dimension gothique.

L'élément du feu fut drastiquement anéanti par un geste contrôlé de Siham et rapidement, je lâchais prise dans notre connexion avec l'au-delà. Je plissais quelques instants les yeux, visage crispé, témoignant mon exténuation et contrariété d'un geste si brusque de la part de mon acolyte de fortune. Commettre un tel sortilège ne m'était pas gratuit, j'en sortais avec une part d'ombre, une compensation. Mon esprit s'agitait de songes malicieux et ma condition physique s'amenuisait à chaque performance avec le paranormal. En éteignant le feu, Siham coupait la communication et cela ne m'était pas indolore. « Les réponses sont ailleurs… » Je soupirais, déconfit. « Très bien. » Je m'étais engagé à aider la jeune femme, là était ma part de ce pacte sanguin. Je tirais des cartes et osselets de la bourse violette pendue à mon épaule. Je dispersais les fragments d'os sur la mousse entre nous. Mes paumes surplombaient le cimetière minuscule. « Parle-moi de ce grimoire, » j'invitais Siham, déterminé à dénicher une autre voie de réponse pour la trentenaire. Les osselets tremblotaient sous mes mains.

Je levais un regard brillant vers mon interlocutrice et frémissais discrètement en entendant des loups hurler au loin. L'endroit n'était pas sécuritaire mais il était aussi idéal pour effectuer un rituel. Les forces énergétiques étaient puissantes ici. J'espérais simplement que nous ne serions pas importunés. Je frictionnais mes mains, mordu par le froid nocturne. Le foyer que j'avais allumé plus tôt s'embrasa de nouveau, témoignant de la présence d'esprit parmi nous. La flamme dansait finement et allègrement, se hissant aussi haut que possible, propulsant quelques braises inoffensives sur notre duo. Cela signifiait-il que Siham était sur la bonne voie ? Pouvais-je l'aider à obtenir ses réponses ?

« Très bien. » Siham ne mesurait pas ce que cela pouvait couter à Kai, elle n’avait pas idée un instant de ce que ça coutait réellement, parce qu’elle avait l’impression que c’était simple. Seulement, elle oubliait un détail, si elle savait maitriser de mieux en mieux son don, ses pouvoirs, parce qu’elle avait cela encré en elle, que ça lui était transmis par ses aïeux, ce n’était pas le cas pour le jeune homme. Lui n’était pas sorcier. Du moins, c’est ce qu’elle pensait. « Parle-moi de ce grimoire, » Elle voyait la contrariété sur son visage. Mais Siham avait aussi, au plus profond d’elle senti qu’elle allait sur la mauvaise voie. « Si ma mère ne m’a jamais fait signe auparavant, si mon père ne m’a jamais parlé de ce don, c’est que ni l’un ni l’autre ne voulait m’en parler. » fit-elle, concluant que la voix qui s’adressait à elle disait sans doute vrai. Elle ne trouverait pas ses réponses là où elle pensait les chercher. « Ni ma mère, ni mon père ne seront coopératifs dans cette quête. » Connaissant son père, il n’avait surtout pas envie qu’elle prenne le moindre risque, toute sa vie, il l’avait chouchouté et dorloté, il l’avait protégé, mis dans un cocon. Il lui avait appris à être docile, à courber l’échine, à ne jamais se rebêler. Il l’avait toujours éloigner du moindre danger. Sa mère, quant à elle, lui aurait sans doute envoyer des indices, des signaux, bien avant d’attendre que son père ne la quitte, pour lui faire connaitre son don. « Lorsque mon père a été mordu par un vampire, une de mes sœurs m’est apparu. Elle est venue à mon secours. Elle m’a dit de ne récupérer que les choses qui m’étaient essentielles chez moi et de quitter les lieux le plus vite possible. Alors, je suis entrée, j’ai pris un sac et j’ai pris le strict minimum. Lorsque je me suis introduite dans la chambre de mon défunt père, le livre m’est apparu. Je l’ai pris, j’ai entendu une voix qui venait de l’intérieur. Comme cette voix, tout à l’heure… C’est le grimoire de ma mère. Il porte ses initiales. Mais pourquoi m’est il apparu à ce moment précis ? Je n’ai jamais connu ma mère, j’ignore même comment elle est morte. » et petit à petit Siham pensait comprendre. « Je pense que c’est sa magie qui l’a emporté et que mon père n’a jamais désiré que je sois à mon tour une sorcière. Sa mort a été ma libération… » fit-elle, alors que dans ses yeux, brillaient les flammes du feu qui dansaient et les réchauffait.

Je ne possédais qu'une seule parole. Ainsi, en dépit de ce que cela me coûtait en terme d'énergie psychique et physique, je m'évertuais à venir en aide à Siham. D'autre part, le nectar sanguin que nous avions partagé me liait toujours à la jeune femme, scellant ma promesse de l'éclairer dans sa quête et la sienne de ne pas me trahir sur mes capacités illicites.

J'écoutais attentivement les explications de mon interlocutrice sur les origines de ce grimoire. Peu à peu, Siham menait sa réflexion sur les événements qui rythmaient sa vie : son père qui voulait à tout prix la protéger de la magie, comme si celle-ci était forcément noire, sa mère qui voulait révéler son appartenance à la sorcellerie, ce livre de magie qui l'interpelait même au creux d'une tragédie. Réellement, le lien entre la Fowler et la sorcellerie était inné, intense, sans nul doute inviolable. « Tu n'as jamais pratiqué ? » Je demandais, curieux. « Tu n'as jamais causé de drôles de coïncidences autour de toi ? » Je tentais. Sa magie débordait-elle tant qu'elle en usait de manière inconsciente. « Esprit, révèle toi. » Je priais en me concentrant sur les ossements et peu à peu, ceux-ci dessinèrent des lettres. Néanmoins, une lutte invisible semblait s'opérer entre plusieurs esprits, tant que les os étaient parfois envoyés valsés, comme pour dissimuler l'identité de l'esprit qui souhaitait aider Siham. « Jina ? » Je tentais finalement, soupçonnant avoir reconnu cette femme que j'eus à plusieurs reprises côtoyée. J'inspirais profondément, jetant des brindilles dans le feu de camp comme pour alimenter en énergie la dématérialisation de Jina. « Elle veut s'imprégner de toi. Ferme-les yeux, laisse-la t'envahir, » j'invitais Siham. Un exercice fort difficile et risqué. Contre un esprit malin, Siham pourrait perdre son âme. Mais je restais proche pour éviter sa potentielle déchéance.

« Tu n'as jamais pratiqué ? » Elle secouait la tête, jamais avant de n’avoir su qui elle était, jamais avant cette nuit où à son tour, elle était devenu orpheline. C’est Olive qui lui révéla qui elle était vraiment, Olive qui lui appris à lire un grimoire, Olive qui lui avait fait démonstration de magie pour la première fois. Siham n’en avait même jamais eu conscience auparavant. « Tu n'as jamais causé de drôles de coïncidences autour de toi ? » Non plus, elle n’en avait en tout cas, jamais rien remarquer. Comme si depuis ce jour, depuis que la voix lui parlait, depuis la révélation du grimoire, tout avait débuté. « Ca a commencé par des lumières qui scintillent, synchronisé à la variation de mes émotions. Mais, rien d’autres, pas avant le décès de mon père, en tout cas. » Comme si elle avait été protégée, peut être qu’elle était sous le coup d’un sort, peut être qu’on avait scéllé son don jusqu’à ce qu’elle n’ai plus le choix que d’y avoir recourt. Et tant la mort de son père que l’éclipse devaient être de bons argument pour lui donner accès à son nouveau don. Celui-ci devait être enfermé et bien enfuit en elle depuis sa naissance.
« Esprit, révèle-toi. » Siham restait stupéfaite de voir comme Kaï était doué pour les sortilèges qu’il lançait. Les osselets se mirent à bouger, tremblants dans un premier temps, ils s’alignaient les uns à côtés des autres, dans une danse rythmée mais mal synchronisée, mal organisées. On dirait que ces petits bouts d’os résistaient, jusqu’à former un mot, un nom ? Juste devant leurs yeux. « Jina ? » « Jina ? » elle répétait après lui, levant son regard curieux sur l’orphelin. « Qui est Jina ? » La jeune femme n’avait jamais entendu parlé de quelqu’un qui portait ce prénom. Elle ne voyait même pas où il voulait en venir. « Elle veut s'imprégner de toi. Ferme-les yeux, laisse-la t'envahir, » Après tous les efforts qu’il avait fait jusqu’à présent, après leur pacte et son implication, Siham sentait qu’elle pouvait faire confiance en Kaï. Même après un court instant d’hésitation, elle détendit ses épaules, relâcha sa nuque, s’implanta dans le sol, en tailleur, les genoux encrés, le dos de ses mains posés sur ses rotules, elle souffla. Yeux fermés, elle lâchait prise, totalement prise. Quand tout à coup, elle ouvrit les yeux, qu’elle dirigea aussitôt sur Kai. Son regard avait changé, il s’était comme adoucie, assagit. « Mon cher Kaï. Je t’ai déjà dis et re dis, tu ne devrais pas jouer avec la magie… » Jina en avait profité pour lui glisser quelques mots. « Ne t’en fais pas, je garde un œil sur elle, je veille et je la guide. Sa mère avait fait promettre à son père de l’épargner. De la sauvegarder, loin des esprits malveillant. Il avait juré, que de son vivant, il ferait tout son possible pour l’éloigner. » les yeux de Siham se fermèrent à nouveau, sa nuque se relâcha, faisant tomber sa tête vers l’avant. A nouveau, la voix résonnait en elle, connecté à Kaï, il comprenait. «Enracine-toi dans ton essence, laisse ton esprit s'élever, que ta volonté soit le feu qui forge ta magie, que ton cœur soit le guide, et que ta confiance soit l'incantation qui révèle ta puissance intérieure. » Siham rouvrit doucement les yeux. « Kai… dis moi qui est cette Jina ? »

« Ca a commencé par des lumières qui scintillent, synchronisé à la variation de mes émotions. Mais, rien d’autres, pas avant le décès de mon père, en tout cas. » Siham était décidément un cas assez particulier et j'acquiesçais à ses révélations, songeur. « Ton père était-il sorcier ? » Je m'enquis, avant de relater : « Il y a quelques années, je me suis entichée d'une sorcière. Sa grand-mère avait mis en sourdine ses pouvoirs magiques, comme ceux de sa mère, afin de les protéger. Néanmoins, suite à un événement cosmique, la magie de cette fille a été plus forte et a contrecarré le sort jeté par son aïeul. Peut-être la même chose s'est-elle produite pour toi ? » Aussi, Siham et son dévoilement en qualité de sorcière avait-il un lien avec l'éclipse actuelle ?

J'invoquais l'esprit à communiquer plus clairement avec nous, malgré la fougue des autres entités présentes autour de nous. Je sentais au plus profond de mon être l'énergie exceptionnelle qu'irradiait la sorcière aborigène et centenaire prénommée Jina et, sans gêne, j'articulais son prénom, priant pour qu'elle soit réellement présente. Siham m'obéissait, la confiance manifestement obtenue, et un sourire satisfait se dessinait sur mes lèvres tandis que je l'observais se détendre. La Fowler démontrait une grande force à lâcher prise, tout à fait admirable.

Un frisson parcourut mon échine quand le regard indescriptible de Jina me fit fasse, par l'intermédiaire de Siham. « Mon cher Kaï. Je t’ai déjà dis et re dis, tu ne devrais pas jouer avec la magie… » « Comment pourrais-je résister si ça me permet de te parler ? » Je lâchais, suave. « Ne t’en fais pas, je garde un œil sur elle, je veille et je la guide. Sa mère avait fait promettre à son père de l’épargner. De la sauvegarder, loin des esprits malveillants. Il avait juré, que de son vivant, il ferait tout son possible pour l’éloigner. » « Et si elle a une prophétie à accomplir ? Est-elle liée à cette éclipse ? » J'interrogeais la doyenne. « Enracine-toi dans ton essence, laisse ton esprit s'élever, que ta volonté soit le feu qui forge ta magie, que ton cœur soit le guide, et que ta confiance soit l'incantation qui révèle ta puissance intérieure. » Je m'asseyais en tailleur. « Kai… Dis moi qui est cette Jina ? » « Jina est une sorcière très puissante. Elle te protège. » J'indiquais à Siham. « Tu as de grands pouvoirs, Siham. » J'annonçais. « Jina te protège. Je te protège aussi par notre pacte. Nous retons liés. Si tu souffres, je souffrirais. » J'expliquais. « Tu as une légende personnelle à accomplir, mais seul ton coeur peut te guider. Lâche de nouveau prise et dis-moi où tu dois te rendre. »

Siham n’avait pas ce sentiment que son don pouvait venir de son père. Elle n’imaginait pas un seul instant qu’il soit sorcier, pour elle, elle avait hérité de ce pouvoir de la famille de sa mère. Les initiales sur le grimoire en attestaient, mais toute fois, c’était bien le nom de famille de son père qui y étaient gravé également. Amalia Isabel n’était pas née Fowler, elle était née  Park. Alors pourquoi n’était il pas écrit AIP sur le grimoire ? Siham doutait que sa mère ne l’ait hérité qu’après son mariage et en même temps, elle n’en avait aucune idée. C’était toujours une page blanche. Les initiales changeaient elles au fur et à mesure que les événements se passaient ? Si c’était le cas, ne devaient elles pas être à présent les initiales de Siham ? Après tout, elle n’y prêtait plus tant attention que ça… elle vérifierait, une fois rentrée.  « Il y a quelques années, je me suis entichée d'une sorcière. Sa grand-mère avait mis en sourdine ses pouvoirs magiques, comme ceux de sa mère, afin de les protéger. Néanmoins, suite à un événement cosmique, la magie de cette fille a été plus forte et a contrecarré le sort jeté par son aïeul. Peut-être la même chose s'est-elle produite pour toi ? » ca ressemblait exactement à la réflexion qu’elle se faisait. Elle écarquillait les yeux, attentive, intriguée. Si un tel sort était possible, elle aurait aimé savoir quelles en étaient les motivations. Mais, plus que jamais ,elle se doutait que son histoire devait être similaire.
Siham était revenue à elle, avec l’impression d’être partie en trans, dans un autre monde. L’espace d’un instant, elle avait cru ne plus être dans son enveloppe charnelle, d’occuper celle de quelqu’un d’autre. L’impression d’être bien plus vieille et bien moins agile. Mais les questions qui l’habitaient concernait cette voix qu’elle entendait. Il s’agirait de cette Jina ? « Jina est une sorcière très puissante. Elle te protège. » Pourquoi ferait-elle cela ? Pourquoi avait-elle décidé de protéger Siham et pas une autre ? « Jina te protège. Je te protège aussi par notre pacte. Nous retons liés. Si tu souffres, je souffrirais. » Siham avait l’impression d’être tant redevable pour Kaï, celui qu’elle appelait jadis le fou. Elle lui était tant reconnaissante et à la fois, qu’elle l’avait emporté avec lui, tiré vers le bas, le condamnant à un triste sort. Parce qu’elle avait l’impression qu’elle allait souffrir quoi qu’il arrive. « Est-ce que Jina est de ma famille ? » elle questionnait, la réponse lui semblait logique, mais elle n’en était pas certaine. « Tu as une légende personnelle à accomplir, mais seul ton cœur peut te guider. Lâche de nouveau prise et dis-moi où tu dois te rendre. » où elle devait se rendre ? Elle n’était pas certaine de comprendre cette dernière question. « Qu’est ce que tu veux dire par là ? J’ignore quelle est ma quête… J’avance à l’aveugle, guidée par ma conscience et ma détermination. Mais je ne suis pas sûre d’aller dans le bon sens. » Siham soufflait, fit craquer sa nuque en basculant sa tête de droite vers la gauche et revenant en arrière. Elle passa ses mains dans son coup, massant l’arrière de son crâne. Elle ferma à nouveau les yeux, respirait au grès du vent, sentant les éléments s’encrer dans sa chair. Le feu crépitait, la rosée se formait autour d’eux, le souffle de l’air faisait danser les feuilles et la terre séchait sous Siham. «"Par le feu des anciens, par la magie des destins, Que le grimoire périsse, que son pouvoir s'éteigne, Avec la force du loup, que sa menace disparaisse, Et dans l'obscur caveau, que le vampire s'enferme sans cesse. En quête d'un chasseur, guide-moi vers l'essentiel, Qu'il traque l'ombre et mette fin à l'immortel." Siham se mis à trembler, les yeux toujours fermés, son corps convulsait.