Elle a tout mélangé Ginny, et elle est hilare, bien sûr qu'elle l'est. Les maquillages pour le lion sont jolis au moins, les tons d'orange et de jaune, de doré et de rouge sont parfaits à ses yeux, yeux brillants au milieu d'un visage taché des mêmes couleurs qu'elle a testées sur elle-même pour voir à quoi le résultat final ressemblerait.

Mais le reste est un bordel sans nom. Les costumes s'empilent d'un côté comme de l'autre, ceux du robot se retrouvent avec de la paille dans les manches quand la colle qui lui restait au bout des doigts a fait tout le travail. Elle tourne sur place la gamine aux mèches qui partent dans tous les sens, elle constate l'étendue des dégâts qui aurait pu la pousser entre la panique et l'angoisse, entre la fin du monde et le chaos général. Pourtant, elle rigole la fillette, parce qu'elle s'amuse malgré tout. Elle s'amuse à peindre les immenses panneaux qui forment la fameuse yellow brick road, elle s'amuse à recevoir les tâches qu'on lui donne et à créer décors et déguisements depuis des jours déjà. Elle s'amuse à créer du bout des doigts et elle s'imagine déjà le résultat final, un sourire creusant ses éternelles fossettes au coin de ses joues.

Les autres étudiants arrivent, les talents. Ceux qui ont les rôles, ceux qui ont les dialogues et les chorégraphies. Elle a perdu le fil des paroles et des actes Ginny, elle écoute d'une oreille distraite quand sa concentration complète est dédiée aux deniers décors qu'elle finalise du bout de son infinité de pinceaux, de crayons. Il peut bien s'être passé une minute comme une heure qu'elle ne calcule plus rien, qu'elle est perdue dans sa tête, dans ses idées, dans ses inspirations aussi. Et elle déplace tout finalement, des supports à vêtements aux planches peintes à sécher. Elle déplace et elle décale, elle revoie le monde en entier l'australienne à l'accent anglais chantant qu'elle a piqué sans le savoir à ses parents.

« Oh. »
« Je. »
« Oups. »

Oh, comme dans Oh, j'avais pas vu que tu étais là, j'avais pas vu qu'il y avait quelqu'un derrière moi, quand elle fait volteface la brune, et que l'immense pan de décor fraîchement peint entre ses doigts malhabile vient s'étaler, côté peinture encore fraîche, sur la silhouette postée par malheur derrière elle.

Je, comme dans Je suis désolée, vraiment, je suis tellement désolée pardon-pardon-pardon, quand elle réalise d'un coup d'oeil apeuré que les vêtements face à elle sont recouverts de vert, de bleu, de violet et de rose. Qu'ainsi le champ de fleurs sauvages qu'elle a passé la matinée à retoucher n'est désormais qu'un gribouillis de mix and match autant sur son canevas de bois que sur le canevas de tissus du pauvre gars qu'elle a barbouillé dans son étourderie.

Oups, comme dans Oups, vraiment juste oups. Y'a rien d'autre à ajouter, quand elle est maladroite depuis la naissance, et que tout le monde le sait.

Tout le monde, sauf « Raph- ael. ». Le même Raph-ael de sa toute première journée au lycée, le même Raph-ael qui habite à deux maisons en diagonale de la sienne. Le même Raph-ael qui se retrouve éparpillé dans ses quelques carnets de dessins, ce Raph-ael là. Qui la déteste probablement déjà.

@Raphael Elly    

tu sais très bien ce qu'il y aura ici:

Les yeux nerveux de Raphael se baladent à travers les silhouettes des danseuses. Il est le seul garçon, sans surprise, qui s’est inscrit à la comédie musicale. Habituellement, il préfère se cacher dans la foule plutôt que de monter sur scène mais ses pères l’ont encouragé à mettre de côté sa peur pour profiter de sa plus grande passion sans contraintes. Il aime danser, et c’est ce qu’il fera, peu importe les regards que portent les autres adolescents à son encontre.

Alors, il n’est pas tout à fait à l’aise. Il ne l’est jamais, de toute façon. Qu’il se trouve au milieu du parking de l’école ou devant la classe près du tableau vert, ses mains deviennent moites. Ce doit être le pire mécanisme d’autodéfense de l’univers. « Bon, Raphael, à ce moment tu viens au centre, entre Olivia et Marine. » La main de la chorégraphe se soulève et indique l’endroit exact où le garçon doit se placer. Il s’exécute, son costume lousse suivant le mouvement. Il est déguisé en une sorte de pantin de foin, comme toutes les autres danseuses. Il s’agit de la chorégraphie au moment où Dorothée rencontre l’épouvantail dans un champ de blé. « Parfait ! Allez, on recommence, suivez la musique. » Aussitôt, le doigt de la professeure de théâtre se pose sur le bouton de la radio et quelques notes s’élèvent, emportant avec elles tous les élèves qui se mettent à flotter au-dessus du sol.

Ce n’est pas une chorégraphie exceptionnelle. Ils ont tout de même le simple budget d’une école secondaire. Mais, même s’il a l’impression de pouvoir offrir plus, Raphael est heureux d’avoir l’occasion de danser en dehors de chez lui. La scène est bien plus large pour ses longs bras, ses longues jambes, et il ne craint pas –trop – de balancer son poing dans la joue de la danseuse à sa droite. « Superbe ! » Lance la chorégraphe, applaudissant les jeunes lorsque la musique s’efface pour finalement se faire empiéter par le son des rires de certaines filles qui se sont automatiquement regroupées pour féliciter leurs efforts. Raphael les observe du coin de l’œil, figé comme un piquet de glace, détestant ce moment où il se souvient pour la vingtième fois qu’il n’a pas vraiment d’amis avec lesquels s’enfiévrer. « Viens Raphael, j’ai besoin de ton aide pour ranger le matériel. » Lance la professeure pour sauver le jeune de sa solitude. Elle l’invite gentiment à ramasser les costumes éparpillés sur le sol pour les ranger dans le coffre. Il sourit doucement et s’attelle à la tâche silencieusement. « Tu sais, t’es le meilleur du groupe ! Mais ne dis à personne que je t’ai dit ça, les autres seraient jalouses. » Elle vient souffler près de lui, complice, pour lui remonter le moral, enroulant le fils de la radio. « On se revoit mardi prochain, alors. » Puis elle se tourne vers le groupe de filles qui jacassent pour dire une seconde fois, plus fort : « On se revoit mardi prochain ! Bon travail tout le monde ! »

Il est le premier à s’éclipser, comme d’habitude. Il retire le haut du costume, l’électricité statique compliquant le boulot mais il réussit enfin à se débarrasser des quelques brins de foins en tissu qui se collent contre son visage. Aveuglé par son mouvement, il ne se rend pas compte qu’il approche dangereusement d’une artiste peignant une large pièce du décor et, au même moment, elle se redresse en emportant avec elle le morceau couvert de peinture fraîche. Le contact est impossible à éviter. Tout le côté droite du garçon s’étampe contre la surface humide de la pièce et il bondit aussitôt vers en arrière. Ses yeux paniqués se mettent à calculer l’étendue des dégâts. Il examine son précieux t-shirt, l’un de ses préférés, tord la manche pour constater que la peinture ne l’a pas manqué du tout. « Mais ! » Il lance sur un ton surpris avant de finalement relever la tête vers la fautive – il a l’impression de n’avoir rien fait de mal. « Raph-ael. » Il la reconnait en quelques secondes et ses sourcils se froncent. Il s’agit de Ginny, la jeune fille qu’il n’aurait jamais dû protéger de la bande de garçons qui se moquaient de ses cheveux. « Mais regarde où tu vas ! » Il crache, se transformant en l’horrible monstre qu’il n’est pas réellement. « C’est de la peinture qui part au lavage ?! » Il demande ensuite en tendant le bras vers une boîte de mouchoirs pour au moins nettoyer le plus gros du dégât. Il sait ce qu’il se passera, maintenant. Il n’a pas de vêtements de rechange et il devra supporter les regards moqueurs des autres adolescents pendant tout l’après-midi. Merci Ginny !        

La catastrophe aurait facilement pu être avortée si elle n'avait pas été occupée à avoir la tête dans les étoiles, à penser à toutes les teintes qu'elle pourra utiliser sur les prochains panneaux. À réfléchir à tous les ajouts qu'elle a envie de mettre aux costumes des sorcières. Elle s'est surpassée la gamine maladroite aux milliers d'idées, elle vit sa meilleure vie entourée de pinceaux et de matériel à bricolage et tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu'à ce que -

« Mais regarde où tu vas ! » sa voix a mué, il est encore plus beau au fil des années. Ils se parlent à peine tous les deux, se regardent presque jamais. Elle baisse presque toujours les yeux quand c'est sa silhouette à lui qu'elle voit tourner le coin d'un couloir, elle tente parfois avec un peu de courage de lui sourire en sachant très bien qu'il va seulement détourner la tête et l'ignorer au mieux comme il le fait depuis tant d'années déjà. « C’est de la peinture qui part au lavage ?! » « Oui, oui bien sûr, t'as qu'à me donner ton chandail et je vais - » et tu vas quoi, Ginny? Ses mains sont déjà sur le tissu à vouloir en retirer l'excédent de couleurs, elle entre dans sa bulle avec tout le malaise dont elle est capable. Et l'instant d'après elle réalise l'horreur qu'elle lui fait vivre en retirant ses doigts glacés de sous son t-shirt qu'il ne va visiblement pas retirer.

Les mouchoirs qu'elle avait pris sur l'entrefaite restent collés au creux de ses paumes, elle tente avec vigueur d'en retirer les bout déchirés qui sont éparpillés à travers ses lignes de vie tracées du même jaune et du même bleu que renvoie sa tenue. « J'ai un t-shirt à Matt dans ma case. C'étaient ses vêtements de rechange pour le match de rugby mais il les avait oubliés la dernière fois aux vestiaires et le coach me les a donnés parce que... » ses mots se précipitent et elle justifie la Terre entière, pour finir par prendre sur elle et reprendre son souffle à travers. Inspire, expire. « Si tu le veux je te le prête sans soucis. »


@Raphael Elly    

hihihihihihiiiihihihihiii:

Son premier réflexe, c’est d’attaquer celle qui s’est trop frotté à lui et qui l’a taché de peinture fraîche. Il ne s’agit pas d’humilier la jeune femme qui lui a causé plusieurs problèmes plusieurs années auparavant mais bien de lui faire comprendre qu’elle aurait dû ouvrir les yeux avant de s’élancer dans sa direction : mais à quoi bon ? L’accident est arrivé et le retour en arrière est impossible. Comme à toutes les fois où il a commis une erreur dans sa vie. « Oui, oui bien sûr, t'as qu'à me donner ton chandail et je vais - » Elle s’empresse de coincer le tissu de son t-shirt entre ses doigts d’artiste et ça a pour effet de rendre le jeune homme complètement mal à l’aise. C’est peut-être ce contact qui le réveille juste avant que le magma dans sa tête ne soit expulsé en l’air. Sentir ses doigts sur sa peau, c’est… étrange. Pas vraiment agréable, en fait. Par réflexe, il se recule d’un pas pour extirper son précieux t-shirt de sa poigne affolée. Ce n’est plus la colère qui se lit dans son regard mais bien l’incompréhension. « Non, c’est bon. » Il finit par lancer alors que Ginny, affolée, frotte nerveusement ses paumes tachées des mêmes couleurs que celle étampée sur son t-shirt. « Je ne tiens pas à me retrouver nu ici. » Il avoue en jetant un énième coup d’œil au dégât, étirant le tissu pour mieux analyser les taches. Elle lui a dit que c’était de la peinture qui part au lavage ; il n’a qu’à espérer qu’elle ne dit pas des mensonges pour s’éviter l’humiliation. « J'ai un t-shirt à Matt dans ma case. C'étaient ses vêtements de rechange pour le match de rugby mais il les avait oubliés la dernière fois aux vestiaires et le coach me les a donnés parce que... » Il ne connait pas de Matt et se voit très mal se trimbaler dans l’école en portant l’un de ses vêtements sans lui avoir demandé l’autorisation. « C’est qui, Matt ? » Il l’interroge simplement pour qu’elle se rende compte que sa proposition est faillible. Il finit par soupirer en détachant ses yeux de son précieux chandail. « Écoute, c’est pas grave. » Il grommelle entre ses dents, calmant les derniers atomes de colères dans sa voix. Il finit par glousser en désignant le morceau de décor qu’elle peignait plus tôt. « Je ne savais pas que tu faisais partie de la comédie musicale. » Ginny est bien la seule personne dans cette école à qui il arrive à adresser la parole sans que ses joues ne se teintent de rouge ou sans qu’il ne se sente minuscule. Parce que, au fond, il est probablement celle qu’il connait le plus – même s’il ne la connait pas réellement. Rappelons-nous que Raphael est au niveau 0 de la socialisation et qu’il ne pense pas avoir discuté plus de trente seconde avec l’une des danseuses qui vont l’accompagner sur scène lors des représentations devant un public.

« Non, c’est bon. » de suite ses mains se dégagent, sa silhouette sous le choc de ses propres gestes qui saute vers l'arrière comme si elle venait d'être traversée par une puissante décharge électrique. Elle a envie de s'excuser des dizaines de milliers de fois mais le faire les ramèneraient à une poignée d'années à l'époque où elle ne disait jamais ce qu'il voulait entendre. Ce sont probablement les derniers mots qu'ils ont échangés depuis. Raphael et Ginny qui n'ont jamais été plus que deux enfants incapables de se comprendre convenablement.

Alors elle improvise, elle essaie d'être utile. Lui, il sent la peinture à plein nez maintenant - le citron et le romarin d'antan sont bien loin. « C’est qui, Matt ? » « C'est mon frère. » celui qui était la star du terrain jusqu'à quelques mois, celui qui a gradué l'année dernière aussi. « Écoute, c’est pas grave. » elle le laisse constater les dégâts, elle-même recouverte de peinture en tout temps sans jamais vraiment le remarquer. Limite, à le voir réagir de la sorte, elle se demande si elle n'est pas passée à côté de nombreuses fois où elle aurait dû stresser de l'image que ses fringues barbouillées renvoyaient.

Le regard de Raphael dérive, elle le suit le plus naturellement du monde. « Je ne savais pas que tu faisais partie de la comédie musicale. » « Je... ils m'ont mis aux costumes et aux décors en sachant pas dans quoi ils s'embarquaient je pense. » elle tente l'humour, la brunette aux joues rougies et aux prunelles qui fuient un peu moins depuis qu'il lui pose des questions, depuis qu'il ne l'ignore pas à la moindre occasion. « Les chorégraphies s'apprennent bien? Celle du lion est vraiment cool. » à son tour de hausser le drapeau blanc, les doigts toujours occupés à retirer les bouts de papier qu'elle n'arrivera jamais à rescaper.

« C'est mon frère. » Cela fait des années qu’ils se côtoient sans que vraiment Raphael ne s’en rende compte et il ne savait pas qu’elle n’était pas fille unique. À vrai dire, il l’avait imaginée ainsi parce que personne n’était venu à sa rescousse le jour où le lui a fait. Où était Matt quand des brutes tentaient de lui voler son précieux pudding au riz ? « Je pensais que tu étais fille unique. » Il se contente d’admettre en détournant le regard pour observer les danseuses avec qui il pratiquait quelques secondes plus tard sortir de la salle de répétition sans croiser son regard. Soupir. Il n’y a vraiment que Ginny qui connait son prénom, ici. Et l’organisatrice du spectacle mais, ça, c’est une obligation. C’est peut-être pour cette raison qu’il continue de lui parler. Peut-être que, au fond, il n’aime pas véritablement la solitude qu’il s’impose pour soi-disant se protéger du monde extérieur. Alors il se fait curieux – ou gentil – et interroge Ginny quant à sa participation à la comédie musicale. À vrai dire, c’est la première fois qu’il la croise ici. « Je... ils m'ont mis aux costumes et aux décors en sachant pas dans quoi ils s'embarquaient je pense. » C’est étrange. C’est elle qui bégaye quand ils discutent et, lui, ses phrases sont fluides. Ils a l’impression de nager dans un univers alternatif. Malgré tout, il glousse légèrement en haussant un sourcil. « Pourquoi tu dis ça ? » Il ne sait pas si elle vient de s’insulter ou de se complimenter. Raphael n’a jamais réussi à la comprendre, cette Ginny. « Les chorégraphies s'apprennent bien? Celle du lion est vraiment cool. » Son regard descend jusqu’aux mains de l’adolescente, celles qui tentent en vain de se départir des morceaux de mouchoir collés. « Oui, elles sont plutôt faciles. » Il avoue, oubliant un moment l’importance d’être humble. « J’ai l’habitude des chorégraphies plus… exigeantes. » Plus éprouvantes physiquement, aussi. « Mais ouais, celle du lion est pas mal. Sauf à la fin. Quand on doit faire semblant de se nettoyer le revers de la main comme le font les chats, en se léchant. Plutôt inconfortable. » Il marmonne, un sourire soulevant doucement la commissure de ses lèvres. « Alors, avec quelle partie du décor tu m’as tâché ? À en juger la couleur, je dirais que c’est un arbre, ou une sorte de buisson ? » qu'il théorise en désignant les taches sur son chandail.

La conversation coule bien plus facilement qu'elle ne l'aurait cru et s'il s'agit d'un drapeau blanc elle le prend, elle prend tout ce qui en résulte. « Je pensais que tu étais fille unique. » « J'ai une soeur aussi. Jill. » elle sait qu'il n'a pas de frère ni de soeur, et s'il en a, elle ne les a jamais vus attendre avec lui le bus à tous les matins. Bus qu'ils attendent ensemble d'ailleurs, même si ils s'installent chacun aux extrémités de l'abribus depuis des années maintenant, au point où ils ne doivent même plus se rappeler pourquoi. Ils se souviennent parfaitement.

« Pourquoi tu dis ça ? » elle pouffe de rire, pointant son t-shirt la seconde d'après avec l'air le plus sincèrement désolé qu'elle peut lui dédier. « Regarde ce que j'ai fait là. » elle est maladroite Ginny, elle est toujours à tout briser, à tout tacher. Elle adore l'art, elle adore peindre et dessiner, mais c'était perdu d'avance tant elle est la maladresse incarnée.

D'elle l'empotée elle passe à lui qui est terriblement talentueux. « Oui, elles sont plutôt faciles. » il danse vraiment bien, c'est un fait particulièrement connu. « J’ai l’habitude des chorégraphies plus… exigeantes. » et non, elle ne le trouve pas vantard de reconnaître son talent. Au contraire, sa confiance en lui la fascine. « Mais ouais, celle du lion est pas mal. Sauf à la fin. Quand on doit faire semblant de se nettoyer le revers de la main comme le font les chats, en se léchant. Plutôt inconfortable. » « J'adore quand vous rugissez par contre. » qu'elle rattrape, tentant de toutes ses forces de lui proposer une alternative sympa quand il vient de pointer quelque chose qu'il n'aime pas. « Ça rachète tout. » du moins à ses yeux à elle. Ça compte?

« Alors, avec quelle partie du décor tu m’as tâché ? À en juger la couleur, je dirais que c’est un arbre, ou une sorte de buisson ? » lui il est vert et jaune et elle, elle est rouge de timidité. « C'est le champ, dans le premier acte. Apparemment t'es prêt pour la moisson. » des traits de doré se mélange à la forêt qui tatoue son vêtement, elle blague un peu plus facilement et respire mieux avec. « Et moi, je suis pile dans les teintes pour compétitionner avec le robot. » un rire de plus, quand elle tourne sur elle-même, bleue et argentée pour la peine.

« J'ai une soeur aussi. Jill. » Sourcils froncés, Raphael a l’impression de voir son monde basculer. Il ne comprend comment il n’a jamais pu remarquer que Ginny était parfois accompagnée de son frère ou de sa sœur dans sa cours ou, tout simplement en rentrant de l’école. Ils sont voisins, tout de même. Il faut croire que le garçon est incapable de voir plus loin que son nombril, ou plus loin que Diana. Pourtant, ça ne lui suffit pas pour réaliser qu’il est égoïste. Il préfère seulement hocher la tête pour ne pas s’enfoncer plus profondément dans sa bêtise. « Regarde ce que j'ai fait là. » Que Ginny répond lorsqu’il lui demande la nature de son commentaire. « Quoi, c’est pas la première fois que tu fais une bêtise de ce genre ? » Il demande, penchant la tête sur le côté en arborant un air faussement sérieux. Il plaisante, au fond. Ce n’est pas une façon pour lui de la blesser davantage mais bien de lui faire comprendre que son t-shirt et lui se remettront de l’accident.

« J'adore quand vous rugissez par contre. » Elle doit se moquer de lui. Il ne voit pas d’explication plus logique. Imiter les animaux n’a jamais été sa plus grande passion. « Tu dois plaisanter ? » Il souffle en haussant les sourcils, surpris mais tout de même amusé par cette façon qu’elle a de vouloir le rassurer.

« C'est le champ, dans le premier acte. Apparemment t'es prêt pour la moisson. » Il doit le reconnaître : elle a un bon humour. « Ha.Ha. » Qu’il ironise en claquant doucement des mains devant ses yeux. « Et moi, je suis pile dans les teintes pour compétitionner avec le robot. » Elle tourne sur elle-même comme une ballerine et ses yeux défilent sur les vêtements qu’elle parade fièrement. « Mais est-ce que tu sais danser comme le robot ? » Encore une fois, c’est son esprit de compétition qui se réveille en lui. Il ne peut s’empêcher de se comparer, de défier ceux qui, il le sait, seront moins bons que lui. Il a un sale caractère, le petit. Ce n’est peut-être pas simplement à cause de sa timidité s’il n’a pas d’amis.

« Quoi, c’est pas la première fois que tu fais une bêtise de ce genre ? »
« Bientôt je vais avoir mon diplôme avec mention d'honneur. »

Le ton est doux même si chacun ironise. Ils s'amusent ou du moins elle essaie de le voir ainsi, une seconde à la fois avec lui. C'est à croire que les années ont adouci les rancoeurs, que le temps qui passe a également su chasser avec lui les attaques et les accusations. Mais elle reste tout de même sur ses gardes Ginny. Ne prenant pas trop ses aises de peur d'encore une fois tout gâcher avec celui qui, fût un temps, était son tout. Elle l'avait placé bien haut sur un piédestal et force est d'admettre qu'il y retrouverait sa place en un claquement de doigts s'il la voulait. Elle a encore les joues qui rougissent rien que lorsqu'elle se met à penser à ce qu'elle pouvait bien ressentir, dans son petit ventre, lorsqu'il entrait dans la cafétéria et que sans aucune hésitation elle n'en finissait plus de le remarquer.

Il parle d'une chorégraphie qu'il trouve facile, elle parle des rugissements qu'elle aime bien. « Tu dois plaisanter ? » « Non, pour vrai, je te jure. » elle prend tout au premier degré pour ne pas le froisser, avant de voir ses fossettes réapparaître sur son visage assez vite pour la rassurer vite et bien. Enfin venue à bout des papiers collés contre la peau de sa paume, elle respire enfin mieux. « Mais le rugissement de Deborah ressemble à un bâillement de souris. Lui dis pas. »

« Mais est-ce que tu sais danser comme le robot ? »
« C'est un défi? »

De retour au programme principal, de retour à l'ambiance enfantine. S'il a la voix particulièrement intriguée, elle, elle redresse le menton avec une tentative d'air espiègle. Une façon comme une autre de jouer à un jeu dont elle ne connait absolument aucune règle. « Parce que je dé-tes-te perdre. » à ses mots s'ajoutent ses gestes. La seconde d'après elle laisse un premier bras se plier à 90 degrés, l'avant-bras s'agitant à la manière d'un pendule comme s'il s'agissait d'une révélation comme une autre.

« Bientôt je vais avoir mon diplôme avec mention d'honneur. » Au moins, elle sait qu’elle est maladroite. Ce serait difficile à nier si on compte toutes les fois où Raphael a préféré l’éviter pour ne pas se faire humilier une énième fois par l’une de ses bêtises – même si elle ne souhaitait que bien faire. Il est aveugle, le garçon. Il ne se rend pas compte que les joues de l’adolescente sont rougies parce qu’elle le regard. Ce doit être parce qu’elle ressemble toujours à une tomate en sa présence et, donc, il a fini par croire que c’était sa couleur naturelle. Et puis, les autres signes, jamais un garçon comme lui ne les remarquerait. Il est trop centré sur sa petite personne.

« Non, pour vrai, je te jure. » Elle tente de le rassurer à propos de certains passages de la chorégraphie qui le rendent mal à l’aise. Pourtant, il a du mal à la croire. Mais il l’entend, et il comprend qu’elle veut seulement lui donner le sourire – ce doit être la première fois qu’il perçoit les réelles intentions de Ginny derrière ses paroles ou ses agissements. Il a du progrès. Ça doit avoir du bon de se faire tacher l’un de ses t-shirts préférés. « Mais le rugissement de Deborah ressemble à un bâillement de souris. Lui dis pas. » Posant le revers de sa main sur ses lèvres, il camoufle son rire. Effectivement, il avait lui aussi remarqué qu’elle n’était pas bien intimidante au moment de rugir. « Ne parle pas trop fort, on va t’entendre ! » Il s’exclame en rigolant timidement, préférant ne pas s’attirer les ennuis. Il n’est pas dans la meilleure position pour se faire des ennemis et, si une seule des danseuses le déteste, ce sera toute la troupe qui tentera de faire de la sorcellerie contre lui. Il ne voudrait pas retrouver une poupée vaudou à son effigie dans les vestiaires.  

Incapable de manquer une occasion de défier quelqu’un, il le fait en insinuant que jamais Ginny ne pourrait faire la danse du robot aussi bien que lui. Elle s’exécute alors, faisant balancer ses membres droits, le dos redressé. « Parce que je dé-tes-te perdre. » Ils sont deux, alors. Sans plus attendre, il se lance à son tour dans l’interprétation du robot, mélangeant à ses mouvements ceux du moonwalk de Michael Jackson. Et, tout en dansant, il lance : « Peut-être que tu me battras avec des crayons mais tu dois avouer que tu perds à plate couture là. » Il fait un tour sur lui-même, sa semelle glissant habilement sur le sol, son bras droit suivant le mouvement du gauche avec harmonie.

Les moqueries sont gentilles, elles piquent à peine. Le bâillement de Deborah est mignon plutôt que d'être ridiculisé, mais il fait bien attention d'étouffer son rire aussi bien qu'elle étouffe le sien. « Ne parle pas trop fort, on va t’entendre ! » « Pardonpardonpardonnnn. » la scène ressemble vaguement à leurs complots de gamins d'il y a une vie de ça, tout au fond de la bibliothèque à l'effrayante bibliothécaire. Étrangement, elle a oublié le plus volontairement du monde pour une seconde une seule ce qui s'est passé après ce moment-là. Elle ne garde que le bon Ginny, elle s'y raccroche de toutes ses forces.

Le défi est lancé et elle tente de le relever au mieux. Au mieux de ses capacités à elle, qui sont nettement bien moins grandioses que les siennes à lui. « Peut-être que tu me battras avec des crayons mais tu dois avouer que tu perds à plate couture là. » elle ne manque pas un seul de ses pas, écarquille de grands yeux admiratifs quand il finalise avec un moonwalk plus fluide que celui de Jackson lui-même, qu'elle pense, conquise. « Je t'apprends à dessiner si tu m'apprends à faire ça. » elle rebondit sur la mention de crayons, gratte les quelques miettes de souvenirs heureux qu'ils ont encore naïvement en commun. « Mais dans l'entente, faut pas que je me casse quoi que ce soit. » la maladresse de Ginny est bien établie, elle ne fait qu'ajouter une ligne de plus en annexe, dans les petits caractères du contrat.

« Deal? » sa main se tend vers lui, son sourire n'en finit plus de grandir aussi. Elle essaie vraiment fort la gamine, de relancer ce qu'elle a l'impression d'avoir perdu en un claquement de doigt il y a des années. C'est probablement rien et c'est probablement là, le moment où il prétextera la première excuse qui lui viendra en tête, qu'il tirera aussi vite sa révérence. Qu'ils repousseront leur prochaine conversation à dans une nouvelle poignée d'années. Mais voilà qu'elle se reprend encore à nouveau à espérer. Et si il finissait par accepter?

« Pardonpardonpardonnnn. » Elle s’excuse comme elle a l’habitude de faire. Raphael ne se souvient pas d’une seule discussion qu’ils ont entretenue sans qu’elle ne demande pardon d’une façon ou d’une autre. Elle était désolée que sa lèvre soit fendue, désolée d’avoir couvert sa case de toutes sorte d’artifices aux couleurs trop prononcées pour un petit garçon, et maintenant désolée d’avoir parlé un peu trop fort au sujet d’une danseuse qui lui fait davantage penser à un rongeur qu’à un dangereux félin. Mais le jeune homme ne lui en veut pas d’avoir passé ce commentaire parce que, au fond, ça lui fait plaisir de voir qu’il n’est pas le seul à penser que Deborah n’a pas les cordes vocales d’un lion (lui non plus d’ailleurs, il vient à peine de muer et il arrive encore à sa voix de se casser dans les aigus, c’est toujours très glamour quand ça arrive).

« Je t'apprends à dessiner si tu m'apprends à faire ça. » Ginny propose alors que Raphael se trémousse du mieux de ses capacités, ne se gênant pas pour bien afficher son talent – parce que c’est tout ce qu’il possède. Le cœur d’un artiste qui bat au rythme de n’importe quelle musique. « Qu’est-ce qui te dis que je veux apprendre à dessiner ? » Il l’interroge sur un ton sarcastique. Évidemment qu’il aimerait apprendre certaines bases du dessin, il est encore du genre à dessiner un soleil dans le coin à droite de sa feuille. Il ne connait pas l’anatomie et, pourtant, il sait très bien balancer la sienne sur un pied. « Mais dans l'entente, faut pas que je me casse quoi que ce soit. » Il s’arrête enfin en ricanant doucement et il secoue la tête de droite à gauche : « L’apprentissage de la danse ne commence pas par des saltos arrière. » Et lui-même ne sait pas encore en fait. Il a essayé une fois mais son dos a rapidement regretté quand il a brutalement rencontré le sol. « Tu resteras en un seul morceau. » Qu’il lui promet en arborant un sourire plus rayonnant que d’habitude. Il s’agit peut-être d’une véritable preuve de joie. Elles sont difficiles lire sur son visage, surtout à l’école. « Deal? » Faisant mine de réfléchir, il louche longuement sur la main tendue vers lui et finit par la serrer. Encore une fois, il est surpris par sa peau froide. Tout son sang doit être dans son cerveau, il n’y a pas d’autre explication. « Deal. » Il répète pour conclure leur entende.