a ghost from the past
@Joseph Keegan  ☆ crédit/dilfgifs

Les rues sont calmes, beaucoup trop calme pour un jour de semaine. Ou alors, c'est parce que l'attention d'Emma est portée sur le cellulaire qu'elle tient fermement en main. Oubliant bien ainsi facilement tout ce qui se trouve autour d'elle. Ce n'est pas qu'elle s'en fiche, mais c'est que son affaire en cours lui demande énormément de temps et de concentration. Elle ne voudrait pas manquer une information importante en étant trop obnubilée par ce qui l'entoure. Flâner n'est pas son genre de toute manière, alors autant lever un œil de temps en temps uniquement pour vérifier qu'elle en fonce pas dans un poteau, tout en continuant son chemin. Emma, elle a toujours été comme ça. Trop dans ses dossiers que dans le monde qui l'entoure. Mais tout cela, c'est pour une raison évidente, tout cela, elle le fait parce que c'est nécessaire, pas parce que c'est plus facile que de faire semblant que tout es beau dehors. Emma, il y a plus de vingt-cinq ans, elle s'est donnée une mission qu'elle compte bien réussir coute que coute, alors forcément, ça lui demande toute sa concentration et son énergie. Parfois même, au grand damne de ses proches, mais c'est son choix et cela personne ne lui retirera. Pas même ce grand imbécile de Daniel qui a été trop bête pour comprendre qu'il ne pourrait jamais être le centre de l'attention d'Emma, qu'il ne pourrait jamais être plus que ce qui l'espère alors que pourtant, elle l'avait mis en garde dès le premier jour. Mais il s'était accroché, espérant comme chacun de pouvoir la faire changer. Résultat, il était parti pour de bon et Emma n'en avait que peu souffert. Sûrement une bonne chose finalement, au moins, elle n'avait plus besoin de rendre de compte à personne de cette manière. Elle pouvait agir comme bon lui semble, rentrer tard si c'était nécessaire sans penser à tout prix à prévenir la personne qui partage son lit. Emma redevenait indépendante de ses propres mouvements et ça l'avait soulagé comme jamais. Et puis, à quarante-ans, elle avait clairement autre chose à faire que de perdre son temps pour un homme qui ne la méritait pas. Emma contourna les quelques passants qui sortaient de nul-part alors qu'elle se dirigeait d'un pas trop rapide vers le lieu de son prochain rendez-vous. Le pas rapide, et le nez toujours scotché sur son téléphone alors qu'elle zoomait frénétiquement sur les pièces à conviction de son client. Son cerveau tournait à plein régime et elle était persuadée d'être près de la victoire. Il ne lui manquait finalement que un ou deux éléments décisifs, et ses pièces sur son téléphone étaient la clé. Elle avait juste besoin d'un peu plus de temps, mais surtout d'une bonne étoile qui finirait par lui faire ouvrir les yeux sur ce qu'elle manquait. Elle repéra un élément du coin de l’œil, rapprochant son téléphone de ses yeux pour mieux y voir. Il faudrait qu'elle pense à demander des photos de meilleures qualités à ses clients, celle-ci était terriblement floue. Trop près de son nez pour qu'elle ne puisse pas voir la silhouette devant elle. Trop près pour que son épaule percute de plein fouet l'homme qui n'avait clairement rien demander de tout cela. Le téléphone de la brune s'écrasa dans un bruit sourd par terre et la panique l’accabla. Emma se précipita pour ramasser son cellulaire avant de s'inquiéter pour l'autre personne. Non pas qu'elle était égoïste, mais ce téléphone portable contenait absolument toute sa vie, alors elle ne pouvait clairement pas le négliger de la sorte. Une fois certaine que les dégâts étaient minimes, elle se retourna vers l'homme. Son cœur manqua plusieurs battements alors qu'elle restait figer à l'observer. Emma manque de se tordre la peau du bras pour être certaine que c'était la réalité. L'homme devant-elle était Jonathan. Il n'y avait aucun doute là-dessus. Bordel. Emma battit des cils plusieurs fois pour faire partir l'illusion douloureuse qu'elle avait devant elle, mais rien n'y fait. Le visage de Jonathan restait bloqué dans son champs de vision et ne semblait pas vouloir partir. « C'est pas vrai. » Elle semblait contrariée de découvrir ce beau visage qui pourtant hanter chacune de ses nuits depuis des années. Elle semblait sous le choc d'une cette apparition soudaine. Elle pouvait même sembler agacée, comme si pendant toutes ces années, la vérité n'avait été qu'un mensonge. Sauf que l'homme devant elle ne semblait pas vouloir bouger, comme s'il avait été pris en flagrant délit de quelque chose, comme s'il était autant paumé qu'elle. « Je suis désolée. » Voilà bêtement tout ce qu'elle trouva à dire au fantôme de son amant.

Pause clope interdite. Enfin, les pauses clopes « normales » sont autorisées à l’établissement, mais l’herbe que Joseph roule lui-même n’a pas les mêmes effets que le tabac. Il le rend un peu plus léger et détend son esprit autrement beaucoup trop agité. Il ne pourrait certainement pas concentrer son attention sur le balayage et la désinfection des planchers de l’hôpital dans son état naturel. Tout comme certaines personnes se bourrent d’antihistaminiques pour lutter contre les allergies saisonnières, Joseph doit user de drogues douces pour préserver le reste de son équilibre mental. Bien sûr, ses employeurs ne le savent pas et, pour camoufler l’odeur de cette mauvaise habitude, il tire toujours quelques lattes à une vraie cigarette juste avant de rentrer à l’hôpital lorsque sa pause est terminée. Oui, il fait soulever les narines de certains professionnels de la santé qui comparent le tabac à Satan, mais, après tout, « il n’est que le concierge » alors personne ne dit quoi que ce soit à celui qui passe sa journée à nettoyer des pots à vomi et à récurer les toilettes. Personne d’autre n’a envie de faire le boulot à sa place alors on le laisse vaquer à ses occupations, aussi néfastes pour sa santé soient-elles.

Alors, comme d’habitude, vers huit heures du matin, deux heures avant que son chiffre de nuit soit terminé, il va se cacher dans la ruelle qui ceinture le pavillon des soin palliatifs afin de s’alléger le cerveau avec la fumée. Rares sont les passants à emprunter cette voie, mais certains connaissent son pragmatisme puis qu’il permet de passer du boulevard à la rue Lambert sans devoir emprunter le long trajet. Ce sont dix minutes qui sont épargnées ici, et les plus pressés, ceux qui ont le cou courbé au-dessus de leur téléphone, se sont passés le mot. Généralement, on ne remarque même pas la présence du grand brun et sa clope, mais lui il observe tout le monde avec une curiosité justifiée. Il n’a jamais compris cet univers de gens pressés parce qu’on ne lui a jamais remis les clefs d’une telle routine. Lui, il vit chaque seconde telle qu’elle est, parfois féroce, parfois délicieuse, et, à la fin, son cerveau enregistre chaque détail de sa journée et il peut projeter le fil de sa vie derrière ses paupières une fois qu’il les ferme. C’est une sorte de cadeau empoisonné. Le meilleur comme le pire.

Cette fois-là, son attention se tourne un instant de trop vers un cacatoès qui livre bataille contre un cœur de pomme encore bien garni. Joseph a toujours apprécié les animaux alors ce n’est pas rare de le voir se perdre dans la contemplation des piafs aussi communs en ville parce qu’il est de ceux qui apprécient leur présence. Leurs ailes grandes ouvertes lui rappellent qu’il pourra toujours disparaître du jour au lendemain s’il ne supporte plus d’être ici. Mais il tient encore bon, et il salue les oiseaux d’un signe respectueux de la tête quand ils viennent s’assurer qu’il est encore en vie. Puis, ils s’envolent et le laissent tout à fait seul, sauf qu’il y a une personne derrière lui qui arrive à une vitesse folle et qui a le nez plongé sur l’écran de son téléphone. Le garçon n’a pas d’assez bon réflexes (et son rouleau de cannabis encore allumé n’aide pas…) donc son épaule percute celui de la demoiselle qui échappe son précieux appareil. Sans même regarder Joseph, elle se précipite à la rescousse du téléphone, et il en profite pour écraser sa drogue sous sa semelle pour empoigner une cigarette de tabac, les yeux exorbités de surprise et d’empressement. Et s’il s’agissait d’une personne qui travaille à l’hôpital ? Il ne peut pas prendre de risques. Quand elle se redresse pour enfin le regarder, il est en train de faire craquer encore et encore son briquet sous l’embout de la clope, pressé, nerveux, pris la main dans le sac. « C'est pas vrai. » OH NON ! Elle a compris ! Elle travaille bel et bien à l’hôpital et elle a compris que le concierge consomme du cannabis pendant sa pause ! NOOOOOON ! « Quoi ? Qu’est c’qu’il y a ? » Il bredouille en la dévisageant avec perplexité, faignant de ne pas comprendre ce qu’il se passe. C’est terminé, il va encore perdre son boulot. « Je suis désolée. » C’est la fin. Elle s’excuse d’avance parce qu’elle va le dénoncer à son employeur. « C’pas c’que vous croyez. On a encore l’droit d’fumer aux dernières nouvelles, non ? » Qu’il s’empresse de couiner en montrant sa clope bel et bien légale, celle qu’il n’a pourtant pas encore eu le temps d’allumer et qui représente la pire pièce à conviction.  

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@Joseph Keegan  ☆ crédit/dilfgifs

Emma ne s'en voulait pas le moins du monde de ne pas être attentive au reste du monde. A vrai dire, ce qui se tramait autour d'elle n'était pas du tout passionnant si ça ne la concernait pas. Donc oui, son téléphone était l'objet de toute convoitise plus importante que n'importe quoi d'autre. Donc oui, cela avait suffit pour qu'elle ne fasse pas attention à ce qui était droit devant elle. Ou plutôt à qui était devant elle. Et maintenant qu'elle faisait face à la réalité, elle avait l'impression que l'univers entier était entrain de se moquer cruellement d'elle. Ou alors, venait-elle de tomber douloureusement dans un coma si réaliste à la vie? Non parce que cette explication serait forcément plus plausible que le fait que Jonathan se trouve devant elle. Elle n'arrive pas à penser à autre chose que la présence de l'amour de sa vie devant elle, après toutes ces années. Il semble.. vivant. C'est sûrement ce qui perturbe le plus la jeune femme alors qu'elle tente malgré tout de garder contenance devant le fantôme de son ex-petit-ami. « Quoi ? Qu’est c’qu’il y a ? » - « C'est une blague de très mauvais goût j'ai l'impression. » Emma Brennan ne savait plus si elle s'adressait à elle-même ou à l'homme en face d'elle qui semblait aussi perdu qu'elle à cet instant. Elle sait pas quoi dire Emma, elle sait pas comment réagir. Son corps la pousse à se jeter dans ses bras, à le serrer aussi fort que possible pour se rendre enfin compte qu'il est bien réel et qu'il ne s'agit pas d'une mauvais hallucination. Jonathan n'est plus de son monde, et elle le sait Emma, et pourtant cet homme, c'est dingue à quel point il lui ressemble. A quel point il a tout de lui. Et la réalité de la voix qui émane de l'homme en face d'elle, lui fait prendre conscience qu'elle se trompe sur toute la ligne. Que ce n'est qu'un mauvais tour de son esprit. Qu'après toutes ces années, elle a finalement oublié le visage de son amour de toujours. Ça l'effraie Emma, elle a l'impression de perdre le contrôle. « C’pas c’que vous croyez. On a encore l’droit d’fumer aux dernières nouvelles, non ? » L'Australienne passe une main dans sa chevelure, lui permettant de prendre un instant pour reprendre le fil de ses pensées. Pour comprendre ce qui lui a échappé depuis tout ce temps. « Euh.. ouais. » L'avocate perd ses mots, c'est bien la première fois qu'elle se sent autant décontenancée devant quelqu'un. Autant dire que ce n'est pas vraiment dans ses habitudes. En général, c'est elle qui a le dernier mot, qui mène la danse des échanges sans jamais flancher. « J'suis pas là pour vous incriminez. » Elle espérait se tromper. « Vous bossez ici ? » Emma fronça les sourcils pour tenter de remettre les pièces dans le bon ordre. Remarquant enfin le petit badge sur la veste du jeune homme. Elle plissa les yeux pour mieux voir, incapable pourtant de faire le tri dans son esprit entre la fiction et la réalité. « Y a quelque chose de différent. » C'était des mots plus pour elle que pour lui. Enfin, elle savait plus. Peut-être qu'elle manquait cruellement de sommeil et qu'il était temps qu'elle lève le pieds la brune. Qu'elle retourne se planquer dans son appartement jusqu'à ce que le jour se lève. Elle se sent perdre les pédales. « Pardon, j'sais pas pourquoi je vous inflige ça. » Cette fois, c'était pour l'homme en face d'elle qui semblait ne pas comprendre ce qui était en train de se produire sous ses yeux. Il était temps qu'elle retourne à son quotidien, et pourtant, plantant ses yeux dans l'homme en face d'elle, Emma perdit contenance. La ressemblance était trop dingue pour qu'elle ait le cœur de partir alors qu'elle ne savait rien de lui. Alors qu'elle avait l'impression de revivre la plus douloureuse blessure de sa vie. « Vous avez un de ces trucs pour moi ? » Emma montra d'un mouvement de tête la cigarette fumante du brun. Peut-être que ça lui ferait du bien de prendre une bouffée de nicotine finalement.

Un dialogue de sourds commence à se former entre les deux protagonistes qui ne se connaissent pas, et qui ont chacun assumé certaines choses sur l’autre. Le cœur de Joseph s’est agité dans sa poitrine dès le moment où il a cru être entré en collision avec l’une de ses supérieures. C’est son costume classe qui lui a donné cette impression ; le genre d’accoutrement qui le dérange tant il crie je suis plus important que toi, laisse-moi passer. Mais il y a une sorte d’incompréhension dans le visage de la jeune femme. Une que Joseph n’arrive pas à déchiffrer et confond avec les reproches. « C'est une blague de très mauvais goût j'ai l'impression. » Il s’applique à bien montrer la nature de la cigarette coincée entre ses doigts, exposer sa légalité, plaider non coupable d’un crime commis cinq minutes plus tôt à peine. Il perdrait son travail en un claquement de doigt si on le prenait à fumer du cannabis durant ses heures de boulot. Il préfère jouer la carte de l’innocence juste au cas où sa supérieure (qu’il croit) n’a pas vraiment remarqué l’autre rouleau d’herbe qu’il a éteint et planqué dans la poche arrière de son jean. « Euh.. ouais. » Long silence. Les yeux de Joseph passent de son visage à sa clope. Il a envie de lui demander c’est quoi le problème alors, mais elle l’interrompt avant qu’il ne fasse preuve d’immaturité. « J'suis pas là pour vous incriminez. » « Eh bah tant mieux car y’a aucune raison d’m’accuser. » Qu’il ricane avec une fausseté risible juste avant que l’autre lui demande s’il bosse à l’hôpital. Elle ne le sait pas, alors ? Ou s’agit-il d’un test ? « Eum, ouais. Mais j’sauve pas d’vies moi, j’passe le balai et j’récure les chiottes. » Du coup, s’il est un peu drogué, ce n’est pas trop grave non ? Il ne tient jamais le scalpel. Et puis, personne ne le regarde assez longtemps pour remarquer que ses pupilles sont presque toujours dilatées. « Y a quelque chose de différent. » What the fuck. Il a peut-être affaire à une timbrée, ou une voyageuse du temps. Pourtant, son style est complètement d’époque. Ça se verrait si elle avait mis la main sur une machine à remonter dans le temps. « Pardon, j'sais pas pourquoi je vous inflige ça. » Elle lui adresse à nouveau la parole en le fixant dans les yeux, et il soutient son regard sans aucune gêne. Il ne connait pas ça, la timidité et les normes sociales. Il peut bien fixer autant qu’il le souhaite, ça ne tuera personne. « Tu m’infliges, mais j’te trouve un peu chelou. C’est assez divertissant en vrai, j’tombe pas sur des personnes comme toi à toutes mes pauses. » Il ricane à nouveau, plus détendu, reportant sa cigarette à ses lèvres pour tirer une latte. Il ne craint plus rien maintenant que ses doutes se sont évaporés. Elle ne travaille pas à l’hôpital, ou du moins pas en 2024. D’un mouvement détaché, il va récupérer sa boite de clopes dans son autre poche afin d’en tendre une à l’étrangère quand elle lui fait la demande. « Yep, sers-toi. » Le briquet suit rapidement, qu’il fait craquer sous l’embout du bâtonnet de poison que la voyageuse du temps tient entre ses dents. Il lâche un ricanement des plus détendus maintenant que toute tension s’est faufilée hors de la conversation. « J’ai cru qu’t’étais une d’mes supérieures, j’me suis presque chié d’ssus. Y’a pas beaucoup d’monde qui connaissent ce passage, habituellement j’y suis à l’abris. »  

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@Joseph Keegan  ☆ crédit/dilfgifs

Y a absolument tout qui la chamboule d'un coup, alors que pourtant, il en faut plus que de raison habituellement. Pour une fois, Emma a l'impression de perdre la tête. Elle a l'impression que le monde lui remet sur le chemin sa plus grande peine pour lui rappeler qu'elle n'est pas aussi forte qu'elle le prétend. Que bien au contraire, ce n'est qu'un moins-que-rien. Pourtant, elle tente de garder le cap alors que les mots sortent de sa bouche avec incohérence. Cette conversation elle-même n'a aucune sens. Elle le fixe comme s'il allait s'évaporer devant elle, comme si finalement en clignant des yeux une seconde de plus il n'avait été qu'une chimère. Sauf que le type en face d'elle est bien réel, même trop pour qu'elle ne flanche pas un court instant alors qu'il continue à parler comme si elle venait de le mettre à la porte pour une grave erreur. « Eh bah tant mieux car y’a aucune raison d’m’accuser. » Emma fronce les sourcils à cette réponse, remarquant enfin ce ton trop brut. Remarquant enfin à quel point depuis le début elle fait fausse route. Quelle idiote. Tout d'un coup le retour à la réalité lui fait mal. « Eum, ouais. Mais j’sauve pas d’vies moi, j’passe le balai et j’récure les chiottes. » sa tête se penche pour mieux saisir les informations qui arrivent. « Alors pourquoi se planquer comme ça ? » Elle est curieuse Emma, enfin, elle est surtout avocate. Alors parfois, les questions lui échappent, cherchant la vérité dans les mots des autres. Il est clair que la réponse ne la regarde pas de toute manière et qu'elle ferait mieux de partir avant de le regretter plus encore. Mais Emma elle a besoin de comprendre. Elle sait que son attitude est déplacée, qu'elle n'a pas sa place à cet instant et surtout qu'elle a un rendez-vous très important à honorer. Sauf qu'elle a pas le courage de faire demi-tour Emma. De faire comme si cet échange, elle en avait pas rêvé depuis des années. Enfin, pas dans le fait que cet inconnu soit Jonathan. « Tu m’infliges, mais j’te trouve un peu chelou. C’est assez divertissant en vrai, j’tombe pas sur des personnes comme toi à toutes mes pauses. » Voilà qu'elle passe pour la sociopathe sympa du quartier, il manquait plus que cela. Emma lève les yeux au ciel. « Dixit le mec qui se planque pour fumer comme un gosse. Qui est le pire de nous hein? » Elle réplique sans aucun remord, comme à son habitude. Comme elle le faisait avec Jonathan. Son cœur se sert à cette pensée, la remettant sur le bon chemin. Ce n'est pas lui pourtant. Jonathan n'est plus et ne le sera plus. Emma soupira un bon coup, profitant du silence pour lui demander de partager ce vice. « Yep, sers-toi. » Elle attrapa la cigarette et le remercie d'un hochement de tête. Le feu grésille alors qu'elle l'approche du papier qui s'embrase. La première bouffée la fait un peu toussoter, comme la novice qu'elle a été. Par chance, elle n'est jamais devenue accro à cette merde, ce qui ne l'empêche pourtant pas d'apprécier. « J’ai cru qu’t’étais une d’mes supérieures, j’me suis presque chié d’ssus. Y’a pas beaucoup d’monde qui connaissent ce passage, habituellement j’y suis à l’abris. »   Emma reporte enfin son regard vers l'inconnu. « Du genre le bon endroit pour respirer sans se faire prendre ? » C'était la première fois qu'elle passait par là Emma, parce qu'elle avait pas fait gaffe où ses pieds l'emmenaient avant qu'elle ne tombe sur lui. « C'est tant l'horreur là-dedans ? » Emma penche la tête vers l'hôpital, ne parlant pas simplement du fait que ça doit pas être sympa tous les jours d'entretenir ce genre d'endroit. « De quoi tu te planques vraiment finalement ? » Elle a sûrement pas besoin de savoir, mais ça lui échappe comme une grenade alors qu'elle tire sur la cigarette entre ses lèvres une nouvelle fois.

« Alors pourquoi se planquer comme ça ? » Certainement une habitude ! Avant c’était la cocaïne qu’il se glissait dans les veines en cachette, désormais ce sont les bâtonnets d’herbe pas exactement réglo. Certes, la différence entre les deux drogues est considérable, mais dans les deux cas il s’agit d’une méthode pour Joseph de rendre son quotidien plus facile à supporter. Sans le cannabis, il serait trop conscient de ce qu’il est, et ça le tuerait. « Ça rend l’acte plus plaisant. » Le garçon ricane en glissant un clin d’œil complice à cette personne qui ne l’inquiète plus désormais. Si elle avait les droits de le punir, elle l’aurait déjà. Aussi, elle lui aurait menacé la perte de son emploi s’il ne cesse pas immédiatement ses bêtises. Il aurait dû se douter qu’elle ne travaillait pas à l’hôpital vu son accoutrement distingué qui ne supporterait pas une tache de sang ou de liquides de quelconque provenance. « Dixit le mec qui se planque pour fumer comme un gosse. Qui est le pire de nous hein? » Celle dont il ne connait pas encore le nom entre dans son jeu de provocation sans même hésiter. Ça lui plait. Il l’a mal jugée. Il s’attendait à une personnalité carrée et austère, mais voilà qu’elle se met à contre-attaquer Joseph. L’habit ne fait pas le moine. Tirant plus longuement sur sa cigarette, il répond en haussant les épaules puis en crachant sa fumée vers le haut : « J’assume le rôle du « pire d’entre nous ». T’es trop bien sapée pour qu’on te le refile. » Ça lui va bien au teint. Il sera toujours pire que les autres, si l’échelle du bon et du mauvais se base sur les idéologies de la société. Quand la jeune femme lui quémande une cigarette, il n’y pense pas deux fois avant de lui tendre l’objet de sa revendication. Partager ne lui a jamais fait de mal, même, cela fait partie de ses quelques qualités qui ne se sont pas émiettées au passage du temps et des mésaventures. Il apprécie n’importe quel moment humain qu’il peut passer, et c’est la raison pour laquelle il arrive à apprécier son boulot malgré les conditions parfois douteuses. De rencontrer de nouvelles personnes tous les jours lui fait oublier les cinquante toilettes qu’il a récurées. L’ambiance est différente dans un hôpital. C’est un écosystème à part entière où chaque habitant est plus familier avec la mort. L’empathie y est décuplée. « Du genre le bon endroit pour respirer sans se faire prendre ? » Il opine du chef en tapotant sa cigarette pour faire tomber un peu de braise. Son dos a retrouvé le mur duquel il s’était séparé à l’apparition de l’étrangère. Il est à nouveau détendu et cela se traduit dans sa gestuelle. « C'est tant l'horreur là-dedans ? » Il glousse. « Ça dépend pour qui. T’y vas jamais ? » La réponse restera aussi abstraite. Joseph n’a pas non plus l’intention de livrer l’histoire de sa vie dans cette ruelle. Qui ça pourrait bien intéresser ? Sûrement pas une femme aussi bien vêtue qui se rend à quelque part d’important. « De quoi tu te planques vraiment finalement ? » Il examine le coin de la ruelle, où l’un de ses supérieurs pourrait passer s’il choisissait d’employer le raccourci. Personne. Il peut s’amuser un peu plus. Enfonçant sa main dans sa poche, il récupère le joint à moitié fumé et le montre à la curieuse. « C’est pas encore légal de fumer ça au boulot. » Il semble la défier du regard. Malgré les apparences, son petit doigt lui dit qu’elle sait aussi de quoi il s’agit. Qu’a-t-il à perdre, de tout façon ? Leurs chemins se sépareront et tout cela aura des allures de rêves fiévreux. « Rassure-moi, tu vas pas appeler les flics quand même ?! Pas après tout ce qu’on a vécu ensemble. » Le sourire qu’il lui adresse est absolument malicieux.