donc pas toujours dans le bon ordre et on en ratait souvent, donc pas simple de suivre la trame, mais des souvenirs que j’en ai, j’aimais bien oui ! » Peut-être que Louis avait eu l’occasion de regarder des épisodes depuis cette époque, mais dans tous les cas, il ne s’en souvenait plus, alors son omission n’était pas vraiment un mensonge, n’est-ce pas ? Le moment viendrait peut-être un jour de confier son amnésie à Olivia, mais pour l’instant il préférait garder cela pour lui. Il appréciait n’être à ses yeux qu’un homme parmi d’autres, pas un potentiel patient ou quelqu’un dont on a pitié, et il entendait bien en profiter tant que cela durait.

Malgré la discussion qui s’écoulait sans accroc, Louis sentait une certaine nervosité entre eux. Rien d’étonnant étant donné les circonstances, mais il était soulagé qu’Olivia participe autant à la conversation, ne le laissant pas seul avec ses inquiétudes. « J'étais de repos aujourd'hui. Au moins, ça m'a permis de ranger un peu ici, et que tu sois pas assailli de jouets pour enfants. » Autour d’eux, rien n’indiquait effectivement que deux enfants vivaient dans cette maison, contrairement à ce que Louis avait pu imaginer lorsqu’il pensait au lieu de vie d’Olivia. « Fallait pas t’embêter pour moi ! » Sa réponse ne tarda pas, mais au fond, il ne pouvait pas garantir qu’il aurait été aussi à l’aise entouré de jeux d’enfants. Pas qu’il soit totalement à son aise non plus à cet instant, mais le rappel constant de la présence d’enfants dans la vie d’Olivia n’aurait sans doute pas aidé.

Sans que Louis ait eu besoin de lui rappeler la présence de pizzas au four, Olivia se leva dès que l’odeur leur chatouilla les narines et revint rapidement au salon les bras chargés. Louis se sentit saliver à la simple vue de leur repas, mais se retint de sauter sur les pizzas comme un sauvage. « On coupe des parts partout et on se sert dans chacune des pizzas ou tu as une pizza préférée ? » « Ça me va bien de partager. » Inconsciemment, cela le rassura de voir qu’Olivia n’était pas le genre de personne à s’offusquer si l’on piquait dans le plat plutôt que chacun mange sa part dans son assiette. Si ça n’avait pas été le cas, elle aurait sans doute fini par s’agacer des habitudes très libres de Louis. Surtout lorsqu’il s’agissait de pizzas. « Déjà, je remarque que tu n'as pas pris de pizza à l'ananas et c'est un très bon point ! A moins que tu ne les aimes secrètement mais que tu te sois décidé pour des goûts plus neutres ? » La remarque déclencha un rire amusé chez Louis. « Ce ne sont pas mes préférées, mais en vrai elles ne me dégoûtent pas non plus, » commença-t-il, conscient que ce débat soulevait les passions. « Mais ce serait un choix très risqué pour un premier rendez-vous, » conclut-il avec un petit rire étouffé. Il avait pris beaucoup moins de risques avec ses choix : mozzarella et jambon de parme d’un côté, asiago, champignons et thym de l’autre. « Mais si celles-ci ne te plaisent pas je peux aller en chercher une autre ! » Il savait bien qu’il aurait dû lui demander son avis avant de commander à l’aveuglette comme il l’avait fait.

Après avoir attrapé une première part de pizza, Louis se réinstalla confortablement sur le canapé et se tourna légèrement vers la jeune femme. « Comment tu occupes tes journées de repas d’habitude ? » Quand elle n’était pas obligée de ranger son salon pour y organiser une soirée pizza-true crime avec un inconnu.

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« T'étais pas un élève studieux ? Moi je me faisais reprendre pour bavardage et je galérais à réviser parce que j'écoutais jamais rien du cours... » Louis laissa échapper un rire étouffé, tout en essayant d’imaginer une jeune Olivia se faire taper sur les doigts à cause de ses bavardages incessants. Il n’était lui-même pas un modèle d’élève studieux et ne se priva de le confier à la jeune femme à son tour. « Pas vraiment non. Plutôt un élève turbulent comme disaient mes profs. Disons que je préférais jouer au ballon à la récré avec mes copains plutôt qu’être attentif en cours. » C’était même un euphémisme. S’il avait pu, il aurait passé tout son temps sur les terrains de rugby plutôt qu’à l’école.

À son grand soulagement, la conversation était pour le moment assez fluide, et ils passaient d’un sujet à l’autre sans accroc. « Avec mes horaires décalés, le streaming a tellement changé ma vie... Je loupe plus la première partie de soirée à cause du travail, je peux juste m'installer devant quand je suis prête à me poser devant la télé ! » Louis ne pouvait que compatir, ayant lui-même des horaires de travail qui lui permettaient rarement d’être devant sa télévision au moment où les programmes du soir commençaient. C’était même souvent le pic des livraisons. Mais il n’était pas tout à fait prêt à le confier à Olivia pour le moment. Sur l’appli, il n’avait fait aucune mention de son travail, n’étant pas toujours très fier de cet aspect de sa vie. Rien de honteux à être livreur, c’était davantage son indécision chronique et son incapacité à choisir quel chemin emprunter, à bientôt trente-trois ans, qui le faisait grincer des dents. « Tu m’étonnes ! » Louis ne relança pas davantage, et se mordit l’intérieur de la joue en espérant qu’Olivia ne relève pas le léger malaise qu’il ressentait.

« T'as dit que t'étais pas très à l'aise avec les enfants, j'allais pas t'accueillir au milieu de leurs jouets ! » Effectivement, sur ce point, Louis avait préféré être honnête avec Olivia. S’imaginer comme potentielle figure parentale de petits humains miniatures lui paraissait aujourd’hui bien loin de ses priorités. Il avait encore bien trop de choses à gérer dans sa vie pour endosser de telles responsabilités, et il avait voulu être certain qu’Olivia en était consciente avant de se rencontrer. Le fait qu’elle l’ait entendu et qu’elle ait même fait l’effort de ranger les jouets de ses enfants pour ne pas l’effrayer le rassurait autant qu’il le mettait mal à l’aise ; il espérait que cela ne lui avait pas trop coûter. « C’est gentil. » Louis accompagna son semblant de remerciement en frottant l’arrière de son cou d’un geste hésitant. Heureusement pour lui, Olivia ne s’attarda pas davantage et évoqua un sujet plus léger : l’ananas sur les pizzas. « Je t'arrête tout de suite, les fruits c'est en dessert, pas sur la pizza ! » Cette fois, le rire de Louis fut sincère, puis il leva ses mains en l’air en signe de reddition. « La police de la pizza a parlé : pas d’ananas ! » « Et c'est déjà parfait ce que tu as ramené ! T'embête pas. Je mange de tout. » Louis avait tenté de faire des choix relativement universels, mais il était tout de même rassuré de voir qu’ils convenaient à Olivia.

« J'ai pas assez de temps sur mes journées de repos, honnêtement. Y a toujours du ménage ou un truc à réparer, les devoirs des enfants, passer du temps juste avec eux autre que moi qui me casse la tête parce que j'étais bien contente de finir l'école mais que j'avais pas pensé qu'un jour il faudrait que je me souvienne de tout ça... Et quand je peux, je lis, ou je regarde un film que j'aime bien. Je passe du temps avec ma famille ou mes amis. J'ai essayé d'apprendre à cuisinier, fut une période, histoire que mes enfants mangent autre chose que des plats préparés ou des commandes au restaurant, mais la cuisine c'est vraiment pas mon truc... » Louis se sentit presque à bout de souffle rien qu’en écoutant la jeune femme lui donner un aperçu de ce qu’était son quotidien. Il se doutait que la vie avec deux enfants en bas âge n’était pas de tout repos, et c’était exactement ce qu’elle venait de lui confirmer. « C’est toi qui a la garde exclusive de tes enfants ? » Dès l’instant où les mots flottèrent dans l’air entre eux, Louis les regretta et s’en mordit les lèvres. Évoquer un tel sujet ne devait pas faire partie des conseils à appliquer pour qu’un premier date se passe au mieux, mais il était désormais trop tard pour faire marche arrière. « Désolé, t’as peut-être pas envie d’en parler. »

« Et toi ? A part passer du temps avec Campo à faire de longues balades autour de la ville ? » Louis ne put s’empêcher de sourire à l’évocation de son fidèle compagnon, avant de réaliser que c’était à son tour d’en révéler un petit peu plus sur sa vie. « Si seulement je pouvais me contenter de ça, » commença-t-il sur un ton léger, accompagnant ses mots d’un rire discret. « Pour être franc, j’ai un emploi du temps bien moins chargé que le tien. Je cours un peu. J’ai fait du rugby pendant longtemps et j’hésite à reprendre d’ailleurs. » Et parce qu’il ne se sentait pas très à l’aise à l’idée de s’arrêter là, il poursuivit, malgré ses craintes. « Quant à me balader autour de la ville, je le fais aussi pas mal en vélo. Je suis livreur de repas à domicile. Donc les horaires atypiques je connais un peu aussi. » À choisir entre parler de son métier, ou de ses rendez-vous fréquents à l’hôpital, Louis avait préféré PlateMate. Olivia lui semblait suffisamment ouverte d’esprit pour ne pas le juger pour ça.

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« J'avais un frère comme ça. Je crois qu'il aurait pu manger ou dormir sans quitter son ballon, si ma mère l'avait laissé faire ! » Louis laissa échapper un rire mi-gêné mi-amusé après la confession d’Olivia à propos de son frère. « Il est possible que j’ai été absolument ce genre d’enfant aussi. » Pour dire vrai, enfant, il avait passé plus de nuits avec son ballon que sans. Pour ce qui était de manger avec, malheureusement pour lui, sa mère s’y était toujours farouchement opposée. Avec le recul, il comprenait ses raisons, évidemment, mais ça n’avait pas été facile alors.

Louis tâtonnait autour du sujet des enfants, et on sentait qu’il n’était pas vraiment à l’aise pour en parler. Il essayait, pourtant, conscient qu’ils étaient sans doute une part importante de la vie d’Olivia. Parce que s’il ne faisait pas cet effort-là, à quoi bon venir ce soir ? « J'ai appris que j'étais enceinte après la rupture, et je n'avais pas de moyen de contacter le père, alors oui, j'ai la garde exclusive. » Évidemment, en demandant si Olivia avait la garde exclusive de ses enfants, il se doutait qu’il mettait le doigt sur un sujet potentiellement intime. Il ne s’était toutefois pas attendu à ce genre de confession. « Oh. Je vois. » En vérité, il ne voyait pas du tout, non. Il n’imaginait pas ce que la jeune femme avait pu traverser lorsqu’elle avait réalisé qu’elle allait devoir s’occuper seule d’un enfant. De deux, même, puisque c’étaient des jumeaux. Il se sentait bête, maintenant, d’avoir évoqué ce sujet, mais cela ne semblait pas perturber Olivia plus que ça. « Et ça me gêne pas d'en parler, ils sont une part importante de ma vie après tout. Je sais juste que toi, c'est pas ton sujet favori. » Louis se sentit alors obligé de se justifier. « C’est pas que je les aime pas. » Il n’était pas non plus le pire des sans-cœur. « C’est que je sais pas faire avec eux. » Il avait déjà du mal à être responsable de sa propre vie, alors s’occuper d’enfants lui semblait pour le moment insurmontable. « Ça a pas été trop dur, de s’occuper d’eux toute seule ? » Louis flirtait encore avec des questions indiscrètes, mais il ne pouvait s’en empêcher, curieux de savoir à quoi pouvait ressembler une vie qui basculait dans la parentalité solo du jour au lendemain.

La conversation dévia ensuite vers des sujets plus légers, et Louis put se détendre un peu. « Si le rugby te plaît tant que ça, tu devrais te rapprocher des clubs de la ville ! Y a quelques équipes d'adultes, même si j'ai l'impression que leur partie favorite c'est la troisième mi-temps. » Un sourire étira ses lèvres en entendant Olivia évoquer la fameuse troisième mi-temps. « S’il y a bien une chose qui n’a pas dû changer, c’est ça, effectivement, » confirma-t-il en riant. De ce qu’il se souvenait de sa pratique du rugby, lui-même était particulièrement raisonnable lors de ces troisièmes mi-temps. D’une part parce qu’il était mineur, et d’autre part parce que ses aspirations à jouer au plus haut niveau possible l’empêchaient de faire trop d’écarts. Par la suite, cela avait peut-être changé, mais il n’en avait pas de souvenirs. « Je commence à y réfléchir sérieusement, j’ai repéré le Logan City Rugby Club, il me reste plus qu’à oser tester un entraînement ou deux. » Histoire de voir si l’ambiance de l’équipe lui plaisait et si son niveau était suffisant pour y être accepté. En attendant, il était vrai qu’il avait sa dose d’activité physique quotidienne grâce à PlateMate. « Tu livres toute la ville en vélo ? Tu m'étonnes que tu te tâtes à reprendre le rugby, tu dois être claqué à la fin d'une journée de travail ! » Louis haussa légèrement les épaules. « Je dors mieux comme ça, » expliqua-t-il sur un ton amusé, sans qu’on puisse vraiment savoir s’il était sérieux ou non. Il était vrai que son travail était assez physique, mais son emploi du temps était fait pour qu’il ait suffisamment de temps de repos entre chaque tranche horaire. « Pas trop compliqué d'avoir toutes ces odeurs délicieuses de nourriture autour de toi et de devoir juste les livrer, par les manger ? » Cette fois, ce fut un rire franc qui accueillit la question d’Olivia. « Si, c’est un peu un calvaire parfois c’est vrai. Ça permet aussi de découvrir plein de bonnes adresses, et de pouvoir se la péter avec d’excellentes pizzas pendant un date après. » Il était évident qu’il faisait là allusion à ce date-ci. « Tu les trouves comment d’ailleurs ? » Il espérait que les pizzas étaient au goût d’Olivia, mais il avait de nombreuses autres idées de restaurants à tester si elle n’était pas convaincue.

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« Je suis contente que tu n'aies plus besoin de ramener ton ballon partout. Il aurait été un peu encombrant ce soir ! » Louis s’esclaffa d’un rire franc, s’imaginant sonner à la porte de son date avec son ballon sous le bras. « Je prends sur moi, » répondit-il après avoir retrouvé son souffle. « Mais c’est pas facile d’être séparé de lui si longtemps. » Il plaisantait, évidemment, et la lueur de malice qui brillait au fond de ses yeux le prouvait, mais il espérait que son humour douteux n’allait pas pousser Olivia à couper court à leur soirée. Il avait la sensation que le courant passait bien entre eux, même s’il ne pouvait pas dire qu’il y avait vraiment de la séduction pour le moment, alors il aurait été déçu d’être mis à la porte si vite.

Pourquoi s’entêtait-il à poursuivre la discussion autour des enfants d’Olivia ? Louis lui-même n’était pas certain d’avoir la réponse à cette question. Il n’avait pas caché le fait qu’il n’était pas à l’aise en présence d’enfants, mais ça ne l’empêchait pas de continuer de poser des questions à la jeune fille. Voulait-il sincèrement dépasser son malaise ou faisait-il en sorte de d’effacer toute possibilité d’aller plus loin avec elle sous prétexte qu’elle était déjà mère et qu’il n’était pas prêt du tout à cela ? Louis n’en savait rien, et il n’était pas décidé à creuser le sujet davantage, alors il écoutait les réponses d’Olivia avec attention, sans penser à sa propre situation au milieu de tout ça. « J'ai eu la chance d'être bien entourée, par mes amis et ma famille. Les premières années ont été très dures, et avec très peu de sommeil, mais maintenant qu'ils sont plus indépendants et qu'ils dorment la nuit, c'est tellement plus simple pour moi ! » Tout en l’écoutant, Louis tentait de s’imaginer ce que ça avait dû être pour une Olivia de quelques années plus jeune, de s’occuper seule de deux nourrissons. Pour lui, ça paraissait inconcevable, mais visiblement, elle y était parvenue. « Honnêtement, maintenant ils ont l'âge de dire ce qu'ils aiment ou pas sans changer d'avis toutes les semaines, ils ont des conversations intéressantes, et ils ne font plus vraiment de caprices. Ils ont parfois encore un peu de mal à gérer leurs émotions, et ils essayent de me faire oublier leurs devoirs, mais ils sont plutôt cools comme gamins sinon ! » Louis hocha silencieusement la tête tout en réalisant à quel point que leurs vies quotidiennes étaient sans doute à mille lieues l’une de l’autre. Il avait lui-même parfois du mal à gérer ses émotions, alors qu’Olivia devait, en plus d’elle, s’occuper de deux êtres humains, qui, certes, ne faisaient apparemment plus de caprices, mais avaient tout de même besoin d’elle pour survivre. « Après, je comprends que tu sois mal à l'aise avec des enfants, surtout si t'es pas habitué à en côtoyer dans ton entourage. Moi je travaille avec, donc forcément je vois les choses différemment et avec une certaine expérience. Les miens ont l'âge de dire ce qu'ils veulent faire, ils sont plus tout-petits non plus, par exemple. » « J’en compte peu dans mon entourage, effectivement, » se força à répondre Louis, d’une voix serrée. Il en comptait peu dans son entourage à sa connaissance, parce qu’il était tout à fait possible que sa sœur ou son frère ait eu des enfants depuis 2010, mais ce n’était pas un sujet qu’il souhaitait aborder pour le moment.

Au soulagement de Louis, la conversation finit par dévier vers des sujets plus légers, et notamment le rugby. Il espérait que ça n’allait pas trop ennuyer Olivia, mais elle participait à la conversation avec autant d’enthousiasme qu’auparavant, ce qui le rassura. « Je suis sûre qu'ils seront ravis de t'accueillir et de te faire rester avec eux ! Je peux venir t'encourager si tu en as besoin. » L’idée de pouvoir compter sur une supportrice attitrée sur le bord du terrain plaisait à Louis. L’espace d’un instant, il se remémora ses années lycée, pendant lesquelles sa petite amie assistait à ses matchs avec son maillot sur les épaules. Un cliché qui l’emplissait de fierté à l’époque. « Je t’inviterai à mon premier match alors, » proposa Louis avec un sourire en coin. Pour être honnête, il était possible qu’il attende quelques mois avant de l’inviter pour de vrai, histoire de retrouver un niveau convenable et ne pas trop se ridiculiser.

Il n’aurait pas dû s’inquiéter de ce qu’Olivia pourrait penser de son travail, puisqu’elle ne fit aucune remarque. Ce qui le dérangeait le plus, finalement, ce n’était pas tant son métier actuel que le flou permanent dans lequel il baignait depuis son retour à Brisbane à propos de son avenir professionnel. N’ayant plus aucun souvenir des raisons pour lesquelles il s’était engagé dans l’armée en 2016, il avait du mal à imaginer reprendre cette voie, et il se trouvait trop âgé pour débuter une carrière dans le sport - le seul domaine qu’il se rappelait avoir apprécié plus jeune. Ce qui l’amenait donc à livrer des repas, et apparemment à faire bonne impression lors d’un premier rendez-vous grâce aux meilleures pizzas de la ville. « Ces pizzas sont délicieuses, et c'est vraiment dommage que la pizzeria soit à l'autre bout de la ville ! » « Tu pourras utiliser PlateMate la prochaine fois, et avec un peu de chance, ce sera moi le livreur. » Louis accompagna ses paroles d’un regard malicieux, bien qu’il n’était pas certain que la pizzeria entrait dans le rayon de livraison disponible d’Olivia. Sinon il pourrait aussi s’occuper de les lui livrer personnellement sans passer par l’application. « Je reste curieuse des adresses que tu as pu découvrir par contre ! Tu voudras bien me les faire essayer ? » La question de la jeune femme semblait laisser la porte ouverte à d’autres occasions de se voir, ce qui fit plaisir à Louis. Il n'était toujours pas certain de la direction que pouvaient prendre leurs échanges après ce premier rendez-vous, mais dans tous les cas la compagnie d’Olivia ne lui était pas désagréable et il ne serait pas opposé à la revoir. « Avec plaisir. Tu es plutôt burger ? Indien ? Tacos ? » Les pizzas étaient un choix peu risqué, mais l’offre était suffisamment diversifiée à Brisbane pour plaire à tous les palais.