Janvier 2020.

Les semaines sont passées et il semble s’être perdu un peu plus chaque jour passant. Il boit trop bien trop, s’entourant d’une compagnie tout aussi superficielle qu’elle n’est passagère, enchaînant les soirées grandioses et vides de tout sens. Il rit aux éclats Freddy, il monopolise l’attention et brille de son charme. Tout pour ne pas se retrouver un seul instant sobre, un seul instant seul. Car dès que l’alcool part de son système, dès que la lucidité revient il se rappelle de Clara lui disant qu’elle le déteste, lui rappelant à quel point il ne vaut rien et lui balançant qu’elle ne l’aime pas avant de claquer la porte. Il pense à sa sœur et son opération, à son frère qui le déteste toujours autant. Il pense à Mia avec qui il s’est déchiré sur la plage, lui soulignant qu’il finira seul. Plus que tout il pense à Penny, Penny et les larmes qui roulent sur ses joues, Penny lui disant qu’elle aurait été violée si Rory n’était pas intervenu. Penny lui soulignant que ce qui est arrivé est de sa faute, qu’il n’a rien fait pour l’empêcher.

Le problème en réalité c’est que cela fait quelques jours que les pensées s’insinuent même avec l’alcool dans son système. Et ce soir, alors que sa villa est vide de monde, cela ne fait pas exception.

T’es juste un putain d’égoiste.
T’es irrécupérable.
T’es une déception de plus.
Tu me dégoutes.
T’es une déception pour tout le monde même pour ta propre famille.
Tu pouvais pas tomber plus bas.
T’es un moins que rien.
T’es qu’un déchet.
Tu les mérites pas.
Tu mérites pas de porter leur nom.
La seule erreur ici c’est toi Freddy.

Il a loupé l’opération de sa sœur, trop occupé à boire de tout son saoul, ne se souvenant même pas des derniers jours. Il assis sur le sol, pantin désarticulé, tentant de retrouver une respiration normale, les larmes roulant abondamment sur ses joues dans cette pièce où il est seul, les jambes repliés contre lui comme s’il essayait de se rassurer. Les cadavres de bouteilles jonchent le sol, il a déjà bien trop bu au point où il n’est pas certain du déroulement de la soirée, au point où il est uniquement conscient de cet instant où il est assailli de toutes ces pensées négatives qui le rongent depuis des jours. Il n’arrive pas à voir autre chose que le regard déçu de sa sœur et de sa famille, il n’arrive pas à oublier les mots prononcés par Penny et plus il y pense plus il réalise à quel point elles ont dit vrai.

Il finit par essuyer les larmes et se décide à sortir prendre l’air, comme si sa dernière bouteille et l’air frais de la nuit allait finir par lui faire oublier tout le reste, de son cœur brisé par Clara à sa culpabilité lancinante vis-à-vis de Penny. Il ne sait pas vers où il marche où comment il y arrive, ne sait même plus vraiment s’il a pris un taxi à un moment donné où s’il s’est perdu dans la nuit. Toujours est-il qu’il se retrouve à frapper au beau milieu de la nuit à une porte d’une personne qui n’a probablement aucune envie de le voir. « Penny ! » il crie ivre en tambourinant à la porte. « Penny ouvre moi ! » il assène comme un forcené, complètement perdu en réalité, le besoin de faire quelque chose, n’importe quoi, pour apaiser ce qui le ronge.

@Penny Stringer  

« Tasse-toi. » Chloe grogne mais ne bouge pas d’un poil et toi, tu réponds d’un coup de pied donné sur l’une de ses cuisses, ce qui te vaut un autre grognement mais toujours aucun mouvement de la part de ta meilleure amie qui pense qu’elle peut prendre toute la place dans ton lit parce que tu as offert de l’héberger pendant quelques jours. Votre retour de Los Angeles est tout ce qu’il y a de plus brutal, vous êtes fatiguées, sur le décalage horaire et vous occupez vos journées à la fête foraine de la ville plutôt que de vous reposer comme vous devriez le faire. Il est tard, tu as perdu le fil du temps et tu es beaucoup trop lâche pour lever le bras et attraper ton téléphone que tu as laissé sur ta table de nuit. Tout ce que tu veux, c’est que Chloe se bouge un peu pour que tu puisses t’installer confortablement dans ton lit et pouvoir te rendormir sans avoir perdu de te prendre une gifle de la Cohen.

Tu pourrais presque croire que la vie a repris un court semi-normal depuis quelques semaines. Tu viens de terminer ton premier tournage depuis l’arrêt de The Trail’s End et tu as même déjà un nouveau projet de prévu dans quelques semaines. Si le tournage n’a pas été sans problème, ce dernier s’est tout de même bien passé et tu es reconnaissante d’avoir eu Chloe et Rory (même malgré votre dispute) à tes côtés pour passer au travers ces dernières six semaines. Tu as l’impression qu’on te donne enfin une seconde chance et qu’enfin, enfin, tu peux souffler loin des scandales qui te ramènent constamment aux souvenirs de Matthew Byers. Tu sais pourtant que ce n’est pas la fin de cette saga, qu’il y aura certainement encore bien des rumeurs à ce sujet et que tant que tu n’auras pas porter plainte contre le réalisateur, tu ne pourras pas tourner complètement la page, mais tu profites de cette pause et du vent de renouveau que la vie semble t’offrir. Ça ira même encore beaucoup mieux quand Chloe te laissera dormir, tu en es persuadée.

Mais tu avais tort. Cruellement tort.

Parce qu’au moment même où tu semblais être sur le point de rejoindre les bras de Morphée, tu entends de violents coups portés contre la porte d’entrée qui te font sursauter. Tu pensais presque avoir halluciner le truc, surtout que Chloe ne semble avoir rien entendu, plongée dans un sommeil profond, mais voilà que les coups reprennent de plus belle et tu entends ton nom scander d’une voix que tu ne reconnais pas à la première écoute. « Penny! » Tu sors du lit sans trop savoir à quoi t’attendre, les coups contre la porte continuant encore et toujours et tu te demandes qui peut être si pressé de te voir au beau milieu de la nuit comme ça. « Penny ouvre moi! » Cette fois-ci, tu la reconnais la voix et voilà que tu t’arrêtes instinctivement, figeant sur place. Freddy Mulligan. De toutes les personnes que tu t’imaginais derrière cette porte, son prénom se trouvait tout au bas de la liste. On ne peut pas dire que votre dernier tête-à-tête ait été des plus agréables et tu n’avais certainement pas envie de remettre ça, surtout pas sur le pas de ta porte en pleine nuit. Tu mets quelques secondes avant de te rendre à la porte et tu en mets encore quelques-unes de plus avant de te décider à ouvrir cette dernière. « Qu’est-ce que tu fous là Freddy? » Tu le dévisages de la tête aux pieds, il a l’air dans un état pitoyable et si tu fis à l’odeur d’alcool qui émane de sa personne, il est ivre mort. « Rentre chez toi, j’ai rien à te dire. » Tu as tout dit la dernière fois et si tu sais que tu y as été un peu fort sur les mots choisis, sur les accusations portées contre lui, tu ne regrettes absolument rien. Tu lui en veux terriblement à Freddy et la rancune est tout ce qu’il y a de plus tenace chez toi.

« Qu’est-ce que tu fous là ? » C’est la question de l’année. C’est à laquelle même lui ne sait pas répondre. Il n’a aucune idée de pourquoi il s’est décidé à venir des semaines plus tard, pourquoi c’est si important maintenant. Peut-être parce que le reste de sa vie s’écroule en lambeaux. Peut-être parce que Clara l’a laissé derrière elle sans un regard en arrière. Peut-être parce qu’il aura réussi à briser ses liens les plus importants avec tous ses proches. Parce qu’il est bien plus simple pour lui de se noyer sans l’alcool que d’admettre à quel point il se sent seul. A quel point il est incapable de parler de ce qui le ronge. Il va mal et continue de peindre des sourires sur son visage, de rire même quand il est en train de tout foutre en l’air et de prétendre que rien n’importe si ce n’est la prochaine fête et sa prochaine conquête. Ce soir pourtant, il perd pied, incapable de garder le masque en place, ressassant tout ce qu’il a raté ces derniers mois, tout ce qu’il a brisé et écorché, ressassant ses erreurs et sa culpabilité. Et l’une des plus grandes erreurs qu’il a commise ces derniers mois est ce qu’il a fait à Penny sans aucun doute. Ou plutôt ce qu’il n’a pas fait.

« Rentre chez toi, j’ai rien à te dire. » Lui non plus n’a rien à lui dire. Non il n’a rien à justifier rien à expliquer, il aimerait prétendre encore longtemps qu’il ne ressent aucune culpabilité envers la demoiselle, qu’il ne se sent pas responsable de ce qui lui est arrivé. Il aimerait pouvoir hurler qu’il va bien et qu’il n’en a rien à faire de Penny Stringer et de ses problèmes. Penny Stringer qui a toujours été bien trop insupportable, bien trop miss parfaite à ses yeux. Il aimerait même parfois pouvoir clamer qu’il n’en a rien à faire de ce qui lui est arrivé, voir même que c’est bien fait pour elle. Car comme ça, il pourrait prétendre encore un peu plus longtemps que cela ne l’atteint pas, qu’il est indifférent à cette situation, incapable d’avoir de l’empathie pour Stringer et ce qui lui est arrivé. Mais sa présence devant sa porte dément encore une fois tout ce qu’il aimerait prétendre à lui-même et au reste du monde.

Parce que malgré tout ce qu’il aimerait prétendre, Freddy en a quelque chose à faire. La culpabilité le ronge depuis des mois concernant Penny sans qu’il n’arrive à y échapper.

« J’ai pas envie  de rentrer chez moi. » Comme toujours il ne pense qu’à lui, qu’à ses envies et non aux conséquences de ses actes. Il ne comprend pas que Penny n’ait aucune envie de le voir, encore moins maintenant au beau milieu de la nuit. Il comprend encore moins qu’elle ait quelque chose de mieux à faire. Pour lui le moment est maintenant.  « Laisse moi entrer. S’il te plait. » Il y a une certaine supplication dans sa voix alors qu’il s’approche, le regard flouté par l’alcool, l’air hagard.  

« J’ai besoin de te parler. » Il ne lui laisse pas vraiment le choix alors qu’il pousse la porte et qu’il titube à l’intérieur de sa maison, son cœur battant trop vite dans sa poitrine, sa tête tournant un peu trop. « Tu dois me pardonner Penny. » Il s’approche de nouveau de la jeune femme, ses yeux bleus devenant de plus en plus humides, sa respiration incontrôlable, tout masque effacé.


@Penny Stringer

Si tu savais que les chances que ton chemin ne croise plus jamais celui de Freddy Mulligan étaient minces, jamais tu n’aurais pu t’imaginer qu’il viendrait cogner à ta porte au beau milieu de la nuit, en état d’ébriété en plus. Tu croises tes bras sous ta poitrine, tu regrettes déjà de ne pas avoir pris le temps d’enfiler quelque chose par-dessus ta mince tenue de nuit, mais tu ne comptes pas faire perdurer l’échange entre vous bien longtemps. Tu n’as rien de plus à lui dire ce que tu as dit la dernière fois au bar et c’est seulement à ça que tu veux t’en tenir. Le simple fait de croiser son regard te fait mal, tu la détestes la détresse que tu vois dans le fond de ses yeux parce que la dernière chose dont tu as envie, c’est de le prendre en pitié. Il ne mérite pas ta pitié, pas plus qu’il ne mérite une seule seconde de plus de ton attention. Tu voudrais refermer la porte aussi vite que tu ne l’as ouverte, mais quelque chose te retient. Parce que tu es rancunière, tu es bornée oui, mais tu n’es pas sans cœur. Tu n’arrives pas à tout simplement prétendre que tu ne l’as pas entendu, que tu ne l’as pas vu, même si ce n’est pas l’envie qui manque de prétendre qu’il n’existe tout simplement pas. « J’ai pas envie de rentrer chez moi. » « Va ailleurs alors. T’as pas d’affaire ici. » Il n’y a aucune bonne raison qui puisse justifier sa présence sur le pas de ta porte à une telle heure, dans un tel état. Tu es tentée d’aller réveiller Chloe pour qu’elle le chasse, elle a toujours su être plus directe et plus agressive que toi la Cohen, mais tu as l’impression d’être clouée sur place alors que le Mulligan insiste. « Laisse-moi entrer. S’il te plaît. » Tu secoues vigoureusement la porte de gauche à droite. « J’ai dit non. » Il n’en est pas question. Tu n’es pas d’humeur et surtout, tu n’as pas de temps à lui accorder, pas après la manière dont votre conversation s’est terminée la dernière fois.

« J’ai besoin de te parler. » Tu lui ris au nez. Tu es incapable de te retenir. C’est sarcastique et puissant, et ça te fait mal en-dedans. Ça vient jouer sur toutes tes cordes sensibles, tous les morceaux de toi qui ne tiennent que sur des bouts de ficelles, que tu tentes de raccrocher comme tu peux depuis ton agression, mais qui menacent de s’effondrer d’un instant à l’autre, à la moindre secousse. Et Freddy, c’est plus qu’une secousse. C’est une tornade qui te ramène, bien malgré lui, à tous tes pires souvenirs. « Je veux pas t’entendre. J’ai tout compris la dernière fois, j’vois pas ce que tu pourrais rajouter aujourd’hui. » Tu te veux sans équivoque, mais ta voix tremble et ta carapace, elle est loin d’être aussi imposante que tu ne le voudrais. Freddy, il te rappelle combien tu te sens faible. Il te rappelle, sans même avoir besoin de dire quoique ce soit, à quel point c’est facile de t’utiliser, de te manipuler. Qu’il n’était certainement pas le seul à voir comment Byers te traitait mais que personne, lui le premier, n’a su faire, ou n’a voulu faire quoique ce soit pour t’aider avant qu’il ne soit trop tard. Tu es perdue dans les extrêmes dans ta tête, Freddy devient coupable au même titre que ton agresseur quand bien même il ne t’a jamais touché, quand bien même il n’a jamais été la cause directe de ta douleur. « Tu dois me pardonner. » Il déconne. Vraiment, il ne pense plus clairement. C’est l’alcool qui lui monte à la tête et le voilà en plein délire, le pauvre. « J’te dois rien du tout. » Tes mots sont tranchants, ton regard tout autant. « Et si tu as mauvaise conscience, c’est pas mon problème alors essaye pas de faire comme si c’était moi la méchante ici ce soir. » Non, tu n’allais pas le laisser tourner les rôles ainsi. « J’te pardonnerai jamais. » Autant le dire tout de suite puisque tu demeures persuadée que rien de ce qu’il pourrait dire ou faire ne serait en mesure de te faire penser autrement.

« Va ailleurs alors. T’as pas d’affaire ici. » Non il n’a pas d’affaire ici. En vérité il n’a des affaires nulle part. Même chez lui, la seule chose à laquelle il tient sont les œuvres d’art qu’il collectionne. Le reste n’a pas vraiment d’importance, tant il bouge de tournages en tournages, tant il ne reste jamais assez longtemps pour que ses affaires aient toute leur importance. Il ne devrait pas être là, ne devrait pas s’imposer chez Penny quand elle ne veut pas de sa présence, mais ce soir il n’arrive pas à échapper à la culpabilité. Il a besoin qu’elle lui pardonne où il a l’impression qu’il va définitivement perdre pied. Il a besoin qu’au moins une personne le pardonne parmi toutes celles qu’il a blessé ces derniers mois.

Son rire est terrifiant, il exacerbée la solitude qu’il ressent, le fait de complètement perdre pied. Cela lui donne envie de boire un peu plus. Il se retient de lui demander une bouteille de rhum, parce qu’il n’est pas encore assez ivre pour ne pas se rendre compte qu’elle ne lui donnerait pas. « Je veux pas t’entendre. J’ai tout compris la dernière fois, j’vois pas ce que tu pourrais rajouter aujourd’hui. » « S’il te plait. » il supplie, sa voix tremblante, alors qu’il a dû mal à tenir debout.  Il ne peut pas partir d’ici tant qu’elle ne l’aura pas écouté.

« J’te dois rien du tout. » Il grimace, bien sûr qu’elle ne lui doit rien. Et pourtant malgré cela il force son entrée dans la maison, manquant de trébucher dans le hall d’entrée, s’appuyant sur le mur.  « Et si tu as mauvaise conscience, c’est pas mon problème alors essaye pas de faire comme si c’était moi la méchante ici ce soir. »

« J’te pardonnerai jamais. »  Les mots sont durs, violents, ils brisent quelque chose en lui qui était peut-être déjà brisé. Il devrait finir par en rire. Elle n’est pas la première à lui dire ça ces derniers semaines, elle ne sera sans doute pas la dernière tant il s’évertue à briser la moindre de ses relations. « Dit pas ça. » Sa voix se brise, ses yeux se remplissent de larmes. Il ne sait pas pourquoi c’est devant elle qu’il craque, que tous ce qu’il refoule depuis des semaines ressort en cet instant.  
« Je… t’es pas quelqu’un que j’apprécie Penny. » Il commence mal, grimace. Ce n’est pas ça qu’il fallait commencer. Toutes les belles phrases qu’il pourrait dire s’emmêlent dans son esprit embrumé dans l’alcool. « Mais je…jamais je t’aurais souhaité ça tu comprends ça ? J’ai jamais voulu qu’il t’arrive quoique ce soit de mal. » Il s’approche, sa main venant agripper son bras, comme s’il voulait qu’elle se concentre sur les mots, comme s’il pouvait la convaincre.

« J’ai essayé de jamais te laisser dans la même pièce avec lui. J’ai essayé j’ai… » Il avait échoué. Lamentablement. Et les mots semblaient bien peu comparé à ce qu’elle avait vécu. Cela ne semblait pas assez quand il aurait dû parler, quand il aurait dû dénoncer l’homme ou même avertir Penny bien plus tôt. Mais qu’aurait-il pu dire quand il n’y avait pas de preuves ? Qu’aurait-il pu faire quand il n’était pas sûr que cela aurait changé quoique ce soit ? Il aurait pu essayer.  Il passe une main sur son visage, tente d’empêcher son monde de tourner. Il aimerait être plus sobre pour cette conversation. Mais la vérité est qu’il n’aurait jamais eu le courage de venir ici sans l’alcool dans son sang.

« Je comprends. Je comprends que tu me détestes. Parce que j’aurais dire quelque chose n’importe quoi. »  Sa gorge se serre, sa voix se brisant. Lui aussi aurait aimé que quelqu’un dise quelque chose lorsqu’il était enfant. N’importe quoi. Il aurait voulu qu’on le sorte de là, qu’on le fasse échapper aux familles d’accueils qui n’avaient rien d’une famille. « Je suis désolé Penny pour ce qui t’est arrivé. Pour n’avoir rien dit. »

@Penny Stringer  

« S’il te plaît. » Tu ne sais plus quoi dire ni quoi faire pour qu’il comprenne que tu n’es pas moindrement intéressée par ce qu’il peut avoir à te dire. Tu devrais fermer la porte, ne pas lui donner la moindre chance de prendre de l’ascendance sur toi, et pourtant, tu es incapable de t’y résoudre. C’est frustrant, de ne pas être en mesure d’aller au bout de ses désirs. De ne pas être capable de tout simplement t’en foutre et faire comme si ça ne te chamboulait pas, ne serait-ce qu’un petit peu, de le voir dans cet état. Tu aimerais pouvoir être purement égoïste et ne jamais y revenir, mais malgré ce que tu dis, malgré ce que tu laisses croire, tu écoutes et tu analyses chaque morceau de la détresse que Freddy dépose devant toi, même si tu te sais incapable de gérer avec cette dernière. Freddy force une entrée et tu n’as qu’une seule envie : le sortir dès que la porte se referme derrière lui, mais tu recules plutôt, désirant mettre autant de distance que possible entre vous deux. « Dit pas ça. » Mais si, tu vas le dire, parce que tu le penses. Tu ne veux pas lui pardonner, mais surtout, tu ne peux pas lui pardonner son inaction. Tous les regrets du monde ne pourront rien changer à ce qui s’est passé, au traumatisme qui va te suivre jusqu’à la fin de tes jours et si Freddy n’est pas le grand coupable dans toute cette histoire, il n’en reste pas moins qu’il savait des choses, qu’il avait vu Byers, qu’il connaissait son comportement et que jamais, jamais il n’avait tenté de t’avertir ou de l’arrêter de quelconque façon qui soit.

« Je… T’es pas quelqu’un que j’apprécie Penny. » Tu écarquilles les yeux. Il est venu ici pour te dire ça, sérieusement? Tu soupires lourdement, mais restes silencieuse parce que tu devines très bien qu’il n’en a pas fini avec sa tirade. « Mais je… jamais je t’aurais souhaité ça tu comprends ça? J’ai jamais voulu qu’il t’arrive quoique ce soit de mal. » Peu importe ce qu’il voulait ou non, c’est tout de même ce qui s’est passé. Tu déglutis difficilement, tu peines à soutenir le regard embrumé du Mulligan. Tu te convaincs que c’est l’alcool qui cause tout ça, comme si c’était plus facile pour toi de te dire qu’il ne croyait pas un seul mot de ce qu’il te disait plutôt que de considérer pouvoir lui pardonner un jour. « J’ai essayé de jamais te laisser dans la même pièce avec lui. J’ai essayé, j’ai… » « T’as échoué. » Tous les essais du monde ne changeront pas ça, combien de fois est-ce que tu devras lui répéter? C’est bien facile pourtant, de lui mettre tout le blâme du monde sur le dos alors que tu n’as rien dit, toi non plus, quand les actions du réalisateur ont commencé à te mettre mal à l’aise, que les mains se faisaient plus baladeuses, plus pressantes sur ton corps, même devant les autres. Tu étais loin de douter que ça prendrait de telles proportions. Tu t’en veux, mais c’est bien plus facile de lui en vouloir à lui pour mieux dormir la nuit. « Tu l’as dit toi-même, tu m’apprécies pas alors j’ai du mal à croire que tu voulais vraiment mon bien, dans tout ça. » Tu ne dis pas qu’il te souhaitait du mal, qu’il voulait qu’il t’arrive qui ce qui t’est arrivé, non, loin de là. Mais tu peines à croire qu’il ait vraiment voulu empêcher quoique ce soit. Qu’est-ce qu’il y aurait gagné, dans tout ça? « Tu voulais te faire remarquer par Byers, tu savais que si tu te retournais contre lui, t’aurais jamais ta chance d’avoir un premier rôle. » Tu secoues la tête, les lèvres retroussés dans une grimace qui témoigne grandement de ton dégoût. « T’as rien dit parce que t’avais trop à perdre. Parce que t’es un putain d’égoïste. » Vraiment Penny? Est-ce que c’est vraiment ce que tu crois de tout ça?

Qu’importe ce que tu crois vraiment quand c’est bien facile de t’en convaincre, de te laisser bercer par ta colère et ton ressentiment. « Je comprends. Je comprends que tu me détestes. Parce que j’aurais dû dire quelque chose n’importe quoi. » Il se répète. Tu es tannée. Tu veux qu’il s’en aille. Ça ne mène à rien tout ça. « Je suis désolé Penny pour ce qui t’est arrivé. Pour n’avoir rien dit. » Est-ce que c’est le moment où tu dois hocher la tête, lui dire que ça va, que ce n’est pas vraiment de sa faute dans le fond? Peut-être. Peut-être que c’est le moment. Il fait pitié à voir, tu les vois si clairement les remords dans le fond de ses yeux mouillés. Et pourtant, tu es incapable de simplement lâcher prise. Incapable de pardonner. Incapable de voir et d’accepter. « Je m’en fiche de tes excuses Mulligan. » Plus il se fait petit devant toi, plus tu perds dans une agressivité qui ne te ressemble pas pourtant. « J’veux plus jamais te revoir. » C’est sûrement du wishful thinking de croire que vos chemins ne seront jamais amenés à se recroiser, mais pour ce soir, tu as besoin d’avoir le sentiment que tu mets un point final à tout ça. « Sors de chez moi. » Tu pointes vers la porte où il vient à peine de rentrer quelques instants plus tôt, mais il ne bouge pas Freddy alors tu reprends, en criant cette fois. « SORS DE CHEZ MOI! »

Le message est clair.

TW : violence, agression sur un enfant.

« T’as échoué. »

Les mots marquent au fer rouge et elle pourrait lui donner avoir donné un coup de poing dans l’estomac que cela aurait eu le même effet. Bien sûr qu’il a échoué. Il n’a rien dit, rien fait, il a laissé faire le court des choses, tentant comme il pouvait de ne pas laisser Penny dans la même pièce que le réalisateur. Mais ce n’était pas assez, ça ne sera jamais assez aux yeux de Penny.

Et si la culpabilité est si grande c’est sans doute parce qu’il aurait aimé qu’on fasse quelque chose pour lui il y a des années de ça. Il n’a pas envie de se souvenir. Il a enterré tous ses souvenirs, n’a jamais voulu les regarder en face, claquant la porte à cette partie-là de son enfance.

Le corps de l’enfant est balancé au sol, sa tête claquant brutalement contre le mur alors qu’il glisse sur le parquet. Il a cinq ans et le petit sourire moqueur qu’il avait a disparu de son visage. Il n’aurait pas dû lui répondre. Il n’aurait pas dû répondre à cet homme plus bête que ses pieds qui ne l’a accueilli dans son foyer que pour l’argent des aides de l’Etat. Le sourire a disparu, il ne reste plus que la peur. La peur et la douleur. Ce n’est pas la première fois, ça ne sera pas la dernière. « Tu te crois drôle ? » L’homme l’attrape par les cheveux puis par le poignet, le traine à l’autre bout de la pièce, jusqu’à la porte malgré les cris du petit qui s’est mis à hurler. L’instant d’après, l’homme le balance dans le jardin et alors qu’il tombe une nouvelle fois au sol, le poignet du petit craque sous le choc alors qu’il essaye de se rattraper. « Tu dormiras dehors ce soir, ça te fera passer l’envie de me parler sur ce ton. » Les larmes roulent sur les joues de l’enfant, il les ravale avec amertume, les essuyant rageusement alors que la porte claque. Il étouffe des pleurs dans sa manche comme s’il essayait de contrôler la peur. Lorsqu’il relève la tête son regard croise celui de la voisine, qui le fixe. Elle a vu toute la scène. Ce n’est pas la première fois. Comme toujours son visage est un masque de tristesse et d’horreur. Et pourtant comme toujours, face à cela, elle détourne le regard, fuyant la scène et la détresse du petit garçon. Il la hait un peu plus de ne rien dire, de ne rien faire, d’être simple spectatrice de sa détresse sans jamais l’en sauver.

Lui aussi a échoué. Et soudain il ne vaut pas mieux que cette femme. Penny le déteste et lui se déteste encore plus à chaque minute qui passe, les souvenirs lui donnant envie de vomir. « Je sais. » il souffle avec douleur. « Tu l’as dit toi-même, tu m’apprécies pas alors j’ai du mal à croire que tu voulais vraiment mon bien, dans tout ça. » Il ne sait pas comment lui dire sans dévoiler tout une partie de son passé qu’il n’a jamais su prononcer à voix haute à quique ce soit. Il ne sait pas comment lui dire qu’il n’aurait jamais voulu qu’il lui arrive quoique ce soit. Pas comme ça, pas à ce point.

« Tu voulais te faire remarquer par Byers, tu savais que si tu te retournais contre lui, t’aurais jamais ta chance d’avoir un premier rôle. » Bien sûr c’est ce qu’il a pensé, Byers était au premier plan, une étoile de la réalisation, un rôle avec lui valait tout l’ord du monde. Les larmes roulent sur ses joues mais son silence parle pour lui. Elle a raison. « T’as rien dit parce que t’avais trop à perdre. Parce que t’es un putain d’égoïste. » Il n’était pas certain, n’avait pas de preuves, a pensé à sa carrière, n’était qu’un putain d’égoïste. Les derniers mots raisonnent, le sonnent un peu plus. Sa colère détruit tout sur son passage et lui est en train de s’écrouler sous ses yeux. Il s’excuse parce que c’est tout ce qui lui reste. Mais même ça, ça ne sera jamais assez. « Je m’en fiche de tes excuses Mulligan. J’veux plus jamais te revoir. Sors de chez moi. » Elle s’est avancée, fière et digne, pleine de rage qu’il ne lui connait pas. Pointant la porte d’un doigt impérieux. « SORS DE CHEZ MOI! » Il s’est replié sur lui-même, faisant un part en arrière. Et soudain, il arrête de se battre, ravalant ses larmes pour partir enfin. « Je suis désolé… » dit-il une énième fois comme si cela servait à quelque chose. Il remonte dans sa voiture, absolument pas en état de conduire, les larmes brouillant sa vision alors qu’il démarre en trombe sans vraiment se préoccuper de s’il arrivera à destination.

@Penny Stringer