« Je vais pas y arriver. » Mon regard cesse de suivre Tracy pour revenir se loger dans les pupilles dilatées de Jill. Visage rougi par l’effort, souffle court, elle semble à bout. Je voudrais tellement pouvoir lui dire que je prends le relais. Trouver les mots pour la rassurer, alors que tout ceci dure depuis des heures, alors qu’elle a mal. « Une dernière fois, Jill. » que je murmure doucement alors qu’au travers de mon regard, je voudrais lui insuffler toute la force qu’il y a en moi. Parce que de là où je me tiens, sans vraiment vouloir regarder ce qui se passe, je vois la sage-femme demander à sa collègue de se préparer pour le deuxième. Elle demande un ultime effort à Jill qui semble sur le point de fondre en larmes. Ma main vient retirer les mèches collées de son front. Je ne peux rien faire d’autres. C’est à elle que reviens tout le mérite, toute la douleur aussi. « Je t’aime. » que je murmure sans cesse comme pour lui donner du courage alors qu’elle donne les derniers morceaux de son énergie dans cette ultime poussée. Et la sage-femme se retrouve avec notre fils dans les bras. Notre fils qui ne pleure pas…

Les secondes paraissent interminables alors que la salle de travail s’emplit d’un silence qui m’écrase les poumons. Tracy se met instantanément à pleurer alors que son frère reste bien trop silencieux. « Il va bien ? » « Je… Je sais pas. » Le médecin arrive, il agite vite. Je ne quitte pas le petit corps de Bowie des yeux, ma main toujours ancrée dans celle de Jill. Mon souffle deviens laborieux. Ca ne peut pas se passer mal, pas maintenant, pas alors qu'on a tant mériter tout ce qui nous arrive. On se perdrait s'il lui arrive quelque chose. « Je suis désolée. » Et au même moment, notre petit garçon émet son premier cri. Ce n’est pas très fort, mais le soupire de soulagement qui envahit la pièce, me rassure plus que tout au monde. Il pleure. Et moi aussi. Je ne retiens plus rien, ils sont tous les deux là et c’est une explosion d’émotions comme jamais on ne pourrait l’envisager. « T’as enten… » Lorsque je me tourne vers Jill, elle est complètement allongée sur le lit les yeux fermés, le corps bien trop immobile pour que ce soit normal. « Jill ? » Je secoue son épaule. Elle ne réagit pas. « JILL. »

Et je hurle à m’en arracher les cordes vocales.

***

Elle a fait une baisse de tension. Trop de fatigue, trop d’effort physique. Son corps n’a pas tenu le choc. Il a fallu quelques instants pour qu’elle revienne à elle. Les pires de toute ma vie. En quelques secondes, je me suis vu élever mes enfants seuls en pleurant leur mère. J’ai envisagé le pire, frôler l’angoisse, sans jamais en démontrer un seul signe physique. Je me devais de tenir pour elle. Et lorsqu’elle a rouvert les yeux, je me suis laissé tomber sur le tabouret amené par l’infirmière.

Maman a repris connaissance. Bowie a été examiné, il semble bien aller. Alors, tout doucement, deux sages-femmes viennent déposer les petits corps emmailloter sur le torse de leur maman. L’instant restera a jamais gravé. Les trois amours de ma vie. Je ne sais plus retenir les larmes et sanglote probablement tel un idiot. Je me penche un peu, me rapproche de leur bulle, sans véritablement oser y pénétrer. Mon regard larmoyant ne quitte plus le profil de nos enfants. « Ils sont là. » Et ça paraît surréaliste. Si petits, si fragiles. Mon cœur ne cesse de battre à vive allure, les émotions explosent dans tous les sens. C’est donc ça le bonheur ? J’en oublie presque mes angoisses, tout ce qui compte, c’est eux. Ma vie pour la leurs, ça ne fait plus de doute. Du bout des doigts à peine, je viens caresser la joue de Bowie qui ouvre doucement les yeux pour regarder sa mère. « Vous avez une maman vraiment courageuse. » Et pour la énième fois aujourd’hui, je viens lui murmurer à quel point je suis fier, alors que mon regard lui transmet tout le reste.

Elle a tourné de l’oeil. Elle a fait un malaise Jill. Les médecins ont dit que c'était à cause de la fatigue, de la baisse de sa tension et que c’était normal. Bailey a eu l’air d’avoir la peur de sa vie. C’est compréhensible. Bowie ne respirait pas, et Jill ne l’a pas entendu pleurer, puis elle s’est écroulée après cette effort de plusieurs très longues heures. Elle a mis quelques secondes ou quelques minutes avant de revenir à elle et voir que tout allait bien. Rien ne va en réalité, mais la seule chose qui compte pour le moment c’est que tout le monde soit en vie. Les bébés respirent, Tracy pleure et Jill a réouvert les yeux.

De longues minutes passent encore et Jill reste en salle de travail avec les médecins. Bowie va mieux, il respire correctement et la sage femme vient déposer les deux bébés contre le torse de la McGrath. Elle soupire, elle ose à peine respirer. Ils sont minuscules, et ses yeux sont d’office attirés par le petit garçon qui est bien plus léger et fragile que la fille. Son pouce passe lentement dans son dos, et elle essaie de savoir où elle en est. Elle ne sourit pas, elle ne pleure pas non plus. Elle ne dit rien, elle ne fait rien de plus que laisser ses mains dans le dos de ses enfants. Elle ne regarde pas Bailey, et elle n’écoute pas ce qu’il se passe autour d’elle. Ils sont là, et c’est réel. Elle panique Jill, mais elle ne montre absolument rien. Elle voit dans les yeux de Baley qu’il est comblé, pourquoi les yeux de Jill ne brillent pas de la même lueur ? Pourquoi ils ne brillent pas du tout ? Il est vide son regard, aussi vide que son ventre.