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    @Olivia Welch    ft. Maritza Gutiérrez

Un coup d'oeil jeté à sa montre indiqua qu'elle était en retard. Ce fut essoufflée que Maritza arriva devant l'hôpital. Elle avait dit à Sergio qu'elle serait là avant qu'il ne parte mais les choses ne s'étaient pas goupillées comme prévu. L'après-midi de Maritza avait été chaotique. Elle avait enchaîné les petits jobs afin de subvenir aux besoins de ses enfants et afin de pouvoir payer les factures d'hôpital. Sa journée avait minutieusement été préparée pour pouvoir arriver avant que Sergio ne se rende à un rendez-vous professionnel mais malheureusement un grain de sable s'était glissé dans l'engrenage. Lorsqu'elle était arrivée dans la dernière maison dans laquelle elle devait faire le ménage, la mère de famille s'était rendue compte avec effroi qu'une tornade était passée entre les murs. C'était dépitée et profondément agacée qu'elle avait constaté que les propriétaires avaient fait la fête la veille et n'avaient strictement rien rangé. Elle avait failli jeter l'éponge et claquer la porte mais son besoin cruel d'argent l'avait empêchée d'agir ainsi. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre des clients, aussi dégueulasses et irrespectueux qu'ils étaient. Elle avait donc fait au mieux pour arriver à l'heure mais la crasse semblait plus résistante que d'ordinaire.

Fatiguée par sa journée et profondément peinée d'être arrivée en retard, Maritza s'apprêtait à passer les portes lorsque son téléphone sonna. Elle s'arrêta, découvrit le numéro de son ancien compagnon et dans un soupir décrocha : « Je sais, je suis en retard. Je suis devant là. » Elle ne lui laissa même pas le temps d'en placer une, peu désireuse d'entendre un quelconque reproche. Contre toute attente, Sergio se montra compréhensif et lui indiqua juste qu'elle pouvait prendre son temps puisque Sara était avec Maria. La mère raccrocha et sentit un poids s'envoler. Cela faisait des mois désormais que Maria, la plus jeune de ses enfants, était hospitalisée à cause d'une leucémie. Toute la famille avait été bouleversée par la nouvelle mais chacun faisait en sorte de rendre la situation plus facile et moins anxiogène pour la fillette.

Soulagée de savoir que Maria n'était pas seule, Maritza prit le temps de souffler un bon coup et de se recoiffer. Pas question de débarquer et de lui faire peur. Les traits de son visage étaient tirés mais peut-être qu'avec les cheveux détachés cela ne se verrait pas tant que ça. Alors qu'elle s'assurait d'avoir retrouvé une mine à peu près présentable, elle entendit qu'on s'adressait à elle. Elle releva le visage et fronça les sourcils devant la jeune femme qui se tenait face à elle. « Je suis Olivia Welch, nos enfants vont dans la même école. » Maritza se pinça les lèvres, les sourcils quelque peu froncés. Bien sûr qu'elle savait qui elle était. A première vue, elle avait cru que la jeune femme était une demoiselle sympathique et souriante mais rapidement la mexicaine s'était rendue compte qu'elle fourrait son nez partout. La rousse avait même eu le culot de lui proposer de l'aide comme si elle faisait partie des plus démunis. « Bonjour » répondit-elle quelque peu tendue. Elle l'aurait bien envoyée sur les roses mais sa tenue d'infirmière ou en tout cas de personnel de l'hôpital l'empêcha d'agir ainsi. « Je peux vous offrir un café ? Même si honnêtement, c'est celui de l'hôpital, et il est pas terrible ! » Elle s'apprêtait à décliner poliment son offre mais se surprit lorsqu'elle s'entendit répondre : « Je crois que j'en aurais bien besoin en effet. ». Elle-même ne s'attendait pas à répondre ainsi. Il fallait croire que la fatigue et le stress accumulés la faisaient agir d'une manière bien étrange. Alors qu'elle s'avançait en direction du bâtiment avec Olivia elle demanda : « Vous travaillez ici depuis longtemps ? » Si la jeune femme lui offrait un café, la moindre des choses était de se montrer un minimum aimable. Maritza pouvait bien faire cet effort l'espace de quelques minutes, bientôt elle serait auprès de sa fille et Olivia serait occupée à ses propres affaires.

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Alors qu'elle se dirigeait toutes les deux dans l'enceinte de l'établissement et que Maritza se demandait toujours pourquoi elle avait accepté ce café, elle se crispa lorsqu'elle entendit la jeune femme lui répondre : « Oh, ça fait dix ans. Toujours aux urgences pédiatriques ! » Pédiatriques ? Cela signifiait-il qu'elle avait eu vent de la maladie de sa fille ? Elle tenta de cacher son trouble se disant que cela ne devait pas être le cas puisqu'il ne s'agissait pas d'une urgence mais d'une maladie qui malheureusement durait dans le temps. Elle hocha la tête sans trop savoir pourquoi, sans doute pour donner l'impression qu'elle était pleinement investie dans cette conversation alors que ses pensées naviguaient bien loin. La matriarche stoppa sa marche lorsqu'elle entendit avec douleur les propos d'Olivia : « J'ai appris que votre fille était hospitalisée. Elle va bien ? » Prise au dépourvu, la mexicaine entrouvrit les lèvres, cherchant une réponse appropriée. Elle trouvait la question à la fois stupide et prévenante. Partagée entre deux pôles diamétralement opposés la brune ne savait plus sur quel pied danser. La voix quelque peu tremblante, elle consentit néanmoins à répondre : « Je... Il y a des hauts et des bas. » Maria était forte, sans doute plus que toute la famille réunit. Malgré la fatigue, les traitements, l'isolement par moments, la petite fille affichait toujours un sourire ravi lorsqu'elle voyait un membre de sa tribu débarquer. Si Maritza s'efforçait de se montrer heureuse et joviale face à son enfant, une lueur de tristesse persistait sans arrêt dans le fond de ses rétines.

Les deux femmes avancèrent plus en avant dans le bâtiment. Gutiérrez qui pensait connaître parfaitement les lieux depuis le temps qu'elle vagabondait dans l'endroit, fut surprise de se trouver un peu à l'écart de la foule. Ce n'était pas pour lui déplaire, bien au contraire. Un peu d'apaisement lui permettrait de reprendre ses esprits avant de monter dans les étages. Elle prit la tasse que lui tendait Olivia tandis que cette dernière poursuivait : « J'ai été désolée de l'apprendre... Je sais quelle angoisse c'est que d'avoir des enfants, et de craindre pour eux qu'il leur arrive quelque chose ». Le regard de Maritza s'embua quelque peu, montrant un peu plus l'état de faiblesse dans lequel elle se trouvait actuellement. Elle baissa la tête, fixa ses pieds puis dans un souffle rebondit : « Il n'y a rien de pire que la maladie... » Et pourtant il y avait eu Rudy et la prison. A cette période-là Maritza avait naïvement cru que rien de plus atroce ne pourrait arriver à leur famille. Qu'elle s'était mis le doigt dans l'oeil. Savoir que la vie de Maria n'était ni entre ses mains ni entre aucune de celles de sa famille était difficile a accepter.

Maritza porta la tasse de café jusqu'à ses lèvres et accrocha pour la première fois depuis leur entrevue le regard de l'infirmière. Elle confessa alors : « Je me sens démunie... Je ne sais pas quoi faire. » Peut-être que la rousse aurait quelques conseils à lui donner ou au moins des indications médicales qu'elle pourrait suivre. Lasse, elle passa sa main sur son front et acheva : « La leucémie est en train de prendre ma fille et je ne peux rien faire. » La gorge nouée, elle eut l'impression de s'enfoncer elle-même un poignard dans le cœur. C'était la première fois qu'elle exprimait à voix haute ses craintes et sa peine à quelqu'un d'extérieur à sa famille. Elle se sentait fragilisée et plus faible que jamais.

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    @Olivia Welch    ft. Maritza Gutiérrez

Si les relations qu'elle entretenait avec l'infirmière étaient assez tendues, Maritza la croyait sincère lorsqu'elle lui dit qu'elle était profondément désolée pour elle. En tant que mère, Olivia se projetait forcément dans l'enfer que vivait la mexicaine. Qui ne l'aurait pas fait ? Si elle l'avait pu, la mère de famille aurait échangé sa vie contre celle de Maria sans hésiter une seule seconde, elle n'aurait pas hésité à tourner le dos à dieu pour faire un pacte avec le diable malheureusement ce dernier se montrait introuvable, à moins qu'il n'ait pris possession du corps de sa fille. « Se sentir impuissant, c'est un sentiment terrible. » Le poids des mots prononcés affaissèrent davantage les épaules de la brune. Elle hocha la tête pour confirmer ses dires. Impuissante c'était parfaitement ce qu'elle ressentait. Elle but une gorgée de café pour retrouver un semblant de contenance mais releva vivement le visage en direction de la rousse lorsque cette dernière lui dit : « Perdre un proche est toujours difficile, mais perdre son enfant... C'est tellement illogique, on est sensé partir avant eux » « Elle n'est pas morte ! » répondit-elle brusquement et sans doute un peu sèchement. Elle n'avait pas envie d'entendre de telles paroles. Les médecins n'étaient pas optimistes mais les miracles existaient. Pour le moment Maria se battait et il n'était pas question que quelqu'un l'enterre alors qu'elle était toujours allongée sur son lit d'hôpital. Elle finit par détourner le regard. Elle savait qu'Olivia s'était montrée maladroite dans ses paroles, que son but n'était pas de la blesser mais Maritza était tellement à fleur de peau qu'elle réagissait au quart de tour pour tout. Elle consentit néanmoins à se radoucir lorsque la jeune femme la questionna : « Ses médecins ont encore des pistes ? ». Un long soupir lui échappa tandis que son regard se troublait à nouveau. « Pas vraiment... Ils essaient un nouveau traitement expérimental. » Au départ, Mari avait été contre cette proposition, il n'était pas question qu'on se serve de sa fille comme d'un rat de laboratoire. C'était Sergio qui l'avait raisonnée, qui était parvenue à la convaincre. Les traitements connus n'étaient pas efficaces, ils devaient tenter le tout pour le tout, si cela devait passer par essai clinique alors soit. « Ils ne peuvent pas la greffer pour le moment. » La radiothérapie n'avait pas assez fonctionné pour qu'ils puissent lui faire une greffe de cellules souches au niveau de la moelle osseuse. Gutiérrez espérait au fond d'elle que le nouveau traitement serait assez efficace. Tous les médecins lui disaient que la petite était trop faible pour recevoir une greffe pourtant dès qu'elle entrait dans la chambre, elle la voyait souriante, pleine d'énergie, débordante d'amour et de joie. Il était difficile pour elle de concevoir que l'image qu'elle renvoyait n'avait rien à voir avec ce qui se passait dans son corps.

« Je suis sûre que votre présence lui est d'une grande aide. On a tous besoin de nos mamans, et encore plus quand on est malade, et qu'on est trop petit pour vraiment tout comprendre. » Maritza sourit tristement. Sa fille était jeune, beaucoup trop jeune, mais au fond d'elle la mexicaine était persuadée qu'elle comprenait parfaitement ce qui lui arrivait. Maria était une petite perspicace, un peu curieuse, dont les oreilles traînaient toujours. La mère de famille s'était toujours demandée si Maria restait forte pour elle-même ou pour sa famille. « Oh je crois qu'elle a compris... En tout cas, elle a compris que sa situation lui permettait d'obtenir tout ce qu'elle désirait. » précisa-t-elle avec un sourire attendri. Tout le monde se pliait en quatre pour elle et la petite avait su en tirer avantage très rapidement. Elle n'hésitait pas à quémander tout et n'importe quoi auprès de ses parents ou de sa fratrie. Personne n'osait lui dire non. Maritza hésita quelques secondes puis demanda pleine d'espoir : « Vous ne connaissez pas un médecin dans un autre hôpital qui aurait peut-être une autre solution ? » C'était peu probable, mais la mère se devait de demander. Sans doute existait-il d'autres cancérologues bien meilleurs que ceux qui suivaient sa fille. Si c'était le cas, Mari irait récupérer sa fille sur le champ.  

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Maritza ne tint pas rigueur à Olivia pour ses paroles maladroites concernant l'état de Maria, d'autant plus lorsqu'elle ajouta : « Je sais qu'elle est bien là. Mais la maladie, voir son enfant souffrir... C'est tellement horrible. Ils sont sensés courir partout, et rire, et être plein d'innocence ! ». Le regard de la mexicaine s'embua à nouveau de larmes. Elle était comme ça sa fille avant que la maladie ne soit détectée. Elle était l'essence même de la famille. L'enfant de trop aussi. C'était à l'annonce de cette grossesse que Sergio avait définitivement foutu le camp hors de sa vie. Le reste de la fratrie avait pourtant accueilli la petite dernière à bras ouverts. Maritza n'était pas dupe, elle savait que ses aînés ne comprenaient plus ses choix, pensaient sans doute qu'elle commettait sans cesse la même erreur lorsqu'il s'agissait de son ancien mari pourtant ils avaient toujours tous été là pour la petite, à rire avec elle, à jouer avec elle. L'écart d'âge entre Maria et les autres n'influençait pas leur comportement. Ils avaient beau être des adultes et elle une enfant, ils avaient dès le début créé un lien avec elle.

« C'est bien qu'ils aient de nouvelles lignes de traitement à vous proposer » avait-elle ajouté. Les lèvres de la brune s'étaient pincées. Non ce n'était pas bien et la mexicaine en avait pleinement conscience. Ils étaient désespérés, ils n'avaient plus aucune solution. Ils tentaient le tout pour le tout. Les médecins avaient expliqué aux Gutiérrez les risques d'un traitement expérimental. C'était pour cette raison que Mari avait dans un premier temps refusé. Mais refuser, c'était condamné sa fille à mort et  la mère n'était pas prêt à prendre de tels risques. L'infirmière qui lui faisait face tentait tant bien que mal de la rassurer concernant l'efficacité des médecins de l'hôpital. La matriarche s'était attendue à cela. Elle avait eu l'infime espoir qu'Olivia aurait pu lui proposer autre chose mais elle s'était bercée d'illusions. Pourquoi la jeune femme admettrait-elle qu'il y avait de meilleurs médecins ailleurs ? C'était inconcevable. La déception dût se lire dans son regard puisque la rousse ajouta tout de même : « Par contre, vous pouvez toujours demander une copie du dossier de votre fille, avec tous les examens, et l'envoyer dans un autre hôpital. ». Maritza détourna le regard et murmura peu convaincue : « Je vais faire ça oui... » Il y avait peu de chance que cela porte ses fruits mais après tout si elle n'essayait pas, elle ne pouvait pas savoir. Toutes les chances étaient à mettre de leur côté et celle-ci – aussi infime soit-elle – en était une.

« Vos autres enfants, ils sont présents pour Maria ? ». Maritza reporta son attention sur l'infirmière et lui offrit un sourire qui pour la première fois depuis leur rencontre était véritablement sincère. « Oh si vous saviez... » Son regard attendri était la preuve que c'était bien le cas. Ils étaient tous là, tous présents. Sauf Rudy, mais Rudy ne faisait plus partie de l'équation et même si cela brisait le cœur de la brune, c'était sans doute mieux ainsi. « Ils viennent la voir à tour de rôle. Ils s'arrangent pour qu'il y en ait au moins un qui passe la voir chaque jour. » Parfois Maria les voyait tous débarquer ensemble, parfois ils alternaient. Ses enfants étaient forts, plus qu'elle ne l'imaginait. Ils restaient dignes dans la douleur, parvenaient à cacher leur tristesse et leurs craintes face à leur petite sœur. Ils arrivaient toujours avec le sourire, avec une petite surprise ou avec une activité à faire. En pensant à cela, elle fronça les sourcils et jeta un coup d'oeil à sa montre. Elle ajouta : « Sara est d'ailleurs actuellement avec elle. Il va bientôt falloir que je prenne la relève. » Ses épaules s'affaissèrent quelque peu. Ce n'était pas qu'elle n'avait pas envie de voir sa fille, bien au contraire, c'était qu'elle se sentait fébrile, qu'elle doutait de sa capacité à lui cacher la moindre émotion. Elle avait l'impression de en plus avoir les ressources nécessaires pour pouvoir tout dissimuler. Elle poussa un léger soupir et but une nouvelle gorgée. Dès que son café serait terminé elle n'aurait d'autre choix que de se rendre au chevet de Maria. Avant cela néanmoins elle demanda à Olivia : « Et vos enfants ? Comment vont-ils ? Je suis désolée, je suis impolie, j'aurais dû prendre de leurs nouvelles plus tôt. » Focalisée sur sa fille et sur ce qu'elle vivait, Maritza avait tendance à faire passer les autres après. Ce n'était pourtant pas dans ses habitudes. La cinquantenaire était une femme dévouée, qui s'intéressait aux autres, qui aimait leur venir en aide lorsque cela était nécessaire mais depuis quelques temps, elle s'était enfermée dans sa bulle et concentrait toute son énergie sur sa famille et rien que sur elle.  

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« C'est bien qu'ils soient tous présents pour elle ! Maria doit en être ravie, et vous, ça vous permet de sortir un peu de la chambre » Maritza opina de la tête. C'était en effet un soulagement de savoir que ses autres enfants ne baissaient pas les bras et n'abandonnaient pas leur sœur. Savoir que Maria était entourée et aimée lui permettait de respirer un peu plus facilement. Elle culpabilisait moins lorsqu'elle passait des heures au travail loin de sa fille. On lui avait conseillé de prendre un congé, d'arrêter de travailler quelques temps mais la mère de famille n'avait pu s'y résoudre. Financièrement, elle ne pouvait pas se permettre d'arrêter de travailler. Sergio aidait pour les factures à l'hôpital, il prenait à sa charge une grande partie des soins et Maritza lui en était reconnaissante. Elle aurait pu s'appuyer davantage sur lui mais quelque chose la retenait. Son ego sans doute, sa fierté certainement. Cela la rendait dingue d'être encore et toujours dépendante de son ancien mari. Savoir que sans lui elle ne pouvait pas subvenir convenablement aux besoins de sa famille la rendait dingue. Toutes ces raisons l'avaient poussée à continuer ses différents jobs.

« Sara est celle qui est la plus proche en âge ? » Un rire franc échappa à Maritza qui secoua négativement la tête. Elle se mordit la lèvre et baissa la tête vers son café. Sara était loin d'être la plus proche en âge. Si Olivia savait que les Gutiérrez étaient une famille nombreuse, elle ignorait sans doute le nombre exact des enfants. Quelque peu gênée mais aussi amusée par la question, Maritza répondit : « Maria est la petite dernière. Sara est la quatrième de la famille... » Elle marqua une courte pause et dans un souffle précisa : « Ils sont sept. » Elle se passa nerveusement une main dans les cheveux. Elle était fière de sa famille et elle ne regrettait aucune de ses grossesses. Si elle avait eu autant d'enfants c'était parce que Dieu l'avait voulu – même s'il semblait décidé à lui retirer la dernière prunelle de ses yeux – elle avait toujours dit que le Seigneur avait des plans pour eux. Sa destinée à elle était d'être mère. C'était son plus beau rôle. Elle n'avait jamais caché le nombre d'enfants qu'elle avait mais savait que les gens la jugeaient bien souvent pour ce choix de vie. Son regard plongé dans celui d'Olivia, elle cherchait à percevoir une quelconque réaction. « Elles ont sans doute plein d'histoires de sœurs à se raconter » Maritza leva les yeux au ciel tout en faisant signe avec sa main qu'elle n'imaginait pas à quel point. Chacun des enfants avait des choses à raconter à Maria, c'était d'ailleurs très souvent amusant de les entendre parler avec elle. La maladie avait fait grandir sa fille trop rapidement et la mexicaine était toujours surprise de constater à quel point elle était devenue mature. Le fait que ses frères et sœurs tous plus vieux lui racontent régulièrement leurs aventures avait dû pousser en ce sens.

La brune écouta attentivement Olivia lorsqu'elle lui parla de ses jumeaux et un sourire nostalgique glissa sur ses lèvres. Elle imaginait parfaitement la scène des enfants discutant entre eux comme si personne d'autre n'existait autour. Si Diego et Alma n'étaient pas jumeaux, le même phénomène s'était produit. Ils n'avaient qu'un an d'écart et lorsqu'ils n'étaient que des bébés ils discutaient de longues heures l'un avec l'autre. Maritza avait longtemps cru qu'ils se répondaient en onomatopée sans se comprendre avant de prendre conscience que tout faisait sens pour eux. Un hochement de tête de la part de la mère indiqua qu'elle comprenait cette volonté de les laisser ensemble. « Vous avez raison, il vaut mieux qu'ils restent ensemble s'ils en sentent le besoin. Ils finiront par prendre leur distance en temps voulu. » En grandissant les caractères se dessineraient d'eux-mêmes et chacun apprendrait à vivre indépendamment de l'autre. Pour le moment ils se sentaient en sécurité à deux et ce sentiment devait être préservé. « Ce n'est pas trop épuisant de devoir gérer des jumeaux ? » La question pouvait paraître surprenante venant d'une mère de famille nombreuse mais pourtant avoir sept enfants n'était pas comparable au fait d'avoir des jumeaux. Maritza n'avait jamais eu besoin de changer les couches de deux enfants en même temps. Diego avait rapidement abandonné les couches à la naissance d'Alma. En grandissant, chacun de ses enfants l'avait aidée comme ils le pouvaient pour s'occuper des plus jeunes. Curieuse, Maritza osa demander : « Est-ce que la connexion entre jumeaux existe réellement ? En dehors de leur moyen de communiquer ? » Elle avait lu de nombreuses choses à ce sujet et s'était toujours demandé si tout cela était vrai ou s'il s'agissait d'inventions de la  part des parents. Lorsque l'un des enfants d'Olivia souffrait est-ce que l'autre aussi ?

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Peut-être que Maritza s'était trompée sur Olivia. Sans doute avait-elle été un peu hâtive dans son jugement. Lorsque l'infirmière lui avait proposé de l'aide et lui avait sous-entendu qu'il existait des associations pour lui venir en aide, la mexicaine s'était instantanément braquée, avait violemment refusé et s'était sentie attaquée par la rousse. Elle avait eu le sentiment d'être jugée, prise de haut et méprisée, pourtant à cet instant elle découvrait chez Olivia une gentillesse et une bienveillance dont elle ignorait l'existence. Lorsqu'elle apprit que Maritza était mère de sept enfants, il n'y eut aucun jugement, aucun étonnement, aucune moquerie dans son regard. L'infirmière avait reçu l'information avec impassibilité, comme s'il s'agissait d'un choix de vie des plus banals. Lorsqu'elle lui expliqua qu'elle venait aussi d'une famille nombreuse, un sourire étira les lèvres de Mari qui comprenait maintenant pourquoi elle semblait si bien comprendre sa manière de vivre. Tout faisait sens désormais.

Lorsqu'elles parlèrent des jumeaux d'Olivia et du fait que leurs maîtresses étaient quelque peu perdues, Maritza sourit et hocha la tête comprenant parfaitement la situation. Dans ces cas-là, les problèmes à l'école ne provenaient souvent pas des enfants, c'était souvent les adultes qui ne savaient pas gérer ce genre de schéma. Lorsque l'on était enfant, on ne se posait pas de questions, on se contentait de vivre, d'avancer au jour le jour sans penser aux conséquences mais une fois que l'on était adulte tout était différent. Chacun avait une ligne de conduite en tête, un plan pour avancer, une façon de réagir bien spécifique, lorsque quelqu'un sortait un peu des sentiers battus, toute la vision que l'on se faisait de la vie s'effritait quelque peu et cela devenait plus difficile à contrôler.

Olivia lui parla alors des deux premières années de la vie des jumeaux et Maritza ne put s'empêcher de pousser un soupir compatissant. Elle comprenait parfaitement les difficultés qu'avait rencontrées Olivia. Elle aussi avait vécu les mêmes. Diego et Alma étaient si proches en âge qu'elle avait parfois eu l'impression de gérer des jumeaux. Elle répondit lasse mais complice : « C'est fou à quelle rapidité ils se retransmettent les microbes. Lorsqu'un va mieux, c'est l'autre qui va mal. Le pire c'est quand ils arrivent à nous contaminer. » Elle plaqua une main sur son front, signe qu'elle l'avait déjà vécu à de nombreuses reprises. Elle n'avait pas osé employer le mot « maladie » qui la renvoyait directement à la situation de Maria. Heureusement pour elle, la maladie de sa fille ne se transmettait pas, elle ne pouvait pas la donner en éternuant sur un membre de sa famille ou en en serrant un dans ses bras. Ses pensées parasites furent rapidement balayées lorsqu'Olivia lui parla des activités extra-scolaires et de toute ce qu'il y avait en-dehors de l'école et pour la première fois depuis qu'elles se connaissaient, la mexicaine avait l'impression de se reconnaître en elle. Elles partageaient sans doute plus de points communs qu'elle ne l'avait imaginé au préalable. « Oh ne me parlez pas des réunions avec les professeurs ! Quel enfer ! ». Maritza en avait vu tellement qu'elle était incapable de se souvenir de tous les noms. Elle avait longtemps eu l'impression d'être convoquée sans arrêt. L'éducation de ses enfants ainsi que leurs études avaient toujours compté pour elle, elle n'avait donc jamais loupé la moindre réunion mais elle devait bien admettre que cela l'avait parfois rendue dingue. Dans un sourire, elle chuchota : « Oh et attendez que l'on vous demande de préparer des cookies, d'accompagner à telle sortie, de vendre des tickets de tombola... ». Maritza ne plaisantait qu'à moitié. Elle avait toujours pris au sérieux son rôle de mère et s'était investie dans la scolarité de ses enfants, elle ne pouvait néanmoins pas nier le fait que parfois cela était éreintant.

Maritza écouta attentivement le lien qui unissait Lizzie et Lenny et ne put s'empêcher de sourire, attendrie par les informations que l'infirmière lui confiait de bon cœur. Elle imaginait parfaitement leur entente, leur façon de faire, et reconnaissait ses enfants en eux. Adoucie et bien plus calme qu'à son arrivée à l'hôpital la matriarche lui dit : « Je vois très bien de quoi vous voulez parler. Attendez de voir quand ils vont unir leurs forces pour vous rouler dans la farine. » Un petit rire lui échappa. Maritza ne comptait plus le nombre de fois où ses enfants s'étaient liés pour obtenir ce qu'ils voulaient ou pour dissimuler une bêtise qu'ils avaient pu faire. La brune but la dernière gorgée de son café, jeta un coup d'oeil à sa montre et rattrapée par la réalité murmura : « Je vais devoir y aller. » Elle jeta le gobelet dans la poubelle la plus proche, hésita quelques secondes et puis finit par admettre : « Je vous ai mal jugée Olivia, et j'en suis navrée. J'espère que vous saurez me pardonner pour mon attitude plus que désagréable des premiers temps... ». Maritza avait beau être fière et têtue, elle savait reconnaître lorsqu'elle faisait une erreur et s'excuser ne lui brûlait pas les lèvres. Elle espérait sincèrement que l'infirmière accepterait de repartir sur de nouvelles bases.

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