Personne n’a réellement envie d’assister à un concours de surf de pères noëls sans trois grammes dans le sang, raison pour laquelle l’australien n’a même pas pris la peine de demander à un de ses proches de venir avec lui jusqu’ici. Il a pensé à Joanne à un moment, c’est vrai, avant de finalement prouver qu’il n’est pas totalement stupide au moment où il s’est souvenu que ses enfants croient encore que le Père Noël existe réellement. Et en voire des dizaines et des dizaines sur la plage n’irait pas véritablement dans le sens de ce mensonge inévitable. Ils méritent d’y croire autant qu’ils le peuvent et Joanne de rester avec eux tant qu’ils n’exigent pas le contraire en hurlant au moment de leur crise d’adolescence. En somme, il ne souhaitait pas les séparer ne serait-ce en proposant une sortie, et face à elle se tient un Hassan éternellement trop occupé pour qu’il utilise un joker de sortie pour quelque chose d’aussi puérile. Après tout, il a simplement eu envie de sortir sans raison supplémentaire ; et pour ça il n’a pas de compte à rendre à personne, pas même un possible chien ne l’attendant absolument pas chez lui, pas vrai ? Même les plantes vertes sont sûrement toutes mortes à l’heure qu’il est. Tout ce qu’il retrouvera ce soir, ce sera son reflet vieillissant dans le miroir.

Des éternelles chaussures de sport au pied, c’est pourtant d’assez loin qu’il observe la scène, adossé à une barrière en bois séparant la plage de la route. Les compétiteurs ne prennent pas la chose au sérieux et peut-être que certains d’entre eux ont finalement quelques grammes d’alcool dans le sang, oui, à en juger par leur équilibre sur la planche qui ne peut pas être seulement dû à un manque d’expérience. Et si le spectacle l’amuse un temps, il ne tarde pas avant de déjà scruter la foule du regard, à la recherche d’un visage plus ou moins connu, d’une personne à qui raconter des blagues à la chaîne simplement pour faire passer le temps et rire d’un rien. La solitude ne lui va pas au teint, il est bien plus à l’aise au milieu d’une foule, et bien plus encore s’il est sous le feu des projecteurs. Pourtant, aujourd’hui, il ne risque pas de se présenter au concours, anticipant bien trop son incapacité à arriver à quoi que ce soit à cause de son état de santé. Passons. Le clair de ses yeux, éternellement mis à mal par la lumière aveuglante du soleil australien se reflétant sur la sable, se pose un instant sur un visage connu et ne semble plus vouloir s’en déloger. Caché derrière ses lunettes, Rhett affiche déjà un sourire amusé, heureux de pouvoir retrouver Chad en pareille occasion - quand bien même seul le hasard pourrait les réunir puisque son vieil ami ne semble plus se donner la peine de venir aux réunions d’anciens élèves.

Le brun avance face à lui d’un pas décidé, retirant déjà ses lunettes pour les tenir par une branche, entre ses doigts. Sa main libre, elle, ne tarde pas avant de trouver le chemin jusqu’au dos de Chad qu’il vient tapoter, comme s’ils ne savaient pas se saluer autrement depuis toutes ces années. “Je dirai pas que t’es venu à cet événement si tu gardes le secret pour moi aussi.” Le ton est donné dans un sourire que Chad ne peut voir qu’après que Rhett ait fait un pas en arrière, remettant déjà ses lunettes sur son nez. Avouons-le, il ne risque pas de raconter qu’il a passé sa journée à un tel événement à moins que le grand patron d’ABC lui ordonne expressément de faire une chronique à ce sujet - et ô qu’il espère que personne ne lui souffle une telle idée. “J’attends avec impatience le jour où tu vas commencer à rétrécir, tu sais.” Sa taille, éternel sujet de conversation pour lequel Rhett oublie volontiers qu’il n’a aucun pouvoir sur la chose. Il préfère encore s’en moquer éternellement, lui répétant à tout va qu’il aurait plutôt dû essayer une carrière dans le basket plutôt que de voler toutes leurs balles à l’époque de l’université. “Ça commence à dater.” Il ne lui reprocherait pas frontalement de ne pas être venu à la dernière réunion, sans doute parce qu’il n’en a absolument rien à faire, mais il aimerait pouvoir trouver une excuse pour garder contact de façon un peu plus régulière, sans vouloir faire dans le sentimental. “Tu participes ou tu viens simplement pour te moquer ?” Rhett se moquera quoi qu’il en soit, il tient simplement à savoir s’il doit sortir son téléphone pour devenir le paparazzi et fan n°1 du Taylor.

Un soupçon de voyeurisme l'avait peut-être mené ici, devant ce parterre rouge et blanc qui détonait dans le bleu de l'océan. En revanche, c'était une forme d'admiration qui l'avait poussé à rester, à se prendre au jeu au point de pousser des cris de déception lorsque son poulain, choisi de façon tout à fait aléatoire, chutait violemment de sa planche pour s'écraser dans les vagues impétueuses. La scène lui avait paru surréaliste, lorsqu'il était passé tout à fait par hasard en voiture, après avoir commandé du matériel dans la périphérie de Brisbane. Pour une fois dans sa vie qu'il n'était pas si pressé, Chad avait décidé de s'en remettre au destin, et de se garer si jamais une place se libérait par miracle devant ses yeux. Il avait peut-être bien dû marcher une centaine de mètres, derrière une procession de Pères Noël, avant de se frayer un chemin en bordure de la plage, à bonne distance de la cohue qui se massait sur le sable, sous la chaleur accablante de décembre. Certains audacieux avaient décidé de revisiter leur costume : pantalon retroussé, short rouge ou slip de bain pailleté, le patron de Noël avait lui aussi droit à sa collection d'été. Quelques lutins se démarquaient laborieusement, tandis que d'autres fanfaronnaient sur leurs planches, la tête en bas dans un équilibre plus ou moins précaire. Les femmes étaient à l'honneur elle aussi, au même titre que les enfants qui, vraisemblablement, n'avaient jamais eu la naïveté de croire que les cadeaux qui apparaissaient chaque année sous leur sapin provenaient d'un être magique à la bienveillance exceptionnelle.

Les amateurs se mêlaient aux professionnels. Chad les regardait d'un œil attendri, à la fois fasciné par leur persévérance et leur manque total d'embarras. Comme toujours dans ce genre d'événements où les gens jouaient le jeu, les plus stigmatisés étaient ceux qui, comme lui, conservaient leur uniforme du quotidien. Encore heureux, Chad n'était jamais sur son trente-et-un quand il sortait travailler. Il se fondait même facilement dans la masse dans ses t-shirts aux couleurs unies, sobres, sans la moindre fantaisie. Quelqu'un l'aborda pourtant. Il ne se familiarisa par de la main posée dans son dos, malgré un mouvement de répulsion naturel et pudique, que la vision de Rhett chassa aussitôt. Sa remarque lui arracha un sourire. « Oh je peux pas te promettre ça, tu serais surpris d'apprendre que je suis devenu un homme plein d'auto-dérision. » avait-il répondu. Il lui fallait de fait beaucoup d'auto-dérision pour se targuer d'en avoir. Rhett l'avait toujours connu comme l'homme très consciencieux qu'il était, et cela n'avait changé qu'à très peu de choses, et surtout depuis trop peu de temps pour en faire un trait de caractère. Son ami chaussa ses lunettes à nouveau, et Chad se demanda un instant si c'était un réflexe digne de Clark Kent. Si vraiment ce geste anodin d'avoir ôté ses lunettes l'avait transformé de manière fugace en Rhett Hartfield, le garçon qui avait lui aussi grandi dans la bourgade de Kilcoy, et non le numéro 9 que certains adulaient encore. Aux yeux de Chad en tout cas, il demeurait une idole. « Et toi quand est-ce que tu vas arrêter d'être aussi beau ? » avait-il renchéri, sans même s'embarrasser de révéler ce qu'il avait toujours pensé tout bas maintenant que toute forme d'ambiguïté était levée dans son esprit. Rhett avait beau avoir changé, il était de ces personnes dont le charme intemporel les suivait tout au long de leur vie.

La question de son absence à la dernière réunion des anciens élèves était inévitable. Chad se rassura néanmoins de constater qu'elle n'était pas passé inaperçue. C'était une période de sa vie qu'il chérissait beaucoup. Celle où il avait fait la connaissance de Kelly et de nombreux autres amis qui continuaient d'influer sa vie. « Oui je sais... j'ai tendance à me sentir rapidement désœuvré. C'est déjà un miracle que je sois ici. » avait-il avoué, comme si Rhett n'était pas lui-même un homme accaparé. Chad n'avait jamais été quelqu'un de spontané, mais entre la caserne, la salle, ses cours et maintenant son couple, les créneaux manquaient pour l'imprévu. « Alors, si je dois faire un choix je dirais plutôt me moquer. Parce que j'ai définitivement pas l'intention de participer. Auto-dérision d'accord, mais allons-y calmement. » Rhett constaterait par lui-même qu'il n'avait pas tant changé que ça. Il restait cet homme démesurément grand à l'attachement tout aussi démesuré au formalisme. « Toi aussi j'imagine ? La barbe blanche t'irait pourtant très bien. » avait-il taquiné, comme Rhett avait ouvert la voie avant lui. S'il avait voulu filouter, il aurait même pu chercher les quelques poils blancs disséminés dans sa propre barbe, qui le rendraient non moins charmant pour son âge. « En fait je me suis dit que j'allais faire un peu de pub. J'ai ouvert une salle de sport récemment. Enfin je dis 'moi' mais c'est un projet qu'on a monté à deux. Des gens qui surfent en costume de Père Noël c'est exactement le public que je vise. »

Même si le premier contact de Rhett se résume souvent à sortir une bêtise ou une autre, il trouve quelque chose de rassurant dans le fait d’engager la conversation. C’est aussi une façon de garder la main sur cette dernière, aussi, et d’engager seulement les sujets qui l’intéressent. Autant de choses auxquelles il ne pense pas le moins du monde lorsqu’il annonce à Chad être prêt à garder le terrible secret de sa venue à ce concours de surf de Père Noël seulement s’il en fait de même en retour. En somme, une entrée en matière qui n’a ni queue ni tête. « Oh je peux pas te promettre ça, tu serais surpris d'apprendre que je suis devenu un homme plein d'auto-dérision. » C’est un sourcil mi-amusé mi-soupçonneux qu’il relève au moment où il croise enfin le regard de son ami. Il ne demande qu’à voir les choses par lui-même. « Et toi quand est-ce que tu vas arrêter d'être aussi beau ? » Ses lunettes à nouveau reposées sur son nez, Chad échappe au moins au regard faussement exaspéré de son aîné. Au moins, il peut toujours apercevoir son sourire sincèrement amusé. “Puisqu’on a arrêté de me dessiner des moustaches et tout un tas d’autres conneries sur le visage après des soirées un peu trop arrosées, j’ai envie de répondre ‘jamais’.” Et par on, il désigne bien sûr Chad parmi un groupe autrefois composé de bien trop nombreuses personnes et autres joyeux lurons qui étaient à l’université bien plus pour profiter de ses soirées étudiantes que de ses cours studieux. Rhett tout craché, par exemple. Lui qui connaît ses atouts et ne perd pas de temps avec des ‘mais non arrête, voyons’ ou des ‘t’exagères’ qui n’auraient pas lieu d’être. De lui-même, il ne serait pas du genre à vanter son physique mais il sait tout de même ne pas être en reste. Par dessus tout, ce n’est pas le récent coming out de son ami qui risque de donner une autre signification à ses paroles. “J’en connais un qui a su miser sur le bon cheval, t’es pas en reste.” Mains à nouveau enfoncées dans ses poches et regard porté sur l’horizon, ses yeux largement protégés des rayons du soleil, il se permet à son tour de renvoyer la pareille à Chad, faisant une allusion timide à son petit-ami dont il ne sait à peu près rien. Il n’a pas cherché à creuser non plus, ayant toujours eu tendance à croire que si les choses doivent se faire alors elles arriveront naturellement ; et les bruits de couloir n’ont de toute façon jamais été ses préférés.

C’est du bout des lèvres que Rhett met l’emphase sur le temps passé sans se voir l’un l’autre, ne voulant pas laisser peser la moindre faute sur Chad alors qu’il est lui-même loin d’être irréprochable. Il se contente d’avancer des faits alors que son ami lui explique manquer de temps pour ce genre d’évènements. A ses yeux, cela ressemble surtout à une excuse toute trouvée et impossible à vérifier, surtout alors qu’il sait effectivement que l’emploi du temps du sportif n’est pas en reste. Pour autant, Rhett estime qu’une rencontre d’anciens amis devrait passer avant bien des choses, surtout à en juger par le caractère rare de la chose. Autant de pensées qu’il garde pour lui, n’étant certainement pas venu pour provoquer une dispute avec le Taylor. Il préfère encore parler des Père Noël sous leurs yeux, sujet de discussion bien moins suceptible de déraper, surtout alors qu’il est soulagé de toujours être capable d’anticiper les réponses de son ami: il est venu pour observer et non pour participer. « Toi aussi j'imagine ? La barbe blanche t'irait pourtant très bien. » - “Je suis trop vieux pour ces conneries.” qu’il l’arrête aussitôt, imposant pourtant un sourire à ses paroles qui pourraient sembler abruptes. Au fond, il ne fait que statuer une vérité qui le dérange un peu plus chaque jour, alors heureusement que le fond du sujet n’a rien de sérieux. “J’appréhende le jour où je devrai jouer le Père Noël pour mes neveux, mais c’est vrai que ça aurait pu être une expérience intéressante à placer sur mon CV.” Il appréhende, il appréhende, mais encore faut-il souligner que Rhett n’a pas le moindre neveu ni même nièce et que personne de sa fratrie n’est même en couple: en somme, il a encore le temps de se faire des cheveux blancs jusqu’à ne même plus avoir besoin de perruque pour le rôle. Chad comprendra, sans doute - il l’espère, tout du moins.

Au-delà des blagues de l’australien, son ami semble entretenir un objectif bien plus sérieux à venir en ces lieux, ce qui n’est pas sans étonner Rhett. « En fait je me suis dit que j'allais faire un peu de pub. J'ai ouvert une salle de sport récemment. Enfin je dis 'moi' mais c'est un projet qu'on a monté à deux. Des gens qui surfent en costume de Père Noël c'est exactement le public que je vise. » Amusé par l’idée, il ne retient pas un rire bref. “Au moins, je pense que ce n’est pas le genre de public avec lequel tu vas risquer une bataille de testostérone au milieu de la salle.” Parce qu’ils connaissent l’ambiance des lieux, les deux hommes. Batailles d’ego, batailles de muscles. C’est à celui qui soulèvera le plus, c’est à celui qui tiendra le plus longtemps sur une machine ou une autre et blah, blah, blah. Rhett connaît d’autant plus cette attitude qu’il a longtemps lui-même été au cœur de ces batailles, information entre les mains de Chad. “Félicitations pour le projet, d’ailleurs. T’as monté ça avec un ami ?” Il demande, sincèrement curieux, avant de rapidement enchaîner. “Je pourrais en parler à mes amis, ça pourrait déjà aider.” Parce que si Rhett s’est retiré des terrains sportifs, ce n’est absolument pas le cas de tous ses contacts et amis qu’il n’arrive pas à diversifier, sans doute parce qu’il ne fait aucun effort en ce sens. “Et en glisser un mot ou deux à l’antenne.” Une publicité qu’il tentera de déguiser au maximum, peu enclin à l’idée de donner une raison à ses supérieurs de lui taper sur les doigts.

En prodige qu'il était, Rhett était bien conscient de ses atouts, mais sa modestie préservait son humanité aux yeux de ceux qui l'avaient toujours connu. Un héritage de ses origines sans doute, que contrairement à Chad il continuait de porter avec fierté. Les effets que produisaient les compliments sur les gens étaient à la hauteur de leur narcissisme. Chez Rhett on devinait une certaine lassitude, de celle qui animait les gens agacés de n'être considérés qu'au travers de leurs exploits superficiels, ou d'apparences pour lesquels ils n'avaient foncièrement aucun mérite. Chad se souvenait avoir reconnu la même pudeur chez Evelyn, qui redoublait d'efforts pour se défaire de son patrimoine et se faire son propre nom dans un milieu dans lequel son père n'avait pourtant aucune emprise. La répartie de Rhett lui arracha un sourire nostalgique. Chad oubliait parfois qu'il avait été jeune et intrépide, plus par procuration que par définition. « C'est pas ma faute si tu as toujours eu besoin de ton beauty sleep. » avait-il rétorqué avec le même amusement, visualisant très bien Rhett avachi sur un canapé avec une horde de marqueurs lui encerclant le visage. Le genre de puérilités qu'on chérissait avec le temps, et avec une certaine tendresse. Il ne s'excusa par d'être beau pour autant, et Chad se reconnaissait assez dans cette attitude, entre humilité et assentiment. « C'est Hassan qui t'a dit ça ? Et toi dis-moi, où en est ton fan club ? » demanda-t-il, aussi curieux que nerveux de savoir si ses préférences révélées au grand jour jetaient un voile sur les souvenirs de certains membres du groupe. La dernière fois qu'ils avaient assisté à un match ensemble, Casey n'était pas de la partie, et il se demandait si la déclaration de Rhett n'était qu'une forme de complaisance ou un aveu silencieux que son couple avait été un sujet de conversation à la dernière réunion des anciens. Quoiqu'il était de plus en plus à l'aise sur ce point, Chad redoutait toujours d'alimenter les commérages.

La perspicacité était une autre qualité de Rhett. Chad aurait pu s'empêtrer dans des explications stériles, mais il se contenta du minimum conventionnel, même s'il devinait que son ami avait un avis sur la question. Il lui fit la promesse tacite d'être présent la prochaine fois, au moins pour constater que personne ne médisait sur lui ou ne regrettait leur moindre souvenir commun. Ils embrayèrent sur leur quarantaine approchante, vaste source de crainte et de crispation. « T'as encore la trentaine. Puis tu peux te rassurer en te disant qu'il y aura toujours plus vieux que toi parmi les anciens de la fac. » avait-il tenté de le rassurer. S'ils n'étaient pas de la même année, deux mois seulement séparaient la naissance des deux hommes. Chad nourrissait les mêmes angoisses, même s'il était encore trop occupé pour s'en rendre compte. « Tu préfères jouer les tontons cyniques qui rabâchent à tous les repas de famille comme c'était mieux avant ? » avait-il répondu, la tête penchée, un sourcil circonspect levé dans sa direction. Chad était particulièrement doué pour relativiser. C'était bien l'un des rares avantages à vivre dans le déni. Il garda sous silence la naissance imminente de sa nièce, comme un secret qu'on préservait par superstition. Peut-être y avait-il un soupçon de regret dans la voix de Rhett. Un désir inavoué de paternité. Ce n'était pas le moment de remuer le couteau dans la plaie. Autant s'aventurer sur un thème qu'ils appréciaient et maîtrisaient. Chad évoqua donc ses récents accomplissements, sans la moindre ambition cachée. « Figure-toi que c'est tout ce que j'évite, les batailles de testostérone. J'ai assez donné. » Rhett était bien placé pour comprendre. Certainement que cette ambiance malsaine avait retardé l'inévitable issue de son coming out. « Oui un ami avec qui j'ai bossé à l'Hibiscus. On en a eu marre tous les deux de l'ambiance toxique des salles de sport. Même si Donnie est un amour, il peut pas contrôler les tendances machos de certains de ses coachs. » En fait si, et c'était précisément pour cette raison que Chad avait décidé de devenir le patron de sa propre salle. Il pouvait lui-même sélectionner des collaborateurs en accord avec ses valeurs. Des valeurs qu'on prônait comme un slogan marketing sans les appliquer dans les vestiaires. La proposition de Rhett, si elle n'avait rien de surprenant, avait tout de même réjoui Chad. Grâce à l'influence de Casey dans le milieu LGBT, la salle avait déjà trouvé quelques adeptes, mais le rayonnement de Rhett s'étendait bien au-delà du microcosme du militantisme de Brisbane. « Tu ferais ça ? Merci beaucoup ce serait un énorme coup de pouce. Je m'essaye à Instagram, mais t'es un bien meilleur ambassadeur que moi. » s'était-il exclamé, sincèrement flatté par une initiative qu'il savait totalement désintéressée. « Tu devrais passer à la salle à l'occasion. On est à Spring Hill, à deux pas de la caserne. » avait-il proposé avec enthousiasme.

« C'est pas ma faute si tu as toujours eu besoin de ton beauty sleep. » Ça, ce n’était officiellement qu’une raison pour être le premier debout et réveiller ses amis à grands coups d’enceinte posée sur l’oreiller. Avant ou après qu’il se soit nettoyé le visage, ça, l’histoire ne le dit pas, mais la réponse de Chad a le mérite de le faire sourire, comme à son habitude. Les choses ont toujours été simples avec lui et bien qu’ils n’aient jamais été les meilleurs amis du monde ou n’importe quel autre titre cliché dans le genre, ils ont su garder contact sur près de deux décennies, et cela doit sûrement signifier quelque chose de moindrement admirable, ou au moins positif. Il n’est pas celui à qui il se confierait naturellement, mais il sait pouvoir compter sur lui en toutes occasions - comme l’inverse est tout aussi vrai. « C'est Hassan qui t'a dit ça ? Et toi dis-moi, où en est ton fan club ? » - “Honnêtement, je sais plus.” Ce n’est sans doute pas la meilleure réponse pour rassurer son ami au sujet des craintes de possibles bruits de couloir, mais Rhett est sans doute naïf au point de croire que sa sexualité n’est en rien un sujet de discussion et encore moins de controverse. Il l’a appris comme il apprend que d’autres ont des petites amies dont il peine à retenir les prénoms, et rien de plus. “Tes oreilles n’ont pas dû siffler bien longtemps.” Il ajoute pourtant après un simple silence, soucieux de lui faire comprendre que personne n’a donné son avis sur son couple, ou sa vie sentimentale de façon générale. Rhett serait bien mal placé pour avoir de telles paroles, lui-même le sait pertinemment. Qui plus est, ce ne serait en rien dans son caractère. “Une femme a tenté de joindre directement le secrétariat d’ABC pour avoir mon numéro, le fan club rivalise d’ingéniosité.” Rhett annonce enfin, répondant ainsi à sa question de façon détournée et emplie d’ironie. Il n’a bien sûr aucun fan club et ne connaît que quelques fans parfois un peu trop téméraires. Il l’a connu du temps où il filait le parfait amour ou presque avec Jenna et depuis il n’y a pas la moindre histoire amoureuse qu’il pourrait être heureux de lui conter. Finalement, le brun est heureux de pouvoir au moins compter sur ses amis pour se débrouiller bien mieux que lui à ce niveau là.

D’un sujet à un autre, pourtant, ils sont des disques rayés ne sachant éviter la sempiternelle discussion sur leur âge grandissant. Personne n’y échappe, même les meilleurs. « T'as encore la trentaine. Puis tu peux te rassurer en te disant qu'il y aura toujours plus vieux que toi parmi les anciens de la fac. » Se dire qu’il y aura toujours pire ailleurs, quoi de mieux pour rassurer leurs âmes égoïstes ? Le brun esquisse un sourire en coin, ne pouvant décemment pas répondre avec tout l’enthousiasme qui l’anime pourtant en cet instant. Ce serait mal vu. “J’ai hâte de refaire une rencontre d’anciens, maintenant.” Il s’amuse, se moque. Ce n’est pas faux, il a toujours aimé le principe après tout. Maintenant, Chad vient simplement de faire entrer une nouvelle variable et, avec elle, un jeu consistant à demander l’âge de chacun. « Tu préfères jouer les tontons cyniques qui rabâchent à tous les repas de famille comme c'était mieux avant ? » Il abandonne son inspection de l’horizon pour laisser sa tête rouler en direction du Taylor, lui qu’il a sans doute toujours jalousé d’être aussi grand. Il aurait dû s’essayer au basket. “Me fais pas dire ce que j’ai pas dit, je deviens vieux mais j’espère pas devenir con.” Parce que prendre de l’âge en soi est déjà difficile, il n’a aucune envie que l’adage ‘vieux et con’ s’ajoute à sa personne. Son ego en souffrirait bien trop.

Ainsi, il vaut sans doute mieux en profiter pour prendre des nouvelles de son ami plutôt que de se la jouer éternel mécontent. Il a une vie qui n’est pas à plaindre, tout de même, le Hartfield. « Figure-toi que c'est tout ce que j'évite, les batailles de testostérone. J'ai assez donné. » Affichant pour la première fois une mine légèrement renfrognée, Rhett hoche la tête. Il n’abordera pas le sujet plus en détails avec lui, ne s’en sentant pas digne, mais ce sont autant de non-dits qui n’ont pas besoin de plus pour être compris des deux hommes. « Oui un ami avec qui j'ai bossé à l'Hibiscus. On en a eu marre tous les deux de l'ambiance toxique des salles de sport. Même si Donnie est un amour, il peut pas contrôler les tendances machos de certains de ses coachs. » Et encore une fois, il hoche à peine la tête. Sa vie est tournée autour du milieu du sport, et si c’est un domaine qu’il continue d’apprécier, ce n’est pas pour autant qu’il peut fermer les yeux face à ses failles que les acteurs principaux peinent à combler. Le machisme, notamment, en est un des malheureux piliers. Si Rhett lui-même n’en a jamais souffert, ce n’est pas la même histoire pour certaines personnes de son entourage, et il ne peut donc que comprendre cette envie (et besoin) d’émancipation autant que d’autonomie. Fonder sa propre salle de sport est bien différent qu’en être membre d’une. Souhaitant apporter sa pierre à l’édifice, il propose donc d’en tenir quelques mots à l’antenne. Son public et celui de Chad est plus ou moins identique, alors cela pourrait effectivement aider son ami à se lancer, et il le mérite bien largement. « Tu ferais ça ? Merci beaucoup ce serait un énorme coup de pouce. Je m'essaye à Instagram, mais t'es un bien meilleur ambassadeur que moi. » - “Je fais vérifier mes posts par ma nièce, ne t’emballe pas non plus sur mes capacités d’influenceur.” Rachel a un esprit critique et, surtout, la langue bien pendue. Elle est donc la mieux placée pour lui dire qu’il est effectivement un vieux con, avec ses mots savants et ses points à la fin des phrases, en même temps que ses photos de thumbs up - mais comment ça c’est pas cool, ses pouces en l’air ? “Mais on s’occupera de ça.” Il reprend rapidement, pour lui assurer que ses mots n’avaient rien de paroles en l’air. S’il peut aider, il en serait très heureux. « Tu devrais passer à la salle à l'occasion. On est à Spring Hill, à deux pas de la caserne. » Et si Chad déborde d’enthousiasme à cette idée, la chose est perçue bien différemment chez Rhett qui tente un sourire sans saveur. “Si je suis plus sur les terrains, tu sais, c’est pas par envie de me ranger.” Il annonce bien malgré lui, ne voulant pourtant pas trop exposer ses faiblesses pour autant, ni tomber dans le pathos. “C’est juste que faut pas me demander de faire la demo des machines. Le reste, je sais faire.” Sourire, rouler des mécaniques, mettre dix minutes à trouver une chanson parce qu’il ne restera de toute façon pas plus de trois minutes sur le tapis de course. Faire semblant, ça, il sait faire, surtout alors qu’il est déjà rassuré à l’idée qu’aucun des clients de la salle ne se mettra en tête de jouer au plus fort avec lui et le poussera au maximum de ses capacités et au-delà - parce que oui, bien sûr que Rhett répondrait au défi. "C'est une bonne idée, cette salle. Le concept, je veux dire. Ça pourrait marcher au delà des frontières." Des rêves, il en a à revendre, l'australien. Autant pour lui que pour ses amis qui n'ont rien demandé. "T'y as pensé ? Ou tu voulais juste fuir Donnie de façon élégante ?" Il finit alors par demander, sincèrement curieux de la façon dont Chad voit l'avenir.

La tentative de Rhett pour éluder sa question avait eu l'effet contraire, éveillant des craintes que Chad savait irrationnelles. S'il ignorait qui avait abordé le sujet de son couple, c'était peut-être qu'il s'invitait régulièrement dans les discussions des autres, que ce fût pour le dénigrer ou à l'inverse le complimenter sur l'épanouissement un peu tardif de ses sentiments. Il n'aurait pas le fin mot de l'histoire, et n'était pas certain de vouloir l'entendre, comme souvent habitué à se blottir dans la psychose un brin égocentrique qu'il était un sujet incontournable des conversations auxquelles il ne participait pas. Conscient de sa méfiance, Rhett balaya ses doutes d'une simple phrase à laquelle il répondit avec un sourire contrit. Que son divorce fût évoqué, même de façon anecdotique, ne l'aurait pas étonné. Après tout, sa relation avec Kelly était née sur les bancs de l'université. Beaucoup avaient même été conviés à son mariage, légitimant l'avis que ses anciens camarades avaient sur la question de sa vie amoureuse. Il avait voulu embrayer sur celle de Rhett, dont le mépris pour le sujet trahissait une volonté de ne pas trop s'y attarder. Parce qu'il n'avait rien à en dire, ou refusait simplement de faire ce genre de confidences à un homme dont il n'était pas particulièrement proche. Chad ne s'en offusquait pas, car il était vrai qu'il n'était jamais parvenu à intégrer le cercle amical de Rhett. Ils appréciaient leur compagnie respective sans avoir eu trop d'occasions comme celle-ci de se retrouver seuls tous les deux, avec ce que cela impliquait d'authenticité et de profondeur des échanges. « J'imagine que ça n'a pas marché. Il y en a qui ont encore l'audace d'essayer. » avait-il répondu avec le même détachement, se dérobant ainsi à l'intimité d'une conversation qu'aucun n'était disposé à avoir.

Comme deux âmes nostalgiques, ils ressassèrent plutôt les sujets conventionnels qu'on abordait de façon tout à fait superficielle. Chad appréciait lui aussi se remémorer ces époques frivoles et révolues. Elles le rassuraient sur le chemin parcouru. « On peut s'organiser ça, de façon tout à fait officieuse. » proposa-t-il, sans pour autant offrir son jardin, qui pourrait tout à fait accueillir une bande de lurons braillards. Une technique infaillible pour ne pas avoir à se dérober. Rhett se décomposa à l'idée de vieillir, comme si Chad venait de mettre le doigt sur une inéluctabilité. Devenait-on forcément aigri sur certains sujets arrivé à un certain âge ? A quel moment cessait-on d'avoir un avis progressiste sur les choses ? « Je te rassure, t'as l'air tout à fait épargné. C'est toute la difficulté avec la connerie, contrairement à l'âge on la voit pas trop arriver. » avait-il répondu en hochant les épaules, insinuant que les autres étaient souvent les seuls capables de nous avertir. La quarantaine les attendait au tournant, pourtant Chad n'avait jamais ressenti une telle plénitude. Peut-être qu'ils allaient entrer dans la meilleure décennie de leur vie, et se rendraient compte que cette vérité changerait à chaque décennie, au gré de leurs ambitions et de leurs accomplissements. Chad fut d'ailleurs ravi d'avoir un auditeur compréhensif auquel conter ses récentes entreprises. Rhett n'était pas le dernier en termes d'ambition, et même un expert sur les questions du sport. Un thème qui les avait toujours rapprochés, contrairement à leur intimité. Il l'écouta, opinant comme si sa parole faisait écho à des idéaux auxquels il adhérait lui aussi en silence. Chad ne lui en voulait pas de ne rien dire, tout le monde n'avait pas un intérêt personnel à porter ce débat. Lui-même avait courbé le dos pendant des années alors qu'il s'était senti concerné, harcelé par des propos qu'il avait laissé infuser dans son quotidien.

« C'est donc ça le secret. C'est à une jeune photographe que je dois donner tout le crédit de mes likes sur Instagram. On est dépassé mon pote. » C'était donc un fait, ils vieillissaient. Chad l'avait remarqué quand il s'était laissé guider par la sagesse technologique de Madison, du haut de sa vingtaine. Il partait du principe qu'on ne restait pas un homme moderne sans écouter la jeunesse. Rhett semblait volontaire, et dans l'euphorie Chad en oublia les raisons qui l'avaient poussé à se retrancher derrière un micro plutôt que dans les stades. C'était très indélicat de sa part, mais il était trop tard pour faire marche arrière. « Je suis désolé, je me suis emballé. Ca fait des années que je rêve de ce projet sans avoir l'intention de sauter le pas. Je dois beaucoup à Kelly. » Il lui avait semblé plus judicieux de ne pas s'attarder sur le malaise évident de Rhett, ni même le questionner sur la façon dont il gérait une vie sacrifiée. Lui-même n'osait imaginer ce qu'il ferait sans le sport.
« Personne te mettra la pression là-bas, c'est le principe. Le seul adversaire c'est soi-même. » avait-il conclu en cherchant à soutenir le regard de l'entraineur.  Rhett s'emballa à son tour, rassurant Chad sur le fait qu'il n'avait pas totalement plombé l'ambiance en se focalisant sur lui. Même s'il était gratifiant d'avoir un appui comme le sien, il avait pour le moment des prétentions plus contenues. « Pensé à l'international ? Pour le moment pas trop. Je me concentre sur mes ambitions locales et je fais en sorte de ne pas me brûler les ailes. C'est vrai que c'est dans l'air du temps, l'inclusivité. Mais je fais ça pour aider les gens, être proche d'eux. J'ai peur que plus ça doit grandir et plus je sois forcé de m'éloigner du terrain. » Chad était conscient de cet avenir qu'il s'était tracé. Il voulait faire le succès de sa salle, mais savait également que ce succès signerait la fin de son métier de coach pour embrasser celle d'entrepreneur. Il voulait s'en préserver le plus longtemps possible. « Tu vois ce que je veux dire ? » avait-il demandé, dans l'espoir que Rhett puisse le contredire. « Par contre j'ai plein d'idées de partenariat à revendre. Développer l'aspect thérapeutique du sport notamment. »

Les échanges avec Chad sont rares, ils se comptent sur les doigts de la main au cours des années écoulées, et pourtant Rhett ne peut s’empêcher de penser à quel point ils sont précieux. Ils ne refont pas le monde, mais cela n’empêche en rien leurs mots d’avoir du poids, dans la vie de l’un ou de l’autre. « On peut s'organiser ça, de façon tout à fait officieuse. » - “Tu sais quoi? J’aime vraiment bien l’idée.” Il n’aurait pas osé émettre l’idée lui-même, mais puisque les mots viennent de Chad, il ne peut désormais que les soutenir et leur donner du poids, le connaissant assez pour savoir qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air. Sans doute aidé par l’ego rétabli grâce à son ami, Rhett ne peut que chérir l’idée d’une réunion d’anciens, pour oublier que les décennies filent trop vite, le temps d’une soirée et d’une seule. Il en touchera un mot à Hassan, sans doute, comme incapable de prendre des décisions liées à l’Université si son ami de toujours ne fait pas partie du plan. « Je te rassure, t'as l'air tout à fait épargné. C'est toute la difficulté avec la connerie, contrairement à l'âge on la voit pas trop arriver. » Il hausse les épaules, l’ancien sportif se contente d’un sourire en coin. Il pense, et espère, être encore épargné par la connerie, éternellement fidèle à lui-même depuis toujours.

D’un sujet à un autre, c’est avec ce même éternel sourire en coin, supposé dédouaner le moindre de ses mots, que l’australien confie avoir besoin de l’aval d’une adolescente (ou jeune adulte, certes) pour poster la moindre photo sur son compte Instagram. « C'est donc ça le secret. C'est à une jeune photographe que je dois donner tout le crédit de mes likes sur Instagram. On est dépassé mon pote. » Avec une tape contre l’épaule en guise de réponse, Rhett ne peut qu’approuver ces paroles: ils sont carrément dépassés. “A qui le dis-tu. Le voile tombe.” Mais il n’ira pas plus loin qu’une discussion entre eux. Rhett n’a pas hésité un seul instant avant de lui parler de cette anecdote, mais il n’en serait pas de même avec beaucoup d’autres personnes encore, et le nombre d’années qu’ils ont passé à se connaître ne sont pas la seule raison à cela. Il lui fait tout simplement confiance. « Je suis désolé, je me suis emballé. Ça fait des années que je rêve de ce projet sans avoir l'intention de sauter le pas. Je dois beaucoup à Kelly. » Loin de la simple blague, cette fois-ci, c’est avec une certaine émotion qu’il replonge son regard dans celui du Taylor. Puisqu’il n’a aucune idée de ce dont il peut dire ou non au sujet de son ex-femme, et surtout de la relation qu’ils entretiennent désormais, il se contente d’être sincèrement heureux pour lui. “Elle a fait beaucoup pour un bon nombre de personnes.” qu’il se contente simplement d’ajouter, plus flou que jamais alors qu’il ne veut pas avoir à laisser traîner le nom d’Hassan dans la discussion. Kelly était discrète, elle l’est encore aujourd’hui, mais son absence aurait été lourde de conséquences dans le quotidien de beaucoup d’entre eux. Elle n’est pas de celles et ceux avec qui Rhett se noue naturellement d’amitié mais sa présence a toujours été bénéfique. Aujourd’hui, il est heureux d’entendre qu’elle ait aidé Chad à mettre en place ce projet, lequel compte autant pour lui désormais. « Personne te mettra la pression là-bas, c'est le principe. Le seul adversaire c'est soi-même. » Le genre de chose qui est plus facile à dire qu’à assimiler, pas vrai ? Rhett dévie son regard sur la troupe de Père Noël, mimant leur donner son attention pour un temps. “J’y réfléchirai.” Il viendra, il a seulement besoin de temps pour calmer son caractère éternellement têtu.

Plutôt que de s’avancer sur sa présence ou non dans la salle de sport pour les mois à venir, il préfère encore se la jouer entrepreneur et questionner Chad sur ses projets d’avenir, projetant sans doute sur autrui ses propres rêves de grandeur. « [...] Tu vois ce que je veux dire ? » Bien sûr, oui. Il hoche rapidement la tête pour le rassurer à ce sujet, ne voulant pas être celui qui lui chante les bénéfices que pourraient lui accorder une extension de sa salle et bla bla bla. Il ne fait que balancer des idées en l’air et si Chad n’a aucune intention de les suivre, alors il se range sans aucun mal de son côté. « Par contre j'ai plein d'idées de partenariat à revendre. Développer l'aspect thérapeutique du sport notamment. » - “Je trouve ça bien, ce que tu fais. Pour ce que ça vaut.” Pour ce que son avis vaut, et non tous les efforts que Chad met dans cette idée et sa réalisation. Une part de l’ancien sportif est réellement fier de lui, en réalité, mais il n’a pas l’audace de le lui présenter en ces termes pourtant simples. “Si je passe faire un tour de temps à autres, tu me feras le point sur l’avancée de tes idées ?” Il viendra, tous deux savent que ce n’est qu’une question de temps, mais Rhett ne veut pas laisser l’opportunité de reprendre contact de façon plus pérenne avec son ami lui passer sous le nez. “Et on pourra peut-être discuter de cette réunion officieuse.” Il l’espère, du moins.

Attendue, l'approbation de Rhett lui arracha néanmoins un sourire réjoui. En s'égarant dans des pensées introspectives, Chad avait manqué de nombreuses occasions de profiter de l'instant présent. Il n'avait pas proposé ces retrouvailles pour se donner l'illusion d'avoir essayé à un moment donné, mais bien parce que croiser son ancien camarade dans un contexte incongru lui avait donné envie de forcer les circonstances. Le pire dans l'histoire, étant certainement que la présence d'Hassan dans le voisinage ne fût pas un motif suffisant pour le croiser. Il avait même fallu un chien égaré pour le contraindre à sonner à sa porte, comme s'il y avait autre chose, le spectre de leur relation avec Kelly sans doute, qui les tenait à distance l'un de l'autre. Chad n'avait plus vraiment de raison de tourner le dos au passé maintenant qu'il avait fait la paix avec ses choix. Il éclata de rire, à l'évidence pas si inquiet à l'idée d'avoir besoin d'être conseillé par plus jeune que lui pour garder un pied dans la modernité. C'était sans doute ce qui les conservait si bien Rhett et lui, d'ailleurs. « Ah oui ? Ca ne m'étonne pas. » Chad était heureux de pouvoir évoquer à nouveau Kelly avec toute la passion et la tendresse qu'il éprouvait pour elle. Il avait beaucoup lutté les mois après leur dispute pour se convaincre qu'elle n'avait plus aucune emprise sur sa vie. Devoir choisir entre elle et Casey était un dilemme auquel il avait dû se résoudre à deux fois, et dans un cas comme dans l'autre il s'était senti incomplet, comme privé d'une partie de lui. Leur réconciliation, comme leurs différends, n'était plus un secret depuis que Hassan était dans la confidence. Mais Chad s'était rendu compte, sans grand étonnement, à quel point son ex-femme était discrète sur l'état de ses relations avec les gens. Du moins quand elles n'étaient pas au beau fixe, parce qu'elle en assumait souvent une part d'échec plus ou moins fondée. Elle n'était pas du genre à se répandre sur ses peines de cœur.

Les habitudes avaient la peau dure. Rhett avait raffolé de l'attention autrefois, et Chad le soupçonnait d'avoir quelques restes d'orgueil quand il prétendait réfléchir pour le simple plaisir de ne pas dire oui. Au fond, ils savaient bien tous les deux que c'était une promesse tacite, et le pompier s'en satisfaisait très bien si cela pouvait consoler son ami d'être toujours si spécial aux yeux de certaines personnes. En ce qui le concernait, son avis comptait bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer.  « Ca vaut beaucoup. Tes idées seront toujours les bienvenues. » avait-il répondu, moins pour le brosser dans le sens du poil que parce qu'il trouvait sincèrement que la carrière de Rhett avait été exemplaire. « Pour ce que ça vaut, je t'ai toujours admiré. Et il n'y aura jamais trop de cerveaux et de muscles pour faire tourner la boutique. » Il le gratifia d'un sourire déférent. Dans tous les cas, l'affaire était lancée, mais pour une raison qu'il ignorait il se voyait déjà refaire le monde avec Rhett, s'imprégner de ses expériences pour proposer des solutions adaptées à ceux qui, comme lui, ne se sentaient plus à leur place dans un lieu qu'ils chérissaient par ailleurs.  « Tu sais que ce sera un plaisir. On reste en contact. » avait-il promis, son regard déviant à son tour vers le défilé de rouge et de blanc qui détonait dans le bleu de l'océan. Le rendez-vous était pris dans tous les cas.