i finally found you, now sing it to me
Maxine Bloom &  @Raphael Elly  

En ce moment, Maxine n’a pas beaucoup de temps pour se reposer. Elle ne s’en plaint pas, c’est elle qui a choisi ce mode de vie : tant que ses scènes ne lui rapportent pas assez d’argent, elle doit continuer au café. Les journées là-bas sont longues, les clients parfois épuisants, mais elle adore ce qu’elle fait. Si elle n’avait pas l’ambition de devenir chanteuse à temps plein, elle y resterait sûrement quelques années supplémentaires. Son objectif, c’est finir cette nouvelle année avec une lettre de démission pour eux et un contrat d’artiste pour elle. Ses amis les plus proches – Madison, surtout – sont là pour la soutenir et lui dire qu’elle y arrivera. Elle est heureuse d’avoir trouvé des personnes à Brisbane qui ont la même aura que son frère, qui la soutiennent tout autant, qui seront les premiers à l’applaudir même quand elle fera une fausse note. Ce soir, c’est sa troisième et dernière scène de la semaine. Un bar dans lequel elle a joué il y a quelques semaines a beaucoup apprécié ses reprises et les personnes présentes ont été nombreuses à demander qui elle était, et si elle reviendrait. Ces deux simples questions ont suffi à ce que le patron des lieux rappelle Maxine et lui demande de revenir jouer, de manière plus régulière. Voilà deux semaines qu’elle a accepté de se produire là-bas les week-ends, pour ouvrir le show et capter l’attention du public. Après elle, d’autres chanteurs plus expérimentés passent. Elle adore les premières parties, elle est convaincue que ce n’est que comme ça que l’on peut apprendre le métier. Une salle qui n’a pas été chauffée, qui n’a pas été mise dans l’ambiance, qui n’attend pas forcément ce premier artiste ne peut qu’être une salle qui sera honnête. Les applaudissements sont sincères, les huées aussi – elle n’en a pas encore eu, elle touche du bois pour que ça n’arrive pas de sitôt. Sa guitare plaquée contre son buste, elle gratte les cordes une dernière fois pour venir à bout de sa chanson finale. Celle qu’elle préfère chanter en ce moment, qu’elle reprend avec une telle intensité que l’on pourrait croire qu’elle l’a écrite : Radio, de Lana Del Rey. Un jour, on jouera ses compositions à la radio. Un jour, elle pourra dire que cette chanson lui va à ravir. La dernière note jouée, elle ferme ses yeux quelques secondes et prend le temps d’apprécier les applaudissements qui lui sont destinés. Elle les rouvre pour les poser immédiatement sur un homme qu’elle a repéré il y a une semaine, déjà. Il était là hier soir et le soir d’avant, il était là à chaque fois qu’elle jouait. Elle ne sait pas si c’est un habitué du lieu en temps normal ou s’il est là pour elle, mais il a quelque chose en plus que d’autres habitués : lui, on dirait James. Physiquement, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Elle ne croit pas en une réincarnation, ni aux sosies, ni aux personnes qui se mettent sur votre route pour une raison particulière. Mais en chantant, en le regardant, c’est comme si elle s’adressait immédiatement à Jimmy. Elle repose sa guitare sur le côté, descend de la scène et s’approche de lui. « Au café, j’ai l’habitude d’offrir des boissons chaudes aux personnes qui reviennent plus de cinq fois. Ici, je ne suis pas derrière le comptoir, mais je peux quand même t’offrir une bière. Qu’en dis-tu ? » Toujours aussi directe, Max l’aborde comme s’ils se connaissaient déjà. « Tu reviens tous les soirs, j’ai remarqué. » Elle appuie sa demande avec ses propres constatations.

Il y avait une nouvelle artiste au bar que fréquentait Raphael de plus en plus. Il l’avait vue pour la première fois trois semaines plus tôt et sa voix était venue chercher son intérêt comme un filet attrape un papillon. Bien sûr, ce n’était pas de l’amour ou un quelconque intérêt physique qui l’avaient poussé à revenir quelques soirs de suite pour revoir son talent sur scène. C’était son aura. Cette gentillesse et cette empathie qui émanaient d’elle et qui se percutaient contre le bouclier derrière lequel Raphael préfère se cacher, par précaution. Bien qu’il ait réussi à apprivoiser sa gêne dans les derniers mois, le danseur n’est pas encore comme un poisson dans l’eau au milieu des groupes. Il est l’un des rares clients qui reste seul du début à la fin. Il ne sort pas pour les mêmes raisons que la majorité. Si on vient lui parler, il détourne les yeux comme un gamin qui craint les adultes. Quand on le complimente avec des intentions qu’il ne partage pas, c’est pire. Il disparait aux toilettes et n’en sort plus jamais. Alors, à tous les vendredis soir au bar, son verre non alcoolisé en main, il observe Maxine qui fait valser ses doigts sur les cordes de sa guitare. Il n’est jamais accompagné, sauf la première journée, où il était venu avec Kai parce qu’il était celui qui lui avait présenté cet endroit. La scène avait aussitôt attiré l’attention de celui qui rêvait encore de grandeur malgré le fait qu’il ait perdu sa chance il y a de ça plus de dix ans.  

Mais ce soir-là, quelque chose change dans sa routine. Lorsque Maxine termine d’envouter la salle et que les applaudissements la submergent, elle n’emprunte pas le chemin habituel. Elle se dirige tout droit vers un Raphael qui serre son verre de Virgin Mojito de plus en plus fort. La distance entre eux devient moindre et le tracé de la musicienne, parfois intercepté par des félicitations d’autre admirateurs, ne ralentit pas. Quand elle arrive à la hauteur de Raphael, la bouche de ce dernier est ouverte en O, et il la fixe avec deux points d’interrogations à la place des yeux. Son premier réflexe est de jeter un regard derrière lui quand elle prend la parole. Juste au cas où il soit devenu invisible, et qu’elle s’adresse à une personne bien visible derrière lui. Mais non, son dos frôle presque la façade de briques derrière lui (il prend toujours la place la moins populaire pour éviter les foules) et c’est bien à lui que Maxine propose une bière. « Tu reviens tous les soirs, j’ai remarqué. » « Eu-m… » Sa voix s’est cassée, alors il se râcle la gorge pour reprendre avec un peu plus d’assurance (quoique…) : « L’endroit est pas mal et je suis fan de… de musique. » Plutôt abstrait, comme réponse. Mais il ne se voit pas s’annoncer fan d’elle, alors qu’elle est venue lui parler comme s’ils étaient sur le même piédestal. Se rappelant son offre, il désigne son verre presque vide. La tranche de citron glisse le long de la paroi arrondie mais Raphael le récupère de justesse, avant qu’elle ne tombe au sol. Il lâche un ricanement un peu simplet puis reprend : « Je ne bois pas de bière et… » Mais quel idiot. Il devrait simplement accepter l’offre. C’est comme ça que les relations sociales fonctionnent – son cerveau roule visiblement dans le sens inverse. « Je veux bien un autre… Virgin… Mojito… Si ça ne te dérange pas, bien sûr. » Il lui confie un sourire timide en haussant les épaules, ses yeux partant à la découverte de la scène désormais vide. Il se sent intimidé. Il admire cette personne, alors pourquoi cette personne vient lui parler, de plein gré, sans qu’on ait besoin de lui mettre les menottes aux mains ?

Si Kai avait été là, lui et Maxine seraient déjà les meilleurs amis du monde… Qu’est-ce qu’il envie son aisance, parfois. Raphael se demande encore comment il arrivera à concrétiser ses projets de drag s'il n'arrive pas à prendre un micro et à s'adresser à une foule sans perdre toute sa salive.

i finally found you, now sing it to me
Maxine Bloom &  @Raphael Elly  

Au fil de ses pas, elle voit le visage du jeune homme changer. Il passe d’un état d’euphorie à une incompréhension totale : tout ça parce que Maxine se rapproche de lui. Évidemment, plus humble que sûre d’elle-même au niveau de sa carrière et de son statut, elle ne s’imagine pas que c’est la cause à effet. Elle ne fait aucune déduction quant au changement de faciès du garçon et continue de s’en approcher, loin de penser qu’elle est la raison de sa venue ici. Elle l’aborde sans se poser de questions, bien trop intriguée par lui, par sa ressemblance avec Jimmy, par ce qu’il dégage. C’est doux, ça sent bon, ça lui donne envie de le prendre dans ses bras et de le rassurer – pour aucune raison particulière. « Eu-m… L’endroit est pas mal et je suis fan de… de musique. » Qui ne l’est pas ? Maxine a du mal à comprendre les personnes qui n’écoutent rien au fil de leurs journées. Elle, elle a des playlists pour toutes les occasions. Dès qu’elle a un moment libre, elle met ses écouteurs et se réfugie dans les paroles de ses artistes préférés. Un jour, si elle y parvient, quelqu’un écoutera les siennes pour se sortir de sa vie pendant quelques douces minutes. Elle a envie d’y croire. « Je ne bois pas de bière et… Je veux bien un autre… Virgin… Mojito… Si ça ne te dérange pas, bien sûr. » Sa timidité la touche. Elle, elle a toujours su se faire une place parmi les autres. Elle ne s’explique pas son aisance à se sociabiliser, il faut dire que ça n’a jamais vraiment été un sujet. Elle se faisait déjà toute petite chez elle, elle ne pouvait pas se permettre de le faire en dehors. Si elle ne s’imposait pas ailleurs, elle ne vivait tout simplement pas. Et survivre n’a jamais été son fort, à quoi bon ? « Avec plaisir ! » Elle attrape son verre et le tend à quelqu’un du staff, à côté. « Est-ce que tu peux nous le remplir, s’il te plaît ? Et c’est la même chose pour moi, comme d’habitude. » Elle est heureuse d’être une habituée dans un endroit qui la remplit de bonheur, comme ce bar. Ses scènes font toute sa joie et les boissons offertes ne sont qu’un plus. « Comment tu t’appelles ? » Elle s’adresse de nouveau à Jimmy-bis, c’est ainsi qu’elle l’a appelé dans son esprit, pour le moment. Elle aimerait mettre un vrai prénom sur son visage, pour réussir à le voir autrement. Si la ressemblance est flagrante, elle se doute bien qu’il n’a rien à voir avec son frangin. « On dirait que tu as vu un fantôme. » C’est plutôt elle qui est en train d’en regarder un, mais c’est bien lui qui s’est figé comme si on venait de lui pointer une arme dessus. « Je vais te dire, tu ressembles beaucoup à quelqu’un que je connaissais. » Si elle ne mentionne jamais son frère depuis le décès de ce dernier, elle peut bien avouer ce gros détail. « Et du coup, ça me donne envie de te connaître. » C’est probablement pas la meilleure des raisons, mais c’est la sienne. « Tu viens d’ici ? D’Australie ? » Et quelle est sa couleur préférée ? Son film ? Sa série ? Sa chanson ? Son artiste ? Sa marque de fringues ? Son but dans la vie ? Sa grande passion ? Elle a envie de tout savoir, comme une enfant qui rencontre son âme sœur à cinq ans et qui lui pose des questions inutiles, les unes après les autres. Les verres reviennent à eux, elle lui tend le sien. « On trinque à quoi ? » Encore une question détournée : il veut voir ce qui compte vraiment pour lui, en cet instant.

pardoooon pour ce délai

Son mode social n’a pas été préparé en avance. Il n’est pas bien huilé, et ça se voit déjà dans la rougeur des joues de Raphael, et dans sa manière de cligner des yeux si fort et si vite. C’est indécent comme il perd ses moyens dès l’instant où une personne lui adresse la parole. C’est peut-être pour cette raison qu’il appréciait de monter sur scène jadis : il n’avait pas besoin de parler, seulement de surprendre. Les rôles sont inversés ce soir, et il faut dire qu’il a été surpris par la prestation de Maxine même s’il l’a déjà vu gratter sa guitare sur cet air plusieurs fois. Ça fait de lui un grand fan ou un maniaque ? Étant donné le statut peu reconnu de l’artiste, c’est plutôt la seconde option qui va être envisagée la première. Pourtant, elle n’a pas peur de lui parce qu’elle lui propose déjà une autre boisson, comme s’ils allaient… discuter pendant un petit moment ? Alarme, alarme, alarme, ce n’était pas prévu ! Sauf qu’il doit entrer dans le jeu sans se débattre pour suivre la marche. En nageant en sens inverse, il se ferait encore plus remarquer. Alors il accepte de boire un peu plus (rien d’alcoolisé, il faut le préciser). Sans poser de question, la chanteuse accepte et la voilà déjà à demander avec toute l’aise du monde un peu d’attention au serveur qui passait par-là. Elle parle d’habitude et il ne peut s’empêcher de constater que la star de la place marquera davantage les menaces parce que jamais personne ne s’est rappelé la commande de virgin mojito de Raphael alors qu’il vient ici depuis des semaines. Il reconnait même plusieurs personnes du personnel. « Comment tu t’appelles ? » Question facile, ça il sait ! « Raphael ! Et toi ? » OH PUTAIN MAIS LE CON. « Eum, Maxine, je sais déjà, je sais pas pourquoi je demande, tu l’as dit trois fois sur la scène… » Si quelqu’un cherche la couleur parfaite à poser sur le mur de son dojo, il n’a qu’à venir récupérer un petit échantillon du rouge qui a teint la joue du garçon embarrassé.  

« On dirait que tu as vu un fantôme. » On lui dit souvent ça mais ça le surprend à chaque fois. Croit-il vraiment que sa timidité est inapparente ? « Je vais te dire, tu ressembles beaucoup à quelqu’un que je connaissais. » Il hausse un sourcil. C’est une bonne technique d’approche, ça. Il devrait se la noter la prochaine fois qu’il aura envie de se faire des potes. Oups ! Il a déjà oublié. « Et du coup, ça me donne envie de te connaître. » Lâchant un petit rire gêné, il commente : « Je ne suis sûrement pas comme cette personne à qui tu penses… Je ne veux pas te décevoir. » Si elle attire les gens aussi sûrs d’eux et extravertis qu’elle, alors cette tierce personne doit elle aussi secouer des salles entières. Raphael aurait beau se pointer en bulldozer au bar qu’il ferait à peine trembler la tapisserie. « Tu viens d’ici ? D’Australie ? » Il opine du chef, bien désolé de ne pas pouvoir lui fournir des anecdotes à l’étranger. Il est né ici et n’est jamais sorti d’ici non plus. Son recueil d’aventure se termine à la page trois. « Yep. » Ça lui donne un petit air cool, de dire « yep » à la place de « oui », non ? C’est le moment de faire semblant qu’il ne la suit pas sur les réseaux sociaux et qu’il ne sait pas déjà plusieurs choses à son sujet. « Et toi, alors ? »

« On trinque à quoi ? » Malheureusement, il n’a rien à partager. Les choses qu’il vit sont à l’intérieur de lui, ne méritent pas encore d’être partagées. Il n’en a malheureusement pas le courage. Il a l’impression que personne ne pourrait s’intéresser à ce qu’il a à dire. Surtout pas une personne aussi talentueuse et charmante que Maxine. « Euuuum… Eh bien je suis venu seul ce soir et… J’ai toujours trouvé ça super malaisant de faire ça, comme si j’étais genre Aragorn dans le coin de la salle, dans le Seigneur des Anneaux, tu sais… Creepy, et tout… Enfin, là j’ose, et me voilà. » Oula gênant. En déglutissant, il couine : « Mais tu as peut-être une meilleure raison de trinquer ? » Sauvez-le !