birthday sails

L’aube venait tout juste de percer à l’horizon, et il n’était pas encore tout à fait cinq heures du matin lorsqu’un vacarme retentissant arracha sans cérémonie Eli à son sommeil paisible. C’est un Channing à l’énergie inexplicablement débordante qui vint tirer son frère de ses songes comme s’il n’était pas ridiculement tôt, et l’entrain du cadet ne tarda pas à rencontrer la mine renfrognée et les grommellements de son aîné. Encore passablement endormi malgré l’oppressante cacophonie initiée par son frère, devenu son colocataire au gré des intempéries récentes qui s’étaient abattues sur la ville, Eli s’exprima dans un gémissement plaintif après avoir avisé l’heure affichée sur son téléphone – s’il avait, brièvement, nourri l’espoir illusoire de s’être trompé en se basant uniquement sur la couleur du ciel à l’extérieur, il fut rapidement forcé de se rendre à l’évidence en lisant les chiffres inscrits sur l’écran de son portable. « Je peux savoir quel est ton problème, au juste ? », s’exclama Eli d’un ton douloureux tout en tentant de fuir son frère en se cachant de plus belle sous ses draps, mais sa tentative de fuir l’inévitable fut bien rapidement mise en échec par un Chan visiblement déterminé à venir à bout de ses défenses. En dépit des protestations du premier, le deuxième ne démordit pas un instant de son plan aux enjeux tout à fait opaques, mais dont la première étape était de toute évidence d’arracher Eli à la tiédeur de son lit.

Eli finit par rejoindre Chan dans la vaste cuisine de l’appartement après une douche salutaire, qui ne suffit toutefois pas à lui insuffler l’énergie joviale qui ne le quittait d’ordinaire jamais, à condition qu’il ait bénéficié de ses précieuses heures de sommeil. Une expression si bougonne qu’elle en devenait comique sur le visage, Eli fit couler un espresso avant de reporter le regard sur son cadet, dont l’expression amusée manqua de lui soutirer un sourire agacé à son tour. « Je te préviens – ma lettre de démission t’attendra sagement sur ton bureau demain matin », maugréa-t-il avant de prendre une gorgée de café brûlant, puis de prendre place sur l’un des tabourets de la cuisine. Accompagnée de l’un de ses nouveaux acolytes, Zelda vint bientôt effleurer ses pieds avec sa douceur caractéristique, suscitant ainsi le premier vrai sourire de la journée chez son maître. Celui-ci se frotta théâtralement les yeux tout en demandant, avec une curiosité mal dissimulée dans la voix : « Alors, dis-moi – que me vaut le plaisir d’être réveillé de si bonne heure ? » L’ironie était perceptible dans sa voix, bien que son regard azur avait retrouvé de son habituelle malice.

Mais Eli ne fut toujours pas beaucoup plus avancé dans ses interrogations lorsqu’ils prirent le chemin du garage pour y retrouver la sportive de Chan, qui s’installa avec un air insupportablement mystérieux dans le siège conducteur. Les interrogations répétées de l’architecte ne rencontrèrent que le silence le plus frustrant de l’homme d’affaires, dont le sourire suffisant était aussi agaçant que la lueur excitée dans ses yeux noisette était intrigante. Inévitablement, Eli se sentait ramené à ce fameux jour, près d'un an auparavant, où il avait emmené un Channing grognon et tout aussi frustré d’être gardé dans la pénombre de la surprise que lui avait réservée son aîné, et maintenant que les rôles étaient inversés, ce dernier se doutait que son cadet s’en donnait à cœur joie de pouvoir lui rendre la monnaie de sa pièce. Lorsqu'il eut fini par se rendre à l'évidence que Channing ne céderait pas devant ses plaintes et questions, Eli décida, un peu tard, d'être bon joueur et de laisser son frère mener à bien la mystérieuse surprise qu'il lui avait réservée.

Quelques minutes plus tard, alors que les premiers rayons du soleil commençaient à habiller le ciel de teintes pastel, Channing arrêta le véhicule dans un lieu familier, dont la vue fit briller d’une lueur enthousiaste les prunelles azur d’Eli. Les voiles se dressaient par dizaines le long du port, et Eli trépignait presque sitôt sorti de l’habitacle de la sportive, le regard rivé dans la direction de l’emplacement de son voilier bien-aimé. « Tu voulais que je sois ton capitaine privé pour la journée ? Il aurait suffi de demander gentiment, tu sais », le taquina-t-il, ayant recouvré son assurance teintée d’arrogance. Mais Eli n'était pas arrivé au bout de ses surprises – sa démarche confiante en direction du Wind Waker perdit ainsi quelque peu de sa témérité lorsqu'il avisa, debout près du voilier, une silhouette familière. « Lexie ! », s’exclama son grand frère avec une incrédulité réjouie, pressant le pas quelques secondes après que celui-ci s'était fait plus hésitant, comme s'il avait attendu de s’assurer d’avoir bien vu avant de poursuivre sa route. Un large sourire sur le visage, Eli se précipita vers la benjamine de la fratrie pour l’attraper dans une étreinte brève mais chaleureuse, comme il s'était habitué à les lui prodiguer. Les deux paires d’yeux identiques se rencontrèrent et restèrent accrochées, celles d'Eli animées de stupeur tandis que l’expression de celles de Lexie était moins exubérante, mais pas moins douce pour autant. Après avoir relâché sa sœur, Eli laissa vagabonder son regard entre son frère et sa sœur, comme s’il avait encore du mal à comprendre ce que ces derniers avaient derrière la tête. « Qu'est-ce qu'il se passe ? », demanda-t-il avec une touchante ingénuité, bien que les hypothèses à ce sujet aient déjà commencé à fuser dans son esprit réjoui. Leur présence à tous les trois aurait pu sembler anodine, et elle l'aurait été il y a vingt ans, mais désormais, c'était tout le contraire : depuis son retour, en-dehors des réunions de famille toutes plus catastrophiques les unes que les autres, Eli avait été le seul à initier des rencontres avec la fratrie au complet, et toujours malgré la réticence de cette dernière. On ne pouvait d'ailleurs pas dire que leurs moments ensemble avaient toujours été marqués de succès ces derniers temps, et ils semblaient au contraire avoir eu le don de souligner combien leur fratrie restait meurtrie par l’absence prolongée de celui qui en avait autrefois été le point de repère, et insinuer le doute même chez l'éternel optimiste du lot des doutes quant à la possibilité qu’ils se remettent un jour complètement de l'abandon qu'il leur avait infligé. Des doutes qui avaient semblé s’évaporer maintenant que ses cadets lui avaient fait la surprise de se retrouver à cette heure indécente – il était évident qu'ils n'auraient pas pu lui faire de plus grand plaisir, et son visage d'ordinaire si neutre en témoignait de la plus flagrante des manières.

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