It's time to be honest

 

Elle avait la boule au ventre. Ses jambes tremblaient. Son cœur battait vite. Trop vite. Ses mains étaient moites. Son regard était fuyant. Ses muscles étaient tendus. Sa gorge était nouée. Elle allait faire demi-tour, elle le sentait. Si elle n'avait pas été pétrifiée sur place, cela aurait fait bien longtemps qu'elle aurait disparu à l'ombre de la ruelle qui bordait la bâtisse. Devant elle se dressait l'ancienne maison qu'elle avait occupée pendant presque trois ans. Trois longues années d'un bonheur sans nuage à l'horizon. Du moins en apparence. La bouche sèche, Marley leva son poing tremblant et frappa à la porte, attendant que la foudre s'abatte fatalement sur elle.

C'était sur un coup de tête qu'elle avait pris son billet d'avion le matin-même. La veille, elle avait encore écumé les bas-fonds des bars jusque tard dans la nuit. Ce train de vie qu'elle menait depuis des semaines ternissait son image, minait son moral et l'enfonçait dans une spirale de plus en plus destructrice. Elle se faisait du mal et elle en avait pleinement conscience. Si elle en était arrivée à un point si critique de sa vie c'était parce que tout s'était effondré le soir de la fête foraine. C'était à cet instant que sa vie avait basculé pour le pire. Elle avait perdu Jackson. Définitivement. Aucun retour en arrière ne semblait possible. Boire pour oublier avait donc été la solution de facilité qu'elle avait choisie.

Les nuits s'étaient enchaînées mais la douleur n'avait pas disparu, au contraire. Elle s'était amplifiée, le trou qui s'était formé dans sa poitrine n'avait eu de cesse de s'élargir à tel point que la brune avait l'impression de n'être qu'une vulgaire coquille vide, une enveloppe charnelle sans âme. Elle avait du mal à remonter la pente, même son travail qu'elle aimait tant ne l'aidait pas. Elle se rendait sur les plateaux à reculons, se montrait de plus en plus désagréable, impatiente et impulsive. On l'avait prévenue : Si elle ne se reprenait pas, elle risquait de perdre tous ses contrats.

En se levant ce matin-là, elle avait donc pris la décision radicale de réparer ses torts. Cela commençait par Davies. L'homme qu'elle avait cru aimer pendant trois ans, l'homme qui avait posé un genou à terre pour elle et qui pour réponse n'avait eu qu'une fuite de la part de la maquilleuse. Elle lui devait une explication. En réalité, elle agissait par intérêt et par pur égoïsme. Dire qu'elle agissait pour Davies, parce qu'il avait le droit de savoir et de comprendre était totalement hypocrite. La réalité était bien moins glorieuse. Les paroles tenues par Jackson lorsqu'ils étaient partis à Sydney lui revenaient sans cesse à l'esprit : « Tant que t'auras ta lâcheté sur la conscience, il ne se passera rien de plus entre nous. » Il lui avait clairement dit que tant que les choses ne seraient pas définitivement réglées avec Davies, ils n'avanceraient pas. Entre temps bien sûr, l'agent avec appris pour Malik et elle. Tout s'était effondré. Incapable de penser avec une quelconque logique Marley misait ses derniers espoirs sur sa visite à Melbourne.

C'était ainsi qu'elle s'était retrouvée devant la porte d'entrée de son ancienne maison – maison qu'elle avait visitée et choisie en compagnie du danseur – à attendre avec une nervosité certaine qu'elle s'ouvre. Elle n'eut pas besoin d'attendre bien longtemps avant de voir le battant s'entrouvrir devant elle. Marley n'eut pas le temps de réagir, de reculer, d'anticiper qu'elle sentit une main s'abattre violemment contre sa joue. Sous le choc du coup reçu, elle recula de quelques pas. Interloquée, sonnée par l'attaque, la jeune femme avait du mal à remettre de l'ordre dans ses idées. Après quelques secondes, elle retrouva ses esprits et reconnut la grande sœur de Davies. Bien sûr. Il avait fallu qu'elle soit là. La métisse déglutit avec difficulté et parvint à articuler : « Davies est là ? » La rage se lisait sur les traits du visage de la femme qui lui faisait face. Cette dernière lui aboya dessus : « Qu'est-ce tu fous là ? T'en as pas fait assez ? Casse-toi putain ! ». Marley baissa la tête et prit conscience qu'elle n'aurait jamais dû revenir. Un simple message aurait sans doute suffi. Elle s'apprêtait à faire demi tour lorsqu'elle entendit la voix rauque de Davies retentir : « T'as cinq minutes. » Elle frissonna et après quelques secondes d'hésitation releva le visage vers le sien. Ses yeux accrochèrent les prunelles du garçon. Il était toujours aussi beau mais désormais en lieu et place de son sourire séducteur trônait un voile de tristesse et de rancœur. Les bras croisés sur la poitrine, l'homme attendait qu'elle s'exprime. La brune ne savait pas par où commencer. Elle se maudissait de ne pas avoir préparé un speech avant, de ne pas avoir anticipé. Que croyait-elle ? Que tout allait sortir avec fluidité ? Qu'elle allait lui dire pardon et qu'il l'excuserait en un claquement de doigts ?

Elle se racla la gorge et après un long soupir, enchaîna d'une traite : « Je n'ai aucune excuse. J'ai agi avec lâcheté, avec faiblesse. Je me suis comportée comme une garce. Je te promets que ce n'était pas prémédité, je te jure que je ne voulais pas te faire de mal. Mais... Quand tu m'as demandée en mariage... J'ai paniqué. J'ai paniqué et je me suis rendue compte que même si je t'aimais, je ne pouvais pas te dire oui. Ca aurait été mentir... Je me suis rendue compte que je t'aimais mais pas assez, que celui pour qui j'étais prête à tout sacrifier... Il se trouvait à Brisbane. Je pouvais pas te dire oui Davies, je pouvais pas alors que mes pensées et mon cœur étaient dirigés vers un autre. Alors au lieu d'agir comme une adulte responsable... J'ai juste disparu. » La bouche sèche elle s'arrêta enfin. Elle n'arrivait pas à savoir si ce qu'elle lui avait dit avait été cohérent ou non, si cela avait du sens ou pas. Après quelques secondes – qui parurent très longues à la jeune femme – Davies lui dit avec froideur : « Non je méritais pas ça. J'ai perdu trois ans de ma vie. Avec une femme qui n'en était pas une. T'es qu'une gamine Marley. Une putain de gamine capricieuse et immature. Tu prends, tu te sers et tu jettes. C'est tout ce que tu sais faire. Tu viendras pas chialer quand tu finiras ta vie seule. » Les larmes perlèrent sous les paupières de la maquilleuse mais elle prenait sur elle pour ne pas craquer. Pas maintenant, pas devant lui. Elle ne disait rien. Elle encaissait les paroles blessantes – et sans doute vraies – qu'il venait de lui balancer au visage. Si elle avait cru qu'un poids s'envolerait après leur entrevue et ses aveux, elle s'était fourvoyée. A l'inverse, elle avait l'impression qu'un rocher s'enfonçait un peu plus dans sa poitrine. Elle entrouvrit les lèvres pour parler mais pour dire quoi ? Elle n'en eut pas l'occasion, le danseur lança un « Adieu » plein d'amertume et lui claqua la porte au nez. Tremblante, la jeune femme fit demi-tour et appela un taxi. A peine avait-elle grimpé dans le taxi qu'elle s'effondra en larmes. Elle ne se sentait pas mieux, elle ne se sentait pas moins lâche, elle se sentait juste misérable. Dans un dernier sursaut d'orgueil ou plutôt dans un moment de désespoir pur, elle sortit son téléphone et écrivit à Jackson : « Il sait. »

Il était désormais temps de rentrer à Sydney où l'attendait maintenant son propre enfer.   

made by black arrow