« Logan, non, chuuuuuut, s'te-plaît! »

Et je pouffe de rire, bien plus hilare que menaçante, bien plus moqueuse que rageuse. « Logan, oui, oui, je sais, moi aussi, tu m'as manqu- » mais il grimpe sur mes mollets le chien, il grimpe et il brasse de la queue, et y'a sa langue qui s'en mêle. Et sans même que je ne le réalise y'a mon corps en entier qui tombe à la renverse dans l'herbe, les rires qui se perdent à travers son poil qui chatouille mes narines.

Par-delà la terrasse, je vois Bailey qui parle au téléphone, qui fait des allers et des retours sur la plateforme. Il a l'air sérieux, il a l'air occupé, il doit être en train de travailler. De base, je voulais arriver en douceur, à peine faire de bruit, à peine déranger quoi que ce soit et qui que ce soit. Mais voilà qu'il est traître le berger australien, qu'il est traître et qu'il est adorable. Mes doigts grattent de la plus dédiée des façons autant son front que ses oreilles, que son ventre. Il sent Pizza - et la pizza - sur mon jeans, il s'amuse et il s'infuse de l'odeur de mon propre chien sans jamais l'avoir rencontré. Je prends vivement la note mentale de mettre Noah en charge des présentations un de ces quatre, entre eux deux.

En attendant, je me retrouve avec le visage recouvert de salive de chien, la silhouette échouée au sol et les quatre pattes de Logan qui s'activent à tourner autour de moi, lui qui est prêt à jouer éternellement. « Hello. » une ombre trahit la présence de Bailey, son appel est terminé j'imagine. Sa silhouette se dresse, debout, ses prunelles que j'attrape en dégageant ma tête de derrière celle de son fidèle ami à poils. « Pardon. » pour mon entrée fracassante qui s'est soldée d'un chien surexcité et d'une bonne poignée de fleurs dans les platebandes que mon dos a si affreusement écrasées. « Café? » on se demande comment ils ont survécu, les deux gobelets posés sur la marche de l'entrée, le mien marqué à mon nom et l'autre du sien. Le mensonge blanc fait mal parce que c'est que son gobelet qui continent du café, que le mien est rempli de thé au gingembre. Mais il goûtera pas Bailey, je lui fais confiance. Il va prendre son verre à lui, oublier le mien, et on n'en parlera plus. J'y crois.

On a d'autres choses à se dire aujourd'hui, de toute façon. « Je sais faire des phrases à plus d'un mot aussi, promis. »  d'autres choses, mais surtout une, principale, avant tout le reste. « Comment tu vas? »

« Ce n’est absolument pas ce que je vous ai demandé. » Un soupire s’échappe d’entre mes lèvres alors que la demoiselle à l’autre bout de la ligne semble incapable de me donner une réponse concrète. J’ai assuré à Sebastian que je pouvais gérer ce dossier et je compte bien le faire jusqu’au bout. C’est un peu chaotique au label depuis que de très nombreux concerts ont dû être annulé que ce soit en Australie ou à travers le reste du monde. Maintenant, il s’agit de tout reprogrammer et c’est devenu un véritable casse-tête chinois. Heureusement, lorsque l’on a un nom de famille comme le mien, c’est souvent plus facile de passer devant les autres. Elle cherche dans ses papiers mon interlocutrice, je l’entends retourner son bureau et continue mes cent pas sur la terrasse. Je crois que ça va durer longtemps. Je pense à ce qu’il me reste à faire avant que Jill ne rentre de sa journée passer au café avec son frère. Je me perds complètement dans mes pensées tandis que la liste ne cesse de s’agrandir lorsque j’entends un éclat de rire et que mes sourcils se froncent. « Vous vous moquez de moi ? » Elle répond en panique la jeune femme, elle n’a rien dit. Et soudainement, j’entends les aboiements de Logan et un autre rire que je reconnais cette fois. Lorsque je me tourne, je trouve Ginny étaler au sol, mon chien se tortillant au-dessus d’elle pour lui réserver un accueil digne de ce nom. « Trouver une solution rapidement et rappeler moi. » Je sais que je ne vais pas avoir d’appel avant quelques heures au moins vu la panique générale que j’ai créé en demandant une simple information. On verra cela plus tard, j’ai de la visite.

Je tente de ne pas exploser de rire en voyant Ginny complètement coincer par mon chien et me faufile vers eux en silence. Trahi par mon ombre, le regard de la brunette croise enfin le mien. « Hello. » « Besoin d’aide ? » Je souris une nouvelle fois, heureux de la voir venir s’aventurer par ici, ravi de la voir aussi rayonnante, mais incapable de se relever tant ma boule de poil semble vouloir renifler toutes les odeurs qu’il aurait pu manquer sur elle. « Logan vient là. » Il chouine mon chien, mais il abandonne son attaque et vient s’asseoir à côté de ma jambe tandis que je tends ma main à Ginny pour l’aider à se relever. « Café ? » Comment refuser. C’est toujours sa manière à elle de reprendre contact, ça ne changera jamais. C’est réconfortant en soit.

« Je sais faire des phrases à plus d'un mot aussi, promis. » Et cette fois, je ne retiens plus mon rire. « Tant mieux, l’espace d’un instant, je me suis demandé si un lion t’avait arraché la langue ! » Il va falloir qu’elle me raconte ses aventures et comment Noah a dû être émerveillé par tout ce qui se présentait à ses yeux là-bas. Il va falloir que l’on discute un peu. On en a des choses à se dire tous les deux. Je récupère les gobelets de café et invite la jeune femme à me suivre sur la terrasse. « Comment tu vas ? » « Je vais bien. » Et ce n’est pas un mensonge. Je suis fatigué et stressé, mais dans le fond, je vais bien, vraiment bien. Je suis heureux dans mon couple, heureux du futur qui se présente à nous. « Et toi ? » Et toi Ginny, tu vas bien ? Je ne l’ai pas vu depuis toute cette dispute entre sœurs et j’ose à peine prononcer son prénom dans la maison. « Jill est avec Matt. » que je finis par dire, elle pourra rester un peu comme ça, il n’y aura pas de tension. On s’installe à la table en extérieur et bien entendu, Logan prend la place juste à côté de Ginny. « Alors ce voyage ? »

« Besoin d’aide ? »
« Nonon. » ouioui. Sa main que j'attrape d'office et mes pauvres prunelles qui constatent à quel point Logan est défait, détruit, démoli de ne plus avoir une Ginny au sol comme cible de bisous baveux du jour. Une Ginny qui doit goûter un mélange étrange entre la tisane au caramel, la peinture fraîche et la sueur d'avoir faire du vélo sous le soleil plombant d'Australie pendant tout l'avant-midi.  

Mon bonheur du jour revient dès lors que je sens la boule de poils venir se blottir contre mes mollets, quand mes iris croisent ceux d'un Bailey fatigué, oui, mais dont l'éternel sourire n'a tôt fait de me rassurer. « Tant mieux, l’espace d’un instant, je me suis demandé si un lion t’avait arraché la langue ! » j'éclate de rire, le pauvre qui ouvre la boîte de Pandore d'un des plus beaux voyages de ma vie pour dix millions de raisons et dix millions d'autres. « Les lions sont vraiment moins agressifs que ce qu'on peut penser, ils dorment presque tout le temps. » ça, c'en est une de raison. « Les singes par contre, c'est une autre histoire. » et ça aussi, bien évidemment. « Et les suricates, oh Bailey, les suricates ; de vrais fourbes. » sans oublier la chute, et l'énième rire qui remonte. La malheureuse victime qu'il fait, lui qui aurait au moins dû attendre qu'on se pose avant de me questionner. Il est pris à son propre jeu et ce n'est certainement pas mon air de gamine surexcitée qui va lui confirmer qu'il est au bout de ses peines.

Ma main se tend pour prendre mon gobelet, mon coup d'oeil détaille le regard que Bailey fera à la première gorgée d'une mouture qui change de son habituelle, j'ai osé j'avoue. Mais je suis persuadée qu'il aimera, j'ai vraiment fait gaffe à prendre un nouveau grain qui rappelait son ancien, en mieux. Les détails. « Je vais bien. » mes pieds nus parcourent la pelouse jusqu'au jardin, j'ai depuis longtemps retiré mes Converse qui respirent encore au beau milieu de l'allée d'entrée ; j'espère déjà naïvement pouvoir rester quelques heures. « Et toi? » « Je vais bien. » elle ferait presque mal, l'impression qu'on se le dit vraiment parce que c'est la vérité, et non pas parce qu'on a quelque chose à cacher. On a tellement évolué.

« Jill est avec Matt. » Bailey se pose à l'une des chaises installées autour de la table en terrasse, j'en réquisitionne une autre, remontant mes jambes en tailleur la seconde d'après. « Auden est avec Satan. » que je pouffe de rire, dédramatise, simplifie aussi. Si les tensions avec ma soeur vont et viennent, je sais bien que celle entre l'italien et l'anglais se sont calmées depuis des semaines déjà. Les choses changent et passent, les drames aussi. Mais j'ai l'impression qu'autant Bailey que moi n'avons pas du tout envie de tanguer vers le douloureux aujourd'hui. Le soleil est bien trop haut et Logan bien trop heureux. Le reste va, aussi. « Alors ce voyage ? »

C'est qu'il n'a pas peur Bailey. Mon immense sourire solaire revient prendre place sur mes lèvres rosies par la chaleur de l'eau infusée de gingembre et de citron, de miel. « J'ai apporté mille photos, je vais t'obliger à toutes les regarder dans quelques minutes, et tu n'auras aucune issue pour t'en sortir. Pose pas trop de questions d'ici là, garde-les pour la séance. » un nouveau rire, encore plus espiègle que les précédents. Il sait à quel point je peux m'emporter lorsqu'il s'agit de raconter une histoire à travers mes photos, mes toiles. Il est depuis longtemps averti et pourtant il en redemande ; c'est probablement pour ça que malgré tout ce que la vie à pu mettre entre nous, il est et restera toujours l'un de mes plus grands amis, si ce n'est pas même le meilleur. « Avant que j'oublie... » d'une pensée à une autre, je finis par libérer mon dos du sac glissé sur l'une de mes épaules. Il est gonflé le bagage, il cachait deux surprises que j'ai bel et bien promis. L'une violette, l'autre jaune. Le duo d'éléphants mi-oreillers mi-coussins investissent maintenant la table de jardin, pendant que mon sourire de gamine ravie d'avoir accompli sa mission du jour illumine mon visage. Les jumeaux auront les siestes les plus confortables de l'univers ainsi ; j'ai testé le matos avec Noah, déjà.

Une seconde passe, une autre. Mes lèvres se pincent, il faut que je demande, fillette ingrate qui s'est imposée y'a un moment déjà. « J'ai rien dérangé, hen? J'aurais dû téléphoner avant. »

« Les lions sont vraiment moins agressifs que ce qu'on peut penser, ils dorment presque tout le temps. » Oh qu’elle aimer ce voyage. « Les singes par contre, c'est une autre histoire. » Oh que je l’entends déjà me raconter une anecdote incroyable où des singes sont venu lui piquer sa sucrerie préférée ou pire encore sa tasse de café. J’entends son rire et le clic de son appareil photo dans ses mots. « Et les suricates, oh Bailey, les suricates ; de vrais fourbes. » Et mon esprit, le temps de quelques secondes, superpose le visage de Ginny à celui de Noah. J’entends à nouveau la voix du gamin qui hurle dans ma boîte vocale qu’il a vu des suricates et que c’est l’animal le plus sous-coté et le plus cute du monde. Et avec une aisance que l’on ne se connaissait plus, mon rire viens se mélanger au sien. « Parfois, j’oublie que Noah est vraiment bien ton fils. » Je pouffe au regard surpris qu’elle jette dans ma direction. « Il a peut-être emprunté ton téléphone pour huuuurler à propos des suricates dans ma boîte vocale. » Je hausse les épaules. « Peut-être. » Et déjà, je pense à lui faire écouter le message survolté que j’ai bien entendu pris la peine de sauvegarder. C’est précieux ce genre de petite chose.

« Je vais bien. » Elle est douce l’ironie que je sois soulagé de l’entendre l’admettre avec tant de ferveur. On a changé. Il n’est plus question de faire semblant pour apaiser l’autre, pour ne pas lui imposer un poids supplémentaire. Aucun mensonge ne réside dans nos réponses. On va bien. Et cela se voit, dans son sourire qui creuse des petites rides aux coins de ses yeux, dans sa démarche chaloupée, dans le fait que déjà elle a enlevé ses chaussures, que déjà elle a pris la décision de kidnapper mon chien pour un temps indéterminé. Je le vois dans son regard rieur alors que je laisse échapper une micro grimace. Le café est bon, mais il goûte différent lui aussi. Comme un air de renouveau. « Jill est avec Matt. » « Auden est avec Satan. » On accorde nos violons. Ce ne sera que nous. Et je l’ose espérer que tout ira bien, que la dynamique change dans le bon sens une fois encore. Que les efforts ne sont pas vains.

Peut-être aurais-je dû attendre avant de la questionner sur son voyage, mais je veux savoir. Elle a une manière si singulière de raconter ses aventures, Noah tiens cela d’elle. J’ai envie de retrouver ça un peu, cette complicité. Elle qui parle pendant des heures, moi qui écoute en souriant. « J'ai apporté mille photos, je vais t'obliger à toutes les regarder dans quelques minutes, et tu n'auras aucune issue pour t'en sortir. Pose pas trop de questions d'ici là, garde-les pour la séance. » Et bien sûr que j’aurais dû m’en douter. Et bien sûr que je vais devoir voir les mêmes photos dans quelques jours lorsque Noah viendra à la maison. « C’est le même diaporama que Noah ? Que je pratique mon meilleur air étonné dès ce soir. » Le gamin est déjà en train de monter trois mille versions de son diaporama, y ajoute mille et uns commentaires qu’il allongera le jour même de sa présentation. « Avant que j'oublie... » Elle sort deux peluches de son sac à dos. « Oh. » Je suis si émerveillé que l’on dirait un gamin le matin de Noël. Deux gros éléphants, un violet, un jaune. Je pose ma main sur l’un d’eux et la texture et si douce. Elle a pensé aux jumeaux et je suis peut-être un peu trop émue a cette idée. Alors, je fais le malin. « Ça craint si j’ai envie de garder le jaune pour moi ? » J’éclate de rire, mais la voix déraille un peu. C’est le tout premier cadeau que quelqu’un nous fait pour les petits. Il compte tellement celui-là. « Merci Ginny. » Ma main se pose doucement sur la sienne à défaut de venir la prendre dans mes bras. « Tu viens officiellement de leur faire leur tout premier cadeau. » Et le geste me touche énormément, mais j’ai pas besoin de le dire ça, elle le voit déjà. « Ils vont adorer faire la sieste là-dessus. » Ils. Nos bébés. Bowie et Naomi. Plus le temps passe, plus je réalise que dans moins de trois mois, ils seront là.

« J'ai rien dérangé, hen? J'aurais dû téléphoner avant. » La question est ridicule, elle le sait. « C’était rien qu’un truc de boulot. Ça peut attendre. » Elle n’a rien dérangé. Je préfère être ici, au soleil, avec elle, que de devoir gérer le label. Je m’en rends de plus en plus compte que certaines choses passent avant mon travail. « Qu’est-ce qui t’amène ici ? » Parce que je sais que les peluches ne sont qu’une excuse. « A part vouloir kidnapper mon chien, bien sûr. » que j’ajoute en riant.

Les peluches sont dégainées et ce serait mentir de dire que mon sourire ne double pas en voyant celui que Bailey arbore lui-même. « Ça craint si j’ai envie de garder le jaune pour moi ? » j'éclate de rire, sa vérité à lui que je double de la mienne. « J'ai failli le garder pour moi, on est quittes. » elles sont cool, les peluches. Elles sont douces, elles sont belles, elles viennent de l'autre bout du monde et elles agissent comme énième drapeau blanc maintenant que j'ai la peut-être naïve mais soutenue impression que les choses se sont parfaitement arrangées entre Bailey et moi. Non seulement on a réussi à apprendre à vivre chacun de notre côté, mais maintenant on apprend également à s'accorder de nouvelles places, de nouveaux rôles, des habitudes qui restent et de l'amour aussi, toujours.

« Merci Ginny. » mes doigts viennent trouver les siens pour s'y loger une pudique seconde, le dédouaner de me remercier pour quoi que ce soit quand le geste me semblait aussi naturel que logique. « Tu viens officiellement de leur faire leur tout premier cadeau. » le premier d'une longue lignée - sachant à quel point tous les deux sont entourés. Ces enfants seront tellement aimés et choyés que je ne doute pas une seule seconde que bien vite leur immense villa sera envahie par les présents de toutes les couleurs et de tous les styles. « Ils vont adorer faire la sieste là-dessus. » à nouveau je pouffe, relâchant sa main pour venir égarer mes paumes contre mes jambes ramenées sur le siège où je m'installe un peu plus confortablement. La brise australienne dérange mes mèches déjà dérangées d'office, le soleil du jour réchauffe ma peau. « C'est testé et approuvé. » Noah et moi, on a fait les choses bien.

Le retour à la réalité se fait en douceur, mes excuses dont il ne veut pas. « C’était rien qu’un truc de boulot. Ça peut attendre. » « Ta secrétaire va encore me détester. » que je râle, que j'exagère un brin, rigole ensuite. Sa secrétaire est bien loin de me détester si je compte le nombre de fois où on s'est amusées elle et moi à inventer mille milliers de scénarios en scrutant sur la silhouette de Bailey qui faisait des allers et des retours dans son bureau, quand je passais au studio le chercher ou le rejoindre pour un événement lambda ou un autre - il y a une vie de ça. « Qu’est-ce qui t’amène ici ? » le vent de nostalgie se faufile bien loin comme le fait son homologue qui agite les feuilles au-dessus de nos têtes. Logan lui, ne me lâche pas au point où Bailey nargue à son tour. « A part vouloir kidnapper mon chien, bien sûr. » « Je suis si facile à lire que ça? » un autre sourire part, un soupir aussi.

Les choses sérieuses, donc.

« J'ai parlé, avec Auden. » je sais que je n'ai pas besoin de gratter de mise en situation complexe, qu'il comprendra de suite à quoi je fais référence lorsque je me penche pour embrasser le front poilu du canin, lui qui file de son côté du jardin jouer avec l'un des os de plastique colorés qu'il trouve sur son chemin. « On va le faire. On va les signer. » on a trouvé un moyen avec lequel on est à l'aise tous les deux, on a élaboré un plan qui nous apparaît être sans failles et surtout, on a allié nos forces pour protéger bien plus que les artistes de Bailey, aussi égoïste la manoeuvre puisse-t-elle être. « Sebastian m'a invitée à dîner, la semaine après que tu sois passé à la galerie. » c'est que Sebastian est désormais devenu un ennemi pour Auden aussi. Qu'il s'est mis le nez trop près de notre famille à construire, qu'il s'est imposé dans nos vies au-delà des fameuses photos et du rendez-vous médical pris. « Je suis allée. Je l'ai giflé aussi. » que je statue, fronçant du nez. Bailey comprendra là aussi ; si on fait front, malgré nos raisons qui sont toutes différentes les uns les autres, on fera front ensemble.

Mes doigts glissent contre le poil doux de la peluche en forme d'éléphant. Premier cadeau. Si singulier et pourtant si symbolique. L'offrande d'un nouveau départ entre Ginny et moi. La dernière séparation a été nécessaire. Il suffisait de redonner cette petite impulsion pour que la relation auparavant si confuse, se transforme en une amitié saine aux bases solides. Elle est là notre chance, à nous de la saisir au creux d'un sourire.

« Ta secrétaire va encore me détester. » « Elle était en train de se faire engueuler. » Elle sait que je gueule rarement au travail Ginny. Toujours à tenter de régler les choses dans la plus grande des diplomaties, ce qui m'a souvent valu les railleries de mon paternel. En attendant, parfois, il se faut d'être un peu plus intransigeant malgré tout. « Elle t'adore, tu sais bien. » Dans une autre vie, elles partageaient une certaine complicité les deux. Puis c'est pas si important le travail, pas quand elle me rend visite la brunette. Pas alors que je l'attendais et qu'elle le sait aussi bien que moi.

J'ai simplement besoin de savoir.

« J'ai parlé, avec Auden. » Un hochement de tête. Elle a toute mon attention. Mon souffle se raccroche au sien. Tout se joue maintenant. « On va le faire. On va les signer. » Le soulagement qui s'impose, qui fait redescendre mon rythme cardiaque. « Merci. » Le cri du cœur. À défaut de pouvoir en dire plus pour le moment. Je l'observe, Ginny. Tout est déterminé dans son regard, elle fait front avec férocité. Je ne l'ai jamais vu aussi sûre d'elle et je vois tout ce qu'Auden lui apporte. Il est le seul dont elle avait réellement besoin. Je reprends mes esprits. Réalise qu'une fois encore, Ginny me tend la main. « Je te promets que ce ne sera pas long. » Je te promets qu'il n'y aura pas d'impact.

Je le pensais tout du moins. Je le voulais avec ferveur que son coup de main ne soit que bénéfique, que cela n'entache en rien notre relation. « Sebastian m'a invitée à dîner, la semaine après que tu sois passé à la galerie. » Le couperet tombe, menaçant. Sebastian qui s'immisce de partout sans un bruit. Sebastian le calculateur, qui sait toujours tout et agis selon son bon plaisir. Je m'affole de suite. Qu'a-t-il fait ? Qu'a-t-il dit ? « Je suis allée. Je l'ai giflé aussi. » Tout s'emballe à nouveau. La panique s'infiltre dans mes veines. Elle ne l'a pas frappé sans raison. Pas elle. « Qu'est-ce qu'il a fait ? » Et la seconde d'après. « Je suis désolé. » Mon poing se serre. Les pires scénarios défilent dans un coin de ma tête. Quelque chose se trame. Ou pas ?

« Je suis persuadé qu'il est au courant pour mon mariage, qu'il sait pour les petits aussi, mais il m'a toujours rien dit. » Et si je n'en démords pas, il est temps que je tienne tête à mon frère, les vieux démons, eux, ne sont jamais bien loin. « Ça m'angoisse et en même temps, je me dis qu'après toute ces années, il tient juste son rôle de grand-frère et qu'il ne fera rien de plus qu'un commentaire déplacé sur mes enfants. » Je hausse les épaules, un demi-sourire peu convaincu aux lèvres. Parfois, il me manque mon frère. Mais cela ne change en rien ma détermination qui s'affirme de jour en jour. Il est temps que je prenne mon envol une bonne fois pour toute. Loin d'eux et de leur manipulation en tout genre. « Vous m'offrez une belle chance avec Auden. Je sais pas comment vous remercier. »

« Je te promets que ce ne sera pas long. »
« On a tout notre temps. »

Ce genre de phrases, j'aurais jamais cru pouvoir l'avancer aussi simplement, aussi honnêtement un jour. Mais c'est vrai désormais, autant Bailey que moi on a véritablement tout notre temps et il ne sert plus à rien de se presser, de se stresser. J'espère qu'il sait à quel point les minutes ne sont plus comptées et à quel point il peut allonger l'horloge autant de temps dont il a besoin. Tout ira bien. « Qu'est-ce qu'il a fait ? » qu'est-ce qu'il n'a pas fait plutôt, que je garde pour moi, tentant toujours le plus possible de voir la part dans choses quand je lutte depuis des années pour ne pas voir que le mauvais chez son frère ; même si ça me semble devenir de plus en plus difficile au fil de ses actions que jamais je n'approuverai. « Je suis désolé. » « T'as pas à être désolé, c'est pas ta faute. » ça ne l'a jamais été et qu'il en prenne la responsabilité me serre le coeur. « Il a fait ce à quoi on s'attend de lui ; tout faire pour protéger sa famille. » en version édulcorée, en version totalement abrégée. Sans les coups bas, sans les menaces, sans la totalité de ses stratagèmes pour casser tout ce qui évolue et grandit autour.

« Je suis persuadé qu'il est au courant pour mon mariage, qu'il sait pour les petits aussi, mais il m'a toujours rien dit. » ma tête se redresse, les doigts que j'avais également perdus sur la peluche viennent attraper une seconde ceux de Bailey avant de reprendre doucement leur place contre le gobelet de thé au gingembre qu'il n'a pas encore remarqué. « Ça m'angoisse et en même temps, je me dis qu'après toute ces années, il tient juste son rôle de grand-frère et qu'il ne fera rien de plus qu'un commentaire déplacé sur mes enfants. » oui, sûrement. Croyons-y et déjà on arrivera peut-être un peu mieux à avancer. « Vous m'offrez une belle chance avec Auden. Je sais pas comment vous remercier. »

J'inspire, déteste parler pour Auden et tenir un discours à la place du sien, pourtant je sais qu'à ce sujet il est totalement en accord avec ma propre perception. « On le fait pas pour ça. » on le fait pas pour être remerciés, on le fait pas pour qu'il ait une dette envers nous. On le fait simplement parce qu'on juge que cette situation nous attaque nous aussi ; depuis que Sebastian n'a pas seulement mis mon cas dans son viseur, mais aussi celui du bébé qui prend doucement sa place au creux de mon ventre. « Tu es sûr? » ma voix demande, presque suppliante. Il a tenté, plus tôt, de prendre sa défense, il a tenté plus tôt d'adoucir les choses et il est important pour moi de le lui mettre en face une dernière fois, avant qu'on amorce la suite des choses. « Ça lui déclare la guerre, tu sais. »

Il ne cesse de rôder autour de mes proches, Sebastian. Tel un requin qui encercle petit à petit sa proie. Il ne lâchera rien, je le sais. Qu’importe les excuses que je tente de lui trouver, encore, parfois, dans des moments de faiblesse. Les aveux de Ginny me confortent dans cette idée qu’il est plus que temps de me défaire de l’emprise familial. « T'as pas à être désolé, c'est pas ta faute. » Je l’entends la sincérité dans sa voix et pourtant… Je reste responsable de tant de choses. Elle ne s’en ira jamais réellement la culpabilité d’avoir fait perdre des années de vie, de bonheur, à la jeune femme qui se tient droite et fière face à moi. Les excuses ne sont plus de rigueur. Elle ne les accepte plus depuis si longtemps. Pourtant, elles reviennent sans cesse, tel un leitmotiv entre nous. « Il a fait ce à quoi on s'attend de lui ; tout faire pour protéger sa famille. » Manipulé, exposé, menacé. Elle n’a pas besoin d’en dire plus, je sais très bien comment mon frère fonctionne. J’en ai la nausée. Je voudrais m’excuser encore et encore, mais secoue la tête. Il ne sert à rien d’insister encore et encore.

Je tente de trouver des excuses encore. Je tente de justifier. Je cherche le bon dans l’obscure personnalité de mon frère aîné. Je me raccroche à l’espoir qu’il ne soit pas si mauvais que cela, que tout n’est qu’un jeu orchestré par notre père. Je ne sais pas ce que je cherche, mais mes propos déstabilisent. Et elle grimace Ginny. Je sens qu’elle recule, qu’elle hésite encore. Mes mots ne la rassurent pas. Mon discours est décousu, je le sais, mais exprimer tout ce changement qui s’effectue en moins est encore si difficile. Je n’ai jamais été doué avec les mots. Aujourd’hui, ils me font cruellement défaut. « Tu es sûr? » Un hochement de tête si vif que ma nuque pourrait craquer. Loin de convaincre encore la brunette qui soudainement semble prendre des pincettes. « Ça lui déclare la guerre, tu sais. » Les mots sont lâchés et la réalisation déferle comme une vague. Ils ont accepté de m’aider. Le premier pas est lancé. Tout était encore si flou que je ne m’autorisais pas à penser à la suite. Je ne me suis jamais autorisé à réussir par moi-même. Il est temps de sauter le pas, de sauter dans le vide. « Ça déclare mon indépendance. » que je lâche, d’une voix grave, mais qui véhicule toute la prise de conscience que cette décision amène. Il est là mon nouveau départ, entre mes mains. « Je ne reculerai pas. » que j’affirme en plongeant mon regard dans le sien. Je ne reculerai devant rien. Toute ma volonté réside là, dans le fait de vouloir avancer sans aucun boulet à mes pieds. Rien ne sera simple, j’en ai parfaitement conscience. Je risque tout ce que j’ai construit, mais je le fais pour moi, pour mon couple, pour la famille que nous sommes en train de construire avec Jill. « Je ne serais plus un pantin Gin. Il est temps que je vive pour moi. » Et le dire à voix haute, pour la toute première fois, bouleverse, transcende et me fait presque trembler, de rage, de conviction, d’entêtement. Je ne le laisserai plus jamais prendre le gouvernail. Cette période est révolue.

« Tu me fais confiance ? » Laisse-moi te prouver que tout va changer.

Les pièces se placent et les attaques se décrivent, s'immiscent. Bailey a cette sensibilité si tangible que je n'arrive jamais à laisser les masques lui voiler la face bien longtemps. C'est une dédicace à tous ces secrets qu'on a passé une vie entière en commun à cumuler, quand maintenant le moindre mensonge a tôt fait de nous rendre malades. « Ça déclare mon indépendance. » et j'en suis soulagée, tellement. Je ne lui aurais jamais dit de le faire, ne l'aurais jamais conseillé sur un chemin qui lui appartient comme il n'a jamais fait de même avec le mien. Mes parents desquels je me suis affranchie il y a des mois déjà, desquels je me suis libérée quand ils ont pour une dernière fois tenté de contrôler ma vie et celle de Noah en débarquant à l'improviste avec des listes et des demandes que jamais je ne leur aurais cédées. C'était à Bailey de prendre sa décision par rapport à sa famille et à ce qu'ils lui avaient eux aussi fait vivre, et il a pris le temps de le faire pour des raisons qui lui appartiennent. Sebastian n'en est qu'un dommage collatéral de plus.

« Je ne serais plus un pantin Gin. Il est temps que je vive pour moi. » « Je sais. Il le faut. » mes mots sonnent aussi doucement que possible, ils sont de ceux que je prends le temps d'aligner puisqu'ils dictent la suite comme ils imposent le reste. Il a grandi de manière incroyable Bailey, il a évolué à un point où je ne reconnais plus l'homme que j'ai jadis marié et ça, c'est tout à son honneur. Il est fort et il avance, il grandit, il ajoute des pierres à l'édifice les unes après les autres et si je peux me joindre à l'équation pour l'aider à ériger un mur assez haut pour lui éviter une terrible avalanche alors soit, je serai celle qui servira d'alliée dans la tempête. Il a été si présent pour moi, ce n'est qu'un simple retour d'ascenseur qui n'en a que le nom tant le tout m'apparaît fondamentalement naturel.

« Tu me fais confiance ? »
« Pas quand ça concerne Sebastian. »

Pourtant, là, c'est la vérité qui prime au-delà des discours de bonnes intentions. Je n'ai pas confiance en lui quand ça concerne son frère parce qu'il a prouvé à des dizaines de reprises que Sebastian était son talon d'Achille. Qu'il est sa faiblesse pour la simple et unique raison qu'il est son frère, et qu'à mon instar à l'époque, lui aussi ferait tout pour sa famille. Ferait, puisque j'ai depuis longtemps retravaillé mes angles de priorités, pour les définir et les restreindre à une seule autre personne de manière bien plus égoïste quand toute ma vie n'a été dédiée qu'à eux jusqu'à tout récemment. Si mes mots étaient durs, ma voix reste la plus douce possible, mes yeux n'ayant pas lâché les siens de toute la conversation qui flotte doucement au-dessus de sa terrasse. « Mais j'ai confiance que tu sais ce que tu fais, et que tu le fais pour les bonnes raisons aussi. Pour moi, c'est suffisant. » j'ai confiance en lui pour tout le reste, apparemment. Assez pour lui dédier le travail d'une vie, assez pour ravaler mes doutes et mes craintes de ses propres cassures, de ses propres démons, assez pour qu'ensemble on fasse front.

« Envoie-les moi, à Toowong. Je m'occupe de tout. » ses artistes. Ça sonne comme une conclusion et pourtant, ce n'est que le début. Il le sait autant que moi.

« Tu me fais confiance ? »
« Pas quand ça concerne Sebastian. »

Elle est crue et sans détour la vérité. Elle heurt et blesse tout autant que le renouveau de cette franchise sans limite me rassure. Pas de faux semblant. Une simple vérité, pas franchement simple à entendre, mais qui pose les bases d’une nouvelle amitié bien plus solide. Sebastian est mon talon d’Achille. Incapable de me l’avouer, j’ai toujours préféré le relayer loin, dans la tempête de mes pensées. Ginny impose ce qui lui semble juste. La confiance persiste, mais les failles existent, là, béante, sous notre nez. Je ravale ma salive, mon regard se passionne pour l’éléphant en peluche encore posé entre nous. « Cette fois, tout sera différent. » que je lui assure dans un murmure que je veux solide, mais qui vacille encore. Pourtant, la conviction est là. Je ne reculerai plus. Fini d’être le pantin de leur petit jeu diabolique même si je dois tout perdre en chemin. « Mais j'ai confiance que tu sais ce que tu fais, et que tu le fais pour les bonnes raisons aussi. Pour moi, c'est suffisant. » Un sourire, empli de gratitude, se tatoue sur mes lèvres. « Si les choses tournent mal, je leur donnerai tout. » Ma musique, mes artistes, mon studio. Je laisserai ma carrière et mes ambitions pour protéger ma famille. « Mais… Aujourd’hui, je sais, je le sens, que je suis capable de nager à contre-courant. » Il me faut juste encore un peu de temps, gagner des secondes, prendre une longueur d’avance. Ginny me l’offre sur un plateau d’argent et je ne saurais jamais comment la remercier. Les mots sont devenus inutiles tant, je sais qu’elle a réfléchi ses actions. On ce l’était promis, ensemble, on fera front. « Envoie-les moi, à Toowong. Je m'occupe de tout. » Nouveau hochement de tête en signe d’approbation. « Amélia et James. » Parce que je leur faits confiance, parce qu’ils sont ceux que je cherche absolument à protéger. Avec eux, le secret sera sauf. À l’horizon se profile une nouvelle aventure, qui fait battre mon cœur d’un rythme différent, bien plus affirmer. Je ne baisserai plus les bras, j’ai trop souvent plié. C’est terminé.

« Raconte-moi l’Afrique. Et les suricates. » On a tout dit sur le sujet d’avant. Alors, on s’offre une minute de répit, à parler de ses souvenirs ramenés dans les valises. Je l’écoute avec attention, quand elle décrit la savane, fait des gestes immenses pour parler des découvertes de Noah et je le note se sourire en coin lorsqu’elle évoque Auden.

Tout change, c’est certains, mais tout change pour le mieux.