broken doll
Raelyn Blackwell & @Aisling Hayes - mars 2020

Mitchell semble à nouveau vouloir s'intéresser aux affaires du Club après des mois d’absence et d’errance mais, dans les couloirs de l’organisation court déjà la rumeur qu’il ne contrôle plus grand chose. Le suicide de Mavis lui a porté un coup dont peu soupçonnent l’étendue, mais j’étais là lorsqu’il a trouvé le corps. J’étais là pour le voir s’effondrer pour une femme qui, pourtant, ne vivais plus à ses côtés depuis des mois. J’étais là pour le voir ne pas se relever à cause de la mort de celle qu’il trompait pourtant allègrement et depuis des mois, voire des années. J’étais là et, comme la dernière fois qu’il n’a plus pu gérer le Club - pendant son emprisonnement - je me suis substituée à lui avec une facilité hors du commun. Dans les faits, j’opère déjà comme son bras droit depuis des années. Depuis la libération de son frère, Alec s’est peu à peu désintéressé des affaires du gang et Mitchell se voile la face s’il pense que son frère aspire à autre chose qu’à gérer son petit restaurant. Depuis la mort de Mavis, l’américain est par monts et par vaux, souvent à l’étranger, toujours bourré ou défoncé et moi, je tiens les rênes puisqu’il faut bien que quelqu’un fasse tourner la boutique. Peu contestent mon autorité : seul Steven, leader de la branche prostitution du Club, trouve quelque chose à y redire par pur machisme et parce qu’il abhorre le fait que j’ai plus d’influence au sein de l’organisation criminelle qu’il n’en a jamais eue et qu’il n’en aura jamais. Son cerveau de mâle alpha aux capacités limitées l’en empêche : il n’est bon qu’à terroriser les fragiles oisillons qui, par malchance, tombent entre ses mains.

Un mois s’est écoulé depuis que j’ai appris l’identité de la personne à la tête du petit gang de malfrat qui a commencé à apparaître dans les rues de la ville. Un mois que je me demande pourquoi Lou Aberline respire encore, pourquoi Mitch ne lui a pas réglé son compte ou, au minimum, pourquoi ne le fait-il pas maintenant qu’elle tente de marcher sur ses plates bandes. Elle ne me fait pas peur, je ne crains pas de voir mes recettes diminuées à cause de sa bande d’idiots sans cervelle qui pensent que jouer les gros durs fait d’eux un gang, un vrai. Si le fait qu’elle ne soit pas six pieds sous terre m’ennuie, c’est parce qu’elle fait passer Mitchell pour un lâche, un faible qui n’a pas osé aller jusqu’au bout. Parce qu’il l’autorise à vivre, il envoie comme message que le trahir est sans conséquence, qu’il n’a pas ce qu’il faut de courage pour lui mettre une balle dans la tête quand, à cause d’elle, lui et d’autres ont été arrêtés. Grâce aux connexions de Mitchell, il n’y est pas resté longtemps. Mais lui seul a jouit de ce genre de luxe d’autres pourrissent en prison à cause de la candeur de celle que j’ai toujours considéré comme un poison.

La naïveté, quand elle est doublée de facultés cognitives limitées, est presque aussi dangereuse que le manque de loyauté. Lou ne voulait peut-être pas trahir Mitchell - j’ignore ce qu’elle est pour lui au-delà d’une pute avec laquelle il couchait et je m’en moque - mais elle a sans le vouloir affaibli le Club plus qu’il ne l’a jamais été. Depuis, l’organisation s’est relevée mais j’ai appris à me méfier des filles comme elle.

Et Aisling en est une, de fille comme elle. Plus courageuse qu’elle n’en a l’air, elle a autrefois gagné ma confiance, mais une confiance limitée et je n’ai guère été surprise d’apprendre que, comme beaucoup d’autres rats, elle avait quitté le navire lors de la tempête de 2015. Elle a fait l’erreur de partir en tentant de voler le Club, de nous voler tous et je suppose que ça a été son erreur, celle qui a poussé Mitch a la rattraper dans sa cavale pour la remettre dans le rang. Mais contrairement au boss, je suis intimement persuadée que la loyauté ne se force ni ne s’achète. On peut régner grâce à un régime de terreur, mais on ne peut pas le faire indéfiniment puisque quelqu’un qui est contraint finira par trahir lorsqu’il trouvera une porte de sortie. Si cela ne tenait qu’à moi, nous nous serions débarrassés de ce problème gênant afin d’éviter que la pomme pourrie ne contamine tout le panier. Et puisque Mitch a été aux abonnés absents ces derniers mois, je me suis octroyé le droit d’agir. Et alors que j’observe la brune rassembler les produits - comprendre drogues - qu’elle doit faire passer dans le club de strip-tease dans lequel elle travaille, je décide qu’il n’est plus possible de faire une confiance aveugle à Mitchell. Amos a raison : il ne contrôle plus rien depuis longtemps. Si je le laisse faire, il nous fera tous couler avec lui, sans vice de procédure pour nous faire sortir cette fois. « Tes mains tremblent, Aisling. » Et si elle ne risque pas de perdre le moindre gramme de poudre que contiennent les sachets plastiques parfaitement hermétiques qu’elle fourre dans son sac à dos - j’ai veillé à la qualité du produit autant que de son contenant - cela m’agace par principe. A-t-elle senti mon regard inquisiteur ? Est-elle simplement mal à l’aise en présence de drogues dures ? « Soit c’est moi, soit c’est la cocaïne. Dans un cas comme dans l’autre, arrête, tu me déconcentre. » Je tape le bout de mon stylo sur le livre de compte que j’ai sous le nez, avant de pousser un soupir et de refermer l’ouvrage. « C’est à cause de ce qu’ils contiennent… » La rumeur court que la jeune femme est sevrée, ou tente de l’être. « Ou bien parce que tu as peur de te faire attraper ? » La peur est une mauvaise chose. Les représentants des forces de l’ordre la flairent à des kilomètres, elle rend suspect.
 

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Raelyn Blackwell & @Aisling Hayes - mars 2020

« Désolée. » Aisling tremble, Aisling s’excuse alors que nous savons toutes les deux qu’il est impossible de m’amadouer et que, au contraire, le fait de ressembler à une petite colombe fragile a de grandes chances de m’agacer plus qu’autre chose. La douceur, l’innocence et la naïveté ne sont pas des qualités que je respecte. Je ne comprends que la froideur, l’assurance et l’orgueil. Aisling est aussi différente de moi que je ne le suis d’un chaton et, face à ses excuses, je pose mon stylo et je relève les yeux vers elle, décidée à régler le problème. Si pour ça, je dois m’adonner à un pep talk voué à rebooster la jeune femme, je le ferai bon gré mal gré. « Ne t’excuse pas poupée. Résous le problème. » Je l’encourage du regard, avant de tenter de deviner quelle en est l’origine. Je ne suis pas orgueilleuse au point de croire dur comme fer que seule ma présence peut susciter chez elle ce genre de nervosité. Je sais que j’y participe, mais j’appartiens certainement à quelque chose de plus complexe, quelque chose qui dépasse ma petite personne. « J’ai pas peur de m’faire serrer. » - « Tu es idiote dans ce cas. » Je me contente de ça mais, en voyant que ses yeux de chaton ne me lâchent pas, je précise. « Si tu n’as pas peur, soit tu es idiote, soit tu es une tête brûlée. Et je t’imagine mal dans cette dernière catégorie. » Ce qui est néfaste, c’est lorsque la peur tétanise. Avoir le ventre noué, c’est souvent gage de prudence. Ce n’est pas une mauvaise chose, lorsque c’est contrôlé. « Tu dois avoir peur. Tu dois simplement pas le subir. » La peur donne des ailes, n’est-ce pas ?

« Je sais c'que j’fais. »
« Très bien. »

Elle n’en donne pas l’intention, en tout cas. Mais puisque ma question était égoïste - l’objectif était d’avoir la paix et de le plus être parasitée par son agitation - je n’ai pas l’intention de la pousser à parler. Je ne suis pas psychologue, et je ne suis pas non plus une épaule sur laquelle on pleure. Bien mal avisée serait la personne qui voudrait que je joue ce genre de rôle. « C’est juste… J’pensais qu’j’en avais fini avec ça t’sais ?  » Avec le Club ? Le penser alors qu’elle nous devait de l’argent, c’était idiot, ça aussi. C’était mal connaître l’organisation, ou nous prendre pour une association caritative. Je suis une femme - peut-être est-ce ce qui la pousse à se confier à moi - mais je suis implacable en affaires. Je serai allée la chercher moi-même pas la peau du cou si Mitchell n’avait pas fait en sorte de la mettre face à ses dettes et engagement. « Les drogues j’veux dire. J’en consomme plus, j’aime pas y toucher. Et si mon mec en trouvait dans mon sac il m’défoncerait. » La drogue est donc le problème, même si je doute qu’elle soit ravie d’être toujours en contact avec les malfrats que nous sommes. Aisling représente tout ce que je méprise chez le sexe féminin. En bon petit oisillon, elle n’a pas pu se retenir plus d’une minute de parler de son ”mec”, comme s’il était maître de ses actes et de ses choix. Il me défoncerait. C’est ce qu’elle a dit et elle y a gagné un haussement de sourcil. Si Amos et moi nous affichons à présent au Club depuis quelques semaines, jamais personne n’aura l’ascendant sur moi. Jamais. « Sérieux y’a pas d’autres trucs à refourguer ? » J'esquisse un sourire amusé, et je laisse même un rire bref m’échapper. Pensive, je penche la tête sur le côté alors que mes doigts jouent à présent avec mon stylo. « Si tu préfères écarter les cuisses pour Steven plutôt que de bosser pour moi, je peux en faire part à Mitch. » La voilà la seule autre marchandise qu’elle possède et qui pourrait faire les affaires du Club. Je doute que ce soit un sort qui lui paraisse plus enviable. « Mais tu sais comme moi qu’il aime goûter la marchandise. » Personne n’est aveugle face aux agissement de Steven, chef de file de la branche prostitution de l’organisation criminelle. « Avec moi, tu es au moins safe de ce côté-là. » Puisque de mon côté, responsable de tout ce qui touche à la drogue, je ne goûte ni la poudre, ni ceux ou celles qui la refourguent. Même avant qu’Amos et moi ne devenions quelque chose, à défaut de nous coller l’étiquette de couple, je ne mélangeais pas affaires et plaisir. « J’étais une toxico avant. » Je repose mes yeux sur mes livres de comptes, partageant cette information comme si je parlais du quartier où j’habite ou des restaurants que je préfère en ville. Je n’ai pas honte. Je n’en fais pas un secret non plus. « Le frisson, il disparaît jamais. » Je lui désigne du menton les sachets de poudre disposés sur le table devant moi. J’ai mis des années à ne plus être tentée. Je crois que, les mauvais jours, j’entends encore l’appel des sirènes de la drogue. Mais je n’y ai plus jamais touché depuis plus de douze ans. « Résister, c’est juste une question de force de caractère. » Et de solidité de son sevrage également. Mais puisqu’elle clame être sobre, c’est un cap qui doit être passé. « Et envoyer chier ton mec, c’est la même chose. » De la force de caractère. C’est ce qu’il faut pour apprendre à ne plus être bouffée par son partenaire à mes yeux.

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Aisling & @Raelyn Blackwell

Is it my soul I can't trust? Or am I hellbent in the way I self-destruct? Grinding the reasons to millions of pieces and taking the blame for it all.

Ne t’excuse pas poupée. Résous le problème. Ces mots résonnent dans sa tête, la voix de Raelyn se mélange à celle de son grand frère. Tiarnán, il aurait adoré la blonde. Surement qu’ils auraient fait bonne équipe aussi. L’esprit affuté, le regard froid, l’art de tourner les dangers à leur avantage, de s’élever dans les bas-fonds afin d’y régner en maître. Comme Raelyn, il n’a jamais eu de patience pour ses nerfs fragiles et ses angoisses. Mais Tiarnán ne l’aurait jamais mise en danger, les liens du sang l’exhortant à la protéger. Et, bien qu’elle ait longtemps cherché cette réassurance au sein du club, Aisling sait désormais qu’elle ne peut pas y compter. La loyauté qui lie les membres n’a rien de sacré, et pour le trio de tête qui tient toutes les manettes, elle n’est rien d’autre que du petit gibier. J’ai pas peur de m’faire serrer. C’est tout ce qu’elle trouve à répliquer pour sa défense, les seuls mots qui pourraient, elle l’espère, plaire à Raelyn. « Tu es idiote dans ce cas. » Elle tombe de haut, la dévisage de ses grands yeux gris un peu éberlués. bon sang j’arriverai jamais à la cerner… « Si tu n’as pas peur, soit tu es idiote, soit tu es une tête brûlée. Et je t’imagine mal dans cette dernière catégorie. » oh. Elle comprend à retardement que ce n’était pas la bonne réponse, qu’elle aurait mieux fait d’être sincère, pour une fois. Car même si elle est un peu sotte, assez du moins pour appartenir à la première catégorie, la peur s’est creusé une place de choix dans ses trippes depuis sa plus tendre enfance. « Tu dois avoir peur. Tu dois simplement pas le subir. » Ses sourcils se froncent, elle n’avait jamais vu ça comme ça. Pour elle le monde est constitué des courageux qui n’ont peur de rien, et des lâches effrayés dans son genre. « Oh… okay. » Elle bredouille en arrangeant soigneusement les petits sachets remplis d’une poudre blanche qui éveille ses envies comme ses inquiétudes. Le visage de Sid apparaît dans son esprit, un abysse de déception dans ses yeux glacier. Elle s’efforce de le repousser, en même temps que la marée noire d’angoisse et de culpabilité que ses engagements auprès du club s’amusent à déverser.

Cette même marée gluante qui la pousse à exprimer ses doutes, chercher une alternative au destin que le boss lui a collé. Un instant, le rire de Raelyn allume un faible espoir dans sa poitrine, que les paroles de la blonde s’empressent d’écrabouiller. « Si tu préfères écarter les cuisses pour Steven plutôt que de bosser pour moi, je peux en faire part à Mitch. » La suggestion se loge dans son estomac et Aisling voudrait vomir pour s’en libérer. Le visage blême, elle enroule ses doigts autour du bureau pour les empêcher de trembler. non pas ça, pitié ! « Mais tu sais comme moi qu’il aime goûter la marchandise. » Les jointures blanchies, elle ravale la bile qui lui brûle l’œsophage, et la naïveté stupide qui l’a poussée à croire qu’elle avait le moindre poids pour négocier. Elle a volé de l’argent dans les caisses du club, elle s’est rangée aux côtés de Lou quand Mitchell est tombé. Au fond, Aisling sait qu’elle a de la chance de ne pas avoir fini en bouillie dans un fossé. Faire la mule pour le club au moins est une punition qui ne menace pas totalement son intégrité. Pas comme ce qui l’attendrait si Mitch la plaçait entre les griffes de Steven. plutôt crever. Elle a déjà du mal à laisser Sid la toucher, l’irlandaise n’est pas certaine qu’elle s’en remettrait si le club l’offrait à des inconnus en l’échange de quelques billets. « Avec moi, tu es au moins safe de ce côté-là. » La gorge serrée, elle hoche la tête. « Ouai, je sais. » Car même si Raelyn ne se sent clairement pas investie d’une mission pour la protéger, au moins elle ne prend pas un malin plaisir à la mettre en danger. C’est une femme d’affaires, une vraie de vraie. Ce qui compte pour elle c’est la sécurité de la marchandise qui sort et celle qui rentre. Elle ne mélange pas le travail et le plaisir, elle ne fait pas d’erreur. Quelque part, Aisling l’admire pour ça, reconnaît ces atouts sans les comprendre. Sans comprendre, surtout, comment ils se sont installés dans le cœur d’une femme.

« J’étais une toxico avant. » Les sourcils délicatement froncés, l’irlandaise relève les yeux à l’instant où la patronne les baisse. Concentrée sur les comptes qu’elle gère en même temps que la discussion, Raelyn lui partage son expérience comme d’autres parlent de la pluie qui n’ose guère se pointer en Australie. « Le frisson, il disparaît jamais. » Il y a dans ces paroles une vérité qui lui glace le sang… et qui la rassure en même temps. Elle l’observe en silence. Ses longs cheveux blonds, son regard perçant d’intelligence, le pli décidé entre ses sourcils et au coin de ses lèvres. Elles ne pourraient pas être plus différentes. Et pourtant, en cet instant, Aisling se sent plus proche de la reine des drogues qu’elle ne l’a jamais été. « C’est la merde quand j’suis stressée. Le seul truc auquel j’peux penser c’est : une ligne et ça disparait. » Elle partage à son tour, encouragée par ces chaînes invisibles que tous les anciens junkies sentent entre leur chair et la promesse factice offerte par les substances avec lesquelles ils se défonçaient. « Résister, c’est juste une question de force de caractère. » Elle le sait, ça aussi. Et pourtant, cette remarque est loin de la rassurer. Parce qu’Aisling n’est pas une femme forte et déterminée comme Raelyn. Parfois, elle craint que sa sobriété soit aussi fragile qu’un château de carte que le moindre courant d’air pourrait emporter. Alors sa stratégie, au cours de cette dernière année, c’était de rester bien à l’abri, loin de tout ce qui pourrait lui donner envie de chuter. Mais avec les nouvelles exigences du club et le changement de propriétaire au Candy, autant dire que les vents lui semblent dangereusement près.

« Et envoyer chier ton mec, c’est la même chose. » La remarque la surprend tellement que ses yeux s’arrondissent et un petit rire nerveux s’échappe d’entre ses lèvres. Elle les pince aussitôt, dissimule son éclat d’hilarité derrière sa paume. « Pardon. » Elle s’empresse de s’excuser. « C’est juste… j’m’y attendais tellement pas ! » Elle voudrait lui dire qu’elle n’a pas besoin d’envoyer chier son copain. Qu’elle trouve dans l’intransigeance de Sid la force qui pourrait parfois lui faire défaut. Que c’est la façon dont il prend soin d’elle qui lui a donné l’espoir et le courage de pouvoir arrêter. Mais elle ne le fait pas, parce que Raelyn se moque probablement de ses états d’âmes. Parce qu’elle n’a pas envie de parler de quelque chose de si cher à son cœur dans un lieu si sombre. « J’voudrais tellement être forte comme toi. » Elle lâche dans un soupir, ses ongles glissant distraitement sur les bretelles du sac qu’elle a glissé sur ses épaules. « J’veux dire, tu gères ça depuis des années et t’as jamais replongé, j'sais même pas comment tu fais. » Car la pression, il y en a dans cette branche. Les dealers qui caftent pour obtenir une réduction de peine quand ils se font gauler, les guerres de territoire, les fournisseurs avec qui il faut vraiment pas déconner. Mais Raelyn reste calme froide et distinguée. « Et puis... j’aurais jamais deviné qu’t’en a déjà consommé. » Et pourtant ça semble logique. Elle connaît sa marchandise sur le bout des doigts. Son prix, le profil de ses clients, ses effets. « Dis Raelyn… » Elle souffle, repensant au conseil qu’elle lui a donné, aux questions qu’il a éveillées. « Ça t’arrive toi, d’avoir peur ? » Elle a du mal à le concevoir, du mal à l’imaginer. Mais elle est sûre d’une chose : la blonde sulfureuse n’est ni une idiote, ni une tête brûlée. Alors peut-être qu’au fond, ouai, ça pourrait être vrai.

Pando + whitefalls

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Raelyn Blackwell & @Aisling Hayes - mars 2020

« Oh… okay. » Rien de tout ce que je dis ne semble parvenir à détendre la petite brune et j’ai presque envie de lui dire de se l’enfiler, cette ligne, si c’est ça ou bien être aussi vulnérable qu’elle semble l’être. Si je manquais moins d’objectivité, je me souviendrais de la gamine que j’étais quand Aaron m’a arraché des bras de la cocaïne. Sauf que je n’étais pas terrifiée, muette et discrète. Je n’étais pas léthargique, j’étais une bombe à retardement, en colère contre le monde entier, révoltée que pour la première fois de ma foutue vie, quelqu’un essaye de me protéger de moi-même. J’étais scandalisée par cet homme qui pensait mieux savoir que moi ce qui était bon pour moi, je l’ai détesté de chaque fibre de mon être avant d’en tomber amoureuse. A sa mort, je me suis noyée dans les paradis artificiels, comme au bon vieux temps - en me tenant malgré tout éloignée de la cocaïne - mais je jurerais que jamais, jamais je n’ai été aussi fragile qu’Aisling semble l’être constamment. La première fois que j’ai posé les yeux sur elle, je me suis dit que cela ne pouvait être qu’un masque. Que certaines femmes - comme moi - sont frontales et gagnent le droit d’être sur un pied d’égalité avec leurs congénères masculins quand d’autres rusent et se font passer pour de fragiles petites colombes pour arriver à leurs fins. Je n’ai jamais détesté les femmes usant de ce genre de ruses, seulement la faiblesse des hommes. Mais ce que j’ai compris, concernant Aisling, c’est qu’elle est cette petite colombe. Elle n’a les épaules pour rien de ce qui se trame ici.

Mitchell aurait dû se débarrasser d’elle plutôt que de remettre la brebis au milieu de la meute de loups.

Mais l’addiction, dieu que je connais l’addiction. Si je ne suis pas capable de ressentir de l’empathie pour l’Irlandaise, je suis au moins capable de tenter de lui donner un bout de mon histoire - ce passage là est public, je n’en ai pas honte - et quelques conseils avec ça. « C’est la merde quand j’suis stressée. Le seul truc auquel j’peux penser c’est : une ligne et ça disparaît. » Je l’observe, perdue dans mes pensées quelques secondes, avant de hocher la tête. Si elle parvient à résister, peut-être a-t-elle un peu plus de force de caractère que je ne le pense. « Je comprends ça. » Je le comprends vraiment. Pas comme ces gens qui dise compatir sans avoir la moindre idée de ce qui peut se jouer en vous. Je le lui affirme avec gravité, sans jugement. « Mais c’est jamais qu’une. » Et je ne lui apprends certainement rien. Lorsqu’on est accro, c’est tout ou rien. Devenir addict, c’est ne plus être capable de parcimonie, lorsqu’on est addict, juste une petite en souvenir du bon vieux temps, juste un seul verre, ça n’existe pas.

Je me serais replongée dans ma tâche si ma remarque n’avait pas provoqué un éclat de rire surprenant chez la jeune femme. Plus intriguée que froissée, je hausse un sourcil avant de croiser mes mains ensemble sur la table, sans la lâcher des yeux. « Pardon. » - « Arrête de t’excuser d’exister. » J’ai bien assez de confiance en moi pour ne pas m’agacer que l’on puisse éclater de rire suite à l’une de mes remarques. Assez d’amour propre pour ne pas penser que l’on se moque de moi, assez détachée pour ne rien en avoir à foutre, quand bien-même ce serait le cas. « C’est juste… j’m’y attendais tellement pas ! » Je la jauge du regard encore quelques secondes, avant de l’interroger. « Il sait comment tu gagnes ta vie ? » Le petit ami en question, celui qui la tuerait s’il trouvait un pochon de cocaïne dans son sac. Certainement pas, du coup. « Les relations sont une mauvaise idée dans un monde comme le nôtre. » Que c’est hypocrite, pour une femme qui s’affiche depuis peu avec un homme au sein même du QG du Club, envoyant chier tout ceux qui trouve quelque chose à y redire. Mais mon petit doigt me souffle que si Aisling est capable de se faire ce genre de réflexion, elle n’osera me mettre face à mon incohérence. Dommage. J’aurais détesté, mais respecté son culot.

« J’voudrais tellement être forte comme toi. » Je ne reconnais pas les couleurs de la flatterie dans son affirmation. Je n’ai jamais eu la moindre chance d’être douce et innocente, comme la petite poupée que j’ai en face de moi. J’ai le sentiment de ne jamais avoir eu le choix, terrorisée à l’idée que l’on tente de profiter de moi, à l’idée que l’on tente de me faire du mal. N’est-elle pas la preuve vivante que si la vie roule sur tous ceux qui se montrent trop tendres ? « J’veux dire, tu gères ça depuis des années et t’as jamais replongé, j'sais même pas comment tu fais. » Je laisse échapper un rire sarcastique avant de secouer la tête. « Et puis... j’aurais jamais deviné qu’t’en a déjà consommé. » - « Tout le monde le sait. » Je ne veux pas lui donner l’impression qu’elle et moi sommes devenues complices au point que je lui offre ce genre de conclusion. Je ne veux pas qu’Aisling Hayes s’imagine qu’elle et moi faisons à présent partie d’une petit club de copines qui se racontent leurs secrets. « Et je suis pas une sainte. » Autrement dit, je ne consomme peut-être plus de cocaïne, mais j’ai remplacé une addiction par une myriade d’autres. Les drogues récréatives, moins addictives pour moi que la poudre blanche, sont devenues ma façon de compenser, d’engourdir mes sentiments quand j’en ai eu besoin, aussi. « Je consomme juste plus ça. » C’est presque avec dédain, que je désigne les petits pochons de cocaïne du bout du menton. J’ai eu de l’aide. Voilà ce que je dirais si c’était honnête, mais je me tais, de crainte de paraître vulnérable. « Trouve ce qui marche pour toi. » Je n’ai pas l’intention d’être son guide spirituel dans cette quête. « Dis Raelyn… Ça t’arrive toi, d’avoir peur ? »

Sa question me laisse muette quelques secondes. Les vraies réponses à cette question, la brune ne les obtiendra pas. Bien sûr. Je m’enfile des somnifères tous les soirs où je me retrouve seule et sobre dans mon lit, pour ne pas affronter que la solitude me terrorise. J’ai failli foutre en l’air ma relation lorsqu’elle en était encore à ses prémisses, parce que l’engagement m'effraie plus encore. Mes sentiments naissants pour cet homme qui, à l’étage, plume nos meilleurs clients au poker, me terrorisent parce que j’ai l’impression de perdre le contrôle. « Comme je t’ai dit, il faut être complètement idiote ou inconsciente pour n’avoir aucune peur avec le boulot qu’on fait. » Donc oui, la réponse à sa question est oui. « Mais y’a des choses bien plus terrifiantes que ce qu’il se passera si tu te fais choper ou si tu t’enfiles une ligne, crois-moi. » Je décide que l’occasion de la jauger est parfaite. « Comme ce qu’il arrivera à ta copine si Mitchell lui met la main dessus. » Ne s’est-elle pas tirée en même temps que Lou Aberline ? « T’as eu de la chance Aisling. Qu’est ce que t’as pu faire qui méritait sa clémence, selon-toi ? » Qu’est ce qui mériterait la mienne, poupée ?

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Raelyn Blackwell & @Aisling Hayes - mars 2020

La fragilité m’intrigue parce que je ne la comprends pas. Au delà de ça, je ne la respecte pas, je ne comprends pas comment quiconque peut accepter d’être à fleur de peau à ce point, puisse tolérer de porter ses émotions en étendards comme le fait la jeune femme. Elle est transparente. Sa peur, son anxiété et le dégoût et l’attrait que représentent à la fois pour elle la cocaïne, toutes ces émotions sont si épaisses que je pourrais les trancher d’un coup d’ongle manucuré. Réalise-t-elle qu’elle devient une cible ambulante pour tous ceux qui apprécient de se repaître de l’innocence et de la candeur d’autrui, qui aiment en profiter pour faire danser les filles comme elle dans leur main ? Est-ce conscient, parce qu’elle aspire à être protégée ? Est-ce qu’elle cherche dans cet homme qu’elle invoque si facilement, alors que nous ne sommes pas amies, elle et moi ? « Il sait pour les danses et les photos. Mais pas pour ça. » J’esquisse un sourire suffisant, avant de m’appuyer un peu plus contre le dossier de mon siège inconfortable. « Alors c’est qu’au fond, t’es d’accord avec moi. » Sur la non compatibilité de notre univers et de relations amoureuses avec des gens qui n’en font pas partie. Sur la non miscibilité de notre monde et de celui des gens normaux. « Sinon, tu le lui cacherais pas. » Il n’est pas question d’éteindre la jalousie de son partenaire, sans quoi c’est l’autre partie de ses activités qu’elle dissimulerait - mais bel et bien de lui cacher une partie de son implication avec les bas-fonds de la ville. Ou en tout cas, c’est le constat que je tire et, comme toujours, je suis persuadée que mon opinion et mes déductions ont valeur de vérité universelle.

Je ne fais pas la conversation à la petite brune par bonté d’âme ou envie d’apprendre à la connaître. Je le fais parce que la décision de Mitchell m’intrigue autant qu’elle me révolte : comme toujours, je suis persuadée qu’il réfléchit avec ce qu’il a entre les jambes et sa certitude qu’une fille comme Aisling ne peut pas lui attirer de problème. S’il ne voit pas les choses telles qu’elles sont, c’est à mes yeux parce qu’il est un homme, un homme qui se laisse un peu trop attendrir et aveugler par les petits oiseaux dans son genre. Je ne souffre pas ce genre de tare. Je suis impitoyable sans distinction de sexe, froide comme l’acier et, si l’on m’avait demandé mon opinion, j’aurais soutiré l’information de la cachette de son amie à la brune avant de lui trancher la gorge. « J’sais pas… » Est-ce le cas, fait-elle partie de celles qui ignorent comment se servir de leurs courbes et de leur minois, qui ignore le pouvoir que cela leur confère sur nos congénères masculins, ou bien tente-t-elle d’avoir l’air plus blanche colombe qu’elle ne l’est ? On ne fume pas à côté des stocks. C’est ma règle, moi qui l’ai éditée. Je suis pourtant la première et la seule à ne pas la respecter, et alors que je dévisage l’irlandaise à la recherche d’une faille dans son discours, j’attrape dans mon sac à main mon paquet estampillé Vogue et j’en tire une cigarette que je glisse entre mes lèvres et que j’allume. « Un soir que j’rentrais j’l’ai retrouvé dans ma loge. Il m’a dit que c’est Lou qu’il traquait, pas moi. Qu’il voulait que j’rejoigne ses rangs et qu’il m’donnerait sa protection. » - « Vous étiez amies, toi et elle. » Ce n’est pas vraiment une question : quiconque arpentant les couloirs du Club avant leur disparition a eu le loisir de tomber sur les deux jeunes femmes ensemble et complices. Forcément, cela met Aisling dans une position compliquée, aujourd’hui. « Il m’a dit que si j’refusais alors il considèrerait que j’suis d'son côté, du côté d’Lou. » Je l’observe, ma cigarette se consumant entre mes doigts, le regard perçant. « Il m’a laissé revenir en l’échange d'infos que j'lui donnais. Et il m’laisse vivre pour que j’rembourse l’argent qu'j’ai volé. » Je hoche la tête avant de glisser la cigarette entre mes lèvres, de prendre une bouffée de nicotine, et de l’expirer lentement. « Et c’est pas le cas ? T’es pas de son côté ? » Parce qu’elle a fui, elle aussi. En faisant une connerie plus grosse qu’elle au passage, celle de voler Mitch. « Tu lui en donnes, des infos ? » Portent-elles leur fruit ? Mitch s’est-il lancé dans la traque de la traîtresse ? Aisling n’en a peut-être pas conscience, mais mes questions sont autant un test pour elle que pour le boss. J’ai confiance en lui, mais pas lorsqu’il s’agit de la brunette qui a bien failli le faire tomber. « Pour avoir la vie sauve, qu’est-ce que tu lui racontes sur ta copine ? » Je méprise la traîtrise sous toutes ses formes autant ou peut-être plus que je méprise cette fuyarde d’Aberline.

« J’suis pas une lumière mais j’sais que j’pourrai jamais regagner sa confiance. Et la tienne non plus. » J’hésite un instant, avant de hausser les épaules dans un geste presque imperceptible. « Non, en effet. » Elle l’avait la mienne, pourtant. Dans une certaine limite, évidemment, mais en partie. Sauf que contrairement à Mitch, je suis guidée par un esprit pragmatique et ce dernier me souffle que quelqu’un qui trahit une fois n’hésitera pas à le faire une seconde fois, si elle sait qu’elle ne risque rien. Pour l’instant, l’américain ne la tient que parce qu’elle a peur pour sa vie. « Mais j’ferai tout pour rembourser ma dette. Et quand j’aurai fini, j’disparaîtrais. J'veux pas d'histoires alors c'est promis, vous m’reverrez plus jamais. » J’esquisse un sourire amusé, maigre et asymétrique, et je suis secouée par un rire jaune et bref. « Je t’aurais tuée tu sais. A sa place. » Qu’elle ne se méprenne pas : nous ne sommes pas amies, et le fait que je tienne avec elle une discussion calme n’y change rien. « Et lui, il te surveillera toute ta vie, te fais pas d’illusion. Tu seras jamais libre, pas complètement. » Pas de disparaître, pas d’éparpiller les secrets du Club. « C’est pour ça que je t’aurais tuée. Pas par esprit de vengeance. Mais parce que, justement, tu regagneras jamais la confiance de qui que ce soit. » Puisque je me répète : tout chez moi n’est que pragmatisme. Pourquoi se créer un problème, un nuisible à garder à l’oeil jusqu’à la fin de ses jours lorsqu’on peut tout simplement le faire disparaître ?

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Raelyn Blackwell & @Aisling Hayes - mars 2020

« Elle veut plus rien avoir à faire avec moi. » - « Mais ce n’est pas tout à fait la question que je t’ai posée, je me trompe ? » Celle-ci, en revanche, est purement rhétorique. Je ne me trompe pas. Jamais, ou en tout cas à mes yeux. Aisling, parce qu’elle est humain et faillible est tout à fait capable de rester loyale et attachée à une femme qui ne veut plus rien avoir à faire avec elle. Et dans ce cas, elle représente à mon sens le même danger que si elle et la métisse étaient encore comme cul et chemise. « J’lui ai dit c’que j’savais. J’lui ai dit où la trouver. » Oh, elle a honte. Evidemment qu’elle a honte. Elle baisse les yeux et transpire la culpabilité. Elle ne l’a pas fait de gaieté de cœur, trahir son ancienne amie. J’ignore tout de ce qui les a déchirées. Je m’en moque, ou plutôt je m’en moquerais si je ne soupçonnais pas quelque chose qui pourrait changer la donne, qui pourrait remettre en cause la fiabilité de l’Irlandaise. « Et ensuite tu as filé voir Lou pour l’avertir. » Peut-être que je me trompe. Mais l’affirmer comme si c’était une certitude, comme si c’était un fait avéré, c’est le meilleur moyen de jauger sa réaction et d’obtenir la vérité. « Et c’est pour ça qu’elle ne veut plus rien avoir à faire avec toi, pour quoi d’autre ? » Parce qu’Aisling lui aurait volé leur maigre butin, celui qu’elles ont dérobé au Club avant de s’enfuir ? J’ai dû mal à y croire. La brune est une gentille fille, sans que cela n’ait rien de mélioratif dans ma bouche, et une gentille fille, ça ne commet pas d’acte de trahison par avidité et appât du gain. Cela ne le fait que lorsque cela a peur pour sa propre vie. « Tu avais fait le bon choix pourtant, tu sais. » A nouveau, je déroule le fil de mes pensées comme si tout ce que je viens d’avancer a valeur de vérité. Cette dernière, je la lirai sur son visage, de toute façon. « Sauver ta vie au profit de la sienne. C’était simple. Un calcul à la portée d’un gamin de dix ans. Personne peut te le reprocher, et elle n’aurait pas fait un choix différent. » Tout le monde veut penser qu’il a le sens du sacrifice et que, pour ses proches, il serait prêt à tout perdre, à tout donner. Mais ceux qui en sont réellement capables sont rares, ou en tout cas c’est ce que je pense? Cynique ? N’est-ce pas.

« Je sais. » Trahison ou pas, je l’aurais abattue sans y prendre du plaisir, mais sans regret non plus. Protéger le business, protéger le Club et ses membres et, avant-tout, protéger mes fesses, la voilà ma priorité. La cruauté n’aurait rien eu à voir dans tout ça. « Je le sais aussi. » Je hoche la tête avec gravité. Aucun sourire ne vient éclairer mon minois neutre, ma sévérité accrue par mes cheveux tirés et plaqués en arrière dans une queue de cheval d’où ne dépasse aucune mèche. « Et tu sais pourquoi il ne l’a pas fait ? » Est-elle assez intelligente pour ça ? Assez clairvoyante ? Elle s’est frottée au regard d’hommes en rut à bien des reprises, a-t-elle reconnu dans leurs yeux l’étincelle que je n’ai jamais ignorée dans les yeux de Mitchell ? Il ne l’a pas tuée parce qu’il est faible. Le dire à voix haute, c’est une trahison, mais personne ne m’empêche de le penser. Il ne l’a pas tuée parce qu’elle est une petite chose fragile, peut-être même parce qu’il l’aime bien. Et pour ça, je suis bien plus dangereuse que lui. Je n’ai rien entre les jambes susceptible d'obscurcir mon jugement. « Tu peux le dire. » Elle n’est plus à une déception près. « Je crois qu’on le sait toutes les deux. » Et nous savons aussi que cela rend sa position précaire. Puisqu’aucune raison rationnelle ne motive le choix de Mitchell, elle n’est pas à l’abri de sa volatilité. Demain, il pourrait changer d’avis et juger qu’elle n’a plus la moindre valeur. Au moins, avec moi, elle sait à quoi s’en tenir.

« J’ai jamais été libre tu sais ? » L’angle d’attaque me surprend assez pour que j’abandonne ma chaise, que je me relève et que je m’adosse contre le mur, ma cigarette coincée entre mes doigts. Me prend-t-elle pour sa confidente ? Son amie ? Non, j’ai été assez claire sur ce point. « Mon père faisait partie d’une milice paramilitaire, mes frères aussi. » Sa psychologue, peut-être ? « Charmant. » C’est dommage, elle aurait dû saisir sa chance de connaître autre chose en arrivant ici. Je ne vais pas prétendre que c’est facile, mais ce choix existe. Jamais je n’ai tenté de me déresponsabiliser pour les miens. J’ai choisi de prendre mon premier rail de cocaïne, j’ai choisi de suivre Carter dans ses coups douteux, et j’ai choisi de rejoindre les rangs du Club en rencontrant Aaron. J’ai choisi de devenir la personne que je suis aujourd’hui, et je ne peux le nier : le faire, ce serait admettre que j’ai été façonnée par une force extérieure, par le destin ou des conneries du genre, et c’est bien plus intolérable pour moi. « J’connais les règles : j’parle pas aux flics, j’vais pas à l’hosto. J’les connais parce que j’ai grandi avec. Mais ça change pas qu'ça marche pas pour moi, qu'j’ai pas les nerfs pour ça. » Non, elle ne les a pas. Nous sommes d’accord au moins sur ce point. « J’veux juste vivre tranquillement. Fermer ma gueule et pas être en danger tout le temps. » Ce n’est guère étonnant. Mais est-ce atteignable ? Je suis de celles qui pensent qu’une fois que le point de non retour est atteint, personne ne peut mener une vie normale et tranquille. Peut-être que je me trompe. « Tu sais ce que je pense ? » Je poursuis sans lui laisser le temps de la réflexion, encore moins celui de formuler une hypothèse. « Je pense qu’il y a des choix dont on ne revient pas. » Notre univers implique des sacrifices, celui là en fait partie à mes yeux. « Les pieds en avant, ou la prison. Il existe pas des dizaines de façons de sortir de… tout ça. » Je porte ma cigarette à mes lèvres, avant de poursuivre, étrangement sincère et curieuse. « Tu crois que t’es capable d’en trouver une autre ? Tu crois que t’es capable de te contenter d’une vie sans vague, et d’un job pourri qui paiera même pas ton loyer ? » Si elle me dit que oui, si elle le dit d’une façon assez convaincante pour que je la crois je suis presque prête à interférer en sa faveur, à faire un acte de foi.

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Raelyn Blackwell & @Aisling Hayes - mars 2020

« S’il l’avait tuée par ma faute, j’aurais jamais pu me l’pardonner. » Ca aussi, Mitchell semble incapable de le faire, pour tout un tas de raisons certainement, et la plupart de m’échappent pas vraiment. Je n’ai pas la même relation avec lui qu’avec son frère. En revanche, je peux me targuer d’être l’une des personnes qui a passé le plus de temps avec lui et je suis en partie capable de le lire. En partie. Je ne me risque pas à tenter de comprendre sa vie sentimentale – elle ne m’intéresse pas, du reste – mais il a entretenu une liaison avec la jeune métisse pendant assez longtemps pour que l’idée de lui ôter la vie ne le laisse pas indifférent. J’ignore si elle peut être qualifiée de faiblesse, mais elle est une putain d’épine dans son pied et, par extension, dans celui du Club et donc le mien. Le genre d’épine qu’il faudra retirer un jour, si Mitchell ne se décide pas de lui-même. « Son espérance de vie est… Limitée. T’as conscience de ça, non ? » Aisling est naïve et candide, mais c’est complètement stupide qu’il faudrait être pour ne pas avoir conscience de ce fait. « Le meilleur service que tu puise te rendre, c’est de l’oublier dès à présent. » Cela prendra des semaines, des mois ou quelques années, mais Lou recevra la monnaie de sa pièce, quelle que soit la personne qui s’en charge. « Epargne toi d’avance cette culpabilité. » En sortant la brune de son esprit, elle s’épargne sans doute pas mal d’états d’âme plus tard. « Ça veut pas dire que j’suis d’son côté. » - « T’es pas assez idiote pour croire que c’est aussi simple que ça, non ? » Ou peut-être que si.

Je m’en moque, de ce qu’elle croit. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’elle va en faire.

« Peut-être parce que j’me suis mise à chialer. Je… j’crois que j’lui ai fait pitié. » On y vient. C’est drôle de voir comme on peut être si proche de la vérité et ne pas oser l’énoncer à l’oral. La pitié n’est qu’une manifestation de la faiblesse. Ce que ce sentiment dit de l’Américain, c’est qu’il a été faible lorsqu’elle s’est trainée à ses pieds, parce qu’elle est femme, fragile et candide et qu’il les aime comme ça. « Y’en a qui disent que c’est parce qu’il avait envie d’me garder. Qu’ça lui manquait... d’avoir un jouet. » Je laisse échapper un rire aussi bref que sarcastique et mes lèvres s’étirent. « Mais c’est pas vrai, tu sais ? Il m’a jamais touchée. » - « Tu crois vraiment que j’en ai quoi que ce soit à foutre ? » Je lève un sourcil, sans me départir de mon sourire. « Je me moque de savoir quelles pauvres filles il baise et lesquelles il laisse en paix. » Et j’écrase ma cigarette en l’affirmant d’un ton qui ne laisse aucune place au doute. « Ce qui m’intéresse - » M’inquiète serait un mot plus juste, mais je ne suis pas de celles qui admettent leurs inquiétudes à voix haute. « - ces sont les conséquences. » Qu’il saute toutes les brebis égarées du Club me laisse insensible. Qu’il accepte le retour d’un mouton noir parce que les femmes dans son genre sont sa faiblesse me donne envie de lui fracasser la tête contre un mur. Parfois. Temporairement.

Puis l’envie passe, et je trouve une autre solution.

La solution aujourd’hui, c’est cette discussion avec Aisling, même si j’ignore à quoi elle va mener. Je suis trop loyale pour un acte de désobéissance ouvert : la jeune femme n’a pas à se soucier que je lui plante un couteau dans le dos. Pas au sens premier, en tout cas. « Je sais pas. J'sais juste que j’dois essayer. J’ai déjà réussi une fois, pas vrai ? » Cette fois-ci, c’est le dédain qui imprègne le rire mauvais qui m’échappe. Pathétique. « Mais c’est différent maintenant. J’suis plus toute seule. » - « Parce que tu as un homme à tes côtés. » Dieu que c’est éprouvant, de converser avec une femme dans toute sa splendeur. Elle me rappelle pourquoi je méprise la plupart de mes congénères, et que j’ai bien du mal à respecter la moindre représentante du sexe faible. Et elle continue, pour mon plus grand déplaisir. « J’ai envie d’faire de la photo dans des endroits abandonnés. D’maquiller des filles pour des publicités. Ou d’ouvrir un salon et d’faire plein d’coiffures colorées. » Elle me parle avec des yeux de gamine rêveuse, et je l’observe avec froideur et impassibilité. « J’veux juste une vie tranquille Raelyn. Et tant pis si j’galère avec le loyer. » Elle n’a pas l’étoffe de quoi que ce soit Aisling, et mon avis est fait et arrêté : elle nous jetterait sous le train et en pâture aux forces de l’ordre si elle avait la certitude que cela l’aiderait à l’obtenir, sa vie tranquille. Elle m’a donné la réponse la plus honnête possible, mais pas celle qu’il me fallait pour me convaincre qu’elle peut se racheter. Peut-être n’existait-elle pas, cette réponse-là. « Tu crois qu’c’est une possibilité ? Qu’un jour, toi et Mitchell, vous m’laisserez m’en aller ? » Mes cils papillonnent, mes yeux se lèvent l’espace d’une milliseconde, et je hausse les épaules. « Tu sais aussi bien que moi que c’est lui qui décidera. » Mais peut-être sais-tu aussi bien que moi qui murmure à son oreille et tient de plus en plus les rênes. Peut-être est-ce pour ça qu’elle échange avec moi, et pas lui. Peut-être que je me trompe, et que je la pense plus intelligente qu’elle ne l’est. « Qu’est-ce que tu crois ? La réponse à ta question, tu penses que c’est quoi ? » Moi, je crois qu’elle connaît la mienne.