When the past becomes the present, you lose the future. -- @Andy Hamilton

« Salut Tess, c’est moi. Je vou… » Silence. Mon regard se pose sur l’écran de mon téléphone et je constate alors qu’il vient de s’éteindre, faute de batterie. « Merde. » Voilà deux jours que je n’ai pas vu mon chargeur et je n’arrive pas à me souvenir où j’ai bien pu le mettre. Pour la millième fois, je retourne chercher dans ma voiture, sans succès. Après plus de trente minutes à chercher le chargeur de mon téléphone dans l’habitacle, j’abandonne. Je soupire bruyamment en observant ma voiture qui est sens dessus dessous avec tous mes vêtements et les déchets qui sont éparpillés partout. C’est lorsque je coince une cigarette entre mes lèvres que je me revois poser mon chargeur sur le comptoir de la cuisine d’Adriel. Bingo. Machinalement, je sors mon téléphone de ma poche pour appeler mon ami pour confirmer qu’il est chez lui, mais je me rends bien assez vite compte que c’est stupide parce que bah… je n’ai plus de batterie. Je le remets dans ma poche et je prends place derrière le volant pour me diriger chez mon ami. J’arrête toutefois en chemin m’acheter un sandwich et une limonade pour apporter.

Quelques minutes plus tard, je stationne ma voiture dans la rue en face de chez Mayers. Le sac de mon sandwich dans une main et ma limonade dans l’autre, je m’approche d’un pas décidé de la porte de son logement sur laquelle je cogne deux coups avec mes jointures pour m’annoncer. Comme j’ai l’habitude de venir ici régulièrement, je n’attends plus qu’il vienne m’ouvrir pour entrer chez lui. Je tourne la poignée, puis j’ouvre la porte d’un coup de fesse. « C’est moi! Je viens juste chercher mon chargeur! » Je referme la porte derrière moi et je longe le corridor en direction de la cuisine d’où j’entends du bruit de vaisselle. Il doit être en train de manger à l’heure qu’il est. « Je t’aurais bien appelé avant mais ma bat… » Je me stoppe net en plein milieu de ma phrase lorsque nos regards se heurtent et que je reconnais sans aucune difficulté ce fantôme de mon passé. Sous le choc, mon verre de limonade me glisse des mains et se brise par terre. Je le fixe un long moment, figé, tout en demeurant muet de stupeur. « An… » Je tente de prononcer son nom, mais ma voix s’étrangle dans ma gorge. Qu’est-ce qu’il fait ici? Je détourne finalement la tête pour regarder autour de moi comme pour vérifier que je ne me suis pas trompé d’adresse mais je suis bien chez mon ami, il n’y a pas de doute. Le cœur battant la chamade, je me précipite vers l’évier. « Qu’est-ce que tu… qu’est-ce que tu fais ici? » demandé-je sans daigner le regarder tandis que je range mon chargeur dans la poche de mon pantalon d’une main tremblante. Je prends ensuite un linge à vaisselle que je mouille, puis je m’agenouille au sol pour frotter le plancher. Je suis confus, je ne comprends pas ce qu’il fait ici, pourquoi il s’immisce de nouveau dans ma vie comme par hasard. Adriel et lui se connaissent? Depuis quand? Tant de questions qui se bousculent dans ma tête. « Tu devrais t’en aller. » murmuré-je tout en continuant de nettoyer le plancher. Je veux qu’il parte et qu’il me laisse tranquille pour que je puisse continuer de vivre ma vie sans qu’il ne menace l’équilibre fragile que je commence enfin à trouver. Il faut qu’il parte.

When the past becomes the present, you lose the future. -- @Andy Hamilton

« Adriel est un ami… Je savais pas que vous vous connaissiez… » Et moi donc. Jamais Adriel ne m’a parlé d’un Andy, je m’en serais souvenu sans l’ombre d’un doute. Après, je ne peux pas vraiment lui en vouloir de ne pas m’avoir parlé de tous ses amis, d’autant plus que je ne lui ai pas parlé d’Andy moi non plus malgré l’amitié qui nous lie depuis plus ou moins seize ans. Si j’ai longtemps culpabilisé de ne pas lui avoir raconté ce qui s’est passé avec Andy, apprendre qu’ils se connaissent aujourd’hui m’aide à approuver cette décision. Ce n’est que depuis mon anniversaire que Mayers est au courant de mon attirance pour les hommes et si ce n’était pas d’Erin qui a invité Byron, probablement qu’il l’ignorerait encore aujourd’hui parce que je n’aurais clairement pas eu le courage de lui en parler.« C’est mon meilleur ami. » expliqué-je en fixant le linge à vaisselle que je tiens sous le jet d’eau beaucoup plus longtemps que nécessaire pour ne pas avoir à affronter son regard. Peut-être un peu aussi pour gagner du temps dans l’espoir de trouver le courage de lui faire part de toute la souffrance que son mensonge a occasionnée. J’ai souvent imaginé cette scène, pensé aux mots que je lui dirais si un jour nos chemins se recroisaient. Maintenant que ce moment est arrivé, j’ai l’impression d’étouffer et je flanche.

Je m’agenouille au sol et, brusquement, je frotte le plancher tandis que mon regard semble captivé par la flaque de limonade. Je lui demande de partir sans même le regarder, il me doit bien ça après ce qu’il m’a fait, non? J’espère qu’il m’écoutera sans dire un mot mais Andy s’approche plutôt de moi. « Laisse, je vais nettoyer. » Je secoue vivement la tête sans arrêter ce que je fais. « Je n’ai pas besoin de ton aide. » Trop peu trop tard, c’est il y a treize ans que j’aurais eu besoin de ton aide Andy, pas aujourd’hui. Mais ce jour-là, il a eu trop honte d’être vu avec moi et il m’a fait comprendre que je ne valais rien pour lui. Il a fait son choix et j’ai dû vivre avec. Si je suis certain d’une chose aujourd’hui, c’est que les choses seraient bien différentes s’il n’avait pas pris la même décision il y a treize ans. Peut-être qu’aujourd’hui je n’aurais pas honte de ce que je suis, de ce que j’aime. Parce que ce jour-là, quand nous avons décidé de nous donner une chance, j’avais juste envie de dire à tout le monde à quel point j’avais rencontré quelqu’un de formidable. Sauf qu’il m’a rapidement fait comprendre que je devrais me taire, qu’il valait mieux que j’étouffe mes sentiments et mon attirance pour les hommes pour me protéger. Lorsque le linge à vaisselle devient trop imbibé de limonade, j’ose finalement lever les yeux vers lui. Mon regard s’arrête un instant sur son corps, attiré par sa tenue sommaire, jusqu’à ce que je détourne rapidement le regard en rougissant et que je me dépêche d’aller rincer le bout de tissu et de le tordre. « Est-ce que tu peux comme… t’habiller? » lui demandé-je à voix basse avant de retourner nettoyer le plancher une deuxième fois pour qu’il ne soit pas collant.

« Tu sais, je… » Sans même qu’il ne termine sa phrase, je sais déjà qu’il va aborder le sujet de notre histoire. Cette journée où il a eu trop honte d’être vu avec moi pour assumer ce qui se passait entre nous. Malgré les années qui ont passées, le souvenir demeure douloureux et je préfèrerais l’oublier. Jamais je n’aurais cru que nos chemins se recroiseraient un jour, encore moins que je tomberais sur lui par hasard chez mon meilleur ami. « Je comprend que t’ai aucune envie de me voir ou de me parler, mais je voulais quand même te dire que je suis désolé. Je me doute que tu t’en fiches et je mérite pas que tu me pardonnes, mais je voulais que tu saches que mes sentiments pour toi étaient sincères et que je voulais vraiment pas te faire souffrir… » À chaque mot qu’il prononce, je sens mes émotions gagner du terrain. La gorge nouée, je jette un regard furtif dans sa direction. « T’as réalisé ça avant ou après avoir porté plainte contre moi? » demandé-je d’une voix tremblante. Parce que si ce qu’il a dit à son père m’a blessé, sa plainte a été la goutte qui a fait déborder le vase, un coup de poignard dans le dos. Je me suis senti humilié et je n’ai jamais compris comment il a pu en arriver à ce point-là. « Je suis pas du genre à regretter mes actes d’habitude, mais si je pouvais retourner en arrière pour éviter de te faire souffrir, je le ferai sans hésiter. Tu méritais pas ça. Je suis désolé… » Le revoir ici aujourd’hui ravive une douleur toujours bien vive et, malgré la colère que je ressens, je ne suis pas insensible à la tristesse qu’il exprime. Mon visage se crispe lorsque je prends conscience de son regard voilé, mais je détourne la tête pour ne pas le laisser m’affecter, pour ne pas le laisser avoir ce pouvoir sur moi. Je me lève et je dépose le linge à vaisselle trempé dans l’évier. « Tu retournerais en arrière pour que je n’aie jamais fait partie de ta vie? » Je déglutis difficilement puis je me tourne face à l’évier en faisant semblant de me gratter le visage tandis que j’essuie le coin de mes yeux du bout des doigts. À cet instant, j’ai envie de partir, de fuir loin d’ici où il ne pourra pas m’atteindre. Mais malgré ce besoin viscéral qui se fait sentir, je reste. Parce que mes questions sont restées sans réponses beaucoup trop longtemps.  

When the past becomes the present, you lose the future. -- @Andy Hamilton

Je ne sais pas pourquoi j’ai cru qu’Andy pourrait partir si je lui demandais alors qu’il a bien démontré il y a treize ans que mon bien-être l’importe peu. Je n’ai pas eu besoin de le fréquenter très longtemps pour comprendre qu’il n’agit que dans son propre intérêt. Peut-être a-t-il changé depuis, je l’espère pour lui et pour les gens qui le côtoient, mais ça m’importe peu au final parce que je n’ai pas l’intention de passer du temps avec lui même si Adriel est notre ami à tous les deux. Visiblement, nous avons pu côtoyer Mayers tous les deux pendant un moment sans jamais entendre le nom de l’autre, je ne vois pas pourquoi ce ne serait possible de continuer ainsi. Alors qu’il ne part pas comme je lui ai demandé, Andy a au moins la décence d’aller s’habiller. Mais il revient dans la cuisine par la suite et il en profite pour s’excuser. Même si j’ai l’impression qu’il est sincère, je suis incapable de tourner la page aussi facilement, pas après toute la souffrance que son mensonge a occasionnée. Je suis incapable de ne pas lui répondre, de ne pas essayer de le faire se sentir mal en lui remettant sous le nez la plainte qu’il a déposée contre moi alors que nous savons tous les deux que j’étais innocent. « Mon père me foutait dehors et me coupait les vivres si je le faisais pas. » Choqué, je relève la tête vers lui, le regard rempli d’incompréhension. « Donc tu t’es dit que foutre ma vie en l’air était le moindre mal? Et après ça tu essaies de me faire croire que tu m’aimais vraiment? » Si les rôles avaient été inversés, j’aurais préféré le protéger et me retrouver à la rue que de le trahir comme il l’avait fait pour rester dans les bonnes grâces d’un père homophobe. Qui plus est, Andy avait dix-neuf ans à l’époque, pas cinq, il aurait certainement pu se débrouiller sans son père. Ou peut-être qu’il m’avait menti lorsqu’il m’avait dit qu’il m’aimait lui aussi, peut-être qu’il me mentait encore aujourd’hui. Après tout, cela ne faisait à peine que quelques mois que nous nous connaissions. « Peux-tu im… » Ma voix s’étrangle dans ma gorge. Je baisse les yeux sur mes mains en me râclant la gorge avant de reprendre. « Mets-toi à ma place. » J’avais dû tout raconter à mes parents et même si je sais que ça partait d’une bonne intention, je me suis fait réprimander d’avoir rencontré quelqu’un que je ne connaissais pas vraiment sans leur en avoir parlé d’abord. Aujourd’hui, je comprends que maman voulait simplement être au courant au cas où il me serait arrivé quelque chose mais, sur le moment, je ne croyais pas faire quelque chose de mal. Tout ce que je voulais, c’était apprendre à connaître Andy à mon rythme, sans la pression des gens autour. Mais j’avais à peine eu le temps de lui ouvrir mon cœur qu’il l’avait piétiné sans aucun scrupule. Et depuis, j’essaie de l’oublier pour aller de l’avant mais j’ai beaucoup de difficulté à accorder ma confiance depuis, craignant trop de me faire avoir une seconde fois.

Lorsqu’il avoue qu’il aimerait pouvoir retourner en arrière pour éviter de me faire souffrir, je ne peux m’empêcher de lui demander si ce serait pour ne jamais m’avoir rencontré. Peut-être parce que c’est plus simple de continuer de le haïr en me disant que c’est un trou de cul que de ne pas savoir comment réagir s’il regrette vraiment son geste. Andy est le vilain dans cette histoire depuis si longtemps, j’aurais l’impression que ma souffrance est injustifiée en l’imaginant autrement. « Je regrette plutôt de ne pas avoir su te garder plus longtemps dans ma vie. » Mon visage se crispe de douleur à ces mots et je lui en veux de réussir à me faire mal encore aujourd’hui même si c’est moi qui lui ai posé cette question. Ses paroles font défiler tout un tas de souvenirs dans ma tête que je préfèrerais oublier. Parce que malgré la façon brutale dont tout s’était terminée, il y avait aussi quelques souvenirs joyeux bien enfouis. « C’était pourtant simple… » réponds-je en fixant le mur au-dessus de l’évier tout en laissant quelques larmes rouler sur mes joues. « Je retournerai en arrière pour éviter que mon père apprenne de cette manière que je suis gay… » Je renifle un bon coup tout en essuyant mes joues du revers de la main avant de me retourner face à lui pour plonger mon regard humide dans le sien en lui souriant tristement. « Tu m’aurais amené ailleurs, tu m’aurais caché. » Pour qu’il ne se fasse pas voir avec moi, parce que je suis persuadé depuis tout ce temps que le problème c’était moi, que je n’étais pas digne d’être aimé.

Un silence écrasant s’installe dans la pièce tandis que je lutte contre mes émotions qui remontent dans ma gorge. Au moment où je m’apprêtais à repartir, Andy ouvre finalement la bouche. « Est-ce que... tu es heureux dans ta vie ? » Sa question me prend au dépourvu et je le fixe longuement en silence. Est-ce que je le suis, heureux? Les derniers mois sont loin d’avoir été évidents avec Peter et Tessa, sans parler de l’expulsion de mon appartement. Mais les choses semblent vouloir s’arranger tranquillement de ce côté-là : Peter est sobre -aux dernières nouvelles du moins- et je déménage avec Adriel dans moins d’un mois. Je n’en demeure pas moins la honte de la famille, le seul à ne pas avoir fait d’études supérieures et à ne jamais avoir été en couple. Peut-être que je n’aurais pas arrêté la danse si Andy n’avait pas détruit le peu de confiance que j’avais en moi. « Je fais de mon mieux pour l’être. » réponds-je sans donner trop de détails avant de rajouter « Je n’ai jamais réussi à être en couple si c’est ce que tu voulais savoir » pour lui faire comprendre à quel point son mensonge m’a affecté. « J’espère que les choses vont mieux de ton côté pour que ça ait au moins valu la peine. » ajouté-je avec sarcasme, le regard fuyant. Parce qu’au fond de moi, j’espère que lui aussi n’est pas totalement heureux, qu’il souffre un peu pour ce qu’il m’a fait. What goes around comes around.

When the past becomes the present, you lose the future. -- @Andy Hamilton

Nous avons visiblement tous les deux souffert de ce qui s’est passé ce soir-là mais sa souffrance me semble moins légitime que la mienne considérant qu’il en est le seul responsable. Alors je m’obstine à essayer de lui faire comprendre mon côté de la médaille, tout comme il s’obstine à essayer de me faire comprendre le sien. La vérité, c’est que peu importe ce qu’il dira, ce ne sera jamais suffisant, ça n’excusera jamais tout le mal qu’il m’a fait. « Je me suis pas tout de suite rendu compte de la gravité de ce que je faisais… Je suis désolé. » Je ris jaune en pinçant l’arête de mon nez à deux doigts. Comment pouvait-il ne pas s’être rendu compte de la gravité de son mensonge? Des conséquences énormes qu’elles pouvaient avoir sur moi? Andy n’était plus un enfant à cette époque, il avait presque vingt ans. Il était assez vieux pour réfléchir, pour au moins comprendre ce qu’une plainte à la police impliquait. « T’avais dix-neuf ans, Andy, dix-neuf! Tu pensais vraiment qu’une plainte à la police c’était insignifiant? » J’aurais pu finir avec un dossier criminel qui m’aurait certainement encore plus pourri la vie que son mensonge le fait déjà. « Qu’est-ce que tu pensais qu’il allait se passer? Je veux comprendre. » J’ai besoin de comprendre ce qui a pu se passer dans sa tête pour qu’il en arrive à croire que son mensonge serait sans conséquence.

Andy exprime ses regrets de ne pas m’avoir gardé plus longtemps dans sa vie, ce à quoi je réplique que c’était pourtant simple. À mes yeux, du moins, ce l’était. Il n’aurait suffi d’une réaction différente de sa part pour qu’il ne me perde pas, pour qu’il ne me sorte pas de sa vie. Parce que c’est ça, en fait, c’est lui qui m’a sorti de sa vie et pas l’inverse. C’est à contre-cœur que je suis parti de chez lui ce soir-là, que je n’ai plus jamais reposé mes yeux sur lui. Jusqu’à aujourd’hui. « Simple ?! Quand t’as des parents qui t’éduquent avec tous les stéréotypes patriarcaux et qui te répètent depuis que tu es gosse que la seule façon de réussir sa vie c’est en épousant fille de bonne famille, quand t’as un grand frère qui rentre dans ce moule et qui en rajoute une couche, quand tu passes trois putain d’années en internat dans un lycée militaire où la moindre action jugée pas assez virile te catalogue comme “tapette” et fait de toi une victime pour le reste de ta scolarité ? Non putain, c’est tout sauf simple ! » Sans même le regarder, je sens sa colère dans sa voix, dans son ton. Mes épaules s’abaissent et je n’ose pas le regarder alors que je caresse nerveusement l’un de mes bras. « C’est pas simple… » répète-t-il plus calmement, à voix basse. Je renifle bruyamment en tournant légèrement la tête dans sa direction, pour le regarder par-dessus mon épaule. « T’avais juste à ne pas mentir. J’aurais été là pour toi. J’aurais fait n’importe quoi pour toi. » Parce que je t’aimais. J’étais jeune et naïf, bien loin de me douter qu’il était prêt à m’effacer sans trop de réflexion. J’ai rapidement compris que c’est vrai que l’amour rend aveugle. Tenir tête à son père n’aurait pas été évident pour lui, mais j’aurais été là pour l’épauler. On aurait fini par trouver une solution et on aurait pu refaire le monde ensemble.

Malgré les années qui ont passées, il semble toujours avoir un problème avec le fait que son père a découvert qu’il est gay. Est-ce que je peux vraiment lui en vouloir? Probablement pas quand je cherche moi aussi à cacher cette facette de ma vie, même si je ne voudrais pas pour autant que ceux qui savent l’ignorent. Sauf peut-être Pete qui n’a pas manqué une occasion de me remettre Andy sous le nez quand il voulait me blesser. Mais j’en veux à Andy d’avoir été un dommage collatéral dans l’histoire. « C’est pas toi que je voulais cacher. » Face à lui, je hausse les épaules. « Pourtant, tu m’aurais caché quand même. N’est-ce pas? » Pour que son père ignore son homosexualité, il devait forcément me cacher dans le processus, comme si j’étais un élément honteux de sa vie. Si aujourd’hui je cherche à tout prix à cacher mon homosexualité, j’étais prêt à le crier sur tous les toits ce jour-là, à dire au monde entier que j’étais amoureux. De lui. Forcément, ses sentiments ne pouvaient pas être de la même nature que les miens.

Andy me prend par surprise lorsqu’il ose me demander si je suis heureux aujourd’hui, malgré ce qu’il m’a fait. Si pendant un instant j’hésite à ne lui donner aucun détail de ma vie parce que ce n’est pas de ses affaires, je décide plutôt de lui faire part de mon mal-être. Peut-être un peu pour me venger de ce qu’il m’a fait, pour qu’il comprenne que son mensonge était loin d’être insignifiant. « Je suis désolé… » s’excuse-t-il pour la énième fois depuis le début de notre conversation, visiblement attristé de constater que je n’ai pas réussi à passer par-dessus notre histoire. « Moi aussi, Andy. » Désolé que les choses se soient terminées ainsi, qu’il n’ait pas eu le courage d’assumer et que treize ans plus tard son mensonge ait encore un impact négatif sur ma vie. Qu’à cause de lui je n’ai pas eu le courage de recontacter Byron après mon anniversaire, malgré un intérêt véritable. Peut-être que je n’aurais pas développé de sentiments pour lui, nous ne nous connaissons pas vraiment après tout, mais je ne le saurai probablement jamais puisque nous ne nous sommes pas revus depuis plus de trois mois. « Je t’ai fait confiance quand je n’aurais pas dû. Et maintenant, je n’arrive plus à accorder ma confiance à un autre gars. Mais bon, c’est la vie, c’est comme ça. » Je hausse les épaules en tentant de feindre l’indifférence mais toute cette histoire me touche beaucoup trop pour que je sois crédible. « Y’a rien qui aurait pu valoir cette peine. » Je hoche la tête en silence, en baissant lentement mon regard. Celui-ci s’attarde sur la main gauche d’Andy, attiré par une marque sur l’un de ses doigts. Le genre de marque qu’on a quand on a longtemps porté une bague au même endroit. Les sourcils froncés, je relève la tête en pointant sa main et je plonge mon regard dans le sien. « Tu l’as fait? Épouser une fille de bonne famille je veux dire? Pour ton père. » Je reprends ses mots, pas les miens. Et si une partie de moi veut connaître la réponse, l’autre la redoute.

When the past becomes the present, you lose the future. -- @Andy Hamilton

J’ai toujours eu le don de prendre de mauvaises décisions, et probablement qu’Andy en a été une, mais en général, mes décisions impactent surtout ma vie à moi et non celle des autres. Sa décision à lui, au contraire, a eu un impact majeur sur ma vie et j’en fais encore les frais treize ans plus tard. Jamais je n’aurais été capable de lui donner un coup de poignard dans le dos et de le laisser partir sans même me retourner. Là-dessus, et sans doute sur d’autres côtés aussi, nous étions apparemment bien différents. « Rien. Que ça allait être classé sans suite ou je sais pas… Quand elle a senti que je reculais, ma mère m’a répété que ça n’aurait pas de conséquences comme t'étais encore mineur, jusqu’à ce que je la suive au commissariat… C’était con et égoïste, je sais. » Ma tête a un mouvement de recul et j’écarquille les yeux en le fixant. « Sans conséquences?! » répété-je stupéfait sans comprendre comment il a vraiment pu croire qu’un geste de la sorte n’aurait aucun impact sur moi. « Pas de casier judiciaire, peut-être, mais pas de conséquences? » Comme si le perdre inopinément alors que je venais à peine de lui offrir mon cœur n’allait pas me faire mal. « J’étais amoureux de toi… tu t’es dit que j’étais jeune, que j’allais m’en remettre? » Si seulement c’était aussi simple. Notre histoire n’avait rien de simple, pas avec la façon dont les choses se sont terminées, pas avec son père qui m’a sorti de chez lui comme si je n’étais qu’un vulgaire déchet. Rares sont ceux qui savent pour Andy et moi parce qu’en parler me replonge dans ces souvenirs douloureux que je préfèrerais oublier. Et au final, c’est sans doute mieux ainsi car on pourrait s’en servir contre moi pour me faire souffrir, comme Peter qui se permet de me remettre Andy sous le nez quand il veut m’atteindre.

Je ne sais pas si les choses ont changé pour lui depuis le temps, s’il a trouvé le courage de tenir tête à son père au fil des années, mais il ne semble pas avoir de difficulté à exprimer sa colère en ma présence lorsque nos opinions divergent. Je ne devrais probablement pas me fier à ça, considérant que mon opinion et mes sentiments ont eu si peu d’importance pour lui lorsque je croyais compter pour lui. « Je suis pas aussi fort que toi. » dit Andy lorsque je lui explique qu’il suffisait qu’il ne mente pas pour que je sois là pour lui. À ces paroles, je ne peux faire autrement que rire parce que je ne me suis jamais considéré de la sorte, au contraire. J’ai plutôt tendance à me rabaisser, à croire que je ne suis bon à rien. Qu’est-ce qu’être fort pour lui? Je n’en ai aucune idée mais ce n’est certainement pas un qualificatif que je mérite. « Je suis loin d’être fort. » Je me cache maintenant, comme lui voulait se cacher. Je fuis dès que la pression devient trop importante, comme la première fois que j’ai embrassé Byron ou quand je suis revenu de chez Andy le soir où tout a changé. J’ai fui pendant trois jours jusqu’à ce que mon frère me retrouve parce que j’avais trop honte pour affronter mes proches et leur expliquer ce qui s’était vraiment passé. Est-ce ça être fort? J’en doute. « J’avais juste besoin de temps… » Je hoche lentement la tête, le regard fuyant. « J’espère que t’as eu le temps dont tu avais besoin. » Pour assumer, pour ne pas blesser quelqu’un de plus comme il l’avait fait avec moi.

Malgré les années qui ont passées, la plaie causée par son mensonge n’est pas cicatrisée. Elle est moins béante, certes, mais la simple pensée de me rapprocher de quelqu’un suffit à la rouvrir, sans parler du fait de le revoir aujourd’hui après toutes ces années. Même si nous avons visiblement tous les deux vieilli, la douleur vive me donne l’impression que ce n’est qu’hier que je déboulais l’escalier chez ses parents.  « J’espère que tu trouveras la personne qui réussira à te redonner confiance, tu mérites d’être heureux. » Mes pensées s’orientent vers Byron en entendant les paroles d’Andy. Le brun avait éveillé l’espoir d’enfin réussir à passer par-dessus mon traumatisme. Et si la deuxième fois je n’ai pas fui, je n’ai pas réussi à reprendre contact avec lui par la suite. L’envie de l’appeler se fait toujours sentir mais les semaines qui passent me font de plus en plus douter. Après avoir fui une première fois et ne pas lui avoir donné de nouvelles la deuxième, je suis persuadé qu’il n’a pas envie que je lui fasse perdre davantage son temps et après ce qui s’est passé avec Andy, je ne suis pas certain d’être capable d’encaisser un deuxième rejet. Lorsque je baisse les yeux, mon regard est attiré par une démarcation visible sur l’annulaire gauche d’Andy. Sans réfléchir, je lui demande s’il a fait ce que son père voulait en se mariant à une femme. « Plus ou moins ouais… » Je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils en le fixant avec dégoût. « Tu t’es marié avec une femme?! » Visiblement, foutre ma vie en l’air ne lui a pas suffi et constater qu’il a fait une autre victime me donne la nausée. « Je crois que je ne suis pas très doué pour savoir ce qui peut me rendre heureux… » Pour rendre les gens autour de lui malheureux, par exemple, il mérite la palme d’or. « Tu avais juste besoin de temps. Il faut croire que treize ans ce n’était pas assez. » dis-je sèchement en me retenant de lui dire vraiment tout ce que je pense, de lui dire à quel point je trouve dégueulasse qu’il ait fait semblant d’aimer cette femme que je ne connais pas. J’espère au moins que l’absence de bague à son doigt signifie qu’il a fini de lui raconter des histoires. « Tu vas foutre en l’air la vie de combien d’autres personnes Andy? » J’ose malgré mes mains qui tremblent sous le coup de l’émotion, peut-être encouragé par la poussée d’adrénaline que je ressens chaque fois que je lui fais part d’une fraction de ce que je pense. Sans même attendre sa réponse, parce que c’est plus une question pour lui que pour moi, je me dirige vers la porte d’entrée de chez Adriel en me forçant de ne pas me retourner pour le regarder une dernière fois.