Les mots de mon paternel ne cessent de se jouer en boucle dans un coin de ma tête. Je le revois en face de moi, si droit, si hautain. Je sens encore son regard noir qui me dévisage, qui m’insulte sans même ouvrir la bouche. Il m’a détesté à la seconde où il m’a vu, sans raison. Pourtant, j’ai voulu me raccrocher encore une seconde à l’idée qu’une conversation était possible. J’ai vraiment voulu y croire jusqu’à la dernière seconde. Jusqu’à ce qu’il me traite de traînée et qu’il ose lever la main sur moi. Le reste est assez flou, je me souviens à peine de Matthias qui lui a coller un poing. On aurait pu rester des heures dans ce salon guindé que je n’aurais pas réalisé. Je me suis retrouvé coincé dans la tornade d’émotions qui m’a submergé à l’instant où il a tout arrêté. Mon père me déteste. Ma mère m’a menti. C’est tout ce qu’il me reste désormais.

Je crois avoir pleuré des heures dans la voiture de mon cousin. J’ai perdu la notion du temps du moment où l’on a été jeter dehors. J’ai fondu en larmes dans les bras de Matthias et il a tout fait pour me rassurer, pour tenter de me réconforter. On a été se réfugier dans sa voiture et j’ai juste ouvert les vannes. Je n’avais pas pleuré comme cela depuis l’enterrement de maman. Je ne voyais plus rien, j’avais du mal à reprendre ma respiration. Je vivais un cauchemar éveillé. Je le vis toujours, des heures plus tard. La nuit est tombée sur Brisbane. Matthias a voulu que je reste avec lui, mais je ne supportais pas le regard qu’il posait sur moi. Je ne voulais pas rester avec lui. Il a été adorable avec moi, mais je me sentais plus à l’aise, je voulais qu’il me laisse tranquille. Il a proposé de me déposer quelque part, j’ai donné l’adresse de Molly sans même réfléchir.

Il est tard. Enfin, je crois qu’il est tard, je ne sais plus vraiment. Je me mords la lèvre pour arrêter de pleurer, je ne cesse de me frotter les yeux. Je pourrais juste rentrer chez moi, m’enfermer dans ma bulle et ne jamais en sortir. Mais non… J’ai besoin de voir ma meilleure amie. Alors, je frappe doucement contre le panneau en bois. J’espère ne pas la réveiller ou pire la gênée avec son mari. J’ai honte, mais j’ai besoin d’elle et lorsque la porte s’ouvre devant la bouille rassurante de Molly, je contracte tout pour ne pas pleurer à nouveau. « T’as dit qu’y avait des chatons à chouchouter. » J’ai besoin de toi…

Je suis seule dans l’appartement, je m’occupe des chatons. Ils ont un peu grandi mais ils ont besoin de toute mon attention. Et celle de Socrate bien évidemment. Il reste collé aux 6 chatons presque 24h sur 24. C’est amusant à voir, et ça me permet d’apprivoiser le chat bien plus facilement. Il est tard mais j’ai du mal à trouver le sommeil, comme souvent. Je me pose dans la chambre d’ami avec un livre, je garde un oeil sur la portée qui dort. J’ai un peu de temps tranquille et j’en profite. Je commence à m’assoupir sur le grand lit et le livre tombe de mes mains. Il est tard quand j’entends quelqu’un toquer à la porte. Qui ça peut bien être ?

Je vais ouvrir, et je tombe sur Elora, qu’est ce qu’Elora peut bien venir faire ici à cette heure de la nuit? Je vois son visage et elle a pleuré, je le sais. Je m’inquiète et je ne dis rien, je la prends juste dans mes bras. Je la serre contre moi, elle me parlera quand elle en sera capable, quand ça ira mieux. Je pose mes mains sur ses épaules et m’éloigne de quelques centimètres. “Oui y’en a 6, tu veux les voir ?” Je la fais rentrer à ma suite et je l’emmène vers la chambre d’ami. “Ils dorment mais ils devraient se réveiller d’ici 20 minutes il faudra leur donner le biberon.” Elle veut parler de chatons apparemment, elle n’a pas envie de discuter de ce qui c’est passé pour le moment et je ne peux que l’accepter en lui souriant. Le sourire le plus rassurant que je puisse faire. “T’as besoin de quoi ? Tu veux boire, manger un truc ?” Elle sait qu’elle peut me demander n’importe quoi je le trouverai. Je ne veux pas qu’elle pleure, ni qu’elle aille mal, c’est bien trop dur à supporter.

Peut-être que j’aurais dû prévenir avant de débarquer aussi tard. Habituellement, je l’aurais fait, mais ce soir, rien ne semble normal. Je sens mes yeux rougis par les pleurs. Ma joue porte encore la marque de la claque que je me suis prise quelques heures plus tôt. Mon cœur semble complètement piétiner. J’ai du mal à réfléchir, à respirer. J’aurais pu rester auprès de Matthias, mais sentir son regard empli de pitié sur moi me donnait envie de vomir. Il voulait simplement bien faire, je le sais, mais il n’était pas celui dont j’avais besoin à cet instant précis. Parce que le sourire de Molly au moment où elle ouvre la porte apaise déjà tout. Il est tard, elle ne s’attendait pas à ma visite et pourtant elle m’ouvre la porte de chez elle sans même poser de questions. Elle m’ouvre ses bras aussi. Et c’est tout ce dont j’avais besoin depuis le début de l’après-midi. Je me perds dans son étreinte, respire un peu mieux pour la première fois de la journée. Et elle comprend Molly, que j’ai pas spécialement envie de parler. « Oui y’en a 6, tu veux les voir ? » Je hoche doucement la tête et suis ma meilleure amie à l’intérieur de l’appartement.

Telle une enfant, je viens m’asseoir près du panier qui recueille les chatons, petit protéger de Molly. Les six petites boules de poil dorme agglutiner les unes contre les autres. Je voudrais les caresser, mais n’ose pas les déranger dans leur sommeil surtout lorsque mon ami m’apprend qu’il va bientôt falloir leur donner le biberon. « Je t’aiderai. » dis-je doucement sans lâcher les chats du regard. Ils ont l’air si paisible. Je pourrais m’allonger à côté d’eux et ne pas bouger pendant des heures. Ce serait un bon programme. Mais elle ose les questions, malgré tout, Molly. « T’as besoin de quoi ? Tu veux boire, manger un truc ? » Je me suis promis d’arrêter de pleurer et pourtant les larmes sont de nouveaux là, prête à couler alors qu’elle cherche simplement à m’aider. « Je veux bien un verre d’eau, s’il te plaît. » Je me redresse pour me retrouver face à mon amie. « Et de l’aspirine aussi, si tu as. » Parce que j’ai un mal de crâne horrible qui me colle à la peau depuis que les larmes se sont calmées. Je le suis à nouveau dans le salon et me dirige vers l’entrée pour retirer mes baskets avant de m’asseoir dans le canapé. « J’ai rencontré mon père. » Et je pense qu’elle devinera la suite. Que tout s’est mal passé, qu’il a levé la main sur moi. Que je voudrais juste oublier mes origines pour toujours.

Elle va mal Elora. Et mon cœur se brise parce que je le vois tout de suite. Elle a pleuré, mais je ne pose pas de questions. Elle veut voir les chatons alors je l'emmène dans la chambre d'amis. Les chatons dorment mais commencent à s'agiter, ils ont faim et ça me fait sourire un peu. Je lui parle de chat, je ne pose pas de questions sur son état même si je m'inquiète beaucoup. Je me demande bien ce qu'il a pu se passer, qui a bien pu la faire aller aussi mal. "J'espère que t'es prête à recevoir des tonnes de câlins ces petits bouts ont besoin de beaucoup d'attention." je souris et je pose ma main sur son avant-bras, j'essaie toujours de la rassurer. Je suis là pour elle, elle le sait mais je continue de lui montrer. Et si elle ne veut pas parler elle ne parlera pas, je ne forcerai rien. 

Je lui demande si elle veut quelque chose avec que les bébés ne se mettent à miauler et courir partout. "je vais te chercher ça, tu veux rester là avec eux ?" elle est assise à côté du panier et je trouve ca attendrissant. Si les chatons sont un moyen pour elle de se calmer un peu, de recommencer à sourire, alors je veux bien la laisser à côté de ces bébés pendant des heures, des jours même. Elle me regarde et j'attends un peu avant de sortir de la chambre. Elle a vu son père, et vu son état, ca ne s'est pas bien passé du tout. Alors j'oublie l'eau et l'aspirine quelques secondes pour me poser devant elle et prendre son visage entre mes mains. "Je suis désolée." et je la prends dans mes bras une nouvelle fois. Je suis là Elo, je suis toujours là. 

Je tente de prétendre que tout va bien. Je voudrais faire croire que je suis simplement venu rendre visite à mon amie même s’il est très tard, mais il est difficile de faire comme si tout allait bien face à Molly qui me connaît si bien. Je vois dans son regard qu’elle est inquiète même si elle ne pose aucune question et qu’elle m’emmène voir les chatons dont elle s’occupe en ce moment. Et je l’aime tellement pour cela. Jamais elle ne va insister, elle va juste rester pas loin et surveiller que j’aille bien. « J'espère que t'es prête à recevoir des tonnes de câlins ces petits bouts ont besoin de beaucoup d'attention. » Je hoche la tête telle une enfant alors que je viens déjà m’asseoir près du panier pour observer les petites boules de poils qui dorment pour le moment et tente de ne pas penser au reste.

Mais elle est inquiète Molly et je ne peux pas simplement arriver chez elle sans lui expliquer le pourquoi du comment. Alors sans réfléchir, je finis par lui expliquer ce qui m’es arriver aujourd’hui. Je ne rentre pas dans les détails, je sais que je ne vais pas y arriver sans fondre en larmes et je ne veux pas arriver à ce point-là, pas pour le moment. Et Molly étant Molly, elle vient immédiatement me prendre dans ses bras ce qui a pour effet de déclencher la fontaine de larmes. Je tente de me mordre la lèvre pour ne pas pleurer, mais j’ai juste besoin que ça sorte, je crois. « Il a été horrible… » Et encore le mot est si faible, il m’a insulté, à traîner ma mère dans la boue avant de lever la main sur moi. Mais je suis incapable de dire tout cela tellement, je sanglote contre l’épaule de mon amie. « Je voulais pas te déranger, mais je… » Mais quoi ? Elle est mon amie et on s'est toujours promis d’être là l’une pour l’autre. « J’avais vraiment besoin de te voir. » que j’ajoute sans jamais me décoller de son étreinte. Et comme si les chatons avaient senti que quelqu’un avait besoin d’une dose de cute et d’amour, ils se mettent à miauler doucement dans leur panier. Je tourne la tête vers eux et renifle un peu de manière tout à fait non sexy. « On s’occupe d’eux ? » Aide moi à me changer les idées.

Il est tard dans la soirée, et je n’avais pas prévu de recevoir quelqu’un. Mais j’accueille Elora dans mes bras sans aucun problème. Elle pourrait rester là pendant des jours si elle le voulait. Et j’attends tranquillement qu’elle veuille parler. Et, même si elle ne veut pas, on parlera des chatons pendant des heures pour lui remonter le moral. Les chatons qui se réveillent doucement d’ailleurs, ils vont avoir faim et ça c’est la meilleure distraction possible pour mon amie je le sais. Elle aimes le chats, tout le monde aime les bébés chats de toute manière.

Mais je m’inquiète, ce n’est pas le genre de la blonde de débarquer à une heure aussi tardive pour nourrir des chatons. Elle prévient en général. Et j’essaie de prendre soin d’elle, je lui propose à boire et à manger, je veux qu’elle aille mieux, et je peux tout faire pour l’aider. Et je pose peut-être la question de trop, parce qu’elle fond en larme de nouveau. Je la prends dans mes bras et je la serre tout contre moi pour essayer de calmer les sanglots. Elle a rencontré son père, et ça s’est très mal passé. Et, là, c’est difficile de garder ce sourire rassurant quand je vois à quel point elle a l’air détruite. “ça va aller.” Je suis là pour elle, toujours. Mes mains se posent sur les jours d’Elora pour essayer de sécher quelques larmes. “Tu me déranges pas, tu me dérange jamais.” Et elle le sait que je le pense. “Je suis là, et tu peux dormir ici si tu veux.” Mon sourire revient, difficilement, mais il revient. Et les chatons se mettent à miauler de plus en plus fort. Je tourne la tête vers eux en pouffant un peu. “On s’occupe d’eux.” Je hoche la tête et part chercher les 6 biberons qui sont déjà prêt dans le frigo. “Tu sais comment faire ?”        

Je m’étais promis de ne plus pleurer pour cela. Je m’étais juré que mon paternel ne méritait pas mes larmes. Je voulais juste voir mon ami, voir son beau sourire, sentir sa douceur légendaire envers moi. C’est peut-être ça le souci dans le fond. Molly est tellement douce avec moi que je suis incapable de garder mon masque bien plus longtemps. Tout se craquèle et je finis par fondre en larmes dans le creux de ses bras. C’est réconfortant de sentir que quelqu’un fait réellement attention à moi, que quelqu’un me serre dans ses bras de cette manière. Matthias a tenté de le faire, mais c’est tellement différence. J’ai une confiance aveugle en Molly. Je sais qu’elle ne cherchera jamais à me faire du mal, qu’elle sera toujours là pour moi. Et c’est bien pour cela que je me laisse complètement aller dans ses bras. Je renifle, je sanglote. I’m a mess. Mais elle s’en fiche Molly, elle me serre encore plus contre elle et elle me rassure sur tout. « Je suis là, et tu peux dormir ici si tu veux. » Je hoche la tête et renifle encore une fois. « Je… Je veux bien. » Je ne veux pas m’imposer, mais je sais que Molly ne me laissera pas partir aussi rapidement. Et c’est bien plus simple pour moi de parler avec elle de tout cela, plutôt que d’en parler avec mes colocataires. Elle est un peu comme mon doudou Molly et j’ai besoin d’elle, ce soir, pour me sentir un peu mieux. Même si j’attire plus l’attention sur les chatons que sur moi.

Ils ont faim les petits, ils nous réclament et c’est la distraction parfaite à mon sens. « Tu sais comment faire ? » « Tu me montres ? » Cela ne doit pas être trop compliqué, mais je préfère m’assurer que je suis en train de faire les bons gestes. Molly me montre avec un premier chaton et j’en prends un autre pour faire exactement comme elle. « Ils sont si mignons. » Je pourrais les caresser et les cajoler pendant des heures, j’en suis certaine. Le silence se fait entre nous, uniquement entrecouper par les bébés qui biberonnent. Et mon cerveau tourne à mille à l’heure. Je crois, que j’ai besoin de tout faire sortir une bonne fois pour toute. « Il a dit que j’étais une traînée. » Un soupir m’échappe. « Et il m’a giflé. » Vraiment, il ne mérite pas la médaille du père de l’année. « Je suis tellement en colère Molly. »

Finalement, je reste encore un peu assise à côté d’Elora, je n’ai pas envie de la laisser seule dans un coin même pour 5 minutes. Je la prends dans mes bras, je sais qu’elle en a besoin tant qu’elle est aussi mal. Elle a encore du mal à réaliser tout ce qu’il vient de se passer et je la laisse me raconter à son rythme. Je ne veux pas la brusquer, toute cette histoire la secoue déjà bien assez. Alors je lui dis que je suis là pour elle, qu’elle peut rester dans cet appartement autant qu’elle le veut, je suis sûre que Léo n’y verra pas d’inconvénients. Je l’aide à respirer plus calmement, à sécher les larmes qui perlent encore de temps en temps.

Je vais chercher les biberons pour les chatons, je dois encore les nourrir comme ça pour quelques semaines. Léo se prête facilement au jeu depuis qu’ils sont là et je trouve ça attendrissant. Elora a besoin d’affection et ces petites boules de poil sont absolument parfaite. Je lui montre comment faire en en posant un sur mes genoux et en passant une main autour du bébé pour pas qu’il ne court partout et qu’il se concentre sur la tétine. “Tu fais comme ça, et après il faut juste attendre qu’il ait fini.” Mon sourire s’agrandit quand j’essaie d’attirer son attention sur autre chose que tout ce qui peut bien se passer dans sa tête. “On les a abandonné devant le refuge, donc je les ai récupéré pour qu’ils grandissent correctement.” Elle le sait Elora que je pourrais prendre des tas d’animaux chez moi juste pour qu’ils soient un peu plus heureux. Et le silence se fait, je lui laisse le temps, je fais attention aux chatons et j’attends. Et elle parle Elora, tout ce qu’elle me dit me coupe le souffle. “Tu sais que c’est faux Elo. Il n’avait pas à t’insulter” Je ne sais pas si ça aide mais je veux qu’elle l’entende. “Il t’a frappé ?” Et là je relève mes yeux vers mon amie, comment est ce que cet homme a bien pu oser faire un truc pareil ? “T’étais seule ?” J’espère que non. “T’as le droit d’être en colère et triste, c’est horrible. Il aurait jamais dû faire ça il ne te mérite pas.” Je ne quitte pas son regard pour lui montrer à quel point je suis sincère.

Je tente d’oublier mes larmes. Je tente de retrouver ma respiration. Toute ma concentration se focalise sur les chatons couchés devant moi. J’en prends un tout petit. Minuscule boule de poil blanche et rousse qui s’exprime dès qu’il sent ma main se poser sur son pelage. « C’est rien bébé. » Je le prends délicatement sur mes genoux en relevant la tête vers Molly. « Tu fais comme ça, et après, il faut juste attendre qu’il ait fini. » Sérieusement, je hoche la tête et copie les gestes de mon amie. Tenir le petit chaton tout en lui donnant une position confortable puis approcher la tétine vers sa petite gueule pour qu’il puisse venir téter le lait. Il avait faim le petit monstre, il tète bruyamment et cela me fait sourire. Elle s’occupe bien d’eux Molly, elle est géniale avec les animaux. Elle est parfaite avec moi aussi, parce qu’elle me laisse le temps, parce qu’elle n’insiste pas, jamais.

Et calmement, je finis par lui expliquer ce qui a bien pu se passer dans l’après-midi. Les insultes de mon paternel, ce dédain dont il a fait preuve en me rencontrant et surtout cette gifle qui me brûle encore la joue. « Tu sais que c’est faux Elo. » Les lèvres serrées, je hoche la tête doucement. « J’essaye de m’en convaincre. » Parce que je ne suis plus vraiment sûre de rien à l’heure qu’il est. Je me sens comme une traînée à la manière dont il m’a traité. Je me sens comme une moins que rien et ça me colle à la peau. Elle répète mes mots Molly, elle est complétement sous le choc elle aussi et je tends ma joue dans sa direction, la trace est encore probablement là. « T’étais seule ? » « Non, Matthias est venu avec moi. » Et je me remercie encore d’avoir eu l’idée de demander à mon cousin de m’accompagner. Je ne sais pas comment tout cela se serait terminé sans lui.

« T’as le droit d’être en colère et triste, c’est horrible. Il aurait jamais dû faire ça, il ne te mérite pas. » Je me mords la lèvre alors qu’un nouveau sanglot m’échappe. « J’en veux à ma mère Molly. » Et c’est bien quelque chose que je n’arrive pas à expliquer. « Elle m’a jamais dit la vérité et maintenant elle est même plus là pour répondre à mes questions. » Et on l’entend ma colère dans le fond de ma voix. Mais mes gestes restent calmes pour ne pas effrayer le petit chaton contre moi. « J’en ai marre de cette vie de mensonge et de galère. » Je soupire longuement. « J’en ai marre. »

Elle ne va pas du tout Elora, et ça me peine. Je ne sais pas quoi faire pour la rassurer. J’essaie tout pourtant. Et je ne la brusque pas, jamais. Elle pourrait se remettre à pleurer, ou vouloir partir. Et ce n’est pas du tout mon but. Je l’aide pour le chaton, on doit les nourrir. Et je sens que ça lui fait du bien. Ce sont des boules d’amour et de tendresse. Tout ce dont elle a besoin actuellement pour aller un peu mieux même si tout ça va être difficile à accepter pour elle. Je le sais, et c’est tout à fait normal. C’est un gros coup dur. Et je déteste que son père lui ait fait subir une chose pareille.

Et elle me parle, alors j’essaie de la rassurer, de lui faire comprendre que tout va aller mieux. Tout va toujours mieux. Elle finira par sortir la tête de l’eau c’est certain, et j’essaie déjà de l’aider à voir le bon côté des choses, son bon côté à elle aussi. Elle est comme moi Elora, toujours souriante et positive, mais ce soir, quelque chose est brisé, et je ferai tout pour le réparer. Elle le mérite. Elle ne doit pas rester seule à se morfondre, j’ai peur de ce qu’elle pourrait faire. Mais je reste calme, apaisée. Je tente d’attraper son regard pour qu’elle comprenne que je suis sincère, qu’elle est très bien et que son père avant tort. Mais je sens qu’elle ne m’entend pas vraiment, que les mots la rongent de l’intérieur. “Moi j’en suis convaincu.” Je souris de nouveau, et je suis prête à être convaincu pour 2 s’il le faut. Matthias y est allé avec elle et ça me rassure qu’elle n’ait pas été seule devant ce monstre. J’espère que Matthias n’a rien lui non plus.

Et elle ouvre les vannes Elo alors que je ne peux pas la prendre dans mes bras à cause des chatons. Et je me dis qu’elle a peut-être besoin de cette distance pour tout lâcher. Alors je ne dis rien et j’écoute. Ses mots me brisent le coeur un peu plus à chaque seconde. Je ne sais pas quoi dire, ça me coupe le souffle tellement ses mots sont durs. “Y’a toujours du bien qui arrive après du moins bien.” C’est ce que la vie apprend en général. “Je suis désolée Elo… Que tu doives vivre tout ça, tu mérites pas ça.”

Je ne parle jamais de moi. Cela a toujours été comme ça, je m’inquiète pour les autres, je veux être présente pour mes proches lorsque le moral leur fait faux bond, mais je ne parle jamais vraiment de ce qui m’arrive à moi. C’est bien plus simple de faire comme si tout va bien. Je me cache toujours derrière mon sourire, mais ce soir, le masque est bien trop fissuré. Il s’agit de Molly en face de moi. Je ne peux pas lui mentir et je n’ai plus la force de faire semblant. Je ne vais pas bien et ce soir, j’ai besoin qu’elle soit pour me protéger, pour m’accueillir dans ses bras et pour me dire que tout ira bien même si je n’ai pas la force d’y croire. Je ne cache plus rien, je laisse juste entrevoir ma tristesse. Juste le temps d’un instant, demain, le masque sera de nouveau en place. « Moi j’en suis convaincu. » Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que j’entends son ton si sûr d’elle. Je relève la tête pour croiser le regard de mon amie. Elle est véritablement convaincue de ce qu’elle avance et je dois dire que cela me fait réellement du bien. « Merci Molly. » que je lui dis tout doucement.

Je me concentre encore sur le chaton dans mes bras. Il est devenu ma petite roue de secours alors qu’il s’accroche au biberon pour être sûr de ne pas en oublier une seule goutte. Je prends une longue inspiration avant de continuer à vider mon sac. Il faut que ça sorte une bonne fois pour toute et si Matthias a tenté de me faire parler, c’est auprès de Molly que j’aurais pleinement confiance. « Y’a toujours du bien qui arrive après du moins bien. » Ne serait-ce que pour sa positivité qui me fait cruellement défaut ce soir. Je hoche la tête même si tout cela me semble si étranger. Je n’arrive pas à me dire que cette fois-ci, je vais pouvoir sortir la tête de l’eau. « Je suis désolée Elo… Que tu doives vivre tout ça, tu mérites pas ça. » Je hausse les épaules sans jamais croiser son regard. « Faut croire que si quand même… » Si on additionne les évènements, c’est probablement celui de trop. Le beau-père violent, les problèmes financiers, l’abandon des études, la perte de ma mère. C’est trop… On se croirait dans un film et pourtant, c’est bel et bien ma vie. « Je me sens comme une merde. » Elle est brutale la vérité, mais elle est là, à crier au fond de moi. Mon paternel m’a mis plus bat que terre en quelques phrases et un simple regard. Il m’a piétiné et j’ai mal de partout. Je renifle et pose le petit chaton qui a terminé sa portion. Je veux continuer à avancer, à faire les gestes qu’elle m’a montré, mais mes mains tremblent. J’hésite un instant, mais finis par venir m’asseoir tout à côté de mon amie pour sentir sa chaleur. « J’ai l’impression d’être la bâtarde que personne ne voulait vraiment. » Et cette idée ne cesse de tourner dans un coin de ma tête. « Et que je vais pas réussir à me relever tellement ça fait mal. Je sais plus quoi faire de moi ou de ma vie. » Je suis perdue.

Les chatons sont nourris petit à petit. Mon regard oscille entre les bébés et Elora. Elle est mal, mais j’ai l’impression que ces chatons arrivent à lui redonner le sourire pendant quelques secondes. Elle a besoin de temps et d’affection mon amie, je ne peux même pas essayer d’imaginer ce qu’elle ressent après tout ce qu’elle vient d’apprendre. J’ai envie de l’aider, mais j’ai l’impression d’en être absolument incapable. J’essaie de la rassurer, de trouver les bons mots, mais elle a l’air de s’enfoncer toujours un peu plus dans ses idées noires. Je garde le chaton sur mes genoux en faisant attention à son état, c’est le plus petit de la portée, le plus fragile aussi. Alors je dois vraiment y faire attention. Mais mes yeux se tournent vers Elora de nouveau quand elle dit avoir l’impression de mériter tout ça, ses paroles me brisent le coeur. C’est une belle personne la blonde, elle est toujours souriante, très souvent positive, et le monde entier devrait l’aimer. C’est une chance de l’avoir dans sa vie. Et son père n’a pas été capable de le voir, j’en suis navrée pour elle. J’aurais tellement voulu que tout ça se passe autrement pour elle. “Ca va aller, ça finira par s’arranger.” Tout ça n’est qu’une phase. Ca va être difficile, mais elle doit tenir le coup, je sais qu’elle peut le faire. Je serai là pour l’aider pendant le temps qu’il faudra. “Tout finira pas s’arranger Elo, ça doit être difficile, et je ne dis absolument pas que je suis capable de ressentir ce que tu ressens, mais tu sais que je suis là pour t’aider. Tu peux rester là autant que tu veux.” Tous les chatons sont nourris et je me lève pour les poser dans le panier. J’aide Elora à se lever et je la prends une nouvelle fois dans mes bras. “On va aller dormir, ça te fera du bien.” Je l’espère en tout cas.