There's nothing stronger than us
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Plus que jamais, Eli n’avait pas envie d’être ici. Par l’ironie d’un sort qui ne l’avait jamais fait rire aussi jaune, il se retrouvait prisonnier du destin qu’il avait passé sa vie à fuir. Après vingt ans d’exode de l’autre côté du globe, il avait fini par atterrir dans ce même bureau qui l’avait vu grandir du temps où Richard Walker l’occupait. Il avait été rénové et remis au goût de son nouveau propriétaire habituel, mais cela n’avait empêché Eli de ressentir une drôle de sensation lorsqu’il y eut mis les pieds pour la première fois : cette impression oppressante et angoissante qui lui donnait l’impression d’être redevenu un enfant à la merci des projets qui avaient été tracés pour lui dès sa naissance, et dont il n’avait jamais voulu. Eli n’avait pas aimé fouler le sol du plus prestigieux bureau de l’immeuble la première fois qu’il était venu y voir Channing, et appréciait encore moins l’expérience maintenant qu’il était officiellement devenu l’occupant des lieux. Lorsque Channing, hospitalisé suite au terrible accident de moto dans lequel il avait failli laisser la vie, lui avait demandé de temporairement occuper son poste jusqu’à ce qu’il soit rétabli, Eli n’avait pas hésité à accéder à sa requête. Il n’avait pas sourcillé, pas pris un instant pour y réfléchir – le plus important était de faire ce que lui demandait son frère, qui s’était par ailleurs refusé à compter sur lui depuis son retour à Brisbane et qui lui témoignait, pour la toute première fois en vingt ans, une réelle marque de confiance. Mais cela ne rendait nullement l’expérience plus facile à vivre. Eli n’avait pas envie d’être là, de jouer ce rôle pour lequel il savait par ailleurs qu’il n’était nullement qualifié. Il n’ignorait rien des raisons pour lesquelles Channing s’était tourné vers lui plutôt que vers l’un de ses collègues nettement plus compétents : avec Eli à la tête de l’entreprise, c’était en réalité Chan et sa ligne directrice qui restaient aux commandes. Et, s’il ne se sentait nullement manipulé par son frère, celui dont l’indépendance avait toujours figuré en tête de liste des priorités n’en souffrait pas moins de la sensation d’être pris au piège.

Avec le poids de la gestion de l’entreprise, mais aussi de sa réputation et celle de son frère sur les épaules, Eli s’infligeait une pression monstrueuse dans l’objectif de faire le meilleur travail possible. Il avait la chance d’être entouré par des collègues disposés à lui fournir une aide précieuse – parmi ces derniers figurait Mila, dont l’expérience aux côtés de Chan s’était révélée extrêmement utile. L’aîné Walker n’en conservait pas moins la désagréable conviction d’être une fraude, une imposture, ne s’était jamais senti aussi peu à l’aise en exerçant un emploi ni aussi profondément anxieux de ne pas s’en montrer à la hauteur. Sa délicieuse arrogance habituelle était aux abonnés absents maintenant qu’il ne pouvait plus que s’agiter comme un poisson hors de l’eau en espérant survivre au pétrin dans lequel il s’était retrouvé. Et, logiquement, les réunions comme celle qu’il était censé présider dans quelques minutes en présence de tout le conseil d’administration de l’entreprise constituait le paroxysme de ces situations dont il peinait à gérer l’angoisse. Eli avait passé les derniers jours à la préparer avec acharnement, la matinée à relire ses notes avec fébrilité et l’après-midi à faire les cent pas devant la baie vitrée de son bureau en se demandant comment il allait réussir à sortir indemne de cette épreuve source d’une anxiété démesurée. Lorsque sonna l’heure fatidique et que Mila vint le chercher pour l’accompagner en salle de réunion, Eli sentit l’angoisse monter d’un cran supplémentaire et posa sur l’assistante un regard plein de réticence et d’appréhension. « Je suis vraiment obligé ? », lui demanda-t-il rhétoriquement, à la façon d’un enfant têtu qui connaissait parfaitement la réponse mais se risquait malgré tout à formuler la question. Sans bouger d’un iota, il la regarda s’approcher, et resta toujours immobile lorsqu’elle resserra le nœud de sa cravate. Les encouragements de Mila ne firent rien pour l’apaiser, et il pinça les lèvres d’un air appréhensif. « Et si ça se passe mal ? », rétorqua-t-il sans parvenir à masquer son pessimisme, là encore parfaitement conscient de la réponse : si cela se passait mal, il avait tout intérêt à se préparer à des conséquences désastreuses, ce qu’il ne pouvait laisser se produire. Le bon déroulement de la réunion n’était donc pas seulement souhaitable, mais absolument indispensable. Ce constat, qui n’avait en soi rien d’innovant, suffit à lui nouer davantage les entrailles. Leurs regards se retrouvèrent et s’ancrèrent durant de longues secondes, au terme desquels Eli laissa échapper un soupir, les lèvres s’étirant en un sourire faiblard, insuffisamment rassuré par les propos réconfortants de la belle italienne, dont il apprécia toutefois la diligence. Dans un réflexe certainement maladroit, il posa sa main par-dessus celle qu’elle appliqua contre sa joue, comme s’il grapillait toute source de réconfort susceptible de calmer ses nerfs à rude épreuve. « J’espère que tu as raison. Allons-y, qu’on en finisse », finit-il par concéder, quelque peu à contrecœur, avant de lui emboîter le pas en direction de la salle de réunion.

L’entrevue fut loin d’être aussi catastrophique qu’il ne l’avait redouté – si elle ne lui fut, à aucun moment, du moindre confort, elle se déroula toutefois sans accroche notable. En dépit de son angoisse laborieusement camouflée, Eli usa de chacune des ressources dont il disposait pour puiser dans son charisme et son éloquence naturels la prestance nécessaire pour convaincre ses interlocuteurs, cédant volontiers la parole à Mila lorsque celle-ci pouvait compléter son propos par des éléments qui avaient préalablement été gérés par Channing. Le constat de ce déroulement étonnamment favorable n’eut toutefois pas raison du stress de l’aîné, qui chercha inconsciemment de décharger celui-ci en s’agitant quelque peu sous la table. Là encore, toutefois, il put compter sur le soutien précieux de Mila, dont le contact aérien contre sa cuisse suffit à en faire disparaître les mouvements nerveux. Ce geste aussi bref qu’il n’avait été efficace suffit à lui insuffler le courage nécessaire à tenir jusqu’à la fin de l’entrevue, et c’est avec un calme d’apparence olympien qu’Eli répondit aux dernières questions d’un comité d’administration visiblement satisfait et quelque peu rassuré à l’issue de la réunion. Lorsque vint le moment de congédier chacun des participants, la poignée de main d’Eli avait retrouvé toute sa fermeté et son sourire tout son éclat ; l’héritier se fit la réflexion de ne jamais être parvenu à aussi bien feindre la compétence qu’à cet instant précis de sa vie.

Il ne demanda pas son reste et s’éclipsa dans le bureau à l’instant où il en eut l’occasion. D’un coup, l’adrénaline retomba et, le cœur tambourinant à ses oreilles, il n’hésita pas un instant avant d’aller chercher l’ancienne carafe de Richard Walker pour en verser un verre de whisky. Il se laissa retomber dans le fauteuil qui trônait derrière l’imposant bureau en poussant un soupir à fendre l’âme, desserrant frénétiquement le nœud de sa cravate. Sa journée de travail avait enfin touché à sa fin, et il en était miraculeusement sorti indemne. Il peinait encore à en prendre conscience, et chercha un début d’apaisement dans le verre qu’il porta à ses lèvres d’une main quelque peu tremblante. Son regard encore quelque peu tourmenté s’éclaircit visiblement lorsqu’il aperçut Mila s’engouffrer dans la vaste pièce, et il lui adressa un sourire teinté des doutes qui persistaient malgré tout dans son esprit complètement dépassé par la situation. « J’ai survécu, en tout cas. Grâce à toi, clairement », rectifia-t-il d’un ton légèrement plus léger que celui qu’il avait employé avant la réunion. « Viens, sers-toi à boire, qu’on fête l’esquive de ce fiasco », suggéra-t-il avec un sourire fatigué mais sincère. Lorsqu’elle s’approcha de lui, il leva son verre dans sa direction avant d’en reprendre une gorgée. « Merci infiniment, Mila. Tu m’as sauvé la peau, aujourd’hui », déclara-t-il sérieusement en dépit de son expression progressivement plus détendue. « Je sais pas ce que j’aurais fait sans toi, clairement. »

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À l'aube de cette réunion tant redoutée par le Walker dont l'imposture apparaissait de plus en plus évidente, la dynamique entre l'impétueuse italienne et lui semblait plus que jamais bouleversée. Ils n'avaient jamais rien connu d'autre que la complicité, la provocation et la sensualité, et leur relation n'avait pas réellement prévu d'espace pour quoi que ce fût d'autre. Une exception notable à cette règle figurait au tableau, catalysée par l'angoisse qu'ils avaient partagée autour de l'accident de Channing et l'effervescence de voir emménager Mila chez Eli sur ce qui n'avait rien été d'autre qu'un coup de tête. Se confier leurs peurs les plus profondes avait paru naturel sur le moment, mais ce dernier n'avait pas résisté bien longtemps à l'étrangeté de la situation, et le meilleur moyen trouvé par les deux nouveaux colocataires de gérer leurs émotions chaotiques avait été de s’abandonner à une passion qui l’avait été tout autant. Une passion qui était restée résolument interdite depuis pour ceux qui partageaient de trop nombreuses heures aux côtés l’un de l’autre, fût-ce à la maison ou au travail, que pour pouvoir risquer de mettre en péril leur relation. Ils n’avaient jamais réellement renoncé aux petits jeux de séduction qui avaient ponctué celle-ci depuis le premier jour, régulièrement rattrapés par leurs instincts avides de plaire et de tenter, mais avaient retrouvé ces habitudes avec une légèreté et une subtilité qui les rendait parfaitement raisonnables. Aux côtés de cette légèreté qui cimentait la complicité remarquable qui les unissait, peu d’autres, il n’existait donc pas grand-chose d’autre, sans jamais que Mila ni Eli n’eût manifesté le besoin d’y remédier. Dans ce contexte, la vulnérabilité et la recherche de soutien que trahit Eli, alors qu’approchait l’heure fatidique de la réunion avec le conseil d’administration tout entier, détonna d’autant plus dans le paysage auquel ils s’étaient habitués tous les deux. Pourtant, alors même qu’il abhorrait la simple idée de se montrer moins infaillible qu’à son habitude, Eli n’hésita pas à se tourner vers Mila en quête de réconfort lorsqu’elle vint le chercher dans le bureau de Chan, qu’il se sentit moins légitime que jamais d’occuper. Il ne savait pas s’il faisait bien – Mila n’était pas la plus empathique, ni la plus réconfortante, et sa maladresse lorsque les mots devenaient compliqués surpassait celle d’Eli, qui fuyait lui-même comme la peste les conversations trop chargées d’émotions. Mais l’italienne fut loin de le décevoir, et elle parvint même à soutirer un sourire à celui dont le visage s’était figé jusque-là dans une expression crispée par l’appréhension. « Il a intérêt à revenir vite, ce petit con », murmura l’aîné entre ses dents lorsque Mila eut fini de le rassurer avec une efficacité remarquable, avant d’emboîter le pas à l’assistante qui le sauverait à plus d’une reprise lors de la réunion qui ne se virerait finalement pas à la catastrophe comme il l’avait tant redouté.

Ainsi, lorsque la brunette le rejoignit dans son bureau une fois partis les membres du conseil d’administration, l’héritier ne se priva pas de la remercier, et plutôt deux fois qu’une. Le sourire d’Eli s’élargit légèrement en voyant l’italienne trahir combien elle était flattée, et il ne se priva pas de surenchérir lorsqu’elle émit des doutes quant à sa propre attitude. « Non, tu as été parfaite. Rien à adapter, crois-moi », lui assura-t-il, et si Mila avait appris quoi que ce soit de son colocataire au cours de leur cohabitation, elle saurait qu’il était sincère en proférant ces paroles. Il l’invita à se servir à boire, et la suivit du regard lorsqu’elle se posta devant l’immense baie vitrée qui s’étendait derrière le bureau. Le rire légèrement narquois de Mila trouva écho chez son patron temporaire, dont le regard se fit pétillant de malice. « Compte sur moi », souffla-t-il en arquant un sourcil complice, sans jamais la quitter des yeux alors qu’elle s’approcha à nouveau de lui, de ce pas félin caractéristique qui l’avait charmé dès leur première rencontre. Les prunelles d’Eli se firent plus curieuses, mais jamais moins espiègles, alors qu’elle l’observa ouvertement à son tour, charmeuse et envoûtante dans les moindres de ses gestes. Il n’était pas de ceux à rougir sous l’attention, trouvait la sensation même plaisante, mais ne put s’empêcher de se demander à quoi pensait la brunette en le détaillant de la sorte. Il porta lentement son verre à sa bouche, et en finit le contenu avec plus de lenteur que l’impétueuse brune qui vida le sien cul-sec. Mila ne tarda toutefois pas à abattre une carte de son jeu, se gardant bien d’en révélant le reste, ne dévoilant que le strict nécessaire pour capter l’attention de son interlocuteur – et le moins que l’on pût dire, c’est qu’elle était excessivement douée à son petit jeu, car le regard d’Eli était véritablement aimanté aux prunelles turquoise de la jeune femme, sans même dévier sur les doigts qu’il la sentit déposer contre les siens dans un geste sensuel. Aussitôt, Eli relâcha légèrement la pression exercée sur son propre verre, comme pour faciliter sa prise par Mila, et il adressa à cette dernière un sourire mutin, comme pour lui signifier qu’il avait vu parfaitement clair dans ses manigances, mais qu’il était loin de s’en formaliser. « Et pourquoi pas les deux ? Il y a une collègue avec laquelle j’aimerais faire plus ample connaissance avant de rentrer chez moi », murmura-t-il, taquin, sans pour autant esquisser de geste supplémentaire pour lui réciproquer ses avances, curieux de l’observer prendre l’une ou l’autre direction avant de surenchérir. Sans se cacher de la façon dont il la dévorait du regard, il la regarda les resservir, et réceptionna avec un sourire reconnaissant le verre généreusement rempli qu’elle lui tendit. Il le leva en direction de Mila, le regard plongé dans le sien, et annonça : « À la nôtre – et surtout, à la tienne. » Il ne la lâcha toujours pas du regard en portant le verre à la bouche, ni lorsqu’il l’en éloigna quelques secondes plus tard, et pas non plus lorsqu’il s’humecta légèrement les lèvres pour récolter les quelques gouttes de whisky qui s’y étaient attardées. Eli fut toutefois brièvement déconcentré lorsque le mouvement qu’il effectua en avant pour poser son verre sur le bureau lui arracha une moue douloureuse, accompagnée d’une légère exclamation. Dans un réflexe, sa main vint chercher un point douloureux dans son dos, et il secoua la tête en esquissant un sourire goguenard. « Je peux remercier Chan et son boulot de merde de me refourguer assez de stress pour me flinguer le dos », bougonna-t-il sans pour autant se départir de son sourire, la douleur repartie aussi vite qu’elle avait surgi. Il se laissa retomber contre le dossier de son fauteuil dans un soupir à fendre l’âme, avant de reporter son attention sur Mila, dont il détailla la tenue avec un sourire appréciateur. « Je ne l’avais jamais vu, ce tailleur – il te va très bien », commença-t-il, avant de laisser ses lèvres s’étirer davantage et de poursuivre, à peine plus fort qu’un souffle : « Très professionnelle, mademoiselle Salvatori. » Il disait vrai – et pourtant, sa voix chargée de sous-entendus laissait deviner combien le contraire ne lui aurait pas déplu.

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L’intensité du stress qui avait manqué de paralyser Eli un peu plus d’une heure plus tôt n’était désormais plus qu’un souvenir, que l’héritier était par ailleurs déjà prêt à oublier. Après avoir été si tendu qu’il en était arrivé à se comporter comme un enfant effrayé, prêt à prendre la fuite plutôt que d’affronter ses responsabilités s’il en avait eu la possibilité, il renouait avec une sérénité dont il était le premier surpris – il n’était certes pas du genre à se laisser envahir par ses angoisses et trouvait une certaine fierté dans sa capacité habituelle à garder son sang-froid, mais la vitesse avec laquelle il était parvenu à décompresser après cette réunion qui l’avait gardé éveillé la nuit était impressionnante, même pour lui. C’est qu’il était pressé de laisser derrière lui cette expérience qu’il n’était pas pressé de réitérer, quand bien même il savait qu’il n’était pas au bout de ses peines et que des épreuves similaires l’attendaient encore, prêtes à pimenter peu importe le temps qu’il lui restait à endosser le rôle de son petit frère en attendant le retour de ce dernier. Mais Eli ne pensait à rien de tout cela – en ce qui le concernait, les responsabilités du genre et toute l’anxiété qui les accompagnait n’existaient pas, plus pour le moment, et seule lui importait la distraction apportée par une Mila dont la présence n’aurait pu mieux tomber. Sa présence lui avait toujours été agréable, sa compagnie toujours appréciée – mais elle était particulièrement opportune alors que l’héritier aspirait, plus que jamais, à évacuer toute la tension qui s’était accumulée en lui au cours des derniers jours.

Il n’attendait rien de particulier de ce moment, si ce n’est de pouvoir en savourer chaque seconde en compagnie de la charmante brune qui semblait dotée d’un talent tout particulier pour lui faire oublier ses problèmes. En trempant ses lèvres dans son verre après avoir trinqué, Eli se fit la réflexion que finalement, sa journée n’était pas si catastrophique – et rien n’aurait pu le distraire de ce constat, si ce n’est la douleur fulgurante qui traversa son dos et lui arracha une exclamation de douleur. Il tenta de faire abstraction en plaisantant plutôt que de se répandre en lamentations, mais, d’une manière qui fut loin de lui déplaire, Mila prit sa plainte comme une invitation à lui venir en aide de la plus agréable des façons. Il se laissa aller à ses gestes sitôt qu’elle eut posé les mains sur ses épaules, fermant les paupières en laissant échapper un soupir satisfait alors qu’elle commençait à lui masser les épaules, et il esquissa un petit sourire en lui confiant : « Tu fais ça merveilleusement bien. » Les mouvements ne tardèrent toutefois pas à se tarir, et Eli s’apprêta à remercier Mila pour cette parenthèse de douceur – mais fut aussitôt interrompu dans son élan par les mots qu’elle lui susurra à l’oreille, et qui lui arrachèrent un frisson ostensible. Les mots moururent dans sa gorge et il resta silencieux pendant quelques instants, durant lesquels il suivit du regard celle qui reprenait sa place face à lui, son verre bientôt à nouveau entre les doigts. Son regard retrouvé, il esquissa un sourire en coin qui en manqua pas de trahir les pensées qu’elle était parvenue à faire naître chez lui, mue dans ses propos par des intentions qu’elle ne semblait nullement chercher à dissimuler. « C’est une offre très… généreuse, Mila », renchérit-il d’un ton badin, le regard lourd de sous-entendus tandis qu’il lui laissait clairement comprendre que l’idée était loin de lui déplaire. Mais il ne se départit pas pour autant de ses bonnes manières, moins effronté que Mila dans sa façon de faire perdurer le petit jeu de séduction qui avait déjà assis sa place entre eux depuis le jour de leur rencontre, et l’éternel garçon bien élevé qu’il était enchaîna avec un compliment au sujet de la tenue de sa ravissante collègue plutôt qu’une réflexion plus lourde de sens. Il ne fut pas réellement surpris de voir que la réponse de la brune fût nettement plus franche, et son visage se teinta à son tour d’un amusement provocateur tandis qu’il arqua un sourcil. « Au contraire, je pense qu’il me reste énormément à découvrir », murmura-t-il, le ton prétendument neutre alors que son regard resta accroché aux mouvements d’une sensualité effarante qu’esquissa une Mila plus insolente que jamais. Ses dents vinrent attraper sa lèvre inférieure avant que son regard azur ne vienne retrouver celui de Mila, et soudain, toutes les précautions et les bonnes résolutions auxquelles il s’était tenu depuis des semaines ne furent plus qu’un lointain souvenir. Il n’eut plus qu’une seule envie : céder aux moindres caprices édictés par son esprit enivré, renoncer à son satané sens des responsabilités et s’accorder le plaisir qu’il convoitait ardemment. Quelques instants s’écoulèrent dans un silence aux mille connotations, avant que finalement, l’héritier ne se lève et surplombe de toute sa hauteur l’envoûtante italienne. Il ne lui fallut qu’un pas pour réduire à néant la distance qui les séparait, et il la toisa pendant une paire de secondes, si proche d’elle qu’il pouvait sentir le souffle de la belle s’écraser contre la peau de son visage. D’un geste lent, il vint attraper le verre qu’elle tenait dans la main, et le posa précautionneusement sur le bureau, à côté du sien, sans jamais quitter le regard de Mila du sien. « Mais je ne cesse de me poser une question… », chuchota-t-il, l’ombre d’un sourire flottant toujours sur ses lèvres pleines, « Est-il bien raisonnable de me lancer dans cette exploration ? » Il connaissait parfaitement la réponse à cette question : elle était négative, et le resterait à jamais. Pourtant, les conséquences dangereuses de ce petit jeu n’avaient jamais semblé si dérisoires – elles en devenaient même tentantes, à tel point qu’il brûlait de goûter à l’interdit, tout comme il brûlait de goûter aux lèvres vermeille qui échappaient, à intervalles réguliers, de légers souffles à quelques centimètres des siennes seulement.

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