Il n’aura passé que quelques jours loin du café, assurant toujours les services du midi ou du soir avec son genou mal en point pour ne pas avoir l’impression d’abandonner Lily. C’est à sa santé que Carl aurait avant tout pu penser mais ce travail est presque tout ce qui lui reste, quand il tire le bilan de sa triste vie après deux années passées en terre australienne. La vérité c’est qu’il ne sait pas s’il restera au DBD ni même dans cette ville à court ou moyen terme, Carl imagine même beaucoup moins un futur à Brisbane depuis son agression alors que celle-ci n’aura été que le strident rappel des ennuis qu’il s’attirera toujours, partout où son errance pourra le mener. Car errer telle une âme en peine dans un monde pas fait pour lui est bien ce que le garçon a le sentiment de faire depuis toujours, prisonnier d’un corps qu’il ne supporte pas et d’une tête qu’il ne comprend pas non plus. Son équilibre reste quant à lui fragile depuis le retrait de ses béquilles et ses pensées vagabondes se multiplient chaque jour un peu plus, au point où Carl n’a jamais été autant dispersé dans son travail. Trouver un sens à celui-ci comme au reste s’avère bien compliqué ces temps-ci, c’est sans doute un miracle qu’on ne lui ait pas encore montré la porte avec toutes les étourderies qu’il peut aligner même s’il n’a pas – encore – causé de véritable drame entre les murs de ce café. Les jours se suivent et se ressemblent, les clients vont et viennent sans que Carl n'y prête plus réellement attention et c'est pourtant sur l'une d'elles que son regard s'attarde, aujourd'hui. La brune assise à la table numéro quatre semble attendre sa commande depuis un moment et il devine que le collègue en charge de celle-ci rencontre un petit contretemps en cuisine, sans imaginer que ce dernier lui demandera d'assurer le service à sa place. Carl y voit une bonne occasion de se rendre utile et elles sont rares elles aussi, le voilà donc qui récupère le café de la fameuse cliente pour l'apporter à sa table, ravi de servir à quelque chose et percevant presque un challenge dans une tâche pourtant bien banale. C'est dire à quel point son quotidien manque de saveur, ces derniers temps.

Le visage de cette jeune femme ne lui dit rien, Carl en déduit qu’elle ne doit pas être une grande habituée du DBD mais à trop l’analyser, c’est à la fois son équilibre et son peu d’adresse qui finissent par lui échapper. « Voilà votre.. oh nooon ! » La tasse qu’il pensait correctement tenir lui glisse entre les mains pendant que l’appui de sa jambe convalescente cède sous sa mauvaise posture et Carl se voit tenter d’éviter le drame au ralenti, sans succès. Le café brûlant se répand alors sur la table jusqu'à se déverser sur les genoux de la malheureuse cliente, le tout sous le regard paniqué du garçon dont le cœur pourrait à cet instant sortir de sa poitrine. S'il pouvait mettre ce moment sur pause Carl n'hésiterait pas une seconde mais rien ne peut déjà plus le sauver à ce stade. « Mon dieu je.. je suis horriblement désolé ! » C’est bien beau de l’être mais les dégâts, eux, se font déjà sentir chez la cliente dont l’agacement est palpable alors que de son côté, le jeune irlandais réunit déjà toutes les serviettes qu'il peut trouver dans l'idée d'éponger cette mare de café. « Je sais pas ce qui m’a pris, c’est.. la tasse qui.. elle.. m’a échappé des mains. » Carl est certes connu pour être très maladroit mais il ne l'a jamais été au point d’offrir une douche de café aux clients. C’est certainement la pire chose à travers laquelle il pouvait s’illustrer ici et s’il parvient encore à conserver son boulot après ça, il n'aura plus qu'à aller jouer au loto dans la foulée. « Votre tenue.. elle est.. » complètement ruinée grâce à lui, qu'on l'applaudisse sur le champ. Le bonhomme tremble maintenant de la tête aux pieds, il pourrait sincèrement pleurer de honte s’il n’était pas avant tout chamboulé par l'affreux désastre qu’il vient de causer. « Imbécile. Imbécile. Imbécile. Je suis qu'un pauvre imbécile. » il peste contre lui-même tout en portant une main à son crâne, frappant sa tempe tout en se remémorant ces mots dont son beau-père aimait tant l’affubler autrefois. À la maison déjà Carl était la maladresse incarnée et s’il oubliait juste un instant où il se trouve, il pourrait presque croire qu’Hector passera bientôt l’une de ces portes pour lui donner la correction qu’il mérite.

Des excuses et une sacrée dose de honte, voilà tout ce qui reste à Carl après que sa maladresse se soit déversée sur cette pauvre cliente et les affaires de celle-ci, de ses vêtements à son sac en passant même par son téléphone. Toutes les cases semblent être cochées alors que le café n'a visiblement rien épargné, renforçant l'embarras déjà conséquent du bonhomme qui donnerait vraiment tout pour se faire oublier. Il voudrait s'enterrer Carl, disparaître dans un nuage de poussière plutôt que d'affronter les prochaines minutes et les remontrances légitimes de cette jeune femme dont il vient assurément de gâcher la journée – comme si ruiner sa commande et sa tenue n'était pas déjà amplement suffisant. « Foutue. Oui. » C'est bien ce que ses yeux constatent quand ils se posent nerveusement sur cette robe redécorée par ses soins, les fleurs ornant celle-ci se débattant désormais entre les tâches de café. On dit que le blanc est salissant mais Carl aurait grandement préféré ne pas confirmer cette idée reçue de la plus radicale des façons, une preuve de plus qu'il ne sait pas faire plusieurs choses à la fois et que ses mains ont toujours autant de mal à se coordonner avec le reste. Quand il pense trop le bonhomme ne maitrise plus grand-chose et ses gestes ne suivent tout simplement plus, à l'image de ce plateau qui lui a échappé sans qu'il ne comprenne encore comment. « Cette robe était toute neuve en plus… » Une précision dont Carl n'a pas du tout besoin car la gêne le dévorant ne fait qu'accroitre doublement après ça. Cette robe est à peine sortie du magasin qu'elle se trouve déjà baptisée au café. « Je suis.. » affreusement désolé, oui, ce n'est pas comme s'il ne l'avait pas déjà dit. Il pourrait même le répéter un million de fois que ça n’y changerait rien, ses excuses ne cesseront jamais d'être sincères mais ce moment, lui, n'en sera pas pour autant effacé. « Vous avez intérêt à me payer le pressing… » C'est une option que le garçon n'a pas encore eu le temps d'étudier mais s'il peut faire quoi que ce soit pour rattraper sa faute, bien sûr, Carl ne se fera pas prier. « Tout ce que vous voudrez, oui, c'est.. c'est pas un souci. » il balbutie en s'agitant sur ses deux jambes, conservant cette fois l'équilibre qui lui a manqué un peu plus tôt car jamais le bonhomme n'a autant souhaité tenir droit. Il n'est plus question d'avoir un geste malheureux, plus question non plus d'assurer un service à la place d'un autre car c'est aussi ce qui l'a perdu, si on l'écoute.

La prochaine fois il laissera son collègue se débrouiller avec ses commandes et il se contentera d'honorer les siennes, dans ce sens au moins il ne commet pas trop d’impairs. « Je vais faire comment maintenant ? Rentrer chez moi trempée ? comme ça ? J’en ai même dans mes chaussures ! » Carl grimace en se figurant l'inconfort de la cliente alors que celle-ci hausse le ton, suffisamment pour le faire trembler à son tour. « Je peux peut-être voir s'il y a un moyen de sécher tout ça, euh.. » En vérité il ne sait pas quelle solution lui soumettre, ce n'est pas comme s'il avait des vêtements de rechange à lui donner à moins de farfouiller dans le casier de Wendy, un problème de plus que Carl évitera de s'attirer alors que sa posture n'a déjà rien d'enviable. Il n'aime pas penser que cette cliente rentrera chez elle dans cet état et il ne peut même pas proposer de la ramener, Carl ne possédant rien d’autre qu’un skate qui n’a pas revu la lumière du jour depuis son récent passage à tabac. « J’aimerai parler à votre supérieur. » Son cœur rate un battement de plus tandis que son regard s'affole, suppliant déjà la cliente de ne pas en arriver là car des ennuis avec Lily est bien la dernière chose dont le garçon ait besoin en ce moment. « Non s’il vous plait ! Je.. je paierai ce qu’il faudra, je peux même vous racheter une robe mais ne dites rien à ma patronne. » Il se voit déjà perdre son travail si l'incident remonte jusqu'aux oreilles de Lily dont la patience finira bien par connaître ses limites avec lui, il en est persuadé. Et puis il s’attend aussi à ce que la cliente s’assure qu'il ne puisse plus jamais servir le moindre café de sa vie, lui qui ne sait strictement rien faire d’autre – et le fait déjà très mal. « Elle attend un bébé, ce serait pas bon de la stresser en ce moment vous.. vous comprenez ? » il reprend d'une voix tremblante et là-dessus Carl ne ment pas, il se soucie réellement de lui causer des contrariétés même s'il craint tout autant de perdre des points à ses yeux ou pire, pire, de décevoir celle-ci. « Combien ça coûte une robe comme ça ? Et votre sac je.. je peux le rembourser aussi s’il est fichu. » Le téléphone et les chaussures même s'il faut, ce n'est pas comme si Carl était très regardant sur ses dépenses et aujourd'hui encore moins qu'un autre jour. « On peut s'arranger pas vrai ? Je vous promets que c'est la première fois que je suis aussi maladroit, c'est un mauvais jour et on vient à peine de me retirer mes béquilles alors.. » Toujours plus d'excuses que le garçon se cherche alors qu'ils semblent au moins raccord quant au fait de passer une très mauvaise journée. La sienne aussi est foutue et ce soir Carl ne pourra que rouler en boule sous sa couette en se répétant qu'il est une plaie pour la société et qu'il n’est bon qu’à détruire tout ce qu'il touche, un refrain qu'il connait à force par cœur.

Carl ferait n'importe quoi pour obtenir miséricorde car la simple idée qu'une cliente puisse quitter ce café en ayant une dent contre lui l'empêchera assurément de dormir durant les trois prochains jours. Il a bien assez de problèmes dans cette ville pour ne pas y rajouter la rancœur de cette jeune femme, c'est une personne de plus qui risque de ne plus pouvoir l'encadrer et il n'a pas besoin de ça, voilà pourquoi le garçon se tient déjà prêt à payer tout ce qu'il faudra pour apaiser les esprits de tout le monde. Celui de cette cliente dont il a anéanti la robe et le sac mais aussi le sien, histoire de se donner bonne conscience et de rentrer ensuite chez lui un peu moins dépité. C'est bien le minimum que Carl estime pouvoir faire, tous les serveurs de ce café ne pourraient pas se le permettre mais il peut personnellement compter sur l'argent mis de côté après HOS, sans imaginer toutefois le véritable coût de ce qu'il s'engage à rembourser. « La robe est dans les six cent dollars… » S'il avait été en train de boire à ce moment-là Carl se serait à coup sûr étouffé, au lieu de ça c'est tout entier qu'il sursaute avant d'ouvrir de grands yeux médusés. « Pardon ?? Tant que ça ? » Il n'en revient pas, cette robe ne paie pas de mine quand on la regarde comme ça alors comment imaginer qu'elle ait pu coûter plusieurs centaines de dollars à sa propriétaire. Carl n'y connait strictement rien en matière de mode comme son récent passage par le Fashion Show de Brisbane l'a bien prouvé, il a donc peut-être une robe de créateur sous les yeux sans être un seul instant capable de l'identifier. Et le garçon n'est pas au bout de ses surprises puisque la note est sur le point de s'alourdir, lui faisant presque instantanément regretter de ne pas être assis. « Et le sac, c’est facilement deux milles dollars, voir plus. » Cette fois c'est sa mâchoire qui menace de se décrocher pour tomber à ses pieds, ses yeux interrogent même la cliente pour s'assurer qu'elle ne cherche pas à lui faire peur mais elle est de toute évidence très sérieuse, trop sérieuse même pour que Carl puisse plus longtemps en douter. « Heiiin mais.. vous êtes quoi, une célébrité ou un truc du genre ? » il questionne d'un air abasourdi car c'est bien la première idée qui lui vient, imaginant aussitôt que seule une star pourrait se permettre de telles dépenses à moins d'être tout simplement amatrice de belles pièces, s'apparentant surtout pour lui à des choses hors de prix. « J'ai cet argent hein, croyez pas mais je.. j'avais pas forcément prévu que ça me reviendrait aussi cher, quoi. » Il ne l'avait certes pas prévu mais c'est bien lui qui s'est proposé alors si cette cliente décide qu'il devra lui repayer une nouvelle robe et le sac allant avec, Carl s'exécutera sans rechigner. C'est un argent qu'il aurait évidemment préféré investir autrement mais s'il peut au moins y gagner le pardon de cette cliente ainsi qu'une tranquillité d'esprit toute relative, ce sacrifice mérite sans doute bien d'être fait. Il évitera simplement de préciser à Maisie dans quoi sera encore passée une partie de sa cagnotte car si le coût de sa première fois tarifée a déjà pu la choquer, elle ne pensera sans doute pas du bien de ses prochains frais. Oups.

S'il est en tout cas coupable de quelque chose c'est bien de tenter d'éveiller ne serait-ce qu'un soupçon de pitié chez cette jeune femme, comme si brandir la carte de ses béquilles fraichement retirées allait réellement arranger son cas. Carl n'est pas fier d'en arriver là, sa récente agression n'est pas censée devenir une excuse dont il se servira à la moindre occasion pour justifier sa maladresse mais il est pourtant convaincu que ce plateau ne lui aurait pas échappé des mains si son équilibre avait été un peu meilleur aujourd'hui. Il pourrait maudire Seth de parvenir à lui pourrir la vie jusque dans son travail même en étant derrière des barreaux mais c'est bien à lui-même que le bonhomme en veut, alors qu'une fois de plus il prouve qu’il ne peut pas couler sans entrainer les autres avec lui. Carl ne fait qu'enchainer les mauvaises journées depuis sa confrontation avec l'ainé Moriarty mais cette cliente n'avait pas à en pâtir, alors si elle décide d'en informer Lily ce sera finalement bien fait pour lui. « Je m’en fou que ce soit la première fois ou qu’on vienne de vous retirer vos béquilles… Moi je vais devoir passer ma journée trempée et gelée, avec du café sucré plein mes sandales. En plus de me taper la honte dans toute la ville je vais chopper la crève à coup sur ! » Il n'aimerait pas être à sa place c'est certain car il y a quelques semaines lui aussi s'est retrouvé à devoir arpenter les rues de cette ville dans un bien piteux état. Le poids du regard des autres Carl le connait bien, il n'a aucun mal à imaginer cette honte que la cliente évoque et qui n'arrange vraiment pas sa culpabilité. « Non mais vous pouvez rester le temps que ça sèche, je peux quand même pas vous laisser repartir comme ça.. » Bien sûr que non, Carl n'en fera rien parce qu'il est aussi de son devoir de veiller à limiter les dégâts en admettant qu'il le puisse. Il ne pourra sans doute rien faire pour les affreuses tâches de café sur sa robe mais si elle pouvait au moins éviter de tomber malade à l'arrivée, le garçon en serait au moins un peu soulagé. « Vous habitez loin d'ici ? » La question lui échappe avant de réaliser qu'elle est certainement déplacée et qu'il s'agit même de la dernière chose à demander à une cliente que l'on vient à peine de rencontrer, quand bien même Carl souhaite seulement s'assurer qu'elle n'aura pas réellement à traverser toute la ville comme elle a pu l'insinuer. « J’sais bien que vous pouvez pas faire grand chose de plus à ce stade mais … merde quoi. » S'il pouvait faire quelque chose il ne fait aucun doute que le garçon serait déjà à l'œuvre, hélas son rôle lui offre un champ d'action très limité comme ses bras retombant mollement le long de son corps le font bien ressentir. « J'aurais pas dû prendre la place de mon collègue, c'était pas ma commande et maintenant tout est fichu. Vous aviez l'air d'attendre depuis un moment, je voulais juste rendre service.. » Et il regrette forcément de s'être mêlé de ce qui ne le concernait pas, ici comme partout le client est roi mais il y a des limites à vouloir bien faire, surtout quand on n'est pas capable de prendre la relève sans tout ruiner. Carl reste éternellement animé de bonnes intentions mais celles-ci n'en finissent pas de se retourner contre lui, comme s'il ne pouvait pas tenter de se rendre utile sans s'attirer sans cesse de nouveaux ennuis. Il peut toujours prétendre que ça lui servira de leçon pour la prochaine fois, mais personne n'y croirait vraiment. « Vous auriez au moins une serviette ou un torchon pour que j’essaie de me sécher un peu ? » Il hoche la tête avec énergie, bien décidé à satisfaire cette maigre requête à défaut de pouvoir faire beaucoup plus. « Oui bien sûr, je.. je vais vous chercher ça ! » Et le voilà qui s'éclipse déjà en cuisine, revenant moins d’une minute plus tard avec ladite serviette pour la confier délicatement aux mains de la cliente. « Tenez ça devrait faire l'affaire, on a des toilettes aussi si vous voulez vous nettoyer un peu. » Il n'y a plus rien à faire pour sa robe, Carl l'a bien compris mais un coup d'eau ne sera sûrement pas du luxe pour ses jambes ou toute autre partie de son corps que le café n'aura pas épargné. « Je m'appelle Carl au fait, si jamais ma patronne vous demande le nom de l'imbécile qui a tout renversé. Elle sera pas surprise, j'ai un peu menti en disant que je suis pas aussi maladroit d'habitude. » Il part déjà du principe que Lily en sera informée, c'est après tout ce que la cliente a menacé de faire et il ne lui aura pas fallu longtemps pour y croire. Quant à son petit mensonge, foutu pour foutu il peut bien tout avouer. « Ce café c'est un peu ma deuxième maison vous savez, j'aime vraiment mon travail même si je le fais pas toujours très bien. Promis, tous les serveurs sont pas aussi empotés que moi. » Non, bien sûr, la plupart fait même très bien son travail mais il cherche déjà ses arguments pour la convaincre d'accorder une deuxième chance au DBD, car il n'y a après tout aucune raison que sa maladresse entache la réputation de l'établissement alors qu'il reste le seul responsable de ce désastre.

Le prix de cette robe ne peut que le choquer car jamais Carl n'aurait l'idée d'investir autant d'argent dans des vêtements, il n'a même pas renouvelé les siens depuis des années et sur ce point la cliente et le serveur sont certainement de parfaits opposés. Peut-être a-t-il d'ailleurs affaire à une célébrité, c'est le raccourci que le garçon effectue pour mieux intégrer le fait que son sac aille quant à lui chercher dans les deux mille dollars, mais sans porter le moindre jugement sur le train de vie de cette jeune femme qui reste évidemment libre de dépenser comme elle l’entend. C'est surtout qu'un rien l'impressionne Carl, lui qui n'a jamais claqué des sommes folles dans quoi que ce soit – si on met de côté sa future initiation avec une experte – et que le luxe n'a pour le coup jamais attiré, comme en témoignent sa modeste garde-robe et le sac à dos qu'il emporte partout, dont le prix ne devait même pas faire un centième de tout ce qu'il a ruiné aujourd'hui. Pas de quoi le rassurer sur l'ampleur des dégâts causés par sa maladresse du jour, ni même sur le remboursement qu'il devra potentiellement assurer auprès de cette cliente pour retrouver un semblant de bonne conscience. « J’imagine oui… sans quoi vous auriez fait plus attention. » C'est ce qu'il convient logiquement de penser mais Carl ne peut rien affirmer, car son équilibre n'aurait pas nécessairement été meilleur s'il avait été prévenu de la double attention à prêter à cette cliente et aux effets personnels de celle-ci. C'est un empoté de première dont les gaffes ne préviennent pas, il aimerait pouvoir dire que c'est juste un mauvais jour mais personne ne peut être certain que l'incident restera isolé, pour la simple et bonne raison que Carl a plus d'une catastrophe causée entre ces murs à son actif. Il n'avait encore jamais renversé le moindre café sur quelqu'un, certes, mais ne dit-on pas qu'il y a une première fois à tout ? « ça n'vous regarde pas… » Le garçon exerce un léger mouvement de recul tandis que la cliente ne manque pas de le remettre à sa place de serveur. Il craignait que sa précédente question ne soit de trop et c'est bien ce que cette réponse tend à lui confirmer, Carl n'ayant pourtant jamais eu l'intention d'outrepasser son rôle car c'est bien du confort de cette jeune femme qu'il s'est avant tout soucié. Sauf qu'on ne demande pas à une cliente où elle habite, c’est la règle, peu importe que les circonstances l'encouragent ou non. « Pardon, je.. j'aurais pas dû vous poser cette question. » Non content d'être affreusement maladroit Carl se révèle aussi d'une indiscrétion sans nom et il s'en veut de ne pas être capable de se rattraper dignement, comme si l'univers l'avait au lieu de ça condamné à enchainer les faux pas. Au point où il en est Carl peut bien avouer que cette commande n'était initialement pas la sienne, des fois que la cliente n'ait pas remarqué que le garçon qui l'avait prise en charge n'est pas celui qui l'a finalement apportée à sa table. Ce genre d'initiatives ne sont de toute évidence pas pour lui, il voulait faire gagner du temps à tout le monde mais le résultat parle de lui-même : la prochaine fois il fera mieux de s'abstenir et de se limiter aux tâches qui lui sont confiées. C'est tout aussi honteux qu'il dévoile son nom à la jeune femme, supposant qu'elle en fera usage auprès de sa patronne quand elle viendra se plaindre de lui car il ne faudrait pas en plus qu'un doute puisse subsister sur l'identité du serveur qui a anéanti sa commande, ainsi que sa journée. « Ecoutez… je n'vais pas vous balancer à votre patronne, c’est pas mon genre, même si franchement sous le coup de la colère j’aurais pu le faire… » Il relève la tête pour croiser le regard de la cliente, s'étonnant aussitôt de pouvoir y lire une forme de sincérité. « Vraiment ? » Elle n'a aucune raison de le protéger, aucune raison d'être clémente avec lui et pourtant Carl comprend qu'il y échappera cette fois-ci, de quoi lui arracher un long soupir de soulagement. La cliente laisse après ça entendre qu'elle n'aurait pas dû lever la voix sur lui, confiant au passage que les maladresses font aussi partie de son quotidien dans son travail et souhaitant lui éviter d'avoir des ennuis avec sa supérieure comme elle peut elle-même en avoir avec la sienne. « (...) Surtout si vous aimez autant votre job, ce serait bête d’y venir à reculons tout les matins à cause de ça. » Ce retournement de situation laisse Carl pantois, il commençait à se douter que son nom ne remonterait finalement pas aux oreilles de Lily mais jamais il n'aurait pu s'attendre à une telle prévenance de la part de celle qui était un peu plus tôt très remontée contre lui. « Je sais pas quoi dire, c'est.. » la première fois qu'on lui offre ce genre de deuxième chance quand il y pense, et cette pensée suffit à émouvoir le garçon dont le regard reconnaissant se pose sur la cliente avec la plus grande précaution. Il ne sait même pas s'il mérite cette indulgence que les gens n'ont généralement pas avec lui, préférant toujours le condamner à sa première erreur dans ce café comme en dehors. « Merci, vraiment. Je vous promets de faire hyper attention la prochaine fois, enfin.. mes collègues feront attention, plutôt. » Car il semble évident que ce ne sera plus à lui de s'en occuper si par miracle cette cliente consent à repasser les portes de ce café après l'incident du jour, qui semble l'avoir tout de même pas mal vaccinée.

La prochaine fois qu'il mentionne reste donc très hypothétique mais il peut toujours rêver, et se rassurer avec l'idée qu'elle ne tirera pas forcément un trait sur le DBD. « Je vais faire un tour aux toilettes, voir si je peux sauver ma robe et mes jambes… Puis je prendrais un uber pour rentrer chez moi. » Carl proposerait bien de la rembourser aussi pour le uber mais il craint d'en faire beaucoup trop, sachant que la cliente n'est même pas revenue à la charge pour le remboursement de sa robe et de son sac. Il se contente donc d'un hochement de tête avant de désigner d'une main l'emplacement des toilettes en question. « D'accord, euh.. c'est la première porte que vous trouverez sur votre droite. » Une précision peut-être superflue si la cliente n'en est pas à sa première venue dans ce café mais puisqu'il ne l'avait jamais vue auparavant, Carl en déduit qu'elle ne doit pas être une habituée des lieux. « Pendant que je fais ça… vous pourriez me refaire mon café à emporter ? Histoire de ne pas avoir payé pour rien. » Une mission lui est à nouveau confiée et celle-là, le jeune serveur entend bien l'honorer comme il se doit. « Bien sûr, oui, je m'en occupe tout de suite et rassurez-vous, vous ne paierez rien du tout. » Ni ce café, ni le premier que Carl a honteusement ruiné car la maison est bien obligée de faire un geste – ou disons plutôt qu'il piochera directement dans ses propres pourboires pour renflouer la caisse afin que l'établissement ne subisse aucune perte par sa faute. Après quoi il s'empresse d'aligner les pas vers le comptoir pendant que la cliente rejoint la porte indiquée, mettant déjà de côté les petits chocolats qu'il glissera pour le dédommagement car même si ça ne risque pas d'y changer quoi que ce soit, le garçon y tient vraiment. Les minutes lui paraissent alors bien longues jusqu'au retour de la jeune femme, dont le passage aux toilettes ne semble pas avoir été vain s'il en juge la nette atténuation de la tâche sur sa robe. Un coup d'eau n'était peut-être pas du luxe tout compte fait, Carl n'avait pas vraiment d'espoir en le suggérant un peu plus tôt mais il faut croire que ses idées ne sont pas toujours les plus mauvaises comme il se l'est souvent répété. La cliente n'a toutefois pas l'air de bien meilleure humeur, signe qu'il ferait sans doute mieux de garder ses pensées pour lui et de lui remettre simplement son café en veillant cette fois à ne rien renverser. « Attention à ne pas vous brûler. » il formule dans un modeste sourire, scellant soigneusement le gobelet avec un couvercle avant de le faire glisser vers elle sans effectuer de geste malheureux, cette fois. « Merci Carl. » Elle a retenu son prénom et sur le moment, Carl ne sait pas s'il doit s'en sentir flatté ou non. Ce n'est pas comme s'il s'attendait à ce qu'on se rappelle positivement de lui aujourd'hui, tout indique même qu'il ne laissera pas un très bon souvenir à cette cliente alors il n'y a certainement pas de quoi en être honoré. Son seul regret restera peut-être de ne pas connaître son prénom en retour, ne serait-ce que pour satisfaire sa curiosité mais il n'est clairement pas en position de le lui demander, il le sait bien. « Si on se revoit j’espère que ce ne sera pas dans les même circonstances du coup… » Un espoir également partagé par le bonhomme même s'il n'est honnêtement pas certain qu'il fera encore partie de ce café quand elle décidera d'y revenir, en admettant que le destin ne se charge pas de les réunir ailleurs et d'une toute autre façon. « Passez une belle journée. » Il rend à la cliente son sourire à défaut de pouvoir faire plus, et ne sachant toujours pas s'il sera amené à rembourser quoi que ce soit comme il s'y est pourtant engagé. Elle n'a pas pris son contact alors le garçon s'interroge, c'est peut-être une autre faveur que cette jeune femme choisira de lui faire alors qu'il était réellement prêt à dépenser le nécessaire pour amortir cette double perte. « Vous aussi et.. encore désolé. » il souffle d'un air navré, gardant toutefois pour lui la centaine d'excuses dont il voudrait encore la gratifier car elle a certainement déjà compris que Carl s'en voulait atrocement. Son regard ne lâche pas la cliente pendant que celle-ci quitte le café et à peine a-t-elle disparu de son champ de vision que le garçon se tourne déjà vers sa plus proche collègue. « Wendy ? Je vais prendre l'air cinq minutes. » C'est une façon de lui demander d'assurer ses arrières si on cherche après lui car le garçon a bien besoin d'un break après ces émotions fortes et la frayeur qu'il est parvenu à se faire tout seul. Carl se réfugie alors dans la réserve, son lieu de prédilection pour relâcher la pression lorsqu'il connait des journées compliquées et celle-ci n'échappe pas à la règle, comme le montre bien son visage enfoui entre ses mains et les noms d'oiseau que le garçon s’attribue après ça. La honte l'emporte sur tout le reste et Carl se jure de ne plus jamais être ce genre d'incapable faisant fuir les clients, de quoi le convaincre que ce boulot n'est peut-être plus fait pour lui.