J’ai toujours eu un crayon dans les mains depuis aussi loin que je me souvienne, c'est à dire depuis mes cinq ans au moins. Mes premières créations étaient simples : elles représentaient les choses que j’aimais : @Maritza Gutiérrez, mes frères et soeurs et Cacahuète, le chat du voisin qui venait souvent me voir à la fenêtre de ma chambre. Enfin, jusqu'au jour où Maman l’a chassé, il n’est plus jamais revenu sur notre balcon. Ma famille ne m’a jamais réellement soutenu dans mes ambitions de carrière artistique. Quand j’avais 12 ans, Rudy m’en a collé une quand je lui ai dit que plus tard mon métier ce serait de dessiner. Les autres ne voyaient rien de mal dans le dessin à l’époque puisqu’il s’agissait d’un loisir pour un gamin. Quand j’ai grandi et qu’ils ont compris que j’étais très sérieux, les opinions se sont largement divisées. Si @Alma Gutiérrez est restée de mon côté constamment, tout comme @Sara Gutiérrez, ce n’est pas le cas de tous. @Diego Gutiérrez a arrêté de croire en mon talent il y a bien des années, ce qui nous a pas mal éloignés. Rudy et moi on s’est beaucoup engueulés là-dessus, jusqu’au jour où je n’ai pas eu le choix et où il m’a forcé à faire une formation de maçon. J’ai cédé parce que la situation devenait intenable à la maison mais c’était sans doute le pire choix de toute ma vie. Enfin l’un des pires quand on voit toutes les conneries que j’ai pu faire récemment. Heureusement, les choses évoluent petit à petit et même si tout le monde ne me soutient pas, j’ai la chance d’avoir à mes côtés des personnes formidables comme @Emery Dawson qui n’arrête pas de m’encourager pour poursuivre mes rêves. J'ai aussi des amis formidables qui m'encouragent au quotidien comme @Logan Novak qui ne manque jamais de laisser un commentaire sur mes publications instagram, ça me touche beaucoup. Poursuivre mes rêves c’est quelque chose qui n’a rien de facile. Déjà parce qu’il faut renoncer au confort financier pour affronter l’inconnu et aussi parce qu’il faut se faire un nom. Ce qui est d’autant plus difficile quand on n’a pas fait de grandes écoles et qu’on a pas des parents friqués qui sont très poches des milieux mondains et artistiques. Je peux compter sur l’aide d’ @Auden Williams pour m’aider à gagner en technique et pour m’aider à construire ma réputation mais la tâche est loin d’être simple. Je bosse comme un fou, du matin au soir entre tout et j’ai l’impression de ne pas avancer. J’ai bien quelques commissions à faire sur Patreon toutes les semaines, une popularité grandissante sur instagram mais depuis le vernissage organisé par @Lexie Walker je n’ai pas exposé dans une galerie et c’est quelque chose qui me pèse énormément. Il y a des fois où j’aimerais pouvoir demander de l’aide à @Sergio Gutiérrez et son réseau, après tout c’est un agent de stars, il pourrait m’aider. Mais je me refuse de lui demander de l’aide, la dernière chose que je veux c’est lui être redevable.

En parlant d’être redevable, aujourd’hui je rembourse enfin une dette qui me préoccupait beaucoup : celle des boucles d’oreille dauphin. Il y a plus d’un an je cherchais à acheter des boucles d’oreilles pour l’anniversaire de ma petite sœur dans une bijouterie. Enfin, j’essayais jusqu'à ce que le vendeur condescendant refuse d’appliquer la promotion qui devait considérablement baisser le prix des bijoux. Heureusement que @Laoise Mcloughlin m’a tiré d'affaires ce jour-là. J’ai refusé de partir sans lui donner mon numéro de téléphone et j'espérais qu’elle m’appelle. Je déteste avoir des dettes, je ne suis peut-être pas très riche mais je refuse la charité. Quand elle m’a appelé il y a quelques jours j’étais donc ravi et nous nous sommes donnés rendez-vous un week-end pour que je puisse l’aider à finaliser des travaux chez elle. Une manière de la rembourser qui est dans mes cordes de maçon. Pour me rendre chez Laoise mon gps me fait passer par des petites routes avant de finalement me perdre au bout de quelques minutes. Je tombe sur une impasse que je reconnais immédiatement : la maison de @Maisie Moriarty. L’univers a donc décidé de se foutre de ma gueule en m’amenant pile devant chez mon ex, quelle poisse. Après quelques détours, j’arrive finalement pile à l’heure à l’adresse de Laoise. Chargé de mon matériel, je me dépêche de sonner sans tout faire tomber. “Bonjour ! Comment allez-vous ?” Des banalités qui m’agacent un peu mais il faut bien brise la glace et rendre ce moment moins gênant. “Je vous remercie encore…pour la dernière fois.” Je n’ai pas oublié son geste, le genre qui m’a redonné un peu foi en l’humanité dans cette période compliquée pour ma famille. “Qu’est-ce que vous souhaitez que je fasse ?”

Après mon studio, qui était bien sûr d’une importance vitale, c’est la cuisine que j’avais décidé de rénover. Par un coup de chance incroyable, j’étais tombée sur une petite annonce d’un couple qui donnait les armoires de leur cuisine qu’ils venaient aussi de remettre à neuf. J’avais eu un coup de cœur pour ces meubles un peu vieillots tout en bois et j’avais sauté sur l’occasion. Le résultat, cependant, n’avait pas été tout à fait la hauteur de ma vision. Une fois installés sur les murs de ma cuisine, les armoires me semblaient ternes et sombres, comme si le bois venait saper la lumière pourtant généreuse qui entrait par la fenêtre. J’avais ignoré le problème pendant quelques mois, préférant me concentrer sur les autres pièces qui avaient besoin d’un peu d’amour et d’huile de coude, mais maintenant que tout le reste est terminé, je peux me concentrer à nouveau sur la cuisine. Après quelques recherches, j’ai conclu que la meilleure solution serait simplement de peindre le bois d’une couleur claire, une tâche simple mais redoutablement longue lorsqu’on doit l’effectuer seule. Alors je m’étais souvenue de Cesar. Ce jeune homme si gentil que j’avais rencontré par hasard dans cette bijouterie. Ce jeune homme qui avait simplement besoin d’un coup de main et qui m’avait paru étrangement attachant, même s’il avait d’abord refusé mon aide. Ce jeune homme qui avait finalement accepté de m’offrir ses services pour rembourser sa dette. Ce jeune homme que j’avais donc décidé d’appeler pour lui proposer de passer chez moi pour m’aider avec ce nouveau projet.

En plus d’être sympathique, il est ponctuel. Je viens à peine de finir de passer le balai dans ma cuisine aux armoires vidées et dépouillées de leurs portes, quand on sonne à la porte. Je vais aussitôt ouvrir. C’est bien Cesar qui se trouve de l’autre côté, les bras encombrés de matériel. « Bonjour ! Comment allez-vous ? » Je hoche la tête en m’effaçant pour le laisser entrer. « Très bien, merci. » Je referme la porte derrière lui tandis qu’il me remercie encore de l’avoir aidé. Je hausse légèrement les épaules en enfonçant les mains dans les poches de ma salopette tachée de peinture. « Ce n’est rien, vraiment. » Et c’est vrai, pour moi, je n’ai rien fait d’extraordinaire. J’étais capable d’aider et j’ai pris plaisir à le faire. Au fond, il aurait bien pu simplement donner au suivant en aidant une personne lorsqu’il en aurait l’occasion un jour et ça m’aurait suffi. « Qu’est-ce que vous souhaitez que je fasse ? » Je le contourne prudemment, m’avance de quelques pas dans la cuisine. « Me tutoyer déjà, si tu es d’accord, je ne suis pas si vieille que ça, » que je réponds avec un petit sourire complice. « Et puis si on travaille ensemble, ça sera plus agréable aussi. » J’indique la cuisine d’un geste du bras. « Comme tu peux voir, j’ai enlevé toutes les portes. Je voudrais repeindre les cabinets en gris et les portes en blanc, pour que ça soit plus lumineux. J’ai pensé qu’on pourrait commencer avec les portes, je les ai mises dans mon studio. » C’était le seul espace assez grand où j’aurais pu nous installer et, avantage important, je ne m’inquiète pas trop de répandre de la peinture sur le sol. J’ai seulement pris soin de recouvrir les toiles terminées et en cours d’une toile en plastique transparente pour les protéger de potentielles éclaboussures. « Viens, je vais te montrer, » dis-je en entraînant Cesar dans l’escalier qui mène au deuxième. Le studio est une énorme pièce qui occupe essentiellement l’étage complet. Au fond, une collection de meubles et éléments décoratifs éclectique occupe un coin de la pièce, à côté d’un foyer en faux marbre sombre. À l’entrée, le long plan de travail sur lequel j’ai étalé les portes nous accueille tandis qu’à droite, ma collection de toiles, regroupées par collections avec, tout contre le mur, les portraits de femmes qui figureront dans ma prochaine exposition. Je me tourne vers Cesar, remarque tout de suite son regard intéressé, presque affamé, qui balaie la pièce. Serait-il un peu artiste lui aussi ? « Qu’en penses-tu ? » que je lui demande, sans trop savoir si je parle des portes ou de mon studio.

@Cesar Gutiérrez

On se mate un film ce soir ? J’ai reçu d’Emery. Une idée qui était tentante mais maman n’étant pas à la maison ce soir je suis missionné pour surveiller Alejandro. J’ai beau dire à maman qu’il est grand, qu’à son âge je pouvais rester seul sans problème mais pour elle c’est envisageable. C’est encore un bébé. Il a dix ans quand même. Je lui réponds donc je dois m’occuper de mon frère, je peux pas venir, on le regarde à distance quand je l’ai couché ?. Une bonne alternative, ce ne serait pas une première pour nous. On regarde des films de temps en temps ensemble tout en s'appelant en même temps, histoire qu’on ne rate pas les commentaires de l’autre. Ok, 22h, twilight ?. Je soupire, elle a choisi le pire navet à mon goût mais bon si ça peut lui faire plaisir je vais faire un effort. Chaud. A 22h nous lançons le film et même si je l’ai vu il y a plusieurs années je n’en ai aucun souvenir, c’est donc comme si je découvrais le film. “Allez c’est parti.” Le film démarre à peine et au bout de cinq minutes à peine je fais pause en riant. “Non mais ça fait que cinq minutes et je trouve ça déjà super con. Déjà ça commence avec une biche on se dirait dans bambi. Y a un mec qui fait une roulade pour lui sauter dessus. Et juste après une meuf qui a jamais dû bronzer de sa vie qui fait des câlins à des cactus ? Elle doit avoir une vie sacrément triste. Et ce jeu d’acteur là on en parle ? Non mais c’est n’importe quoi, un caillou serait plus expressif. Y aucun rythme. Non mais la meuf REFAIT un câlin à son cactus de soutien émotionnel dans sa chambre ? Elle est pas nette celle-là. Et le Jacob qui aborde Bella en parlant de gâteaux de boue, c’est si gênant purée. Et Erik, qu’est-ce que c’est que cette coupe de cheveux ? Oh mais elle fait tellement la drama queen genre gniagnia je soufre en silence, terrible quoi. Tu veux vraiment qu’on aille au bout de ce …chef d’oeuvre ?” Face à mes commentaires Em se met à rire. “On a qu’à changer.”

***

La soirée film s’est poursuivie jusqu’à tard dans la nuit, ce qui a rendu le réveil le lendemain matin plus difficile. Je me suis tout de même mis en route pour aller aider Laoise avec ses travaux même si je n’ai pas d’idée précise de ce qu’elle va me demander. Lorsqu’elle m’ouvre je la remercie à nouveau pour son geste altruiste. Maria n’est plus parmi nous mais ce cadeau lui avait fait énormément plaisir, je ne l’avais pas vue sourire comme ça depuis bien trop longtemps, ça valait donc le coup. « Ce n’est rien, vraiment. » Elle n’a pas l’air de s’en rendre compte mais pour moi c’était énorme, il n’y a pas beaucoup de gens qui m’auraient aidé si elle n’avait pas été là. Et certainement pas ce bijoutier condescendant. « Me tutoyer déjà, si tu es d’accord, je ne suis pas si vieille que ça, » Je réponds à son sourire. “C’est noté.” J’ai du mal à lui donner un âge mais je ne me risquerais pas à faire le moindre commentaire là-dessus. « Et puis si on travaille ensemble, ça sera plus agréable aussi. » Je hoche la tête, trop de formalisme ça va vite être pénible. “Je suis d’accord.” Elle me montre la cuisine et je me penche un peu pour jeter un coup d’oeil tout en l’écoutant parler. « Comme tu peux voir, j’ai enlevé toutes les portes. Je voudrais repeindre les cabinets en gris et les portes en blanc, pour que ça soit plus lumineux. J’ai pensé qu’on pourrait commencer avec les portes, je les ai mises dans mon studio. » Je hoche la tête, repeindre des placards et des portes c’est largement dans mes cordes. « Viens, je vais te montrer,» Je la suis à l’étage tout en admirant la maison luxueuse qu’elle a. Effectivement elle a l’air pétée de thunes, des boucles d’oreille c’était peut-être pas grande chose pour elle finalement oui. « Qu’en penses-tu ? » Mon regard est tout de suite attiré par des toiles, des portraits qui sont stockés dans un coin de la pièce. Là elle pique ma curiosité. “C’est beau, y a du potentiel.” Je regarde rapidement les portes. “Ce sera facile ça, y en a pas pour très longtemps, et après ça effectivement ce sera plus lumineux.” Je me tourne à nouveau vers les toiles, je ne suis pas un grand curieux, sauf quand il s’agit d’art. “Vous collectionnez ?” Elle a l’air d’avoir le style et le train de vie qui permettent de faire ça, et si c’est le cas je me dis qu’il y a peut-être une possibilité pour que je lui parle de mon travail. Je me reprends. "Tu collectionnes?"'

Professionnel et sérieux, Cesar jette d’abord un coup d’œil aux portes étalées sur le plan de travail. « C’est beau, y a du potentiel, » confirme-t-il d’un ton confiant. Je dois avouer que ça me rassure un peu. J’ai beau avoir appris pas mal de choses depuis que j’ai acheté cette maison et que j’ai entrepris de la rénover de fond en comble, je suis encore loin d’être une experte. « Ce sera facile ça, y en a pas pour très longtemps, et après ça effectivement ce sera plus lumineux. » Je suis d’autant plus contente de lui avoir demandé de l’aide pour ce projet s’il croit que ça sera rapide. Je suis convaincue que toute seule, il m’aurait fallu plusieurs jours pour le terminer. Déjà, il m’a fallu quelques heures pour vider les armoires de leur contenu, démonter les portes et les transporter jusqu’à mon studio. J’étais en nage quand j’ai enfin eu terminé.

À nouveau, le regard de Cesar est attiré par les toiles posées contre le mur. Je n’ai pas imaginé la lueur de curiosité qui brille au fond de ses yeux. Manifestement, elles l’intéressent beaucoup plus que mes portes d’armoire. Je peux difficilement le blâmer, je préfère aussi l’art aux travaux manuels. « Vous collectionnez ? » Avant que je n’aie le temps de le reprendre gentiment, il se corrige lui-même : « Tu collectionnes ? » J’observe à mon tour la série de portraits. C’est une conclusion logique, d’autant plus qu’il y a parmi les toiles quelques styles mélangés qu’on n’attribuerait pas forcément à la même d’un simple coup d’œil. « Non, ce sont mes œuvres. » J’observe sa réaction du coin, tente de déchiffrer sans vraiment y arriver l’émotion qui se peint sur ses traits. « Je suis artiste-peintre. Plus spécifiquement portraitiste, en fait. C’est ce que je préfère. » C’est un moyen pour moi de m’intéresser à l’humanité par l’art et d’immortaliser à ma façon les gens qui acceptent de poser pour moi et de raconter leur histoire. Je m’avance vers les toiles, devine au bruit de ses pas derrière moi qu’il me suit. « Ceux-ci font partie de ma prochaine exposition, » que j’explique en désignant les portraits de femmes. « Les autres sont des commandes ou des essaies de style. » Ne pouvant retenir plus longtemps mon envie d’en savoir plus, je lui demande : « Tu es fan d’art ? » Car je vois bien que c’est plus qu’une curiosité de passage, c’est un véritable intérêt que je lis sur son visage. Et c’est plus fort que moi, je ne peux jamais m’empêcher de parler d’art à tous ceux que ça passionne autant que moi.

@Cesar Gutiérrez