Tandis que Carl vient tout juste d’investir dans un calendrier pour la nouvelle année, ce dernier bénéficie déjà d’une attention accrue de sa part et une date, en particulier. Le dix-neuf février signera sa rentrée à l’université, une journée que le garçon n’a aucun mal à appréhender par avance car ce n’est pas un hasard s’il a recommencé à ronger ses ongles et à griffonner ses cahiers. Le Dr Kippel n’en serait à coup sûr pas très ravie mais elle saluerait en revanche son courage de concrétiser enfin ce projet de longue date, bien placée pour savoir que son jeune patient a longtemps regretté de ne pas avoir décroché le moindre diplôme ni ouvert les bras à la seule branche qui le passionnait vraiment. Il n’aura ainsi plus à donner de cours de soutien aux enfants pour compenser sa soif de mathématiques, Carl n’a jamais été aussi près d’effectuer son entrée dans la cour des grands et bien sûr que cette idée le terrifie, au point qu’il n’en dort presque plus la nuit. C’est un cap à franchir, un passage obligé pour gagner son statut d’étudiant et entamer dignement sa première année mais il contournerait cette rentrée sans hésiter s’il le pouvait, tremblant chaque fois que cette dernière vient agiter ses pensées. Tout semble indiquer qu’il est prêt, pourtant. Acheter un nouveau sac à dos ? Fait. Faire le plein de bouquins et autres fournitures sans même savoir s’il en aura le besoin ? Fait aussi. Carl se considère équipé alors que ses neurones seront sans doute plus sollicités que le reste, le bon moment pour prouver qu’il n’est pas le sombre idiot que son beau-père voulait à tout prix voir en lui et qu’il se défend même plutôt bien, ses collègues de l’hôtel ne l’ayant après tout pas surnommé « le matheux » pour rien. Ce n’est assurément pas de bloquer sur un problème qui lui fait peur, mais plutôt de ne pas résister très longtemps à la pression des études alors que ses frêles épaules n’en supportent habituellement pas beaucoup – et Carl se connait, jeter l’éponge est ce qu’il fait de mieux lorsqu’un obstacle lui semble trop haut, un très mauvais réflexe que le garçon s’interdit d’avoir car s’il va au bout des choses cette fois, ce n’est pas pour tout plaquer un peu plus tard. Il s’engage après tout pour trois ans, ce n’est pas une petite aventure qu’il s’apprête à entreprendre et tout porte à croire qu’elle sera enrichissante même si une part de lui doute encore, des tourments que Carl ne se voit pas confier à Adèle avec tout ce qu’elle fait déjà pour lui. Et ce n’est pas non plus l’écoute de son frère ou de Chelsea qu’il cherche à obtenir, pas alors qu’un entretien avec sa psychologue s’impose en ce début d’année et tombe à pic avec ce très gros sac que Carl a besoin de vider. Le rendez-vous est donc pris pour la fin de semaine prochaine car à défaut de se sentir plus léger, le garçon se raccroche à l’idée que le Dr Kippel fera peut-être encore quelques miracles sur lui.

Il ne semble néanmoins pas être le seul à débuter l’année avec les nerfs en pelote, c’est ce qu’il ne peut s’empêcher de se dire en captant l’échange téléphonique pour le moins animé de Chelsea à travers les murs de sa chambre. Pour sa défense, ces derniers ne sont pas bien épais et Carl l’a même déjà appris à ses dépens, mais il n’a surtout jamais entendu sa colocataire parler aussi fortement, de quoi laisser penser que la personne au bout du fil en prend pour son grade ou que la rousse a elle aussi terriblement besoin de vider son sac. C’est alors d’un pas prudent que le garçon quitte sa chambre pour se rendre dans le salon, se rapprochant doucement de Chelsea dont l’appel semble près de se terminer avant de constater chez elle un air franchement préoccupé. Et ce n’est que lorsqu’elle raccroche que Carl s’autorise à avancer un peu plus, prenant toutes les pincettes du monde pour l’aborder de peur, sans doute, que la rousse ne déverse cette fois toute sa colère sur lui. « Hum.. Chelsea ? » tente-t-il comme première approche, ses pieds s’alignant tout sauf sereinement dans la pièce tandis que la rousse semble encore passablement sur les nerfs. « Je te promets que j’écoutais pas aux portes mais je.. j’ai entendu des bouts de ton appel, et j'ai eu l'impression que quelque chose allait pas. » C'est même un euphémisme à ce stade car parler aussi fort n’est évidemment pas normal quand on craint comme lui le moindre éclat de voix. Ce n’est pas le genre d’échange que l’on a lorsque tout roule et il suffit d’observer Chelsea pour se convaincre que non, tout ne va justement pas bien du tout. Il hésite plusieurs secondes avant de reprendre, figé par le sentiment d'avoir face à lui une grenade prête à exploser qu'il ne saurait pas manier. « Est-ce que tu veux en parler ? Je veux dire.. t’as l’air d’en avoir besoin et moi je suis là, tu sais. » Le souligner n’apportera pas grand-chose mais Carl fait avec ce qu’il a, conscient pourtant que si Chelsea a vraiment besoin de parler à quelqu’un, il ne sera sûrement pas le mieux placé pour ça. Il ne doit pas être le confident tout trouvé pour sa colocataire quand bien même cette étiquette le flatterait, mais il cherche avant tout à l’aider comme elle l’a fait plus d’une fois avec lui, en lui sauvant d’abord la mise puis en l’empêchant bêtement de fuir, ensuite.

Ce n'est de toute évidence pas encore aujourd'hui que Carl va apprendre à s'occuper de ses oignons, mais est-il réellement censé ignorer le fait que sa colocataire s'époumone depuis l'autre pièce ? C'est assurément trop en demander au garçon naturellement curieux qu'il est, et dont l'inquiétude envers Chelsea ne fait que grandir au fur et à mesure de son échange téléphonique. Depuis sa chambre, Carl n'en comprend pas grand-chose ou seulement que la rousse est en train de perdre sérieusement patience, incapable toutefois d'identifier à qui elle peut bien parler ou plutôt se plaindre, compte tenu des rares paroles qu'il est en mesure de distinguer. Son but n'est pas de mettre son nez dans les affaires de la Cavanagh pour simplement s'en mêler, pas alors que la jeune femme n'est pas du genre à facilement se confier et possède un jardin secret que Carl ne se risquerait sûrement pas à infiltrer. Respecter l'intimité de ses colocataires est une règle à laquelle il n'a aucun mal à se plier, c'est pourquoi il attend d'être certain qu'elle ait raccroché pour sortir de sa grotte et oser aborder le sujet avec elle, si tant est que Chelsea ne décide pas aussitôt de l'envoyer balader. Et ce n'est étrangement pas ce qu'elle fait alors que Carl s'y était de son côté déjà préparé, pour le moins habitué à mettre les pieds là où il ne faut pas quand ses intentions sont pourtant louables, et combinées il est vrai à une forte envie de savoir. Il se jure de ne pas insister si sa colocataire n'est pas d'humeur à en discuter mais ses premiers mots ont tendance à le surprendre, pour ne pas avoir souvent droit à des confidences de sa part – les dernières en date s'étant soldées par la promesse de garder pour lui ce qu'elle avait pu lui dire, au risque de fortement le regretter. Carl tend alors l'oreille et grimace bien vite face aux prochaines paroles de Chelsea, celle-ci se disant épuisée de trainer derrière elle des sentiments dont elle n'arrive pas à se défaire et dont il devine bien la lourdeur, pour avoir été longtemps abonné lui aussi au cercle infernal de l'amour à sens unique. « Oh, c'est encore ce garçon. » il souffle sans que ce ne soit réellement une surprise, car peut-être avait-il déjà deviné au fond de lui que le fameux Desmond rencontré à quelques reprises était celui dont sa colocataire lui avait parlé sans néanmoins le nommer. Elle n'en fréquente pas beaucoup à sa connaissance, et les choses ont le mérite de faire d'autant plus de sens à présent. « Alors c'est pour lui que tu en pinces. » Chelsea n'a visiblement plus en tête d'en faire un secret et Carl apprécie sa franchise, comme si elle consentait à briser un peu plus son épaisse carapace pour lui. Il remue lentement la tête après ça, rejetant les mots que la rousse formule contre elle-même car elle est trop jeune pour sonner aussi défaitiste – un comble, venant de lui. « T'es pas irrécupérable non, pas pour moi. » Elle lui demande après tout son avis, Carl se permet donc de laisser entendre ce qu'il en pense et tant pis si cela doit l'amener à tacler quelque peu Desmond, son camp étant de toute façon choisi et son soutien à Chelsea évidemment garanti. « Tu te souviens quand je te disais qu’il ressentait peut-être la même chose de son côté sans oser t’en parler ? Bah oublie, s’il s’en est pas encore rendu compte alors c’est sûrement qu’un idiot. » Il ne cherche pas à lui causer plus de peine, uniquement à lui ouvrir les yeux sur le temps qu'elle est en train de perdre pour un garçon qui n'en vaut peut-être même pas la peine. Un peu plus d'un an en arrière, lui aussi courrait après l'amour d'une fille qui a fini par s'évaporer sans même se justifier, alors Carl estime qu'il est de son devoir d'intervenir pour que sa colocataire ne termine pas aussi brisée que lui. « Et toi t’as le droit d’avancer sans lui.. non, en fait je crois même que tu le dois. » En reprenant le contrôle sur des sentiments voués à la faire souffrir, car il conçoit difficilement à ce stade que son meilleur ami lui donne enfin toute l'attention qu'elle mérite.

Il cogite Carl, jusqu’à prendre même très au sérieux les problèmes de cœur de sa colocataire et c’est après plusieurs secondes d’une intense réflexion que celui-ci reprend, sans cacher qu’il cherche déjà certaines solutions pour elle. « Pourquoi t'en ferais pas même un projet pour la nouvelle année ? Celui d'en finir avec tout ça. » propose-t-il, sans trop savoir si Chelsea est du genre à lister ses résolutions comme lui. Il suffirait d'une seule, les objectifs sont bons à se fixer qu'ils soient grands ou petits car depuis que Carl applique ce grand principe, il a enfin le sentiment d'avancer dans sa vie. Ce n'est pas un crime d'aimer quelqu'un sans réussir à percevoir d'autres options autour de soi, Chelsea est juste mordue comme il a lui-même pu l'être de Murphy et il préfèrerait qu'elle ne soit pas elle aussi forcée d'en guérir après une cassure nette, car d'autres moyens existent. « C'est forcément possible, tiens, regarde-moi. Je pensais jamais réussir à sortir de mes problèmes et comme toi, j’ai été en boucle sur quelqu’un pendant longtemps jusqu'à m’en rendre vraiment malade. » Son cas est particulier et il en a bien conscience vis-à-vis du trouble qu'on lui a diagnostiqué mais il retrouve chez Chelsea des éléments semblables à ses propres épisodes, sans quoi Carl n'oserait jamais effectuer un tel parallèle. Elle n'est sûrement pas aussi atteinte qu'il a pu l'être et c'est finalement ce qui lui fait dire qu'elle devrait plus facilement en sortir, à condition qu'elle s'en donne les moyens et accepte d'envisager de demander de l'aide. Il reste prudent dans ses mots pour l'heure, désirant à tout prix amener l'idée en douceur car il le sait, le fait de se tourner vers une professionnelle ne mettrait pas tout le monde très à l'aise. « Si j’ai pu travailler dessus, je vois pas pourquoi tu le pourrais pas toi aussi. Et je dis pas du tout que ce sera simple, juste que tu peux pas continuer à te faire du mal comme ça Chelsea. » Carl ne pourrait pas être plus sincère qu'en le disant car il se soucie de la détresse de sa colocataire, bien placé pour comprendre cette dernière et pour affirmer qu'elle s'est déjà suffisamment torturée pour ne pas s'infliger ça une année supplémentaire. Il serait temps que Chelsea s'autorise à vivre et à aimer sans rester éternellement enfermée dans cette relation qui ne connaitra peut-être jamais l'évolution escomptée. « Je connais peut-être quelqu’un qui pourrait t’aider. » vient-il finalement souffler, avec toute la précaution que de tels mots préconisent car ainsi, il aura peut-être une chance que la rousse ne rejette pas son idée trop vite.