La sortie d'école est souvent synonyme pour Eve de la nécessité d'être très organisée. Il faut toujours qu'elle anticipe la possibilité ou non de récupérer Ella, qui dépend de tout un tas de facteurs. Ou plutôt, si elle aimerait profiter de la facilité que lui donne son travail à aller chercher sa fille dès la fin de ses heures de classe, en réalité elle doit faire face au fait que beaucoup de choses peuvent l'en empêcher : un rendez-vous parent(s)-professeure, une préparation de projet entre collègues, une réunion du personnel de l'école... La Daxson tient consciencieusement son agenda à jour pour ne jamais risquer d'oublier une date où il faudrait qu'elle confie Ella à quelqu'un d'autre.

Aujourd'hui, c'est bien elle qui doit récupérer sa fille à la sortie de l'école. Elle n'a ni rendez-vous, ni réunion, ni conseil supposé l'en empêcher. Ce qu'elle n'avait pas prévu, en revanche, c'est que l'un de ses élèves lui tienne la jambe au moment de laisser les élèves partir de l'école. Alors qu'elle s'assurait consciencieusement que chacun·e de ses élèves rejoignait bien une personne de confiance, l'un s'est approché d'elle pour lui parler d'un problème avec un camarade de classe, n'ayant pas osé le faire avant. Bien sûr, Eve l'a écoutée avec attention et a essayé de retenir toutes les informations utiles dans son récit, non sans lui poser quelques questions et le rassurer. Il allait falloir qu'elle règle cela rapidement, refusant de laisser une possible source de tension perdurer dans sa classe – surtout avec les conséquences ravageuses que cela peut avoir à l'âge de ses élèves. Elle a donc remercié le garçon de lui en avoir parlé puis l'a incitée à rejoindre son père qui l'attendait juste là, et lui a assuré qu'elle s'en occuperait. Et pendant qu'il s'éloignait, elle a regardé l'heure sur son téléphone : elle n'a plus le temps de traîner, Ella est peut-être même déjà sortie de classe !

Alors voilà qu'Eve repart en sens inverse rapidement pour récupérer son sac dans sa salle de classe, vérifier que rien ne traîne par terre et que les lumières sont éteintes. Puis elle en ressort, laissant la porte entrouverte pour signaler qu'elle n'est pas restée dans son bureau et que le ménage peut donc y être fait. Puis elle file vers le portail de l'école pour pouvoir y récupérer sa princesse, en espérant qu'elle n'arrive pas trop tard. Sa chance est que la classe d'Ella est sortie en retard aujourd'hui, car en accélérant le pas elle remarque que la file d'élèves est encore en train de se disperser parmi les parents attendant devant le portail. Sa malchance est que, ne la voyant pas parmi elles et eux, sa fille jette son dévolu sur une autre femme vers qui elle court. Les yeux légèrement écarquillés, Eve se rend compte qu'elle est bien trop loin pour intercepter sa fille avant que l'erreur soit commise. Elle accélère encore le pas pour se rapprocher de cette inconnue qui n'a pas dû comprendre pourquoi une petite bombe lui a foncé dessus de la sorte, mais elle n'a le temps d'entendre que la voix d'une fillette qui semble avoir reconnu la dite bombe. « C'est Ella. » Eve voit alors sa fille lever les yeux vers l'inconnue et constater d'un air à la fois dubitatif et déçu. « T'es pas Tata Jenna... » Absolument pas, bien que ses cheveux soient d'un roux flamboyant assez similaire. Eve franchit alors les derniers mètres la séparant de cette femme qu'Ella a prise pour sa meilleure amie. « Je suis désolée, ma fille vous a confondue avec ma meilleure amie. J'espère qu'elle ne vous a pas fait peur. » La brune s'excuse avec un sourire puis vient prendre sa fille dans ses bras. « Je te l'aurais dit mon cœur, si Tata Jenna venait te chercher, » assure-t-elle en venant claquer un baiser sur sa joue. Il est vrai qu'il lui arrive de faire des surprises à sa princesse, mais Jenna a un emploi du temps si chargé à cause du travail en ce moment que ça tiendrait du miracle de la faire venir à la sortie de l'école. Enfin, ce n'est pas le moment d'y penser : Eve se redresse, réalisant qu'elle a oublié l'essentiel. « Excusez-moi, je ne me suis pas présentée ! Je suis Eve, la maman d'Ella ici présente. Et vous ? » Elle a l'impression d'avoir déjà aperçu son visage, mais pas assez souvent pour avoir retenu son nom. Elle n'a sans doute jamais eu sa fille en classe. Ni celui qui semble être son fils et vient de les rejoindre.

Eve n'en veut pas à sa fille de ne pas savoir reconnaître sa tata Jenna de dos, elle aurait préféré ne pas déranger une inconnue au roux identique, et encore moins risquer de lui faire peur du fait d'une petite furie brune lui fonçant dessus. Alors elle s'excuse aussitôt pour Ella qui semble encore trop confuse pour dire quoi que ce soit. « Elle ne m'a pas fait peur. » La Daxson a sûrement eu bien plus peur qu'elle, en réalité : voir sa fille détaler vers une femme qu'elle ne connaît absolument pas avait tout d'un cauchemar, bien qu'elle ait eu la chance de ne jamais l'avoir perdu des yeux pendant sa course. « Je suis juste désolée pour elle d'y avoir cru ! » Ella a effectivement l'air déçue de ne pas avoir pu enlacer sa tata Jenna – qui de toute façon est tellement noyée sous le travail qu'elle ne risque pas de pointer son nez devant l'école de si tôt même pour lui faire plaisir. « Elle s'en remettra, » assure Eve pour que l'inconnue ne s'en veuille pas trop.

Inconnue dont elle ne connaît toujours pas le prénom et à qui elle n'a pas non plus donné le sien, l'inquiétude lui ayant fait oublier ses bonnes manières. « Je suis Olivia, la maman de Lizzie et de Lenny. » Un sourire aux lèvres, la brune observe un instant les deux enfants, à présent certaine qu'elle n'a eu ni l'un ni l'autre comme élève. Comme camarade de classe d'Ella par contre, elle est moins sûre... Elle aimerait se dire que l'entente entre Lizzie et Ella est un indice, mais sa fille est tellement sociable qu'elle pourrait devenir copine avec des camarades d'autres classes sans aucun souci – elle-même le faisait, à son âge. « Ils ne sont pas dans la même classe qu'Ella, si ? Ils ont quel âge ? » interroge-t-elle. La sienne ayant sept ans, une simple comparaison de leurs âges respectifs suffira à savoir si sa mémoire lui fait défaut, ou même le nom de sa collègue ayant à charge la classe de sa fille cette année.

« Ils ont eux aussi du mal à se souvenir de qui vient les chercher, parfois. » La remarque, qui a sûrement pour but de la rassurer, fait sourire Eve qui apprécie l'intention qu'elle y prête. « Comme ça change souvent, ça les perturbe un peu ! » Elle hoche la tête, l'air compréhensive, mais tente de ne pas se montrer intrusive – elle pourrait être séparée de son compagnon ou de sa compagne, voire simplement maman solo, ou encore veuve... Trop de possibilités et de risque de s'avancer, raison pour laquelle Eve préfère s'abstenir et s'en tenir à du factuel. « Je comprends. J'essaie de la récupérer le plus souvent possible mais parfois j'ai des impératifs, alors c'est déjà arrivé que ma meilleure amie vienne la chercher pour me dépanner. » Ça reste rare, Jenna étant très occupée, mais ça a suffi à Ella – c'est qu'elle l'aime, sa tata, et aimerait sûrement la voir plus sans pour autant comprendre pour l'instant toutes les obligations qui lui incombent. « Enfin, au moins ça leur aura donné une occasion de discuter, » affirme-t-elle en désignant du regard Lizzie et Ella qui sont en pleine conversation. Les deux fillettes s'entendent bien et n'en ont même plus rien à faire des adultes à leurs côtés, semble-t-il.

Eve déteste voir les yeux de sa fille s'emplir de déception, mais elle sait que celle-ci sera de courte durée grâce à la présence des jumeaux. Ella est si sociable et aime tellement parler ou jouer avec d'autres enfants qu'elle semble déjà avoir oublié le faux espoir qu'elle a eu quelques minutes plus tôt. À voir discuter avec tant d'entrain les deux fillettes, la professeure des écoles suppose que ce n'est pas la première fois qu'elles passent du temps ensemble, sans pour autant se souvenir d'avoir vu Lizzie sur la photo de classe de début d'année. « Ils auront six ans en mai. » Et en effet, les trois enfants ne sont pas dans la même classe car iels n'ont pas le même âge. « Ella a eu sept ans au début de l'année, elle doit être de l'année au-dessus. » Pourtant, elle reste persuadée que les deux petites filles n'en sont pas à leur première rencontre. Il n'y a qu'à les voir parler pour s'en douter. « Elles ont dû sympathiser dans la cour, je sais qu'Ella adore discuter avec tout le monde pendant la récréation. » Et comment ne pas se reconnaître dans ce comportement alors qu'elle-même a rencontré sa meilleure amie de cette façon ? Les classes constituées dans le cadre de l'école ne sont qu'un outil pour enseigner à un plus petit nombre d'élèves, mais à ses yeux elles ne sont en aucun cas un prétexte à ne pas aller vers les autres de l'établissement.

Maintenant que la frayeur d'Eve est passée, les deux mères peuvent se permettre de s'amuser de l'erreur maladroite de la petite Daxson. Difficile à cet âge-là de se souvenir de la personne sensée venir les récupérer à la sortie de l'école, pourtant Eve fait au mieux être celle qui vient le plus souvent. Mais parfois elle ne peut pas, alors elle a la chance de pouvoir compter sur ses proches pour s'en charger à sa place, majoritairement son frère, Andrew ou Jenna qu'Ella a cru reconnaître aujourd'hui. Et d'autres fois, c'est simplement une question de garde et c'est à Leslie de récupérer Ella à l'école, bien qu'il ne soit pas si rare qu'Eve s'en charge et ne la dépose chez son ex qu'après les heures de boulot de cette dernière. « C'est toujours la fête quand c'est quelqu'un d'autre que la nourrice ou moi, c'est terrible. Nous, on compte moins, on est trop banales. » « Ça doit être ça oui, » confirme-t-elle avec un sourire. Malgré ses lippes étirées, cette pensée serre le cœur d'Eve qui ne peut pas s'empêcher de penser que Leslie doit avoir droit à un accueil bien plus coloré qu'elle lorsqu'elle vient chercher leur fille. Parce que c'est plus rare, sans doute – c'est aussi pour cette raison qu'Ella réclame à aller dormir chez son autre maman lorsqu'elle se trouve chez Eve, mais que l'inverse n'a sans doute jamais lieu.

La discussion se poursuit du côté des adultes autant que de celui des enfants, ou plutôt entre Lizzie et Ella car le petit garçon semble plus en retrait. Les deux fillettes semblent avoir le même tempérament extraverti et jovial, alors Eve n'est pas vraiment étonnée qu'elles s'entendent si bien. Pourtant elle s'émerveille toujours de voir sa fille si épanouie lorsqu'elle est entourée d'autres enfants. « C'est drôle de voir comme les filles arrivent à se faire des copines même si elles ne sont pas dans la même classe. Lenny, je ne suis même pas sûre qu'ils connaissent les prénoms de tous les garçons avec qui il joue au foot à la récré... » Ah le foot, ou comment se faire des copains dont on ne connaît même pas le nom, la classe ou l'enseignant·e. « Il a l'air plus réservé que sa jumelle. Et moins bavard que ma fille, » ajoute-t-elle car ce trait de caractère d'Ella n'aura pas échappé à l'autre mère de famille. La petite Daxson se transforme en véritable moulin à paroles dès qu'elle est auprès de personnes en qui elle a confiance. « Ella a toujours été très sociable, j'ai l'impression que chaque semaine elle me parle d'un nouveau copain ou d'une nouvelle copine qu'elle s'est fait à l'école, » s'amuse-t-elle alors que son regard glisse de nouveau vers le petit duo de pipelettes. Tant qu'elles ne font pas ça en classe, elle se réjouit sans mal de toutes ces paroles échangées. « J'espère qu'on ne vous retarde pas trop ? » Eve détourne les yeux des enfants pour les reposer sur Olivia, sans se départir de son sourire. « Quand je vais les chercher, je leur laisse toujours un temps de jeu avant de rentrer pour les devoirs, alors ils sont habitués à traîner un peu avant le retour à la maison. » La brune secoue la tête de gauche à droite pour signifier qu'il n'y a aucun problème. « Pas de souci, je n'ai rien de prévu après si ce n'est ses devoirs. » Il y a des après-midis où elles doivent vite rentrer à la maison, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui alors autant laisser les enfants profiter. « J'aime bien aussi la laisser se détendre un peu avant de rentrer, ça lui fait du bien d'avoir une pause entre l'école et le retour à la maison. » Et Ella ne semble pas s'en plaindre puisqu'elle pourrait apparemment passer des heures à discuter ainsi avec Lizzie. « Il y a un petit parc pas très loin à pieds, on pourrait peut-être aller s'y installer. Les enfants pourront continuer à discuter ou jouer, et nous on pourra s'asseoir sur un banc, » propose-t-elle avec un doux enthousiasme dans la voix. « Peut-être que marcher déliera un peu la langue de Lenny, » plaisante-t-elle avec un sourire tendre, attendri par l'apparente timidité du garçon qui contraste avec les deux filles à ses côtés. Et puisque tout le monde semble adhérer à cette idée, voilà que le petit groupe part en direction du parc où enfants comme adultes pourront profiter d'un moment de tranquillité avant le retour à la maison et aux devoirs.