Si Carl n’a pas caché à sa colocataire son souhait d’être un peu plus courageux cette année, il n’aurait pas pour autant cru que cette résolution prise le mettrait à l’épreuve aussi vite. Reprendre ses études, le garçon y a longtemps songé sans en faire un réel projet mais cette idée a enfin le mérite d’exister pour de vrai depuis qu’Adèle s’est mis en tête de l’y pousser, convaincue que Carl a bien plus de potentiel qu’il ne l’imagine et qu’il est aussi grand temps pour lui de suivre la branche de ses rêves. Parce qu’il n’enchaînera pas les petits boulots toute sa vie à moins de vraiment y tenir, en piétinant ses ambitions comme il l’a déjà bien trop fait alors qu’un domaine, un seul, l’intéresse depuis toujours en plus d’être celui dans lequel Carl n’a aucun mal à briller. Il pourrait entreprendre de grandes choses s’il s’en donnait les moyens, pourquoi pas même devenir chercheur, statisticien ou professeur, tout autant de portes que le garçon pourrait s’ouvrir s’il consentait seulement à débuter une chose sans aussitôt l’abandonner et ce, pour la première fois de sa vie. Il possède l’expérience requise pour entamer un Bachelor en Mathématiques, le cursus qui l’a toujours secrètement fait rêver, alors pourquoi devrait-il s’en priver ? La peur est grande il faut l’avouer quand il pense au fait de conjuguer sa vie avec l’université, un lieu où il n’a encore jamais mis les pieds et dont la simple évocation suffit à lui donner le tournis. Trois ans pour obtenir le diplôme tant désiré, n’est-ce pas trop optimiste pour quelqu’un comme lui ? Quelles sont les chances pour que Carl jette l’éponge, ou se mette à douter de lui au point de se voir déjà échouer par principe ? Il a les maths dans le sang, n’importe qui s’accorderait à le dire et si la démarche d’inscription qu’il a effectuée les mains tremblantes lui a valu l’approbation de l’université du Queensland, c’est bien pour une raison. Cette nouvelle aventure pourrait même débuter dès la mi-février si Carl ne décidait pas finalement d’y renoncer, l’éternel risque existant avec lui mais avec une colocataire déterminée à veiller sur ce projet, le garçon n’aura sans doute pas l’occasion de faire machine arrière.

Et puis, c’est peut-être aussi parce qu’il voudrait enfin donner tort à son beau-père qu’un élan de courage semble l’animer aujourd’hui, ce dernier étant toutefois très relatif à quelques minutes de ses premiers pas dans l’arène – où il ne manque déjà plus que les lions pour venir le dévorer. À quelques semaines de sa rentrée, Carl se retrouve donc en mission repérage pour se familiariser avec l’université, l’idée étant d’en comprendre au moins un peu le fonctionnement pour que le jour J, il ne se sente pas aussi perdu qu’il peut l’être à cet instant précis. C’est comme un labyrinthe qui se dévoile à lui, fait de couloirs qu’il n’ose pas emprunter et de portes qu’il n’ose pas ouvrir, le tout peuplé d’étudiants bien trop nombreux pour que Carl n’en vienne pas à se sentir déjà minuscule. Son sens de l’orientation a déjà de quoi faire peur en temps normal mais c’est presque d’une carte et d’une boussole dont le garçon aurait dû s’armer, tant ses yeux ne savent bientôt plus où se poser. Ses pensées, elles, n’en finissent plus de s’agiter tandis qu’il se demande s’il parviendra à suivre le rythme, à sympathiser avec certains camarades ou bien encore à assumer ces études parallèlement à son travail à l’hôtel, auquel il n’était pas question pour lui de renoncer. Carl est déjà assuré de passer ses journées à courir s’il espère assurer de tous les côtés mais puisque ses nuits étaient déjà courtes, c’est une bonne partie de celles-ci qu’il pourra consacrer à ses devoirs et révisions, et ce même si le concept des vingt-quatre heures pourrait bien vite montrer ses limites. Ce n’était déjà pas assez avant alors ce sera d’autant plus insuffisant quand il gagnera officiellement son statut d’étudiant, ce dernier allant de paire avec un quotidien toujours plus prenant et par extension, toujours plus stressant.

Dire qu’il ne se sent pas encore à sa place est une évidence, Carl étant un alien tout juste débarqué sur terre après ne pas avoir mis les pieds dans le moindre système scolaire depuis une éternité. Des pieds que le garçon aligne d’ailleurs sans vraiment regarder où il vient à les poser, avançant de façon désarçonnée comme un pauvre mouton qui se serait un peu trop éloigné du troupeau. Ici il ne connait personne et cette idée le terrifie, craignant d’être celui que l’on pointera du doigt ou que l’on dévisagera, lui la bête curieuse, le garçon si différent. C’est à toutes ces choses et beaucoup d’autres que Carl songe en ne parvenant toujours pas à trouver son chemin, impressionné par le lieu au point de ne même plus savoir lire une affiche et au point, surtout, de regarder partout sauf devant lui. C’est là, au détour d’un couloir qu’il bouscule une jeune femme sans une seule seconde le vouloir, amenant tout ce qu’elle tenait entre ses mains à terminer au sol comme s’il se retrouvait brusquement projeté dans un très mauvais film. « Oh désolé, je.. je sais pas à quoi je pensais ! » À tout et n’importe quoi en l’occurrence, ce qui ne l’aide visiblement pas à rester concentré sur le reste. C’est certainement la rencontre d’université la plus cliché qui soit mais sa maladresse n’est depuis le temps plus à prouver, c’est donc d’un geste confus que Carl s’emploie à ramasser ce qu’il a fait tomber avant de le restituer fébrilement à la concernée.  « J’espère que j’ai rien abîmé, je ferai plus attention la prochaine fois c’est promis. » Promettre des choses à une inconnue lui ressemble bien, tout comme son regard rencontrant timidement celui de la brune est sa marque de fabrique. « C’est ma première fois ici, je connais pas du tout les lieux et.. » Si Carl marque un temps d’arrêt, c’est parce que l’étudiante face à lui n’est pas sans lui évoquer quelque chose. Il l’observe alors plusieurs secondes et remue ses souvenirs, incapable pour l’heure de dire si ce sentiment est ou non légitime. Elle ne ressemble en tout cas pas à Madame Tout le Monde, de quoi justifier que cette jeune femme ait pu le marquer mais où, et quand.. il est bien naïf Carl, voilà une autre chose qui ne change pas. « Pardon, c’est pas très poli de fixer les gens comme ça mais j’avais l’impression qu’on s’était déjà vus. » Et si c’était vraiment le cas ? Il n’est pas forcément prêt pour cette vérité-là mais pour sa défense, Carl n’est en réalité jamais prêt pour quoi que ce soit.

Il n’en rate décidément pas une Carl, à tel point que sa capacité à se mettre lui-même en difficulté dans la moindre situation mériterait d’être étudiée. Parce qu’il faut être sacrément dans la lune ou tout simplement stupide, n’est-ce pas, pour rentrer dans la première étudiante qui se présente comme si l’univers ne l’avait pas doté de yeux pour repérer autour de lui les obstacles à contourner. Pour sa défense (oui, encore) le garçon tend aussi à se laisser impressionner par tout ce qui l’entoure alors que cette université regorge déjà d’informations à imprimer, de visages à assimiler et de couloirs à emprunter. Il erre en terrain inconnu et comme chaque fois que la nouveauté le submerge, il ne sait plus où donner de la tête ni comment aligner correctement ses pieds l’un devant l’autre, à en juger la scène. Et ce n’est évidemment pas son jour de chance pour que la jeune femme heurtée y gagne un café et un dossier renversés, à croire qu’il ne pouvait cette fois encore pas faire les choses à moitié. « Motherf.... Oh, mon café. » Des mots qui ont de quoi annoncer la couleur face à un garçon qui donnerait déjà tout pour disparaître, terriblement navré et déjà prêt à sauver tout ce qui peut l’être – les papiers oui, mais sûrement pas le café. « Je devrais te demander de te mettre à genoux pour vérifier que mes chaussures sont toujours intactes, mais. Il y a mieux comme introduction. » Si Carl donne l’impression de réfléchir, c’est parce qu’il serait justement bien capable de s’agenouiller pour s’en assurer alors qu’un premier coup d’œil le rassure presque sur l’état des fameuses chaussures, mais pas au point toutefois de l’autoriser à respirer. « Elles ont l’air d’aller bien, enfin, je crois. » il souffle alors en osant à peine relever les yeux vers la brune plantée devant lui, et visiblement décidée à ne pas en rester là aujourd’hui. Voilà ce qui arrive quand on oublie de demander à sa planche ouïja si la journée sera bonne, se dit-il. « Tu me dois surtout 14 dollars, ouais, c'est le prix du café et je suis totalement sérieuse pour le coup. » Elle l’est sans aucun doute, et l’idée de récolter des dettes menace déjà grandement le peu de tranquillité qui peut lui rester. Ce n’est peut-être que quatorze dollars, mais c’est une somme qui l’empêchera à coup sûr de dormir pour le principe. Tremblant de tout son long, le garçon consent alors à payer tout ce qu’il faudra. « Bien sûr, oui, pas de souci.. Mais ça fait quand même cher le café, non ? » Une réflexion à garder pour lui, sans doute, car il lui suffit après tout d’observer la jeune femme pour supposer qu’elle ne tremperait pas ses lèvres dans n’importe quel jus de chaussettes. « Pardon, j’en bois pas alors je peux pas trop savoir, hm. » Et ce n’est pas comme s’il avait travaillé pendant près de deux ans dans un café, évidemment. On lui a bien assez répété qu’il finirait par en boire à son tour mais à ce prix-là, le garçon dirait qu'il n’a vraiment aucun regret.

Les doigts claquant devant son visage le ramènent alors dans cette réalité avant de le faire redresser par surprise, affolant un peu plus son cœur qui bat déjà à tout rompre. « Oh! Ce n'est pas un meet cute, j'étais sérieuse pour le café, cela fera en sorte que je ne t'écrase pas avec ma paire de talons en fait. » Ce qui serait un peu dommage, tout de même, pour sa toute première venue dans cette université. « Et cela ferait en sorte que tu ne pourrisses pas ton karma. » Pas un mot à prononcer devant lui sans risquer de le faire frissonner car bien sûr, Carl croit en ces choses-là. Son karma n’était déjà pas beau à avoir avant ça, autant dire qu’il fera tout pour éviter que cela n’empire. Ses mains s’agitent alors autour de son sac à dos qu’il fait glisser de ses épaules à ses pieds, farfouillant à l’intérieur avec des doigts trahissant toute sa fébrilité. « Je peux te rembourser tout de suite si tu veux, ou même t’en payer un nouveau ? Oh, j’ai peut-être assez sur moi, hum, attends !.. » Mais il n’a clairement pas le bon compte sur lui, pas de quoi rendre donc à la jeune femme les quatorze dollars qu’il lui doit. Carl soupire, et cela avant de relever vers elle un regard franchement dépité – un peu de chance serait donc trop demander ? « Ou pas en fait. » Note à lui-même : ne jamais sortir sans avoir un minimum de monnaie sur lui, ça lui évitera ce genre d'ennuis. « Je te promets de me rattraper, je.. je vais venir étudier ici alors c’est pas comme si j’allais m’envoler, pas vrai ? » Et il croit vraiment que cela suffira à garantir sa bonne foi, Carl est même prêt à lui donner son nom, sa promotion et à signer n’importe quel papier qui pourrait attester que l’argent lui sera bien rendu. « Parce qu'on ne s'est jamais croisés, quelque chose me dit qu'on n'évolue pas dans les mêmes cercles toi et moi... à moins que… » Il se laisse dès lors scruter sous plusieurs angles, son menton maintenu par les doigts de la brune dont le regard semble glisser telle une lame sur lui. « ... Si je dis Paradise City, ça te parle ou pas? » – « Oh. » S’il déglutit fortement à l’entente de deux mots en particulier, c’est parce qu’il n’avait pas prévu que ces deux mondes viendraient un jour se rencontrer. Voilà pourquoi cette jeune femme lui disait quelque chose, et pourquoi la regarder dans les yeux s’avère aussi plutôt difficile après l’avoir certainement déjà vue sous d’autres coutures. « J’y ai peut-être été une fois l’année dernière, oui. » Un aveu tout ce qu’il y a de plus timide, et des joues qui ne tardent quant à elles pas à rougir. Carl connait effectivement l’endroit mais l’admettre au beau milieu de ce couloir est un peu le summum du malaise, comme s’il ne s’était déjà pas assez couvert d’embarras. « Mais j’aimerais vraiment que ça s’ébruite pas ici. » Qu’il a été en l’occurrence le client d’un club de strip-tease, car il ignore ce que cela peut exactement dire de lui. A-t-il honte ? Pas vraiment, mais il y a des choses que le garçon ne désire pas associer à son futur statut d’étudiant. « Mon amie m’y a emmené pour mon anniversaire, c’était la première fois que j’y mettais les pieds. Et c’était chouette, c’est juste que.. » Ne pas penser à cette fille dans une tenue beaucoup plus légère, se répète-t-il. Il ne croit pas se tromper en se disant qu’elle n’a pas dansé pour lui ce soir-là mais à tous les coups, ses yeux se sont égarés au moins une fois sur ses courbes. « Oh c’est vraiment très gênant. » reprend-il, ses yeux trouvant un intérêt soudain au sol à ses pieds quand bien même ce dernier se trouve encore maculé de café. Te voilà dans de beaux draps, Carlyle.

Peut-être ? Sa venue au Paradise City près d’un an en arrière ne relève bien évidemment pas du peut-être, et Carl a le plus grand mal à admettre cette réalité entre les murs de cette université. Comment une telle histoire peut déjà l’y poursuivre, c’est la question qui lui retourne l’esprit alors qu’il pensait que cette rencontre avait déjà atteint son potentiel maximum de gêne – mais il devrait bien le savoir, Carl, que l’univers ne manque jamais de plans pour se jouer gentiment de lui. Ainsi donc cette jeune femme connaît elle aussi le fameux club de strip-tease et sur le moment, bien sûr, le garçon ne visualise pas le rôle qu’elle peut exactement y tenir. Son visage lui parle, sa silhouette sans doute aussi s’il ne s’interdisait pas formellement de la détailler mais face à lui, il semble que son propre souvenir n’évoque pas grand-chose à son interlocutrice. « Une fois? » Il n’était finalement qu’un client parmi tant d’autres, et c’est au moins là-dessus que Carl espère se rendre tout sauf mémorable. A-t-il seulement envie que l'on se souvienne de lui comme de ce jeune homme maladroit qui parvenait à peine à mettre un pied devant l'autre, avant de perdre ses moyens devant un certain numéro de charme ? C'est tout juste s'il ne voyait pas trouble ce soir-là et y repenser ici n'a rien pour arranger son état, peinant à soutenir le regard de la jeune femme comme à assumer ce lieu qu'ils semblent avoir en commun. Ce n'est pas que Carl regrette d'y avoir mis les pieds pour son vingt-troisième anniversaire, c'est surtout qu'il craint la moindre étiquette qu'il pourrait récolter alors s'il peut faire en sorte de n'être connu pour rien d'autre que sa capacité à renverser le café des autres, il en sera le premier rassuré. « Ne t'inquiète pas, je ne suis pas du genre à mélanger le business et le plaisir donc... » Et c'est aussitôt un petit soupir qui se faufile entre ses lèvres, témoignant du soulagement qui est le sien à l'idée d'en faire un secret car sans obtenir de sa part la moindre promesse, la brune sous-entend au moins que son intérêt n'est pas d'en parler autour d’elle.

Pas besoin de la supplier à genoux, donc, Carl y garde ainsi un semblant de dignité même si cela pourrait ne pas durer. « Oh je sais qui tu es. » Lui, sentir à cet instant son cœur manquer tous les battements possibles ? Ce n'est jamais bon signe d'être reconnu quelque part lorsqu'on s'appelle Carl Flanagan car le fantôme de son passé télévisé n'est jamais loin, et c'est bien ce qu'il redoute lorsque le regard de la jeune femme revient l'observer sous toutes les angles qu'on peut imaginer. « Ah ? » A-t-elle en l'occurrence reconnu le weirdo de la télé, ou bien le remet-elle en tant que client malgré le peu de souvenirs que Carl pensait naïvement lui avoir laissé ? La seconde option est la bonne, de toute évidence. « Carl, le petit rejeton et client préféré de Naomi. » Alerte rouge se dit-il. Non seulement son passage par le club de strip-tease n'est pas vraiment derrière lui mais il se trouve qu'elle connait aussi Naomi et peut-être même les activités de celle-ci, de quoi lui valoir un autre statut plus embarrassant encore. C'est officiel, Carl ne sait plus où se mettre et c'est après plusieurs secondes d'agitation interne que le garçon balbutie, nerveux au possible : « Mais hum.. Naomi t'a vraiment parlé de moi ? » La question qu'il se pose est surtout pourquoi, et à quel point peut-elle être informée à son sujet ? Oh, il va sans dire qu'être associé à des prestations tarifées n'est pas ce qui peut le mettre le plus à l'aise, et c'est évidemment pire si Naomi a jugé bon de préciser quel genre de débutant il était. Le genre à payer pour sa première fois, oui, comme à offrir des fleurs à celle qu'il a contactée pour ça car même lorsqu'il s'agit d'en finir avec son pucelage, le garçon n'en perd pas ses éternels élans romantiques. « Elle a sûrement d'autres clients qu'elle préfère mais oui, c'est bien mon nom. » finit-il par confirmer, son prénom en possession de la brune tandis qu'elle peut à présent tirer toutes les conclusions qui lui chantent. « Hmm... je t'imaginais plus grand debout tu vois. » L'un des nombreux complexes du bonhomme sur une liste qui ne connait pas de fin, et de quoi lui arracher un mince sourire à défaut de savoir comment réagir. Il le sait bien, Carl, qu'il n'a presque rien pour lui car on n'en vient pas à monnayer ce genre de services à son âge sans une grande dose de désespoir, n'est-ce pas.

« Mais j'étais sérieuse, tu me dois un café. » Ce qu'il n'a aucun mal à comprendre, au point de hocher la tête avec empressement face à elle. « Et je l'étais aussi pour t'en payer un autre, vraiment. » insiste-t-il pour ne surtout pas avoir l'air de quelqu'un qui se défile. Sa dette Carl la paiera, il n'y a après tout que comme ça qu'il trouvera le sommeil ce soir. « Et je suis capable de me la boucler sur mes activités nocturnes si tu le fais en retour. » – « C'est promis. » Pas l'ombre d'une hésitation dans la voix, le marché est passé sans qu'il n'ait besoin d'y réfléchir car pour s'éviter d'autres problèmes, Carl tiendra sa langue et sera même une tombe. Sa principale motivation ? Leur tranquillité respective, bien sûr, mais aussi les répercussions qu'il ose à peine imaginer s'il venait à un peu trop parler car cette fille, il ne tient vraiment pas à l'avoir comme ennemie. « T'es étudiant ici, c'est ça ? Pour ça que tu as besoin de l'aide de Naomi parce qu'il faut que ton sang remonte à ton cerveau le reste de l'année, hmm? Tout s'explique. » Il se serait bien passé d'un tel commentaire mais autant admettre qu'elle est plutôt dans le vrai, à la seule nuance qu'il est encore en repérage en attendant sa rentrée prochaine et que c'est la raison pour laquelle un rien lui fait aujourd'hui tourner la tête. C'est grand, bien trop grand pour un garçon comme lui. « En mathématiques, oui. » souffle-t-il, au risque de récolter il-ne-sait-quelle image car ses collègues de l'hôtel l'appellent déjà le matheux, il a donc l'habitude. « Je commence les cours dans une quinzaine de jours, c'est ma première année ici. » Et il espère aussi que ce ne sera pas sa seule et unique sur les trois ans qui l'attendent car tout l'enjeu pour lui repose sur le fait de ne pas abandonner, ce dont Carl a été un peu trop capable jusqu'ici. « Sinon pour Naomi, ça fait pas mal de temps qu'on se fréquente. Deux ans à peu près, je dirais. » Il n'a plus tout à fait les dates en tête mais elle n'accompagne pas la majorité de ses clients comme elle s'y emploie avec lui, en raison d'un cas particulier nécessitant autant de temps que de patience – et beaucoup d'argent, aussi. S'il perçoit le bout du tunnel, Carl partait de très loin et ce n'est pas ce qu'il souhaite souligner ici, préférant à la place questionner la brune sur son propre cursus. « Et toi alors, qu'est-ce que tu étudies ? » Difficile à présumer en l'observant, il se doute juste qu'elle doit être elle aussi étudiante car renverser le café d'une professeure serait assurément la goutte de trop, et Carl n'a tout de même pas autant la poisse, non. « Continuons cette discussion à la cafétéria, non ? Comme ça tu pourras éponger ta dette. » Le deal lui semble acceptable et il n'en faut pas plus au garçon pour acquiescer, prêt à emboiter le pas à son interlocutrice qui connait manifestement bien mieux cette université que lui. « Je te suis, ça me permettra de voir où elle se trouve. » Et tout repère est bon à prendre quand on découvre encore le moindre recoin, en plus de lui donner de quoi analyser tout ce qu'il verra en chemin.

Ce n'est pour ainsi dire pas vraiment la cafétéria que Carl prend soin d'observer une fois à l'intérieur, c'est plutôt la machine à café qu'il fait en sorte de chercher du regard avant de repérer celle-ci non loin de l'entrée alors que par chance, le paiement par carte semble y être accepté. Tout est bon pour conjuguer sa dette au passé sans attendre, et pour dédommager la jeune femme tout autant déterminée que lui à clôturer proprement cette histoire. « Et voilà pour toi, je pense pas m'être trompé parce que j'ai servi des cafés pendant deux ans, hm. » Précision qui n'intéresse probablement que lui, mais peu importe. Il opte pour un basique soda de son côté car il ne mentait pas un peu plus tôt en prétextant ne pas boire de café, une position que les longues nuits de révisions qui l'attendent ont encore le temps de faire évoluer. C'est ensuite à une table que le duo s'installe, et un peu plus léger que Carl se sent aussi car ne plus se sentir redevable lui ferait facilement retrouver le sourire. « Du coup, pour le Paradise City.. » ose-t-il après coup rebondir, car certains éléments lui reviennent à l'esprit comme si cet échange avait débloqué quelque chose parmi tout ce qu'il avait – consciemment ou non – un peu enfoui. « Est-ce que c'est toi qui tiens cet endroit ? Parce que je me souviens que Naomi m'avait parlé d'une amie à elle, hum.. » C'est là, juste au bout de sa langue, il suffirait que sa mémoire accepte de coopérer mais un an plus tard, tout n'a pas le mérite d'être encore parfaitement clair. Encore un petit effort, Carl, tu y es presque. « Clara ? » qu'il tente, et pour réussir à oublier qu’elle porte le nom de son aventurière préférée, il doit être sacrément à côté de ses baskets.

Oh, forme-t-il une nouvelle fois avec ses lèvres lorsque la brune suggère très sérieusement qu'ils cessent de mêler le nom de Naomi à leur discussion et ce, par respect envers cette dernière. Il comprend Carl en plus de l'accepter, il est après tout le premier à s'être inquiété que les deux femmes aient pu parler de lui en son absence alors si son interlocutrice lui assure qu'elles n'ont pas pour habitude de se livrer à des commentaires sur leurs clients, il peut bien en faire autant de son côté vis-à-vis de celle qui se charge personnellement de son apprentissage. « Et puis... je n'ai pas besoin de connaître tous tes secrets et de savoir ce que tu fais avec ta main droite dès que tu as quelques secondes de libre... Quoi que... Je peux deviner. » Qu'elle se contente si possible de l'imaginer sans lui dire précisément ce qui lui vient en tête car il peut entendre beaucoup de choses Carl, mais il va finir par vérifier s'il est réellement impossible de mourir d'embarras à ce stade. Le petit sourire qu'il récolte n'est bon qu'à l'intimider un peu plus, regrettant sans doute d'avoir un peu plus tôt confirmé le genre de client qu'il peut être ou du moins, de l'avoir un peu trop sous-entendu. Il reste alors silencieux, luttant pour ne pas regarder une nouvelle fois ses pieds tandis que la brune propose de le conduire là où il pourra rattraper sa vilaine maladresse, même s'il ne faudra pas s'attendre à y trouver des cafés à quatorze dollars. « Suis-moi, c'est le chemin le plus court pour aller à la cafétéria depuis cet immeuble. » Ce dont il prend note, en admettant que cette information ne finisse pas par se perdre avec le reste. Tout pourrait alors s'arranger avec cette dette que Carl estime avoir partiellement épongé mais voilà qu'il commet une nouvelle erreur, et un affront de taille qui ne semble pas franchement amuser la jeune femme. C'est fou cette mémoire qui lui joue des tours y compris lorsqu'un prénom a toutes les chances de l'avoir marqué car il risque là encore d'en entendre parler pour une malheureuse lettre ajoutée, c'est en tout cas ce que le regard de son interlocutrice se charge d'annoncer. « Alors déjà, c'est Lara. La-ra. Tu m'appelles Clara une fois de plus et tu vas me devoir plus qu'un café. Compris ? Okay! » Lara, ce n'est pourtant pas sorcier. Il n'a aucune excuse Carl et il le sait, pas avec la fascination qui est la sienne pour une célèbre archéologue et qu'il évitera d'ailleurs de souligner, un peu trop persuadé d'y perdre plus de points que le contraire. « Pardon, je sais pas pourquoi j'ai enregistré le mauvais nom. Enfin c'est joli Clara, je dis pas, mais je préfère quand même largement Lara de toi à moi. » Qu'il s'arrête donc là avant de s'enfoncer un peu plus, au cas où il n'aurait pas encore tout à fait touché le fond. Une bourde après l'autre, c'est un peu sa marque de fabrique et c'est aussi ce qui met parfois la patience de ceux qui l'entourent à l'épreuve – et s'il devait estimer celle de la Lara face à lui, il supposerait qu'il n'en reste déjà plus grand-chose. « Je m'en souviendrai cette fois, promis juré. » il garantit avec conviction, certain qu'on ne l'y reprendra pas car la leçon a au moins l’assurance d’être apprise, et même plutôt deux fois qu'une. « Tu me dois toujours un vrai café hein, la cafétéria c'est bien sympa mais... j'ai payé plus pour ma boisson. » Ça ne pouvait évidemment pas être aussi simple, non bien sûr, mais Carl pourrait dire qu'il l'avait tout de même anticipé. Les calculs ne sont pas bons et disons que c'est un peu sa spécialité. « Pardon, oui, c'est noté. Je connais un très bon café en ville si un jour ça t'intéresse, l'avantage d'y avoir bossé c'est que.. non, oublie, c'était plus intéressant dans ma tête. » Ce qu'il veut dire c'est qu'il connait la carte par cœur et qu'il sait mieux que personne que le café du DBD est excellent sans même l'avoir goûté, mais Lara n'a pas signé pour l’entendre raconter sa vie. « C'est une offre sérieuse seulement si t'as envie que ça le soit. » préfère-t-il nuancer, un mince sourire passant sur ses lèvres tout en se jurant qu'elle aura droit à un véritable café payé par ses soins, son restant de dette à payer plus tard.

Il prend enfin le temps d'observer la cafétéria plus en détails, et sa première impression du lieu est la suivante : c'est à une table seul qu'il y mangera chaque jour s'il ne trouve pas quelques copains dans sa promotion, mais autant ne pas se soucier tout de suite de ses rapports avec les autres quand la seule personne rencontrée entre ces murs ne fait même pas partie de son cursus. « T'as besoin d'un plan de l'université ? Non, parce que les panneaux sont... ils datent de l'an dernier et vu que ce n'est mon premier passage ici, je sais que ça peut être difficile de naviguer le chaos. » Il doit bien admettre se sentir comme un parfait extraterrestre depuis son arrivée, et une part de lui est assez rassurée que Lara l'ait elle-même vécu comme ça car c'est un truc de nouveau fraichement débarqué, et pas une énième tare que le garçon a le sentiment de collectionner. « C'est un peu un labyrinthe pour moi je t'avoue, je m'attendais à ce que ce soit grand mais quand même pas à ce point. Et puis mon sens de l'orientation est terrible, surtout. » Ce dont elle se serait certainement douté en ne faisant que l'observer car ce genre de chose doit être inscrit en lettres rouges sur sa figure, et sans doute commence-t-elle aussi un peu à connaître l'oiseau. « Paradise City est bien mon club. Enfin, je suis co-propriétaire, je suis là pour un MBA et pour ouvrir mes horizons. Et nan, tu gardes les blagues pour toi comme quoi mes horizons sont déjà ouverts, pas autant que mes jambes jte rassure. » S'il glousse un instant ou deux face à son soda, c'est pour retrouver tout aussi vite son sérieux et affirmer sans détour : « J'allais pas du tout la faire, je t'assure. » La blague l'a fait sourire comme une blague qu'il n'aurait en l'occurrence jamais pu sortir, car le bonhomme n'a comme qui dirait pas vraiment ce genre d'esprit. « C'est chouette en tout cas ton truc, hum.. un Master si je comprends bien. Et pour le club, c'est pas tout le monde qui peut gérer un business aussi jeune j'imagine, alors respect pour ça. » Et il le pense sincèrement Carl, c'est un accomplissement comme un autre et ça n'est pas négligeable, d'autant plus quand il ne peut pas se vanter d'avoir réalisé grand-chose pour sa part. Sa plus grande réussite ? Il la touchera du doigt dans trois ans s'il parvient à décrocher son diplôme, car la liste fait un peu peine à voir jusqu'ici. Son regard finit par suivre le parcours du stylet de Lara avec intérêt, avant que celle-ci ne fasse glisser sa tablette devant lui. « On est ici... me semble que le bâtiment des matheux est par là. Ouais je t'ai fait une carte, je suis sympa comme ça. » Ici, par là... « Tu m'autorises à faire une capture ? Je garderai ton petit plan sur moi comme ça, je pense que ça m'aidera. » Il lui sera utile au début, Carl n'a pas le moindre doute là-dessus car ce plan dessiné à la main semble déjà plus utile que tous les panneaux autour d'eux. « Ou tu peux me l'envoyer, mais.. t'as peut-être pas trop envie de m'ajouter à tes contacts et franchement, je comprendrais. » Après l'incident du café et ses autres erreurs commises, Carl ne s'attend pas à figurer dans les petits papiers de son interlocutrice mais un petit espoir grandit malgré tout en lui : celui de ne pas la perdre de vue trop vite. Soupirant doucement, il ajoute. « Je connais personne ici, enfin.. j'ai mon frère qui étudie dans une autre branche que la mienne et qui n'a pas du tout le même emploi du temps, du coup ça me rassurerait un peu de pouvoir poser mes questions à quelqu'un quand j'en ai. » Et il en aura, probablement de nombreuses pour commencer. Relevant les yeux vers Lara, le garçon prend tout de même soin de ne pas trop en attendre de leur rencontre car son temps semble précieux, et c'est déjà un miracle qu'elle l'autorise à s'assoir à sa table. « Mais je suis pas en train de dire que tu dois forcément être cette personne, non non. » Il agite même ses mains devant lui pour balayer cette idée, loin de pouvoir le lui reprocher car être un boulet à sa cheville, Carl n'est lui-même pas très certain d'y tenir… et pourtant.