La soirée se passe bien, vraiment bien. Bailey est rentré plus tôt du travail, il est souvent rentré plus tôt ces derniers temps. Jill dessine, lui joue, et ils passent leurs après-midi ensemble à parler de tout et de rien. Elle est toujours aussi tactile Jill, elle passe sa vie à le rejoindre où qu’il soit pour l’enlacer ou l’embrasser. Elle est heureuse jusque là, elle ne réfléchit pas à tout ce qui peut se passer dans quelques semaines, elle ne pense pas à l’accouchement. La chambre n’est même pas encore totalement terminée, ils ont encore du temps, encore un peu. Il commence à faire nuit quand elle se balade dans la cuisine à la recherche de quelque chose à grignoter pour le soir. Elle a l’impression que son ventre se contracte. Rien de grave certainement, seulement quelque chose qui lui coupe légèrement le souffle. Elle respire un peu mieux après quelques secondes. C’est certainement parce qu’elle a trop marché, et elle le sent le regard de Bailey sur elle alors qu’elle se pose un peu contre le comptoir. “C’est rien je suis debout depuis trop longtemps.” Et ça la frustre de ne servir à rien et de ne pas pouvoir marcher comme elle le veut même dans sa propre maison.

Et finalement c’est Bailey qui se charge du repas, que Jill engloutit en majorité. Elle doit encore manger pour trois, et ces deux bébés se font de plus en plus grand. Son ventre prend toute la place, elle peut tout juste bouger. Elle râle, tout le temps. Bailey en a du courage pour la supporter dans cet état là depuis des mois. Elle retourne s’allonger sur le canapé avec Bailey pour passer la soirée devant un film, ou à dessiner sur ses genoux quand elle sera posée contre son torse. Elle s’installe contre Bailey et se tourne vers lui pour poser ses lèvres sur les siennes. “Je suis épuisée encore.” Ca ne change pas vraiment. Mais les jumeaux sont agités ce soir, ils bougent beaucoup et donnent des coups. Ca fait beaucoup en une seule soirée mais Jill ne s’inquiète pas plus que ça, elle tente juste de reprendre sa respiration.




@Bailey Fitzgerald

Je sens ses bras se glisser autour de mes épaules alors que je tente pour la énième fois de poursuivre la mélodie. Elle n’a jamais été aussi tendre, aussi tactile, Jill, et je profite de chaque instant de tendresse qu’elle m’accorde. Les semaines s’écoulent et tout doucement, on arrive à la fin de sa grossesse. C’est tout aussi excitant qu’effrayant, mais on a décidé de vivre le moment pleinement, d’arrêter de se poser un million de questions à la minute. Nous sommes en train de vivre nos dernières semaines à deux et c’est bien pour cela que je ne vais pratiquement plus au studio ou que je fais tout pour rentrer le plus tôt possible. Je veux profiter de nos instants, lui offrir tout ce dont elle a besoin avant cette nouvelle étape. Aujourd’hui, encore, on a simplement vécu. Discutant de tout et de rien avant de vaquer chacun à nos occupations, jamais bien loin de l’autre, toujours prêt pour un baiser ou une simple étreinte. Je sens ses lèvres qui se perde dans ma nuque alors que mes doigts continuent à courir sur les touches. Là, à cet instant, je me sens bien.

Je me perds dans ma musique et ne vois pas réellement les heures passées. C’est seulement, lorsque je vois Jill errer dans la cuisine que je réalise qu’il serait sûrement temps de lâcher mon piano pour m’occuper un peu de ma femme. Elle grimace Jill et instantanément, je m’inquiète. « C’est rien, je suis debout depuis trop longtemps. » Je hoche la tête ne voulant pas être le mari oppressant et chiant que je peux être lorsque je m’inquiète réellement. Malgré tout, je lui ordonne de s’asseoir et me charge du dîner. C’est tout de même important qu’elle se repose.

Et on se retrouve dans le canapé, comme tous les soirs ces derniers temps. J’ai à peine le temps de m’asseoir que déjà Jill viens se blottir tout contre moi. Sourire aux lèvres, je passe mon bras autour de ses épaules. Elle a l’air fatiguée Jill et mon regard doit réellement être inquiet pour qu’elle parle avant que je ne dise quoique ce soit. « Repose toi… » Je viens embrasser son front avant de poser ma main sur son ventre arrondis. « Et vous… Laisser ma maman se reposer un peu, les terreurs. » Ils sont souvent actifs, le soir, et je sais que cela gêne la brunette. Elle râle souvent et moi je ne cesse de sourire. Je me doute que rien de tout cela n’es simple pour elle et je ne vais pas en rajouter en lui demandant de cesser. Je me fiche bien qu’elle râle, tant qu’ils vont tous bien. Je lance un film un peu au hasard, mais finis par sentir que Jill est de plus en plus tendue contre moi. « Tout va bien ? » Je la vois grimacer et surtout elle semble à bout de souffle parfois. « Elle te massacre encore les côtes ? » Parce que notre fille est clairement une pro dans ce domaine.

Elle est particulièrement fatiguée ce soir, les jumeaux bougent trop, et elle s’essouffle bien plus vite que d’habitude. Mais elle essaie de ne pas s’inquiéter la brune, c’est trop tôt. Elle ne peut pas déjà accoucher, c’est une fausse alerte. Elle rassure Bailey qui lui lance plusieurs regards inquiets depuis son piano. Elle ne se résoudra pas à aller à l’hôpital tout de suite, elle ne veut pas qu’ils la gardent dans une de ces chambre jusqu’à son accouchement, elle ne le supporterait pas. Alors elle s’assoit et elle le regarde faire dans la cuisine en râlant parce qu’il est bien trop lent. Elle souffle, elle rit, et elle pique dans tout ce qu’il peut bien commencer à préparer.

De longues minutes plus tard, après avoir mangé, ils se retrouvent tous les deux enlacés dans le canapé. Elle profite quand les jumeaux ne décident pas de bouger dans tous les sens, cette grossesse devient de plus en plus éprouvante. Elle soupire, elle a envie que ça s’arrête. Tout est bien trop long, mais les bébés pourront naître en bonne santé dans plus d’un mois normalement. Elle tient le coup, tant qu’elle le peut. Elle grimace, fronce les nez et laisse sa main courir sur son ventre pour tenter de calmer les choses mais rien n’y fait. “Je fais déjà ça toute la journée.” Elle se repose et elle tourne en rond dans cette grande maison. Elle sourit quand il parle aux bébés, il le fait souvent, elle, elle ne le fait jamais. Il met un film mais elle ne se concentre pas dessus, son souffle se coupe un peu, c’est étrange. “ça va.” Elle ne l’inquiètera pas, et elle essaie de ne pas s’inquiéter elle non plus. “Elle a apparemment décidé de broyer mes côtes et tous les organes vitaux qui sont autour.” Et c’est dans ces moments là qu’elle déteste être enceinte. “On va se coucher ?” Elle se lève, le film ne doit même pas être à la moitié mais elle est vraiment épuisée. Elle va essayer de dormir, si ils veulent bien arrêter de remuer dans tous les sens.

Les minutes, les heures passent alors qu’elle n’arrive pas à fermer l’oeil plus de 5 minutes. Elle ne comprend pas bien ce qu’il se passe, mais elle commence à s’inquiéter. C’est bien trop douloureux pour être normal, mais ça ne peut pas être ça si ? Elle ne peut pas être en train d’accoucher ? Sa respiration se coupe pour une énième fois et elle ne tient plus. Elle réveille Bailey, elle va vraiment devoir aller à l’hôpital cette fois, et ça la fait paniquer, tout est en train de la faire paniquer. “Je crois qu’il faut qu’on y aille.”

Elle ne cesse de grimacer Jill et je n’arrive pas à savoir si c’est d’inconfort ou parce qu’il est en train de se passer quelque chose. Le médecin lui a demandé de se reposer et là-dessus, elle a tout simplement été parfaite. Je pensais que ça allait être difficile lorsque le verdict est tombé. Je pensais que l’on allait passer notre temps à se disputer parce qu’elle refuserait de passer son temps à la maison, entre le lit et le canapé, mais rien de tout cela n’es arriver. Au contraire, Jill n’a cessé de faire attention. Elle ne se baladait plus que dans la maison ou le jardin et prenait le temps de faire des pauses – ou de longue sieste – dès qu’elle en ressentait le besoin. Sans jamais vraiment le lui dire, j’ai vu ma femme changer ces dernières semaines. Comme si inconsciemment, elle se préparait réellement, tout doucement, à devenir mère. Enfermer dans son petit cocon avec l’idée de garder les petits bouts au chaud le plus longtemps possible. Et cette vision-là… J’en suis tombé amoureux pour la millième fois au moins. Alors, je tente de ne pas être sur son dos mais ce soir, la grimace qui traverse son doux visage deviens un peu trop récurrente. « Je fais déjà ça toute la journée. » Un sourire et mes lèvres qui viennent se déposer sur son front. « Je sais. » Et je suis si fier d’elle pour tout cela et je tente de le faire passer dans un regard alors que l’on s’installe pour la soirée. Plus le temps passe, plus j’apprécie de rester à la maison le soir, regarder un film, se câliner un peu, observer Jill qui dessine. Une vie simple que l’on ne connaissait pas, mais qui m’enchante de plus en plus.

Je n’ai pas le temps de réellement penser à tout cela. Jill grimace de nouveau, se tortille dans tous les sens et finis par râler. « Elle a apparemment décidé de broyer mes côtes et tous les organes vitaux qui sont autour. » « Têtue comme sa mère. » que je plaisante un peu. Mais je vois que cela ne plaît pas à Jill, elle en a marre, elle veut aller se coucher. Alors, tout en douceur, je l’aide à se lever du canapé et l’emmène jusqu’à notre chambre. C’est devenu compliqué pour elle de monter les escaliers avec son ventre, mais elle refuse que l’on déménage notre chambre en bas. Logan nous suit et va déjà s’allonger par terre, du côté où Jill dors. Elle est inconfortable et je ne supporte pas l’idée, mais la journée a été longue et je sombre rapidement, mon bras coller à celui de Jill, la tête dans l’oreiller.

Une main vient me secouer, j’entends mon prénom et râle. Je me tourne de l’autre côté et l’on me secoue encore plus fort. « J’ai rien fait. » que je marmonne alors que je me tourne de nouveau du côté de Jill, enfin, je crois. La pièce est plongée dans le noir, j’ai du mal à comprendre ce qui se passe. Je prie pour que ce ne soit pas une fringale. « Je crois qu’il faut qu’on y aille. » L’esprit complètement embrumé par le sommeil, je ne percute pas. « Mais tu veux aller où ? » Le silence qui suit me fait comprendre que ce n’était pas la réponse à donner. Enfin, je crois. J’ouvre enfin les yeux, aperçois le profil de Jill dans la pénombre et surtout la terreur qui se dessine sur son visage. Je me redresse d’un bond. « Qu’est-ce qui se passe ? » J’allume rapidement la lampe de mon côté et me retourne pour faire face à une Jill toute pâle qui se tient le ventre. Et je comprends… Elle veut aller à l’hôpital. « Tu es sûre ? » Parce que si je l’emmène maintenant, à son stade de la grossesse, ils ne la laisseront pas ressortir, on le sait tous les deux. Je serais plus rassurée si elle était entourée de médecin, mais je veux m’assurer que ce soit son choix à elle.

Têtue comme sa mère. Des mots qui résonnent dans sa tête. Elle aurait presque envie de s’excuser auprès de sa mère si elle a été aussi affreuse pendant la grossesse. Elle est gênée, elle ne veut plus rester sur le canapé et ils partent se coucher. Bailey arrive à dormir, elle, pas du tout. Elle tourne dans tous les sens, serre les dents à chaque douleurs et commence à se poser des questions sur son état. Les douleurs ressemblent de plus en plus à des contractions et elle commence à paniquer. Alors elle secoue Bailey et tente de le réveiller. Il a décidé de ne pas se réveiller instantanément et quand il sort ses quelques premiers mots elle pourrait le tuer.

Il lui demande où elle veut aller et elle lui lance un regard noir qu’il ne voit pas parce que leur chambre est encore plongée dans l’obscurité. Jusqu’à ce que Bailey réagisse et comprenne qu’il se passe quelque chose d’étrange. Quelque chose qui l’inquiète vraiment. “Ca s’arrête pas, je crois que c’est des contractions.” Elle n’a aucune expérience, elle ne sait pas quoi faire ni comment. Elle n’est pas prête, pas déjà. Elle devait avoir encore 1 mois pour se préparer à tout ça, pourquoi rien ne se passe jamais comme prévu ? “On a pas le choix là.” Elle ne prendra pas le risque de rester dans ce lit et d’accoucher dans sa maison sans aide médicale. Elle n’aime pas les médecins en temps normal, mais là elle n’a pas le choix. On ne sait jamais ce qu’il peut se passer, et elle ne les mettra pas en danger.

Elle s’assoit et commence à grogner à cause de la douleur, elle va vraiment survivre à ça si ces contractions là ne sont que le début ? Elle souffle, elle n’a pas de sac de prêt, rien du tout. Elle aurait peut-être dû être prévoyante pour une fois. “Il faut prendre des affaires.” Elle se tourne vers Bailey et tente de se lever mais renonce en voyant qu’elle ne tient pas debout plus de 10 secondes sans souffrir. “Il faut vraiment qu’on y aille Bai.” Elle s’énerverait presque. Le trajet, et tout ce qui les attend s’annonce éprouvant. “C’est trop tôt.” Elle se murmure presque à elle-même, ayant l’impression d’avoir échoué, encore, et de mettre ses enfants en danger une nouvelle fois.

Je ne m’attendais pas a être secoué par un prunier par Jill, encore moins à dire la plus grosse connerie de ma vie alors qu’elle est clairement en train de paniquer. Il me faudra quelques secondes pour émerger à un stade, légèrement, supérieur et allumer la lumière. Pour me rendre compte que cette fois les petites grimaces se sont transformer en vrai plainte de douleur. Quelque chose qu’elle ne maîtrise pas et qui semble l’inquiéter plus que de raison. Je me souviens de ce que la sage-femme nous as dit, Jill dois faire confiance à son corps. « Ça s’arrête pas, je crois que c’est des contractions. » Et si pour elle, ce qui est en train de bouleverser son corps ressemble à des contractions, il faut bouger. Le problème ? Encore à moitié endormi, j’ai du mal à pleinement percuter et lui demande si elle est sûre d’elle. Je connais ma femme, elle ne voudra jamais rester dans un hôpital si ce n’est qu’une fausse alerte. « On a pas le choix là. » Et je vois, dans son regard, qu’elle n’aime pas cela, mais que pour elle, c’est la meilleure des décisions à prendre. Je sais qu’elle ne mettra pas en danger nos enfants ou même sa personne, je lui fais confiance. « On y va alors. »

Et tout s’accélère dans ma tête. On a clairement rien de prévu. Le médecin nous avait prévenus, les jumeaux arrivent généralement avec de l’avance, mais on était serein, on pensait avoir du temps devant nous pour voir les choses venir. Et là, au beau milieu de la nuit, je me lève de mon lit complètement paumé, sans savoir où aller ou quoi faire. Je regarde tout autour de moi, jette un regard à Jill qui tente de se lever. Et on fait quoi ensuite ? « Il faut prendre des affaires. » Malgré la douleur, elle est celle qui garde les pieds sur terre et me rappelle qu’il faudrait que je me bouge. « Il faut vraiment qu’on y aille Bai. » « Oui, oui. Des affaires. » Je jette la couette qui recouvrait encore mes jambes et me précipite vers la commode sur le mur d’en face. J’ouvre tous les tiroirs avant de trouver celui qui renferme les affaires de Jill. Il faut prendre quoi ? Bêtement, je jette une chemise de nuit, un pull, son legging de grossesse favori, un ou deux tee-shirts. Les trucs qu’elle avait plus ou moins prévu pour la maternité dans un coin. « Je prends pour eux ? » Est-ce que c’est vraiment nécessaire ? Je pourrais toujours revenir ou envoyer Ginny. J’en sais rien. Ça tourne vite et Jill est toujours assise sur le lit. Entre deux retournements de tiroirs, je l’entends marmonner. « C’est trop tôt. » L’instant d’après, je lâche ce que j’ai entre les mains et me précipite vers ma femme. « Jill… » Elle ne cesse de fixer le sol et je viens glisser mes doigts sous son menton pour que son regard croise le mien. « Le médecin a dit que c’était courant pour des jumeaux. » Je ne veux pas qu’elle s’en veuille, pas après tous les efforts qu’elle a pu faire ses dernières semaines. « Tout va bien se passer. » Je viens embrasser son front. « Je te le promets. »

L’instant d’après une nouvelle grimace viens tordre son petit sourire. « Reste allonger, je prépare tout vite et on y va. » Je vais finir de boucler un sac pour elle. Cours dans la nurserie à moitié achever pour prendre les deux petits pyjamas que j’avais acheté pour nos petits monstres. On verra plus tard pour le reste. Je reviens dans la chambre et attrape la robe que Jill porte souvent et reviens vers elle pour l’aider à s’habiller. « Tu peux descendre les escaliers ou je te porte ? »

C’est douloureux, presque insoutenable. Elle souffle Jill, vraiment fort. Elle essaie de se souvenir de toutes ces respirations qu’elle a apprise avec la sage femme. Et ça ne marche pas, rien ne calme la douleur des contractions. Elle en est sûre maintenant, c’est des contractions. Bailey semble mettre du temps à sortir du lit, il ne comprend pas bien ce qu’il se passe et Jill a envie de lui hurler dessus. Ils n’ont rien préparé. pas d’affaires pour les petits ni pour elle. Ils vont partir pour l’hôpital, et Jill a rarement été aussi angoissé. Elle se pose des milliers de questions, et elle se dit que tout est de sa faute. Elle hoche la tête, ils vont partir, et il va se dépêcher de préparer les affaires s’il ne veut pas que Jill se mette à hurler.

Il se lève mais ne fait rien, alors Jill reste celle qui a la tête sur les épaules pendant les minutes qui suivent. Il faut des affaires avant de partir. “J’en sais rien.” Comment elle pourrait savoir s’il faut leur prendre des affaires à eux aussi ? Elle est aussi novice en la matière que Bailey, elle est même encore moins expérimentée. Il a eu Noah lui, Jill n’a jamais eu à faire à des bébés. Et elle panique, beaucoup. C’est trop tôt, elle n’a pas encore eu le temps de réaliser, de se préparer à leur arrivée. Elle ne pensait pas qu’il allait l’entendre, elle n’avait pas vraiment vu où il était. Il se pose devant elle et prend du temps pour discuter. Elle oublie presque la douleur entre deux contractions, elles ont encore de longues minutes d’écart. “On est pas prêt…” Elle parle avec le on mais elle le sait que Bailey aimera ces deux bébés à la seconde où il les verra. Il sera un père parfait, quand elle ne sait même pas si elle est capable d’aimer ses propres enfants. “Je suis pas prête…” Et il le sait ça. Il embrasse son front en disant que tout va bien se passer et je grogne de nouveau de douleur.

Elle reste sur le lit à tenir son ventre en essayant de garder une respiration régulière. “Vite.” Elle répète ses derniers mots. Elle ne veut pas le stresser, mais elle n’est pas vraiment rassurée elle non plus. Et il revient avec un sac de vêtements. “Je crois que je peux encore marcher.” Elle grimace mais ne veut pas les ralentir sur le trajet. Elle se lève et s’accroche à son bras pour descendre les escaliers. La voiture est terriblement loin, et elle grimace en marchant. Le trajet risque d’être très long.

On pense être préparé. On en parle, on demande des conseils autour de soi, on tente de réaliser petit à petit que la fin du parcours est proche et que ces deux bébés ne vont pas pouvoir rester éternellement dans le ventre de leur mère. On pense tout savoir, mais a cet instant précis, j'ai la sensation d'être propulsé à la vitesse de la lumière dans un monde dont je ne connais aucun code et qui m'effraie plus que de raison. Tout s'accélère alors que Jill souffle fort assise sur le bord du lit, ses mains crispées autour de son ventre. Je cours tel un poulet sans tête dans la chambre, tentant tant bien que mal de réunir des affaires. Est-ce le vrai travail ? Ou juste une fausse alerte ? Est-ce que la prochaine fois que l'on passera la porte de cette maison, ce sera comme une famille de quatre ? Les questions se bousculent et je perds du temps. Les vêtements sont jetés en boule au fond du premier sac que j'ai trouvé, je tente de penser à son confort, y mets un de mes tee-shirt qu'elle pique tout le temps et tout ce que j'estime utile sur l'instant.

« On est pas prêt… » Non... On est pas prêt. Je le réalise depuis le jour où elle a eu son malaise. Rien ne peut réellement nous préparer au tsunami que la naissance des jumeaux va provoquer dans notre vie. Je tente de sauver la face avec Jill depuis des semaines. Je pourrais céder à la panique, mais refuse de le faire alors qu'elle semble à deux doigts de fondre en larmes. On est pas prêt, mais au fond de moi, j'en reste persuadé, on s'en sortira. Personne ne naît parents. Il faudra apprendre, probablement commettre des erreurs et grandir petit à petit avec eux. « Je suis pas prête... » Et ça me fends le coeur, de la voir dire cela. Je le sais depuis si longtemps que parfois je m'effraie à penser que nous n'avions pas pris la bonne décision. « Je suis là. » C'est tout ce que je peux lui promettre. D'être là pour elle. D'affronter le monde avec elle, main dans la main.

Je l'aide à s'habiller et se lever alors qu'elle grimace à intervalle régulier de quelques minutes. Descendre les escaliers s'avère devenir une réelle aventure, on prends notre temps et ses ongles s'enfoncent dans mon avant-bras à chaque nouvelle contraction. C'est seulement une fois à la porte d'entrée que je réalise le problème. Je comptais partir en caleçon. « Merde. » je râle, lâche le sac et regarde Jill. « Je... J'arrive. » Courir dans l'autre sens, louper une marche dans l'escalier, sauter dans un jogging et un tee-shirt, virage serré dans le couloir, basket jeter aux pieds et nouvelle descente dangereusement trop rapide. « Okay on y va. » On y va... A l'hôpital. Pour rencontrer nos bébés. Je laisse la panique monter une seconde. Le temps pour Jill de se plier en deux et pour moi de réaliser qu'aujourd'hui la tempête émotionnelle devra rester au placard. C'est elle. Tout pour elle. Je ravale le flot d'émotions, l'enferme à double tour et prends la main de Jill.

Direction la voiture.

Elle souffre, comment c’est possible que ça fasse déjà aussi mal ? Elle reste assise dans un coin du lit pendant ce qui semble être une éternité. Elle ne le voit pas préparer les affaires, elle s’enferme dans sa tête et son esprit. Elle réfléchit, les voix ne sont pas encore là mais si elle se laisse aller elle sait exactement ce qu’il va se passer. Alors elle tente de se contrôler, elle peut le faire. Et, même si elle a encore du mal à l’avouer, elle sent que le traitement lui fait du bien. Il l’assomme, toujours trop à son goût, mais elle fait ça pour les bébés. Elle le faisait pour eux jusqu'à aujourd'hui en tout cas. Mais elle va accoucher, elle le sent que c’est le moment. Il n’y a plus de marche arrière possible. Elle va être mère dans quelques heures, et elle ne peut rien faire contre ça. Elle est terrifiée, seulement terrifiée. Il n’y a aucune émotion positive qui arrivent avec toutes ces contractions. Est ce que c’est normal ? Elle espère que oui. Elle ne peut pas abandonner alors qu’ils arrivent, elle ne peut pas faire ça, ni à Bailey ni aux jumeaux.

Elle ferme les yeux et attend, elle n’est pas prête et elle le répète sûrement plusieurs fois. Il est là, et elle le sait Jill. Il est là depuis le début et il le sera toujours. Quoi qu’il se passe, elle sera toujours là pour lui elle aussi. Elle ne pourra jamais l’abandonner ou le sortir de sa vie, il prend bien trop de place depuis des années déjà. Ses yeux remontent vers ceux de Bailey. Il contrôle ses émotions, il contrôle absolument tout et ça l’aide Jill qu’il ne se laisse pas submerger. Elle se tait, elle hoche la tête. Ce n’est que elle et lui pour le moment.

Elle ne sait pas ce qu’il fait ou où il va. Il court partout. Et ils se rendront compte à l’hôpital qu’ils ont oublié la moitié de ce dont ils avaient besoin. Et ils descendent les escaliers. Difficilement. Elle s’arrête régulièrement à cause de la douleur en plantant ses ongles dans la chair de Bailey. Arrivé à la porte Bailey se rend compte qu’il n’est même pas habillé. “Sérieusement ?” Elle souffle entre ses dents. Elle est partagée entre l’envie de rire ou de lui hurler dessus. Elle va pas tarder à lui hurler dessus pour un rien à cause de la douleur et du temps qu’il met à les faire sortir de la voiture. Et ils y vont enfin. Jill se pose sur le siège passager et sa respiration se fait de plus en plus saccadée même si les contractions sont toujours assez éloignées. Elle a peur que ça arrive trop vite, ou de mal faire quelque chose. Elle a l’impression de tout mal faire depuis qu’elle est enceinte. “Dépêche, dépêche dépêche.” Elle ne sait plus à combien de temps se trouve l’hôpital, c’est trop loin. Ses mains serrent le siège de toutes ses forces. “Ces bébés veulent ma mort.” Elle ne contrôle plus vraiment ce qu’elle dit ou ce qu’elle pense. “Bouge je veux pas accoucher dans cette voiture.” Elle crierait presque sur Bailey alors qu’il n’y est pour rien. Mais il va devoir tenir le coup. Ils en ont encore pour de très très longues heures.

Tout tourne trop vite. J'ai jeté un million d'affaires dans ce sac, sans réellement savoir ce qui était nécessaire ou non. J'improvise comme depuis le début de cette grossesse. Dans mon dos, Jill ne cesse de scander qu'elle n'est pas prête et mon cœur se serre à chaque nouvelle affirmation. Je devais m'y attendre, c'est compliqué pour elle de gérer. Elle n'arrive pas à les envisager ses bébés alors même qu'ils grandissent dans son ventre depuis neuf mois. On avance à l'aveugle, incapable de prédire les réactions de chacun. Dans l'obscurité de la chambre, mes émotions ne comptent plus. Remise au placard, jusqu'à nouvel ordre, je me concentre uniquement sur ma femme qui dans quelques heures deviendra mère. J'en oublie de m'habiller tant tout est dirigé vers elle. « Sérieusement ? » Je m'excuse du regard, repars en courant. Seul en haut, je soupire une dernière fois. Ils vont arriver et je ne sais pas de quoi la suite sera faite.

Dans la voiture, rien ne semble aller assez vite pour Jill. « Dépêche, dépêche dépêche. » qu'elle scande alors que je passe la cinquième. Par chance, l'heure nocturne, nous permet de filer sur la route sans encombre. À mes côtés, je l'entends soupirer encore plus fort à chaque nouvelle contraction. Je me demande combien de temps, elle a attendu avant de me réveiller. Je me souviens du médecin et de la sage-femme qui nous avaient assurer que le travail pour un premier bébé pouvait prendre des heures et des heures. À cet instant précis, Jill se plie en deux dans la voiture, tentant de faire passer en silence la douleur qu’elle ressent. Ma main vient lentement chercher la sienne, merci la boîte automatique, autant qu’elle me pète les phalanges si c’est nécessaire.

Alors que je m’arrête à un feu rouge, non loin de l’hôpital, Jill lâche un petit gémissement de douleur avant que sa robe grise se tâche d’eau au niveau de son entrejambe. Cette fois, il n’y a pas de doute, l’accouchement est véritablement enclenché. « C’est rien, on arrive. » que je lui précise avant qu’elle ne dise quoique ce soit. Elle vient de percer la poche des eaux et ce n’est pas le moment de paniquer. Je me gare sur la première place que je trouve devant l’entrée de l’hôpital, me fichant bien que ce soit une place réservé aux handicapés. Avoir sa femme qui accouche donne forcément accès à un passe-droit. C’est le dernier de mes soucis alors que je fais le tour pour aider Jill à sortir.

« Ma femme a des contractions vraiment rapprochées et elle vient de perdre les eaux dans la voiture. » que j’explique à l’infirmière qui aide Jill à s’asseoir sur un fauteuil roulant. Pas un regard pour moi, elle semble de mauvaise humeur la bonne femme. Je les suis sans rien dire, une main dans celle de Jill, l’autre qui agrippe le sac sur mon épaule. On passe une porte et voilà qu’on me barre le chemin. « Nous allons examiner votre femme, restez ici. » Hors de question. Mon regard croise celui de Jill et je sens qu’elle va craquer…

Le trajet est beaucoup trop long, elle déteste ça Jill. Elle va mal, elle a mal et les contractions se rapprochent rapidement. Elle souffle, elle broie la main de Bailey quand il a le malheur de glisser ses doigts entre les siens. Elle serre les dents, elle ne crie pas. Elle est forte Jill, mais personne ne peut supporter une telle douleur, c’est impossible. Elle a besoin de quelque chose, et vous pouvez être sûr qu’elle va supplier les médecins de calmer la douleur. Elle ferait n’importe quoi pour ça. Bailey s’arrête à un feu rouge et elle le fusille du regard. Pourquoi il s’arrête alors qu’il est 3h du matin. Elle lui hurle de se dépêcher. Elle n’a jamais eu aussi hâte de rentrer dans un hôpital. Elle se tient le ventre, elle a l’impression qu’elle va vraiment exploser. La peau de son ventre s’étire de trop, ça lui fait presque peur. Comment un corps peut faire ce genre de choses ? Ils bougent les bébés, et elle veut savoir s’ils vont bien. Elle ne veut pas les blesser, est ce qu’elle a encore fait une connerie ? C’est sûrement de sa faute s’ils en sont là aussi tôt.

Elle avait besoin d’avoir encore du temps avec Bailey, elle avait besoin de ces dernières semaines où ils auraient été seulement tous les deux. Elle aurait voulu étirer le temps. Elle perd les eaux, et c’est réel, ça arrive, ce n’est pas une fausse alerte. Elle panique vraiment, mais elle n’a pas le temps de faire une crise d’angoisse. “Vite.” Elle a dû le répéter au moins 1000 fois. Ils arrivent enfin. Elle se lève et elle marche aussi vite qu’elle le peut. Elle est trempée, et terrifiée. Elle échange un regard inquiet avec Bailey, lui aussi ils paniquent. Ils ne devraient pas être heureux à ce moment là ? Elle n’écoute plus vraiment ce qu’il se passe autour d’elle, elle a la tête qui tourne et toute son attention est concentrée sur son ventre et ses douleurs. “Quoi ? Non…” Bailey doit rester, elle doit partir. Elle attend un peu mais quand la contraction revient elle se dit qu’elle n’a pas le choix. “Vous avez 5 minutes.” Et elle échange un regard avec Bailey, dans 5 minutes, ils se retrouvent.

Sa panique se diffuse dans tout l’habitacle de la voiture. Je respire un grand coup, ce n’est pas le moment d’avoir plus peur qu’elle. Le médecin nous avait prévenues, ils sont deux, au bout d’un moment, ils n’allaient plus vraiment avoir de place pour se sentir bien. Je tente de compter les jours, les semaines, mais tout se mélange dans ma tête. Je m’auto persuadé que c’est normal, que l’on ne fait rien de travers. L’accouchement est prématuré certes, mais au dernier rendez-vous le médecin nous avait assurer qu’ils étaient en pleine forme. Ils peuvent naître sans problème, on le sait. Pourtant, c’est la panique qui prime. Jill semble être enfermée dans sa bulle et je ne supporte pas d’être là, à ne rien pouvoir faire pour la soulager. Elle se concentre sur son corps, je le vois. Je lui donne tout l’espace dont elle a besoin. Conduire est quelque peu chaotique, ce n’est pas le moment de causer un accident. Tant bien que mal nous voilà arrivé à l’hôpital. Tant bien que mal, mon sourire tente de rassurer la femme que j’aime.

Tout s’enchaîne du moment où quelqu’un nous prend en charge. Jill ne fait pas semblant, ce n’est même pas la peine de lui demander ce qui est en train de se passer. L’infirmière la prend en charge et me voilà à devoir rester seul dans le couloir. « Quoi ? Non… » « C’est hors de question. » Nos paroles résonnent en cœur. Je ne la laisserai pas, je lui ai promis bien trop de fois. Elle ne va pas accoucher dans la minute, mais je ne supporterais pas de la savoir seule alors qu’elle a mal, alors qu’elle a peur. « Je reste avec elle. » Mais elle insiste l’infirmière, question de protocole et je ne sais quoi. Je pourrais la gifler. « Vous avez 5 minutes. » Et elle tranche dans le vif Jill. Cinq minutes pas une de plus. Nos regards se croisent, je lui transmets toute ma force alors que déjà, on l’emmène loin de moi.

Débute un cercle sans fin, fait de mille et uns pas au rythme de la secrétaire qui tape sur son clavier. Regard rivé à ma montre, j’observe l’aiguille qui ne va pas assez vite à mon goût. Deux minutes. Je respire un grand coup. La nuit risque d’être longue, la journée aussi, probablement. Je devrais prévenir la famille, mais je ne trouve pas mon portable. Je ne prends pas vraiment le temps de chercher non plus. Quatre minutes. Je craque, c’est trop. Personne ne me voit, je pousse la porte, entends la voix de Jill et pénètre dans la chambre.

Elle est assise sur le bord du lit, ma femme. Dos courbé, une infirmière derrière elle, aiguille immense à la main. Je me fiche du protocole et me dirige vers Jill, glisse mes mains dans les siennes. « Je suis là. » Ils pourront gueuler plus tard les médecins. La péridurale est installée, on aide Jill à s’allonger. Son visage semble légèrement plus détendu, je viens caresser sa joue alors que la sage-femme l’ausculte. « Le travail a bien commencé, cela risque d’être un peu long, mais vous allez vous sentir mieux maintenant. » Hochement de tête en synchro. Tout est vérifié, on nous assure que nos bébés vont bien, que c’est normal. Ils devenaient impatients de sortir tous les deux.

Le ballet incessant de sage-femme finis par se calmer, on se retrouve tous les deux. Il faut attendre que la nature fasse son travail. Assis sur un tabouret, je garde la main de Jill dans la mienne, mes lèvres viennent effleurer les siennes. « Je t’aime. » Ce sont les seuls mots qui me viennent, alors que je me sens si fier d’elle, alors que dans quelques heures on rencontrera nos enfants. Le reste n’a plus d’importance que ce moment précis. Et l’amour que je porte à ma famille.

Elle déteste ce jour, c’est bien loin d’être le plus beau jour de sa vie. Elle tente de trouver une position, une place qui ferait qu’elle aurait moins mal, mais il n’y a rien à faire. Elle doit souffrir, il n’y a que ça à faire. Elle peut aussi maudire la terre entière et broyer tous les os de Bailey quand il reste un peu trop près d’elle. Elle sort de la voiture, et en moins de quelques minutes elle se retrouve devant une infirmière qui a l’air de savoir ce qu’elle fait. Jill garde la main de Bailey dans la sienne tant qu’il est proche d’elle. Elle ne veut pas se retrouver toute seule, elle est terrifiée. Et, même si elle déteste les hôpitaux, à cet instant elle se sent en sécurité. Elle sait que les médecins vont la prendre en charge et s’occuper de ses bébés. 5 minutes, elle ne restera pas plus longtemps sans Bailey à ses côtés. Un regard et elle laisse l’infirmière l’emmener ailleurs.

Elle a l’impression qu’il se passe des heures quand l’infirmière lui pose quelques questions avant de lui poser la péridurale. Bailey rentre avant d’avoir eu l’autorisation de l’équipe médicale, et sa main se glisse dans celle de Jill, leurs doigts s’enlacent et elle ne le laissera plus s’éloigner. Elle a envie de lui hurler dessus mais elle veut qu’il reste là. Elle grogne encore une fois en resserrant l’étreinte autour de ses doigts bien plus que nécessaire. “J’ai envie que ça se finisse.” Elle fusille la femme du regard alors qu’elle lui dit que ça va durer longtemps. Jill s’allonge, elle souffle encore à chaque contraction mais ça s'atténue lentement. Elle tourne la tête vers Bailey. “J’ai peur.” Ce n’est certainement pas la réponse qu’il attendait après lui avoir dit je t’aime. Elle panique, mais elle commence à se concentrer sur les effets que lui procure l’anesthésiant. Elle n’a plus vraiment mal, et la sensation lui rappelle certaines drogues qu’elle a pu prendre. Son souffle s’apaise, comme si tout ça lui avait manqué. Elle lutte depuis des mois, et en quelques secondes c’est comme si on lui faisait de nouveau goûter à ce monde qu’elle tentait d’oublier. Elle sourit, légèrement dans les vapes à cause de la substance qui parcourt ses veines. “Je suis fatiguée.” Comme depuis plusieurs mois.

« J'ai peur. »

La bulle explose. Après des mois à prétendre, à vivre avec le moment, désormais la réalité heurte de plein fouet. Ses mots me tords le ventre, alors que du bout des lèvres je voudrais la rassurer, aucun son ne sort. C'est si compliqué de lui promettre que tout ira bien alors que dans ma vie je n'ai jamais assisté à un accouchement. Je suis incapable de comprendre sa douleur, dans l'impossibilité de prendre sa place. Alors, je me penche au-dessus d'elle. Front contre front. Souffle contre souffle. « J'ai confiance en toi. » A dix milles pourcent. Elle a cette force en elle quelque part, je n'en doute même pas une seconde. « Je reste avec toi, maintenant. » Et il pourra s'accrocher celui qui me demandera de quitter son chevet. La péridurale semble faire son effet assez rapidement, les traits de son visage s'apaise, elle s'allonge un peu plus sur le côté. « Essaye de te reposer un peu. » J'ai peur de dire les mots de travers, peur de ne pas comprendre pleinement. Lentement, je laisse mes doigts danser en arabesques le long de son bras, dans un simple touché qui, je le sais, l'a toujours aidé à s'apaiser. 

Les heures se suivent et se ressemblent, le petit matin se transforme en après-midi et le travail suit son cours. On nous parle de centimètre de dilatation, on vérifie le coeur des bébés. A tout moment, j'ai peur qu'un médecin évoque une césarienne. Jill le prendrais comme un échec, je le sais. Il faut que cette naissance se déroule le mieux possible, pour eux, mais surtout pour elle. Je la sens fragile au bout de mes doigts, elle m'inquiète, mais tout cela reste bien enfoui dans un coin de ma tête. Pour tenter de l'apaiser, je chante un peu, on élabore le classement des plus belles plages que l'on a pu visiter, on s'assure que nos avis pour les prénoms n'ont pas changé depuis la dernière fois. 

Les heures se suivent et se ressemblent, jusqu'à ce que Jill serre ma main bien plus fort, bien trop fort. Ses yeux croisent les miens et je comprends... Elle le sent, c'est le moment. 

***

En quelques poussées, Tracy vient au monde. 

Et c'est l'explosion dans ma tête et dans mon corps. Elle pleurs fort, elle est si petite quand on vient la blottir contre sa maman. Mes yeux s'emplissent de larmes alors que je me penche vers elles. « Elle est magnifique. » Elle ne pleurs déjà plus, lover contre sa mère, la main poser à plat sur la peau de Jill. Je me mords la lèvre, alors que mon cœur bat à milles allures et que les émotions s'enchaînent et me transporte. Il est à nous ce tout petit bébé, je pourrais en pleurer pendant des heures, je crois que je ne m'étais jamais senti aussi heureux et paniqué en même temps. On est une famille. Je suis désormais responsable d'un être si petit et si fragile. Tout se mélange, c'est le feu d'artifice complet, bouquet final et toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. 

« Le deuxième arrive. » Pas le temps de l'observer plus longtemps, une sage-femme récupère notre tout petit bébé, tandis que j'aide Jill à se relever un peu, pour pousser à nouveau. Elle est épuisée, je le sens, je le vois. Mes lèvres se faufilent à son oreille. « Je suis fier de toi. » Et les mots peinent à transmettre tout ce que je ressens réellement à cet instant précis. A quel point je suis admiratif de sa force et de son courage. Elle pousse, mais cela semble plus long, plus douloureux. « Jill, je vais vous demander de pousser vraiment très fort, une dernière fois. » On inspire en synchro, ma main se glisse dans son dos pour l'aider à garder la position. Elle me broie les doigts alors que je la sens donner tout ce qu'il lui reste de force pour notre bébé. Un hurlement s'échappe d'entre ses lèvres et enfin... Bowie est là. 

Le silence se fait dans la pièce et bébé ne pleure pas... 
Le silence dure une seconde de trop avant que tout le monde s'agite autour de lui. 

 « Qu'est-ce qui se passe ? » Mon souffle se coupe. Bowie ne pleure pas.

Il a confiance en elle, elle n’a aucune confiance en ce qu’elle est capable de faire. Il reste là et elle ne veut pas qu’il bouge, elle ne lâche pas sa main et elle ferme les yeux quand il vient poser son front contre le sien. Elle panique, lui aussi il a peur, mais il ne dit rien. Il est fort Bailey, et Jill est heureuse de pouvoir se reposer sur son épaule un long moment. La péridurale commence à faire effet, elle se sent mieux, elle se sent planer. Elle souffle, et elle profite de ce qui court dans ses veines. C’est malsain, elle ne devrait pas penser comme ça, et pourtant, c’est exactement ce qu’il se passe dans sa tête. Il passe ses doigts sur le bras de Jill et elle se tourne pour lui faire face. Elle ne bougera plus, attendant que les médecins finissent par lui dire que c’était le moment. Et qu’elle panique une nouvelle fois quand elle a été emmené jusqu’à la salle de travail. Ca arrive vraiment, elle va devenir mère.

***

Les heures passent, c’est terriblement long. Jill a l’impression d’attendre depuis des jours. Le travail a commencé et elle a donné toute sa force et son énergie dans cet accouchement. Tracy arrive la première, et c’est la douche froide. Jill ne pense qu’à la douleur, à l’inconfort, à toutes ces choses affreuses qui entourent l’accouchement et elle n’accorde qu’un regard à son bébé. Elle est là, elle est réelle quand elle se retrouve posée sur le torse de sa mère. Pourquoi ça ne lui fait pas l’effet qu’on lui a décrit ? Pourquoi elle n’a pas l’impression de déborder d’amour pour ce bébé qui est le sien ? Mais, elle n’a pas le temps de réfléchir que les médecins lui disent que Bowie arrive à son tour. Elle va devoir revivre ça, et elle n’a plus de force. Elle n’a qu’une seule envie, c’est de pleurer. De pleurer et d’arrêter là. Elle sent son coeur qui bat trop vite “Je vais pas y arriver.” Elle croise le regard de Bailey, elle n’a pas le choix. Elle va devoir aller jusqu’au bout. Elle renvoie sa tête en arrière et reprend une dernière fois son souffle. C’est la dernière, et elle doit y arriver. C’est trop long, bien trop long. Elle n’est pas assez forte Jill, elle a encore échoué.

Le bébé ne pleure pas. Jill repose sa tête en arrière et regarde dans le vide. Il ne fait pas de bruit et Bailey s’inquiète. Elle tente de reprendre sa respiration, et de ne pas s’endormir malgré la trop grande fatigue. Elle souffre, elle ne sait pas ce qu’il se passe mais elle n’a même plus la force de relever la tête. Elle tourne la tête vers Bailey, les larmes aux yeux. “Il va bien ?” Elle la connait la réponse, “Je suis désolée.” Et elle ferme les yeux une seconde, juste une seconde.