« Mais… Tu m’as dit que tu avais un régime spécial. Que du pudding au riz. » il se souvient. Il se souvient des détails et mon sourire doit être contrôlé au mieux de mes capacités tant le simple fait qu'il s'en rappelle me fait chaud au coeur. Ma silhouette dodeline de droite à gauche, mes Converse crissent sur le plancher en linoléum ciré. Ne pas trop le fixer, ne pas trop laisser les étoiles dans mes yeux s'amplifier. « Des fois je mets des fraises dedans. Ou des mangues. » ou de la confiture, ou du Nutella. Les petits choses.

L'argent reste toujours, stagnant, dans ma paume. J'insiste et lui hésite, c'est une danse sans fin que je n'ai pas envie de voir se finir non plus. Quand il est là et quand il me parle et quand il me regarde, tout va bien ; mon sauveur. « Je n’aime pas trop l’injustice. » j'hoche de la tête de la positive, un oui affirmé de plus, un point en commun supplémentaire. Je déteste l'injustice aussi, probablement parce que je suis au centre depuis toute ma vie. « J’aimerais qu’il n’y ait pas de gens méchants comme ça à l’école. » « J'aimerais aller à une école où on peut faire ce qu'on veut, où on est notés juste sur notre capacité à s'amuser. » oh qu'elle fabule, la gamine avec des paillettes pleines les prunelles - et les avant-bras. « Imagine comment ça serait cool si on pouvait avoir un bulletin qui dirait "A été très heureux pendant le cours de maths : A+." "A fait rire la classe pendant le voyage scolaire : A++." » si la vie était si simple, aussi.

« Moi c’est Raphael. » je sais. Je sais tellement. « Enchantée. » je profite du fait qu'il ait pris la monnaie au creux de mes doigts pour les lui tendre en une poignée de main cérémoniale comme le fait toujours papa avec les gens nouveaux qu'il veut impressionner. « Tu penses qu’on a le droit ? On est pas de la même année. » d'aller à la machine distributrice, ensemble. Il y pense, et juste ça, ça réchauffe mon coeur à un niveau encore inégalé. « Je peux demander au concierge si tu veux, il est gentil il saura. » il est aussi au bout du couloir, à passer la serpillère, à nous surveiller du coin de l'oeil sans que je ne le réalise.

Ce n’est pas un détail. Un régime pudding au riz, franchement. C’est probablement une information dont il se souviendra le reste de sa vie. Il connait des gens allergiques aux noix, aux chats, aux kiwis, même (il paraît que certains ne supportent pas son côté acide) mais le régime pudding au riz c’est une première. Et puis, il s’est tout de même fait fendre la lèvre pour l’un de ses contenants en plastique. « Des fois je mets des fraises dedans. Ou des mangues. » Il hoche la tête, pas du tout sceptique – ce n’est qu’un gamin, il ne se pose pas trop de questions et, si Ginny lui dit qu’elle peut manger des fruits, il ne fera qu’hausser les épaules. « C’est une pomme verte que j’ai aujourd’hui. » S’il se souvient bien de ce que son papa a glissé dans sa boîte à lunch à côté du sandwich au jambon. « Tu peux en manger ? » Il demande finalement, l’air naïf.

« J'aimerais aller à une école où on peut faire ce qu'on veut, où on est notés juste sur notre capacité à s'amuser. » Il rigole une première fois, baissant la tête en même temps pour cacher son sourire. Il doit être fâché, non ? Pourquoi vient-elle de le faire rire sans difficulté ? « Ça serait marrant, oui. « Imagine comment ça serait cool si on pouvait avoir un bulletin qui dirait "A été très heureux pendant le cours de maths : A+." "A fait rire la classe pendant le voyage scolaire : A++." » Il rigole encore, plaquant sa main sur ses lèvres, les yeux gros comme des melons, comme s’ils étaient en train d’élaborer un plan machiavélique pour renverser le pouvoir de l’école. « A ++ c’est impossible, j’ai seulement eu des A+ ! Et je crois que c’était le score maximum parce que mes papas étaient très fiers de moi. » Il admet, fier, ne réalisant pas qu’il aura un long chemin à faire avant de comprendre le second degré.

« Enchantée. » Il louche sur la main qu’elle lui tend, sans comprendre ce qu’elle veut faire. Il a été habitué aux bises baveuses de ses tantes. De façon bien malaise, il vient lui faire un highfive sur le côté. « Je peux demander au concierge si tu veux, il est gentil il saura. » Il ouvre grand la bouche, surpris d’apprendre qu’elle a déjà parlé au concierge, lui qui lui fait si peur. « Tu le connais ? Wow, il paraît qu’il kidnappe les enfants. » Une rumeur qu’il a entendu de la bouche des enfants populaires de sa classe.

« C’est une pomme verte que j’ai aujourd’hui. » ce sont celles qui sentent le plus bon, ce sont celles qui ont la couleur la plus jolie. « Tu peux en manger ? » ce sont celles qu'il me propose aussi. « C'est ma pomme préférée. » et ça, au moins à travers tous mes autres mensonges, c'est la vérité.

À ma vision d'une école nouvelle et plus douce, il dévoile une nouvelle bribe que je note mentalement le plus vite possible. « A ++ c’est impossible, j’ai seulement eu des A+ ! Et je crois que c’était le score maximum parce que mes papas étaient très fiers de moi. » « Dans quelle matière? » ma voix demande, enthousiaste, heureuse, fière qu'il soit bon dans ses classes autant que je le suis dans les miennes. Je me demande, aussi « C'est quoi le cours que tu aimes le plus? » et d'une interrogation en viennent donc des tas d'autres. « Comment ils s'appellent, tes papas? » son silence que j'excuse, ou du moins que je meuble, le rassurant au passage. « J'ai plus aucune question. »

Mon allié, le concierge ; en secret du moins. « Tu le connais ? Wow, il paraît qu’il kidnappe les enfants. » « Non! » si Raphael a joué les sauveurs pour moi, je jouerai les sauveuses pour l'homme au balai et aux milliers de produits nettoyants. « Oui je le connais, mais non, il kidnappe personne. » que je rectifie, sérieuse. « C'est juste parce qu'il est différent un peu, que les autres disent ça. » différent comme moi. Mes pas hésitent, mais osent finalement, commençant à s'aligner vers la machine distributrice. « Voudrais-tu que je te le présente? » qu'il voit ce que moi je vois, qu'il sache ce que moi je sais. Bien sûr que j'oublie, ce que le concierge sait lui aussi.

« C'est ma pomme préférée. » Et c’est la sienne, à lui aussi. Ses papas ont essayé de glisser toutes les pommes du monde dans sa boîte à lunch et la seule qu’il croquait avec appétit était la verte. Assez ironique, comme elle possède la couleur qui lui plaît le moins. Mais elle est acidulée, sucrée, il a l’impression de mordre dans un jujube surette. « Alors c’est bon, on peut faire l’échange. » Il dit fièrement avant d’ouvrir sa case pour attraper sa boîte à lunch arborant fièrement des images de ses dessins animés préférés. Il glisse sa main dedans et en sort une pomme bien ronde qu’il tend à Ginny.

« Dans quelle matière? » Il est habituellement gêné d’aborder un tel sujet mais il est si fier de sa note parfaite qu’il lance, le menton levé : « Anglais ! Dans ma dernière dictée. J’ai su écrire le mot « environnement », je savais qu’il y avait deux « n » parce qu’il est écrit au-dessus des bacs de recyclage derrière lesquels tu étais cachée. » Il pointe l’endroit en question. Elle lui pose ensuite une autre question, puis une autre, avant de s’excuser d’être si curieuse. Ça lui fait bizarre de se sentir intéressant pour quelqu’un. Il n’avait pas eu une telle conversation depuis longtemps. Il aimerait répondre que c’est le sport son cours préféré mais il ne s’y sent jamais à l’aise. « L’anglais, comme c’est ma meilleure note ! » Il hoche la tête, sûr de lui, sans l’être vraiment. « Et ils s’appellent Tom et Jeremy. Tom a un avion, c'est cool. Et tes parents ? » Il a l’habitude de formuler la question autrement pour les autres, il comprend qu’il n’y a pas beaucoup de gens comme lui qui n’ont pas de mère.

Elle infirme sa supposition, celle selon laquelle le concierge est un monstre dans l’école. « Oui je le connais, mais non, il kidnappe personne. » Il suit ses pas après avoir glissé sa boîte à lunch sur son épaule. Il l’écoute attentivement, curieux de savoir la véritable histoire derrière le concierge. « Voudrais-tu que je te le présente? » Il secoue rapidement la tête de droite à gauche : « Non. » C’est honnête, c’est franc, c’est tout lui. Il n’a pas envie de parler au concierge si effrayant. Devant la machine distributrice, ses deux yeux se gorgent de paillettes et il insère rapidement les pièces de monnaie dans la fente, se mordant la langue. Il appuie sur l’un des boutons et une barre chocolatée tombe dans le fond de la machine. Excité comme le jour de la veille de Noël, il récupère son dû et le déballe rapidement. « Tu en veux une bouchée ? » Il lui tend la barre tendre ouverte, juste sous son nez.

C'est avec des yeux brillants et aussi gros que des billes que je l'entends parler de ce qu'il aime le plus à l'école, au-delà de ses bonnes notes et de la fierté qu'il semble en avoir. « Anglais ! Dans ma dernière dictée. J’ai su écrire le mot « environnement », je savais qu’il y avait deux « n » parce qu’il est écrit au-dessus des bacs de recyclage derrière lesquels tu étais cachée. » mes joues prennent des teintes de rose et de rouge, mes lèvres se pincent vite et fort. « Moi j'aime l'espagnol. Je trouve qu'on a l'air de chanter quand on le parle. » et les arts, j'aime les arts aussi. Sa case en a fait les frais. « Je suis toujours distraite pendant les dictées. Il faut que je me concentre sur ma feuille sinon je regarde par la fenêtre. De ma classe on voit le jardin communautaire. Toi tu vois quoi? » le plus de questions je pose, le mieux je me sens.

Jusqu'à ce que j'ai peur qu'il ne réponde pas, qu'il s'ennuie, qu'il n'aime pas passer du temps avec moi. « L’anglais, comme c’est ma meilleure note ! » pourtant il continue et je bois littéralement ses paroles, m'assurant d'en prendre extrêmement soin et de les ranger dans un coin précis dans ma tête. « Et ils s’appellent Tom et Jeremy. Tom a un avion, c'est cool. Et tes parents ? » « Papa construit des maisons et des immeubles et il s'appelle Isaïah. Maman a les plus beaux cheveux du monde, ils sont doux et ils sentent la lavande et elle s'appelle Marianne. Les avions c'est vraiment cool. On en prend pour aller voir mes cousins à Londres à Noël. Tu vas dans le cockpit toi des fois? »

La conversation est bien plus fluide que jamais je n'aurais pu penser. La seconde d'après, on passe devant le concierge et si mon pas ralentit, le sien se presse un peu plus. Il ne veut pas le rencontrer, il préfère manger, et je le suis sans m'obstiner. « Tu en veux une bouchée ? » « Prends-en une d'abord, c'est à toi. Tu le mérites. » mon sourire est rassurant, de la tête je désigne la barre tendre bien plus heureuse qu'il en mange que je puisse y goûter. « Je peux manger ta pomme en attendant? » en attendant quoi Ginny? Que tu prennes ton courage à deux mains pour tout lui dire?

Il grimace discrètement quand elle dit apprécier l’espagnol. Il est plus jeune qu’elle, il n’a pas encore eu de cours de cette langue mais elle lui fait peur. Il ne reconnait aucun mot lorsqu’il l’entend et elle est parlée beaucoup trop vite. « J’ai pas encore espagnol. » Il se contente de répondre parce qu’il ne peut pas avoir d’opinion fondé sur ce cours. « Je suis toujours distraite pendant les dictées. Il faut que je me concentre sur ma feuille sinon je regarde par la fenêtre. De ma classe on voit le jardin communautaire. Toi tu vois quoi? » Il plisse le regard en tentant de se rappeler exactement de la vue qu’il a de sa fenêtre. Il est toujours dans le fond de la classe, comme il est sage, alors il se permet souvent de contempler l’extérieur. « Je peux voir une petite partie du jardin, mais je vois plus les graviers où on peut jouer à la marelle. Ça veut dire que notre classe est du même côté de l’école ! » Eh oui, petit génie !

Raphael perd légèrement son sourire lorsque Ginny raconte le parfum des cheveux de sa mère. Il fait toujours semblant que ça ne le dérange pas de ne pas avoir de maman à serrer dans ses bras mais son visage le trahit. Il ne se souvient pas de celle qui l’a mis au monde. Quand il ferme les yeux, il ne voit qu’une silhouette fantomatique qui disparaît derrière le sapin de Noël. La dernière fois qu’il l’a vue, quand il était trop jeune pour comprendre. « Oui, on va voler au-dessus de la mer ensemble. » Qu’il sourit doucement en évitant le sujet qui le blesse.

Fier d’avoir enfin dégoté une barre tendre au chocolat, il en propose une bouchée à sa nouvelle amie qui refuse gentiment, pensant qu’il mérite d’y goûter en premier. Probablement parce qu’il a la lèvre fendue. « Merci. » Il répond en croquant à pleines dents dans sa collation. La saveur chocolatée se colle à son palet et étire son visage en un sourire excité. Qu’est-ce que c’est bon, le sucre. « Je peux manger ta pomme en attendant? » Il n’a pas le temps de répondre que la voix d’une enseignante les interrompt : « Les enfants ? Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous savez très bien que vous n’avez pas le droit de vous séparer de votre groupe à l’heure du midi. » Stricte, elle vient les chercher pour les ramener dans leur groupe respectif. Quand Raphael se fait séparer du Ginny, il lui fait signe de la main pour lui dire au revoir.