Il se balance avec les deux mains de ses papas, à bout de bras. Il est nerveux et c’est pour cette raison qu’il ne peut pas tenir en place. Ce soir, c’est la danse de l’école. La danse de Noël, plus précisément. L’événement qui clôture l’année avant que les enfants ne profitent de deux semaines de vacances. À un moment de la soirée, la classe de Raphael a prévu une chorale et il est excité à l’idée de monter sur scène même s’il se fait cacher par une tête plus grande que la sienne, tout à droite dans le groupe. C’est déjà mieux que rien. Il connait la chanson par cœur et chantonne en se rendant jusqu’à l’allée qui mène à la porte d’entrée. « Petit papa Noël… » Il commence, balançant ses pieds quand ses pères le tirent vers le haut pour le faire voler. « Quand tu descendras du ciel ! » Il continue, les étoiles dans les yeux, comme s’il avait oublié pendant un instant que dans quelques minutes il reverrait tous les gens de sa classe qui le trouvent trop petit, trop coloré, trop bizarre. Ça ne l’a pas empêché de se vêtir d’une chemise blanche à pois rouges et verts ainsi que d’un chapeau orné de bois de reines. Il a même un petit grelot accroché au cou : celui-ci tinte à chaque fois qu’il fait un mouvement trop rapide et, ça, ça arrive souvent. « Avec tes cadeaux par milliers… » Il termine en arrivant dans l’école, la porte se refermant derrière lui. Ça lui fait bizarre d’être ici avec sa famille, habituellement il prend l’autobus pour se rendre en cours. « Papas, c’est dans le gymnase que ça se passe ! » Il s’exclame avec énergie avant de les tirer vers le lieu en question. À l’entrée, les deux adultes se présentent, Raphael salue timidement la surveillante et cette dernière les laisse entrer en leur souhaitant de passer un bon moment. « Weeeeee ! » Chante Raphael en entrant en premier pour avoir l’exclusivité sur les lumières accrochées au plafond. À ses yeux, ce sont les plus belles décorations du monde – bien qu’elles aient été faites avec le budget d’une petite école primaire. Lui qui était si énergique, si lumineux, dès qu’il croise le regard de d’autres élèves, il redevient calme. Il cherche du regard Ginny, celle avec qui il doit « danser » (il ne sait pas trop ce qu’elle s’attend de lui, en fait, mais il a coché le OUI sur son petit papier). Il se tourne vers Tom, son grelot tinte. « Elle est pas là Ginny ? » Il s’interroge. « Je ne sais pas. Elle va peut-être arriver plus tard. Les lumières de sa maison étaient encore allumées quand nous sommes partis. » Parce que, oui, ils sont voisins.

Elle avait des paillettes dans les cheveux, encore plus dans les yeux. Si Marianne avait voulu lui mettre une touche de gloss, elle s'était enfuie à la seconde où le bâtonnet collant sentant fort la vanille et la barbe à papa s'était approché de ses lèvres qu'elle refusait voir nacrées. Ses cheveux étaient un peu moins fous, un coup de brosse et quelques barrettes étaient même venues à bout des rosettes qui finissaient toujours en noeuds. Noeuds qu'elle arrivait à tout sauf à défaire quand elle y passait distraitement ses doigts, manie lorsqu'elle avait la tête ailleurs.

Dans le voiture vers l'école, ses doigts ont fait au moins cinq noeuds. Elle ne pense qu'à Raphael. Elle se demande de quelle couleur sera sa chemise, de quelle couleur seront ses espadrilles. Elle se demande s'il aime mieux l'orangeade ou la boisson gazeuse à la fraise, elle se demande si ses papas seront là, s'ils pourront lui parler de leurs histoires en avion pour qu'elle rêve à celle qu'elle va pouvoir lui raconter au retour des vacances de Noël. Avec sa famille, ils partent pour Londres demain, le vol de soir. Elle a hâte de lui dire ce qu'elle va faire, hâte de noter dans sa tête les cadeaux qu'elle pense recevoir et ceux qu'elle aura vraiment.

Matt est dans la cafétéria avec les autres enfants plus vieux. Jill est interdite à la danse parce qu'elle a encore insulté son professeur, mais c'est assuré qu'elle va finir par apparaître à un moment ou un autre pour embêter leur frère. Et Ginny elle, arrive finalement au gymnase. Ses doigts au creux de ceux de sa maman, son père qui erre à serrer les mains des enseignants et du directeur qui ne sont qu'éloges sur sa gamine vive d'esprit. Il ne dit rien et hoche de la tête, il fait acte de présence mais retournera au bureau le plus vite possible.

Quand elle repère les bois de rennes sur la tête de Raphael elle laisse le plus grand des sourires illuminer son visage. Quand elle lâche sa mère pour courir vers lui, elle s'assure de remettre en place son bonnet de père Noël. « Y'a un grand sapin tu l'as vu? Ils vont mettre l'étoile en haut! » elle se fascine de rien Ginny, quand elle est avec lui. Son index pointant la décoration sur le point d'être mise en place.

Il reste avec ses papas. Il préfère s’accrocher à leurs jambes plutôt que de se perdre dans la foule d’élèves ou de parents qu’il ne connait pas. Ses petits yeux brillants bondissent de tête en tête, de sourire en sourire, d’enseignants à enseignantes, puis de lumière en lumière sur le large plafond du gymnase. Son enthousiasme semble avoir disparu maintenant qu’il est en public et il a soudainement envie de retourner chez lui pour déballer ses cadeaux de Noël trois jours à l’avance. « Ne t’inquiète pas, Rafi, elle va bientôt arriver. » Dit doucement Jeremy en replaçant les cheveux ébouriffés de son fils. « Il y a des desserts sur la table, là-bas, vous voulez que j’aille en chercher ? » Demande Tom en s’élançant en direction de la table en question sans attendre leur réponse. « Des brownies ! » Lance Raphael, le sourire à nouveau collé sur ses lèvres. Il observe son papa se frayer un chemin jusqu’à la montagne de sucre comme s’il regardait un héros s’envoler dans le ciel. « Y'a un grand sapin tu l'as vu? Ils vont mettre l'étoile en haut! » La voix de Ginny s’élève et le surprend. Il pivote rapidement la tête vers elle pour découvrir un bonnet de père Noël trois fois trop gros pour sa petite tête brune. Son visage est couvert de paillettes et Raphael met tout de suite à les compter. Dix sur sa paupières, trois sur ses joues : elles ont probablement glissé de ses yeux jusque-là. Enfin, il se tourne vers le sapin que désigne la petite fille. « Ooooh ! » Il lance, émerveillé, comme s’il venait de voir une étoile filante – et c’est presque le cas. « Elle est marrante, ta tuque. » Il s’exclame en se retournant vers elle. « Tu es venue sans tes parents ? » Il demande ensuite en penchant la tête sur le côté. Elle est plus vieille que lui : il serait impressionné d’apprendre qu’elle est venue comme une grande jusqu’à l’école. Deux secondes plus tard, Tom revient avec une assiette de brownies industriels. Il en a prévu un pour Ginny puisqu’il l’a vue arriver. « Salut Ginny, tu es très mignonne avec toutes ces paillettes. Tiens. » Il lui tend l’assiette et Raphael se sert avant elle pour gober son cube de chocolat.

« Elle est marrante, ta tuque. » le plus beau des compliments, la plus douce des remarques. Si son sourire pouvait toucher ses oreilles le voilà qui le ferait directement et sans la moindre équivoque. Elle rigole pour rien et elle sourit de plus belle. « Elle est jolie, ta clochette! » celle qui tinte quand il parle, celle qui fait des mélodies désaccordées quand il tourne la tête avec elle vers le sapin pour assister à l'étoile qu'on y met cérémonieusement. « Tu es venue sans tes parents ? » « Non, non, ils sont là ils sont juste en train de parler avec les autres. »  et elle les pointe après avoir pointé le sapin. Elle est impolie Ginny, mais si on le lui disait ses joues rougiraient encore plus que lorsqu'elle sent les prunelles de Raphael sur elle.

« Salut Ginny, tu es très mignonne avec toutes ces paillettes. Tiens. » les brownies sont décorés de vert, de rouge, de doré. Raphael prend la bouchée qu'elle avait repérée, mais elle la lui laisse sans chigner. Si c'était Matt qui avait fait ça, elle se serait mise à grogner.  « Mer- merci. » ses doigts sont déjà tachés de chocolat et ses joues aussi, les paillettes n'ont pas fait long feu quand une bonne partie d'entre elles tombent à chaque fois qu'elle mâche docilement sa bouchée. « Votre cravète est très jolie. » un nouveau truc qu'elle pointe, la cravate au bonhomme de neige du papa avec eux, cravate qu'elle a traduite apparemment. « C'est du français, je l'ai appris à l'école. » et comme ils font des voyages en avion, il le parle aussi, non?

La seconde qui suit, c'est Jingle Bells qui résonne dans le gymnase et si la chanson la fait dodeliner de la tête, elle la fait encore plus chantonner l'air, fredonner le refrain. Là, maintenant, tout de suite, elle est heureuse. Tout va bien.

« Elle est jolie, ta clochette! » Amusé par sa remarque, il vient faire sonner sa clochette en la tapotant simplement pour montrer à Ginny qu’elle peut même sonner. C’est de la grande qualité de déguisement ! « Non, non, ils sont là ils sont juste en train de parler avec les autres. » Il tend le cou pour mieux scruter à travers la foule et il peut enfin apercevoir sa mère discutant avec une enseignante et son père serrant la main au directeur. Puis, il hoche la tête, peut-être déçu d’apprendre que son amie ne fait pas partie des populaires qui se rendent à pied à l’école sans être accompagnés. Son papa revient rapidement, proposant les sucreries aux deux enfants. Raphael ne peut pas contenir son enthousiasme et fourre rapidement l’un des morceaux de brownie dans sa bouche pour le mâcher en fermant les yeux. Il profite de sa saveur et il devient presque sourd pendant un moment. Quand il rouvre les paupières, il se rappelle qu’il est dans un lieu public bondé. « Votre cravète est très jolie. » Il ne comprend pas ce qu’elle dit mais il est lui aussi certain que son père saura de quoi elle parle. Il sait tout, papa, il sait même pourquoi il pleut en Australie alors qu’il neige au Canada. « C'est du français, je l'ai appris à l'école. » Impressionné, Raphael observe Ginny de ses deux grands yeux, léchant le bout de ses doigts pour les nettoyer du chocolat fondu. « Tu es futée, dis donc ! » Répond son papa en coinçant sa cravate entre ses doigts pour lui faire comprendre qu’il connait lui aussi quelques mots de français. « Je pensais que tu avais espagnol, pas français. » Avoue Raphael en haussant les épaules, légèrement jaloux qu’elle ait réussi à surprendre Tom alors que lui ne peut pas dire un seul mot en français. Puis, Ginny se met à chantonner avec la musique et c’est à ce moment que Raphael lui demande : « Pourquoi tu voulais que je danse avec toi ? » Une seconde plus tard, la main de son père se pose sur son épaule et il lui explique qu’ils vont aller faire un tour pour les laisser seul à seul. Il hoche la tête mais ne les quitte pas du regard tant qu’ils n’ont pas disparu dans la foulée.

Le gymnase n'est pas aussi écho qu'il l'est à l'habitude lorsqu'ils ont leur cours d'éducation physique. On n'entend pas les espadrilles des enfants laisser des stries sur le plancher ciré, la musique censé les motiver à courir leur petit kilomètre en piste avant de commencer la classe a été troqué pour des chants de Noël qu'elle connait presque tous par coeur tellement il s'agit de sa fête préférée. Même son anniversaire - en mars, elle a déjà compté les dodos, il y en a beaucoup mais pas autant que ceux avant la fête de son frère, et encore moins que ceux avant la fête de sa soeur - n'est pas aussi cool que Noël à ses yeux.

« Je pensais que tu avais espagnol, pas français. » il a l'air déçu Raphael, et tout de suite son coeur se serre. Ses yeux se redressent vers lui alors qu'il a un centimètre de plus qu'elle et probablement une poignée de plus avec ses bois qui touchent presque le ciel. « Parfois, la bibliothécaire me montre des livres en langues étrangères. » qu'elle explique, honnête et curieuse, elle qui a appris à lire bien plus jeune que la moyenne. Elle qui s'est construit un monde entier tiré des livres qu'elle dévore à défaut d'avoir le moindre ami avec qui parler sur l'heure du midi. Mis à part lui. Elle espère qu'il se rappellera de la bibliothèque et des dessins, des moqueries enfantines et des éclats de rire qui ont suivi. Elle, elle n'a rien oublié. « Pourquoi tu voulais que je danse avec toi ? »

Le monde s'arrête. C'est elle habituellement qui pose des questions, aussi lassantes et répétitives puissent-elles être. Ce soir par contre, c'est Raphael qui est curieux. Elle prend le temps de lisser les froufrous de la jupe à crinoline argentée qu'elle a enfilée toute fière même si le tissu lui pique les doigts avant de répondre, rassemblant son courage pour lui dire à voix haute ce qui la dernière fois était venu corail sur blanc.

« Parce que tu sens bon. Et que ton sourire me rend heureuse. » ça fait drôle, de le dire à voix haute à lui, quand elle se le répète à voix basse rien qu'à elle. « Pourquoi est-ce que tu as accepté? »

« Parfois, la bibliothécaire me montre des livres en langues étrangères. » Elle est bizarre, Ginny. Les adultes de l’école sont ses amis. D’abord, c’était le concierge puis, aujourd’hui, il apprend qu’elle s’est fait copine avec la dangereuse bibliothécaire. Ce doit être une bonne stratégie, de se faire aimer par l’autorité, mais Raphael est bien trop timide pour tirer un seul mot à un adulte qui n’est pas son enseignante. Surtout pas à celui qui kidnappe des gamins ou celle qui crache un voile de salive à chaque fois qu’elle intime le silence à un enfant qui échappe un bouquin sur le sol. « T’es bizarre. » Il le dit à voix haute sans vraiment s’en rendre compte. Il est trop jeune, trop naïf, trop aveugle pour remarquer que, elle, elle ne remarque que lui.

Il la voit. À travers un bonhomme de neige en papier mâché et la table du buffet regroupant muffins et cupcakes couverts de crème fouettée verte. Il louche trop longue sur sa longue chevelure brune qui descend jusqu’à la hauteur de ses hanches. Elle parle avec d’autres élèves, elle sourit, et rigole, elle ramène une mèche de cheveux vers l’arrière. C’est @Diana Rhodes et, maintenant qu’il l’a aperçue dans un halo de lumière, il ne peut plus décrocher son regard de la merveille qu’elle représente. Elle semble danser alors qu’elle est immobile. « Parce que tu sens bon. Et que ton sourire me rend heureuse. » Il ne l’entend même pas, Ginny, alors qu’elle lui révèle son amour pour son odeur et son sourire. Il essaye de percevoir les mots que la belle prononce mais le brouhaha de la foule l’en empêche. La petite fille à sa droite lui renvoie une question et ça lui prend quelques secondes de trop pour réaliser qu’on attend une réponse de sa part. « Hein ? Quoi ? » Il demande en clignant des paupières, recroisant le regard de Ginny.

Aujourd'hui il sent la cannelle. Aujourd'hui il sent la muscade et la cassonade, la vanille et la guimauve. Elle aurait envie de lui demander si il aime ce qu'elle sent, elle, quand elle a choisi ses meilleurs savons pour la peau, ceux aux fruits, et qu'elle a shampouiné ses mèches brunes et emmêlées avec une mousse qui parfumait bien à la noix de coco. Elle a envie de lui sourire aussi, pour savoir s'il aime bien son sourire à elle. Si la voir sourire elle le fait autant sourire que lorsqu'il sourit lui.

Mais il ne la regarde déjà plus. Elle ne le réalise pas tout de suite, quand elle est occupée à être attentive à la conversation pour deux. Habituée depuis toujours à longer les murs et à se faire l'ombre d'elle-même, c'est sans s'étonner qu'elle retrouve ses travers de gamine qu'on oublie, de gamine qu'on laisse de côté. Ça ne la dérange pas d'ordinaire, parce que c'est elle-même qui cherche à ne pas se faire remarquer. Pourtant ce soir, c'est tout autre chose qui se passe quand elle sent une boule de chaleur naître dans son ventre, grimper le long de sa cage thoracique, pour finir par comprimer sa gorge.

« Hein ? Quoi ? »
« Non, rien. »

Elle n'est pas jalouse de base Ginny, parce qu'elle n'a jamais rien à elle. Son frère et sa soeur sont toujours dans sa bulle, ses carnets à dessin quand bien même elle les cache finissent toujours par être subtilisés et scrutés par ses aînés. Elle n'a pas de meilleurs amis et elle n'a aucune possession de valeur sauf peut-être son crayon corail, qu'elle lui a prêté sans hésiter une seconde. Mais tout ça ne fait aucun sens, quand pour une fois de sa vie elle tenait à quelqu'un autre que sa famille. Pour une fois de sa vie, elle s'imaginait attendre l'autobus, et aller acheter des bonbons au dépanneur, et regarder les nuages en riant de ceux qui ont des formes cocasses avec quelqu'un d'autre - avec lui.

Aujourd’hui, il a pris sa douche comme tous les jours et ne s’est pas roulé dans un ensemble collector d’épices à l’odeur surpuissante. Il s’est frotté les cheveux avec le même shampoing à l’odeur de… shampoing et a fait des bulles avec le même savon à l’odeur de…. Savon. La seule odeur que ses narines attrapent en plein vol, c’est celles qui s’émanent des assiettes de pâtisseries sur la table près de Diana. Parce que c’est là que son regard est rivé et il a l’impression de sentir ce qu’elle sent. Il cligne des paupières sans arrêt comme pour débarrasser ses yeux des paillettes qui font briller la danseuse mais ils ne sont que dans son imagination. Elle ne brille pas réellement, à moins que ?..

« Non, rien. » Ginny répond sur un ton presque sec. Elle ne semble pas aussi enjouée et, ça, il le remarque. S’il est incapable de voir que son petit cœur bat pour lui, il a au moins compris que quelque chose cloche. Il se dit que ce doit être la chanson qu’elle n’aime pas, ou le brownie se fraie difficilement un chemin jusqu’à son estomac – parce qu’elle ne tolère que le pudding au riz, les fraises et les pommes vertes. « Ça va ? » Il demande alors en replaçant ses bois au milieu de son crâne parce que le serre-tête a tendance à glisser sur sa coiffe trop lisse. Mais il ne lui laisse même pas le temps de répondre qu’il reporte son attention sur Diana qui a… disparue. Il analyse les alentours en se grugeant le bout de l’ongle, pensant l’avoir perdue à tout jamais. Heureusement pour lui, il retrouve sa silhouette près du grand sapin de Noël sur lequel venait d’être posé une étoile emblématique. Sans s’en rendre compte, il se met à sourire parce que, dans cette nouvelle position, il peut voir son visage en entier. Il aimerait aller lui parler mais jamais il n’aurait le courage de simplement lui faire un signe de la main.  

Son monde entier s'est écroulé. Elle avait tout et maintenant elle n'a plus rien. Il ne lui parle plus parce qu'elle parle français et pas espagnol, il ne lui pose plus de questions parce qu'elle a été trop lente à lui répondre. Il ne l'écoute plus parce qu'il n'apprécie pas le son de sa voix et il ne la regarde plus parce qu'il aime Diana.

C'est clair maintenant, qu'il la préfère à elle. C'est clair parce qu'elle l'a vu esquisser un pas ou mille - il n'a pas bougé - vers Diana. Ginny qui reste droite quand son estomac lui fait mal, quand elle réalise que ses doigts collés de brownies sont maintenant occupés à se pincer les uns les autres, à pincer la peau de ses poignets et l'intérieur de ses coudes. Elle fait ça quand on la dispute et elle fait ça quand sa soeur la critique ; elle ne savait pas qu'elle le ferait aussi quand son petit coeur serait brisé. « Elle est belle, c'est avec elle que tu devrais danser. » sa voix tremble et ses membres tremblent aussi, son corps est secoué en entier et elle claquerait presque des dents de stress si elle ne tenait pas autant sa mâchoire bien serrée, fermée.

C'est avec elle qu'il devrait être et pas avec Ginny. C'est avec elle qu'il veut être mais pas avec Ginny. Elle n'est pas méchante la brunette, elle ne dira rien de mesquin, elle ne lancera pas de rumeurs. Elle ne voudrait pas faire volontairement du tort à qui que ce soit même si à l'intérieur tout se tord en l'instant. « Est-ce que c'est parce que j'ai mal décoré ta case que tu l'aimes plus que moi? » la question lui brûle les lèvres et la culpabilité lui brûle la gorge. Maintenant, ses prunelles sont trop honteuses pour rester ancrées à celles de Raphael, et ça l'arrangerait presque qu'il l'ignore pour en fixer une autre, une meilleure qu'elle.

« Elle est belle, c'est avec elle que tu devrais danser. » Il ne connait pas ce sentiment qu’elle transcrit dans ses mots presque mouillés. Il pense au sarcasme mais c’est un art qu’il ne maîtrise pas à la perfection pour en connaître l’intonation. Peut-être qu’elle trouve que Diana et réellement belle et qu’il devrait aller la voir pour lui proposer une danse – même si, bon, personne ne danse en ce moment et il ne comprend pas toujours le sens de ce petit papier plié qu’elle a glissé sous son nez alors qu’il colorait le koala en violet. « Tu crois ? » Il demande alors, complètement perdu, un poisson au milieu du désert, un chameau se faisant avaler par un tourbillon marin. Peut-être qu’elle veut lui donner un bon conseil mais il ne pense pas avoir le courage de le mettre à exécution. En plus, Diana est accompagnée de ses copines, il n’a pas l’impression d’être le bienvenue dans cette bande aux tresses serrées. « Je peux pas. » Il conclue en reposant son attention sur Ginny dont l’expression est passée du rose au noir. « Est-ce que c'est parce que j'ai mal décoré ta case que tu l'aimes plus que moi? » Il entrouvre les lèvres en même temps que se froncent ses sourcils. Le rouge lui monte instantanément aux joues parce qu’il ne faut pas lui dire deux pour qu’il comprenne. Cela fait plusieurs jours qu’il trouve des emballages de barre tendres ou des fleurs ramollies collées sur sa case parce que les gens se moquent encore de ce jour-là. Celle qui l’a humilié pour la centaine fois. Jusqu’à présent, il ne faisait que glisser la poubelle sous sa case pour recommencer à nouveau le nettoyage. « C’était toi ? » Il lance, la voix cassée par l’émotion. Les larmes ne tardent pas à monter à ses yeux. « Tu as décoré ma case pour te moquer de moi ?! » Il demande, croisant fermement ses bras sur sa poitrine, témoignant d’un dégoût soudain pour ses agissements. Il a détesté si longtemps le coupable de cette mauvaise plaisanterie et il se trouvait juste à côté de lui.

Ses pommettes sont rougies et pas par la gêne, elles le sont un peu pour la peine et surtout pour la jalousie sale et déplacée, ingrate et injustifiée. Mais elle n'est pas jalouse de base Ginny, elle réserve ça à Matt quand leur père félicite ses cousins à sa place à lui pour leurs bonnes notes à l'école et pour les points marqués sur le terrain de rugby. Elle réserve ça à Jill quand leur mère achète à la cadette des jouets bien plus colorés, des cahiers à dessiner bien plus variés qu'à l'aînée. Elle, elle prend ce qu'on lui donne sans jamais en demander plus.

Elle s'est attachée à Raphael, autant qu'une gamine de dix ans peut s'attacher à qui que ce soit. L'espace d'une soirée elle a inventé un monde avec lui, elle s'est construit ce qui ressemble le plus à son petit univers duquel il était le roi et elle la reine. C'est ridicule et c'est brouillon, il n'a pas à se le faire imposer et elle aurait gardé le tout secret, le tout rien qu'à elle, si il n'avait pas dérivé vers Diana. Et si elle ne l'avait pas pris comme une attaque à elle, comme une façon tout sauf subtile de lui dire que les garçons comme lui n'aimeraient jamais les filles comme elle.

Il ne peut pas aller voir Diana et elle ne sait pas pourquoi, elle fronce des sourcils aussi. Elle, elle peut être honnête par contre et elle, elle peut au moins s'assurer d'alléger sa conscience à défaut d'alléger son petit coeur brisé d'enfant aux rêves bafoués.

« C’était toi ? » oui c'était elle et si ses larmes à lui commencent à monter à ses yeux il en est de même pour celles de la brunette. Trop empathique, elle ressent la peine du petit garçon comme elle s'autorise apparemment à ressentir la sienne. « Tu as décoré ma case pour te moquer de moi ?! » « Non pas du tout! » mais pourtant il est trop tard quand sa voix se hausse par-dessus Rudolph the red nosed reindeer qui est lancé en musique d'ambiance. « Quand j'ai vu que tu étais fâché j'ai eu peur et je voulais juste que tu aimes ta case mais tu la détestais et tu me détestes aussi maintenant... » ses phrases se cassent dans sa gorge et ça y est, sa peine se casse maintenant sur ses joues.

Ça y est, la soirée est gâchée. L’arrière-goût de brownie est soudainement dégoûtant et lui donne la nausée. Ses yeux se gorge lentement d’eau parce qu’il regarde celle qui l’a humilié. Il a été con de ne pas le deviner. Les taches de peintures aux mille couleurs dans les paumes de ses mains, sa présence à quelques mètres de là au moment où il arrive devant les lieux du crime. Il n’a pas été assez malin pour réaliser que les gens qui lui veulent du mal n’étaient en fait qu’à quelques centimètres de lui quand il nettoyait les dégâts sur son casier métallique. Il se sent presque trahis. Ce doit être ça, la sensation d’avoir le cœur brisé. Certes, Ginny n’était rien de plus qu’une copine mais il appréciait bien ses crayons pastels, son talent pour le dessin et son bonnet de Noël. Paniqué, il cherche du regard ses papas, ceux qui ont disparu dans la foule pour le laisser seul avec ses démons, visiblement. « Non pas du tout! » Et elle se permet de mentir une autre fois pour tartiner la toast d’une deuxième couche. Vexé, le petit garçon croise ses bras sur sa poitrine alors que la traîtresse tente de se justifier. Il ne l’écoute pas, rivant son attention vers ailleurs, tenté de se boucher les oreilles avec ses mains. Mais il n’est plus un gamin et il ne fait plus ça. Il est grand maintenant et il sait qu’il veut rentrer chez lui maintenant que sa soi-disant amie fait partie du camp ennemi. « Quand j'ai vu que tu étais fâché j'ai eu peur et je voulais juste que tu aimes ta case mais tu la détestais et tu me détestes aussi maintenant... » Il secoue la tête de droite à gauche, se refusant de croire le moindre de ses mots. Elle a voulu lui faire du mal, c’est tout. « Non, arrête ! Va-t’en, laisse-moi, je veux rentrer à la maison. À cause de toi, tous les matins je trouve des déchets sur ma case, tu es méchante ! Et oui je te déteste. » Puis il s’élance à travers les silhouettes des autres parents pour retrouver les siens. Quand il trouve Tom, il s’accroche à sa main et le regarde de ses grands yeux mouillés. Il comprend en une seule seconde que son fils a besoin de partir. Sans poser une seconde, parce que Raphael est un enfant gâté, il va retrouver Jeremy et tous les trois quittent le gymnase sans que le petit garçon ne fasse son attendue prestation sur scène.

C'est la débandade et c'est l'horreur, c'est le chaos et c'est l'Apocalypse. C'est la fin du monde pour elle parce que son monde se résume à lui pour les quelques petites minutes qui leur restent encore, minutes qui se précipitent à une vitesse effarante tant l'impulsivité du petit garçon secoue la gamine terrifiée qu'elle personnifie en l'instant.

Il bouille et il éclate, elle tremble et sent les regards de tous les autres petits enfants se braquer sur eux. La musique elle-même semble s'être arrêtée, un peu comme son souffle qui reste pris dans sa cage thoracique comprimée par son pull de laine au sapin de Noël immense et décoré.

C'est vers la salle de bain qu'elle fuit à s'en brûler les poumons tant elle y va vite, tant elle manque de tomber à cause des lacets de ses Converse vertes se prenant dans ses pieds à chaque pas. Ses parents ne le trouveront pas pour une longue poignée de minutes, elle laissera aller toutes les larmes que son petit coeur cassé cède enfin. Tout ce qu'elle voulait en décorant son casier d'école, c'était le remercier. Tout ce qu'elle espérait c'était qu'il ait envie de passer autant de temps avec elle qu'elle voulait en passer avec lui. Elle pense à tous les moments où il l'a faite rire, elle pense aux dessins qu'il a faits avec ses crayons à elle, elle pense à toutes les feuilles qu'il a barbouillées et qu'elle va déchirer dès qu'elle retournera à la maison.

Matt vient la chercher dans les toilettes de filles après une heure ou dix autres, elle n'a rien compté. Sa respiration s'est calmée mais ses doigts se triturent encore. Cette nuit-là, elle ne dormira pas une seule seconde, se promettant de ne plus jamais faire confiance à qui que ce soit, de ne plus jamais laisser quiconque avoir le pouvoir de la faire se sentir comme ça.