@Lincoln Mulligan

« Lincoln? C’est Min-Kyung… J’ai… j’ai besoin d’aide. » Sous la lumière d’un unique lampadaire, Min regardait autour de lui sans reconnaître l’endroit où il se trouvait. Il était confus, il avait froid, mais surtout, il avait peur.

Tout avait commencé quelques heures plus tôt lorsque Min décida de sortir. Il n’en avait pas vraiment envie, c’était plus un besoin qu’il devait satisfaire comme manger ou dormir. Il voulait de la compagnie, quelqu’un avec qui partager quelques heures dans l’intimité avant de reprendre son chemin en oubliant immédiatement le nom de son amant. Il se prépara donc en conséquence avec des vêtements plus révélateurs qu’à son habitude et une touche de maquillage sur ses yeux. C’était comme prendre une autre identité. Il y a le Min-Kyung de jour, le gentil vétérinaire amateur de course à pied, et il y a le Min-Kyung de nuit, l’enjôleur qui ne reste jamais dans le lit de ses amants. Deux personnalités distinctes qui ne se mélangeaient jamais. Sortir le rendait toujours un peu nerveux, car il craignait tomber sur quelqu’un qu’il connaissait et être ainsi obligé de s’expliquer. Il y avait des choses qu’il n’était pas prêt à dire encore.

L’ambiance dans la boîte de nuit était folle. La foule était compacte et la musique était si forte qu’il fallait lever la voix pour se faire entendre. Personne ne venait ici pour discuter de toute façon. Min avait bu quelques verres, une dose de courage nécessaire avant de rejoindre la piste de danse où se pressaient les corps. Enivré autant par la musique que par les vapeurs de l’alcool, il avait dansé jusqu’à ce que la sueur perle sur sa peau, les yeux fermés, totalement à l’abandon. Min se sentait bien, un sentiment de moins en moins fréquent chez lui depuis un moment. Il avait finalement ouvert les yeux pour l’apercevoir à quelques mètres de lui à travers les danseurs. Un homme le regardait, un vague sourire sur les lèvres. Depuis combien temps? Min ne le savait pas, mais il ne pensait pas l’avoir vu avant d’aller sur la piste. Il ne reconnaissait pas non plus son visage, mais Min était loin de connaître tout le monde dans cette ville. Ses cheveux très foncés luisaient sous l’éclairage coloré des néons et des projecteurs. Il avait une mâchoire prononcée, une bouche bordée de lèvres généreuses et des yeux… Impossible d’en deviner la couleur à cette distance, mais ils étaient fixés sur lui. Il était très séduisant et le cœur de Min bondit dans sa poitrine. L’inconnu lui fit signe d’approcher et Min alla le rejoindre, attirer par lui comme de la limaille de fer par un aimant.

Au bar, ils discutèrent autour d’un verre. En fait, les consommations s’étaient enchaînées. Min savait pourtant qu’il ne devrait pas boire autant, surtout pas en compagnie d’un inconnu. Ce n’était pas comme les hommes qu’il fréquentait régulièrement à Melbourne et en qui il pouvait relativement faire confiance. Dès le départ, il avait été négligent et peut-être que ce qui se passa ensuite était entièrement sa faute. Au bout d’un moment, l’homme l’invita à aller à l’hôtel pour terminer la soirée, ce que Min accepta immédiatement. Tout allait bien et il n’y avait absolument rien d’anormal jusqu’à ce qu’il ait monté dans la voiture et refermé la porte. L’homme avait alors écrasé la pédale de l’accélérateur et démarré en trombe. Zigzagant entre les voitures, il commença à injurier Min-Kyung en mélangeant les insultes racistes et homophobes. Il multipliait les manœuvres dangereuses, grillant plus d’un feu rouge. À un moment, un camion passa très près de les emboutir. Mais où est la police lorsqu’on a besoin d’elle? Min était terrifié. Il ne comprenait pas. L’homme qui s’était montré parfaitement charmant lui hurlait maintenant dessus des obscénités en donnant des coups de volant. Puis, il freina brutalement.

« Sort! J’ai dit Sort, pédale! »

Paralysé par la peur, Min s’empressa de détacher la ceinture. Ses mains tremblaient tellement qu’il dût s’y prendre à quelques reprises, s’attirant une nouvelle pluie d’injures. Il finit par réussir, mais au moment de sortir, il trébuchât et s’écrasa lourdement sur le sol, éraflant la paume de ses mains sur le pavé. Le conducteur ne prit même pas la peine de refermer la portière. Il écrasa l’accélérateur, faisant crisser les pneus et Min se recroquevilla sur lui-même, les mains sur sa tête pour se protéger, convaincu que l’homme mettrait ses menaces à exécution et utiliserait son véhicule pour lui passer sur le corps. Heureusement, il ne le fit pas. La voiture s’éloigna et le silence tomba autour de lui. Ça n’avait pas duré plus que quelques minutes, mais pour Min, ce fut l’équivalent d’une éternité pendant laquelle il fut convaincu que son heure était arrivée. Il ne comprenait pas pourquoi quelqu’un ferait ça. Certes, il y avait de mauvaises personnes en ce monde, mais pourquoi lui? Est-ce que son existence était si révoltante qu’il méritait qu’on lui fasse ça?

Min se redressa péniblement. Il n’avait pas la moindre idée de l’endroit où il se trouvait. Il faisait très noir et la rue mal éclairée ne donnait que très peu d’indications. Il ne reconnaissait pas le voisinage, mais les bâtiments autour de lui montraient des signes de négligences et il y avait des graffiti. Il prit son téléphone qu’il échappa au sol tant ses mains tremblaient. Heureusement, il ne se brisa pas. Le bon réflexe aurait été d’appeler la police, mais il avait trop honte pour le faire. C’était sa faute. Il n’avait pas fait suffisamment attention. S’il n’avait pas bu autant, peut-être qu’il aurait remarqué les « red flags ». Dans sa liste de contacts, il vit Swann, mais comme il était très tard et qu’il dormait sans doute, il ne voulait pas le tirer du lit même si, de tous, Swann était le moins susceptible de le juger. Que dirait-il en le voyant dans cet état? Puis il vit Lincoln. Min-Kyung hésita, le pouce au-dessus de l’icône avant de finalement appuyer dessus.

Le simple fait d’entendre sa voix à l’autre bout du fil… Ils ne s’étaient pas parlé depuis l’histoire de la montre, leurs échanges ne se limitant qu’à des messages textes. Min lui envoyait souvent des photos de ses petits patients. C’est lui qui avait brisé la glace en envoyant la photo d’un bichon frisé. Il avait accompagné l’image d’une seule phrase : il me fait penser à quelqu’un. Il faisait évidemment référence aux boucles de Lincoln. Depuis, la conversation ne s’était pas arrêtée. Entre les photos, ils discutaient parfois de leur quotidien. Quelques fois, Min lui avait proposé de venir courir avec lui, sans succès. Qu’il l’appelle à cette heure de la nuit avait donc tout pour surprendre.

« Je… je ne sais pas où je suis. C’est ma faute… Tout est ma faute… Je… » La panique montait en lui, incontrôlable, inarrêtable, une vague qui menaçait de le noyer. Il essaya de se concentrer. Il décrivait ce qu’il voyait à Lincoln en espérait que ce serait suffisant pour lui donner une idée de l’endroit où il était. « Fait vite… s’il te plait. »

A turning point. -- @Ho Min-Kyung

Lorsque je me suis inscrit au programme de mécanique automobile il y a deux ans, j’avais beaucoup de motivation, mais peu d’attentes en ce qui concernait pas graduation étant donné ma mauvaise habitude à foirer tout ce que j’entreprenais. Qui plus est, je me doutais que de retourner aux études après dix ans loin des bancs d’école n’allait pas être évident, surtout pas avec des gars beaucoup plus jeunes que moi, mais j’ai étonnamment réussi à me faire une petite place dans le groupe et nous voilà enfin diplômés depuis quelques jours à peine. J’ai du mal à y croire, mais je suis incroyablement fier de moi. Aujourd’hui, j’ai passé la journée à aller porter mon curriculum vitae dans différents garages de mécanique de Brisbane dans l’espoir de décrocher enfin un travail dans mon domaine et ainsi pouvoir quitter mon emploi au parc de ferrailles. Pour le moment, ça n’a rien donné, mais certains employeurs semblent intéressés à me rencontrer ultérieurement. Je me croise les doigts et j’en profite en attendant pour me reposer parce que cette journée a été plus que drainante sur le plan psychologique. Je me suis donc couché tôt et c’est le bruit de la sonnerie de mon téléphone qui m’a sorti de mon sommeil. Il m’a bien fallu quelques secondes pour comprendre ce qu’il se passait et pour réussir à prendre mon téléphone à tâtons avec un seul œil ouvert. « Allô? » lâché-je en poussant un petit soupir de fatigue. « Lincoln? C’est Min-Kyung… J’ai… j’ai besoin d’aide. » - « Hein? » Je me redresse dans mon lit en me frottant les yeux, surprise d’entendre sa voix à l’autre bout du fil à une heure pareille en plus. « Je… je ne sais pas où je suis. C’est ma faute… Tout est ma faute… Je… » Petit à petit, je me réveille suffisamment pour comprendre l’urgence de la situation. « Attends… bouge pas, j’arrive. Qu’est-ce que tu vois autour de toi? Une bâtisse, un nom de rue… n’importe quoi. » Le téléphone coincé entre mon épaule et mon oreille, j’attrape la paire de pantalons que je portais la veille pour prendre mes clés dans mes poches, puis j’enfile mes chaussures, portant toujours mon bas de pyjama rayé et mon vieux t-shirt arborant un dessin de manette de console de jeux vidéo. Min-Kyung me décrit les alentours et je soupçonne qu’il se trouve peut-être dans le quartier industriel, je remercie mes connaissances de la ville. « Fait vite… s’il te plait. » - « Je rentre dans ma voiture là, je pars de Bayside. » Je démarre ma voiture et je quitte en trombe la villa de Tessa.

À l’heure qu’il est, les routes sont plutôt désertes, ce qui me permet de rouler rapidement en espérant ne pas croiser de voitures de police sur mon chemin. Durant tout le trajet, je garde mon téléphone sur main libre pour parler à Min-Kyung et le rassurer, mais aussi pour confirmer ma théorie de son emplacement. « Je vois quelqu’un là, est-ce que tu me vois? » Je fais des appels de phares avec ma voiture pour confirmer ma présence. Lorsqu’il me répond qu’il me voit, je pousse un soupir de soulagement. Je stationne ma voiture à sa hauteur et j’en sors pour aller le rejoindre. « Ça va? » lui demandé-je en fronçant les sourcils, inquiet qu’il m’appelle aussi tard, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Mais l’heure de son appel n’est pas la seule chose qui provoque chez moi des questions, les vêtements révélateurs qu’il porte aussi. « Hm… Qu’est-ce qu’il s’est passé? » Mon regard s’attarde sur ses vêtements, non pas par jugement, mais par surprise de le voir ainsi vêtu dès que sa silhouette est suffisamment illuminée par les phares de ma voiture toujours en marche. « Tu veux hm… monter? » le questionné-je en m’efforçant à le regarder dans les yeux en pointant ma voiture d’une main. « Je te dépose où? » Le cœur battant la chamade, je m’inquiète pour lui, me doutant qu’il a dû vivre quelque chose de suffisamment grave pour qu’il ressente le besoin de m’appeler en pleine nuit. J’attends patiemment qu’il réponde à mes questions en l’observant attentivement à la recherche du moindre indice qui m’en dirait un tant soit peu sur son état autant physique que psychologique. J’espère que ça ira…  

@Lincoln Mulligan

À la voix endormie de Lincoln, Min savait qu’il l’avait réveillé. Il se sentait déjà coupable de le déranger, si en plus il le tirait du lit… En même temps, il n’avait personne d’autre à qui s’adresser et ce n’est pas comme s’il lui avait dit de se débrouiller tout seul. « Je rentre dans ma voiture là, je pars de Bayside. » « OK… » Le téléphone collé à l’oreille, Min essayait désespérément de garder le contrôle sur ses émotions en s’accrochant à cette voix au bout du fil. Il se sentait misérable et la part de son cerveau qui parvenait miraculeusement à rester rationnel analysait ses symptômes : palpitation, tremblement, sensation d’étouffement… Il était en train de faire une crise de panique. Min s’accroupit au sol en comptant ses respirations. Ce n’était pas la première crise qu’il faisait. La dernière remontait à avant son déménagement. C’était d’ailleurs pour cela qu’il avait décidé de franchir le pas, conscient que sa santé mentale était en train d’en prendre un coup et qu’il devait faire quelque chose. « Je t’ai réveillé… N’est-ce pas? » Il aperçut au coin de la rue, les phares d’une voiture venant vers lui. « Je vois quelqu’un là, est-ce que tu me vois? » Min se redressa. Ses jambes comme du coton, il tenait à peine debout. « Oui. » La voiture s’arrêta à sa hauteur et Lincoln en sortit.

Conscient de la tenue qu’il portait, si différente de son style habituel, Min avait envie de disparaître. Il savait que Lincoln le regardait, qu’il se posait des questions et que Min lui devait des réponses. Il croisa les bras sur son torse dans une vaine tentative de se cacher. Il n’était pas indécent, mais il avait l’air du mec prêt à sortir en boîte avec l’intention de se trouver quelqu’un pour finir la nuit et que ce quelqu’un ne serait pas une femme. « Ça va? » « Non. » Sa voix tremblait. Tout son corps se contractait. Il en avait mal au cœur. La question lui semblait particulièrement absurde. « Hm… Qu’est-ce qu’il s’est passé? » Il n’en était pas certain lui-même. Un instant il était au bar en train de flirter avec un homme particulièrement séduisant et l’instant d’après, ce même homme l’injuriait en conduisant comme un fou furieux faisant croire à Min qu’il vivait ses derniers instants. « Je suis tombé sur la mauvaise personne », répondit-il simplement, la voix hachurée à cause de ses tremblements. Il ne désirait rien de plus que de rentrer chez lui et essayer d’oublier tout ça. Il allait mettre cet incident dans un coin de sa tête et faire comme si de rien n’était arriver au petit matin. Il pouvait faire ça, il l’avait déjà fait.

« Tu veux hm… monter? » Min acquiesça d’un signe de tête avant de prendre place du côté passager. Il regarda ses mains qui tremblaient toujours et le sang qui commençait à sécher sur ses paumes. Il en avait aussi sur le visage quand il avait essayé de se protéger plus tôt. « Je te dépose où? » « Chez moi… Je veux rentrer chez moi. » Min lui donna l’adresse dans Redcliff avant de s’enfermer dans son mutisme. Il se contentait de fixer ses mains, complètement replié sur lui-même. Il ne redressa la tête que lorsqu’il reconnut les bâtisses familières de son quartier, puis l’immeuble où se trouvait son appartement. La voiture s’arrêta et le silence s’étira encore un peu. « Merci… Je ne voulais pas te réveiller, mais je ne savais pas à qui m’adresser. Je me sens stupide… Je ne vais pas te retenir plus longtemps. » Min-Kyung ouvrit la portière, mais pas posant le pied au sol, sa jambe se déroba sous son poids et il faillit s’écraser au sol une nouvelle fois. Les émotions fortes l’avaient complètement drainé de son énergie et, n’en pouvant plus, lui qui avait retenu ses larmes jusque-là, il éclata en sanglots. Jamais de sa vie il n’avait eu aussi honte et il n’avait qu’une envie : disparaître.

A turning point. -- @Ho Min-Kyung

« Je t’ai réveillé… N’est-ce pas? » Je sens dans la voix de Min-Kyung qu’il culpabilise de m’avoir réveillé, mais c’est bien le cadet de mes soucis considérant qu’il l’a fait parce qu’il a besoin d’aide. Je n’ai pas beaucoup d’amis et je me doute que lui non plus considérant qu’il n’a pas grandi à Brisbane, ça me fait donc chaud au cœur de savoir qu’il s’est senti suffisamment en confiance pour m’appeler ce soir alors qu’il est dans le besoin. « Oui, mais c’est pas grave je t’assure. Mon lit n’est pas trop jaloux, il va encore m’attendre à mon retour. » Je ris nerveusement tandis que je me permets de passer sur les lumières rouges à cette heure après avoir fait un stop pour m’assurer que c’est sécuritaire de passer. J’essaie de détendre l’atmosphère pour que l’attente soit moins angoissante pour lui, mais aussi pour moi qui n’ai aucune idée de ce à quoi m’attendre en allant le chercher. Pour le moment, Min ne m’a pas dit grand-chose sur la raison de son appel et les suspenses ont tendance à m’angoisser. Au loin, j’aperçois une silhouette qui ressemble à la sienne et je suis rassuré qu’il me confirme que c’est bien lui lorsque je fais un appel de phares. « Oui. » Ses vêtements me font revenir à certaines paroles qu’il m’a dites lors de notre dernière rencontre, sur le fait qu’il me comprenait bien plus que je ne le croyais. Si ce jour-là j’avais eu des doutes quant à son orientation sexuelle, je n’en ai plus aujourd’hui. Malgré qu’il soit au courant pour mon attirance pour la gent masculine, il semble mal à l’aise que je le vois ainsi. Pour le rassurer, je lui adresse un sourire compatissant, mais son regard fuit le mien comme la peste tandis qu’il tente de se cacher tant bien que mal avec ses bras.

« Non. » Un seul mot prononcé et pourtant evident lorsque je lui demande s’il va bien. Je me doutais bien de la réponse et je me sens stupide de lui avoir demandé, mais c’était plus fort que moi parce que je ne sais pas trop comment agir en sa présence quand lui et moi ne nous connaissons presque pas. Je veux le mettre à l’aise autant que possible, mais j’ai l’impression que mon malaise se voit à trois kilomètres d’ici. Le pire dans tout ça, c’est que je suis convaincu qu’il doit se dire que mon malaise est dû à son allure alors que ce n’est vraiment pas le cas. « Désolé, j’auras pas dû… poser la question… » Pas quand c’était d’une évidence en entendant le tremblement dans sa voix qui m’arrache le cœur. J’essaie d’en savoir plus en le questionnant d’une voix presque inaudible pour me faire le moins intimidant que possible. « Je suis tombé sur la mauvaise personne » Je déglutis difficilement en hochant lentement la tête. Je suis loin de connaître les détails de sa soirée, mais sa réponse me ramène drôlement face au père d’Andy qui m’a sorti de sa demeure en me tirant par les cheveux et en me poussant presque au bas de leur escalier. Un frisson me parcourt l’échine en repensant à ce souvenir douloureux et en me disant que Min vient probablement de vivre quelque chose de similaire. « Ça va aller, tu es en sécurité maintenant… » J’ai l’impression de lui mentir parce que je sais que ce n’est pas aussi simple que ça, que ça lui prendra sans doute du temps pour s’en remettre et qu’il se méfiera probablement pour un moment, voire pour tout le temps, mais présentement, je ne vois pas quoi faire d’autre que d’essayer de le rassurer.

Pour qu’il se sente plus en sécurité, je l’invite à monter dans ma voiture. Avant de prendre place sur le siège conducteur, je prends une couverture qui traine sur ma banquette arrière pour les soirées où je décide de dormir dans ma voiture et je lui tends après avoir pris place à côté de lui. « Si tu as froid… » Je me doute qu’il sera aussi sans doute plus à l’aise de pouvoir se cacher même si sa tenue ne me dérange vraiment pas, je me sentirais ainsi si j’étais à sa place. « Chez moi… Je veux rentrer chez moi. » Téléphone à la main, j’entre son adresse dans mon gps et j’installe celui-ci dans le support pour bien voir la route. Sans plus attendre, je prends la direction de sa demeure, lançant parfois des regards dans sa direction dans l’espoir de lancer la discussion, sans jamais savoir quoi dire… je respecte donc son silence en me disant que nous aurons bien l’occasion devant chez lui. « Merci… Je ne voulais pas te réveiller, mais je ne savais pas à qui m’adresser. Je me sens stupide… Je ne vais pas te retenir plus longtemps. » - « Attends… » Min se tourne pour sortir de ma voiture sans même me regarder, mais ses jambes le lâchent. Je le vois qui passe à deux doigts de s’écrouler et rien que le temps de sortir de mon véhicule et de le contourner pour le rejoindre, le voilà qui éclate en sanglots. Je me masse la nuque nerveusement en l’observant, me sentant impuissant. « Min? Hey... » Je m’approche de lui et je pose maladroitement une main sur son épaule que je caresse du bout des doigts. Le voir dans un tel état de détresse me rend émotif. C’est seulement à ce moment, éclairé par la lumière de l’habitacle, que je remarque le sang sur sa peau. « Viens, je vais t’aider… » La gorge serrée, j’agrippe doucement son bras pour l’inviter à sortir de ma voiture, refermant la portière derrière lui. Je n’ai aucune idée s’il est du genre câlin, mais je ne peux m’empêcher de le prendre dans mes bras lorsqu’il se lève enfin, il a l’air d’en avoir besoin. « Je suis certain que t’as rien fait de mal, ok? Les gens sont horribles… » J’en sais malheureusement quelque chose après des années d’intimidation à l’école et du traumatisme vécu à cause du père d’Angy et de la trahison de son fils. « Je te ramène chez toi, ok? » Quand je sens qu’il s’est un tantinet calmé, je lui rends sa liberté et je l’encourage à ouvrir la marche jusqu’à la porte de sa résidence. Je n’ai pas envie de le laisser seul dans cet état, mais je pense qu’il se sentira mieux dans un lieu où il se sent en sécurité comme sa maison. « Et t’en fais pas… c’est pas grave si tu m’as réveillé. T’as bien fait de m’appeler et je vais te tenir compagnie jusqu’à ce que tu te sentes mieux. Au pire si je suis trop fatigué, mon petit doigt me dit que tu dois avoir du café, je me porte même volontaire pour le faire. Ça te ferait du bien? » Je pose une main dans son dos tandis que mon regard cherche le sien pour lui dire je suis là.

@Lincoln Mulligan

Lincoln n’avait pas à se sentir mal. Dans cette situation, plusieurs ne sauraient pas comment réagir, Min-Kyung le premier. Plus d’une fois, ses amis s’étaient confiés à lui à propos de leurs problèmes amoureux ou familiaux. Parfois ils se plaignaient de leur vie professionnelle et du boulot qui ne leur apportaient pas la satisfaction qu’ils espéraient après avoir étudié des années pour intégrer le domaine. Ce n’était jamais vraiment grave, jamais quelque chose qui les ébranlait si profondément qu’ils n’en voyaient plus l’issue. Un cœur brisé faisait mal sur le coup, mais le temps en venait à bout. Un boulot insatisfaisant pouvait être lâché au profit d’un autre. Parfois c’était simplement la compagnie et sa mentalité qui ne convenaient pas. D’autres fois, l’exploration d’une nouvelle avenue s’imposait avec des résultats inattendus. Un jour, l’une de ses amies les plus proches était venue le voir. Elle traversait une période vraiment difficile et entretenait des pensées sombres qui lui faisaient peur. Min-Kyung l’avait écouté en silence. Il ne savait pas quoi lui dire. Il trouvait sa vie compliquée, mais jamais il n’avait pensé qu’elle n’en valait pas la peine. Cette histoire lui avait appris une leçon importante : parler n’est pas important. La simple présence d’une autre personne qui prend le temps d’écouter sans juger pouvait faire toute la différence. Aujourd’hui, elle allait beaucoup mieux, était fiancée et prévoyait se marier l’année prochaine. Il comprenait comment Lincoln pouvait se sentir, ne pas aimer le silence qui s’étirait entre eux et le désir de le meubler autant que possible, même avec des questions dont la réponse était évidente. Min n’attendait qu’une chose de lui : être là. Il était venu, ne l’avait pas abandonné sur le bord de la route. Déjà, ça valait tout l’or du monde.

À bord de la voiture, Lincoln lui donne une couverture. Elle sent la fumée de cigarette. Normalement, il n’aimait pas cette odeur, tout comme la fumée en général qui lui rappelle les incendies de forêt et leurs petites victimes. Cette fois, elle était étrangement réconfortante. Il s’y enroula, enfouissant son nez dans l’étoffe. Min avait l’étrange sensation qu’il allait s’éparpiller partout d’un moment à l’autre, comme si seule sa peau le gardait en un seul morceau. Il était épuisé, une fatigue différente de tout ce qu’il avait connu dans sa vie. Elle était dans sa tête, mais dans son corps aussi jusque dans ses os. Ses muscles ne lui obéissaient plus. Il voulait dormir en sachant très bien qu’il n’y arriverait pas, sa tête résolue à repasser en boucle les événements de la soirée. Ça ne changerait rien à ce qui était arrivé. Il devait apprendre à vivre avec, maintenant. Malheureusement, alors qu’il pensait être arrivé au bout de ses peines, son corps l’abandonna et il s’écrasa sur le siège passager. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Les derniers vestiges de fierté et d’amour propre qui lui restaient venaient de disparaitre et il pleura. Il pleura pour ce qu’il était et ce qu’il aimerait être. Il pleura parce qu’il avait eu peur et qu’il savait très bien que cette peur allait rester. Il pleura parce qu’il ne pouvait pas se cacher. Quelqu’un savait et il ne pourra pas faire comme si rien n’était arrivé, garder ça pour lui comme pour tant d’autres choses avant. Il n’entendit pas les paroles de Lincoln, mais il sentit une main le prendre par le bras et Min n’opposa aucune résistance. Une fois debout en revanche, Lincoln l’étreignit et son corps se tendit par réflexe. Il n’était pas habitué à ce genre de contact. Normalement, il gardait une certaine distance avec les gens, n’ayant jamais été très physique. Cette fois, il ne le repoussa pas. Son corps finit par se détendre et il agrippa les épaules de Lincoln, enfouissant son visage contre lui. Ils étaient à peu près de la même taille. Ses boucles de cheveux lui effleuraient l’oreille. Il sentait un mélange de cigarettes et de savon. Peu à peu, il se calma. Il arrêta de pleurer et ses tremblements cessèrent enfin. « Je te ramène chez toi, ok? » Sans dire un mot, Min acquiesça et sortit de ses poches ses clefs.

Il n’y avait pas d’ascenseur dans son immeuble. En silence, ils gravirent l’escalier jusqu’à l’étage où se trouvait l’appartement de Min. Il déverrouilla la porte et invita Lincoln à le suivre à l’intérieur. La lumière vive dans l’entrée le fit cligner des yeux. Il retira ses chaussures et enfila des chaussons d’intérieur. « Tu peux prendre ceux-là. » Jamais de chaussure à l’intérieur, c’était la règle. Il fit quelques pas vers le centre de la pièce et se retourna pour faire face à Lincoln. Min avait une mine épouvantable. Pâle, le maquillage autour de ses yeux avait coulé. Il avait du sang sur sa joue et ses paumes lui faisaient mal. Il devra s’en occuper avant que ça s’infecte. « La machine à café sur le comptoir là. Les capsules sont dans le pot juste à côté et les tasses dans l’armoire au-dessus. Je vais aller me changer… » Alors qu’il parlait, une boule de poils orange se dirigea vers lui en trottinant. La chose n’était pas tellement plus grosse que ses pieds et avait la queue droite dans les airs. Le chaton s’arrêta devant lui et miaula. En fait, il hurla pour avoir de l’attention, la voix drôlement éraillée. Le son rappelait plus un klaxon qu’un miaulement et était étonnement fort pour la taille de la créature. Min s’accroupit et caressa le chaton sur la tête qui arqua le dos, ravi de l’attention qu’il recevait. Il se releva. « Je reviens. » N’attendant pas qu’il réponde, il s’enferma dans sa chambre. Le chat sembla surpris de le voir partir aussi rapidement. Il regarda dans la direction où était disparu Min avant de se retourner vers Lincoln, recommençant son manège dans le but d’avoir un peu d’attention, se frôlant contre ses pieds avec enthousiasme.

L’appartement de Min était impeccablement rangé, mais ici et là, il y avait des signes que quelqu’un vivait vraiment là. Sur le comptoir près de l’évier, il y avait la tasse dans laquelle il avait bu juste avant de sortir. Sur la table trainait ce qui ressemblait à une liste de course à faire. Dans le salon, un roman avait été abandonné sur le sofa ainsi qu’un ordinateur portable. Les détails sur la vie de Min se révélaient peu à peu. Aux murs, il y avait des photos. Bien en évidence, il y avait celles prises juste après ses deux marathons où l’on voyait Min épuisé, mais heureux et fier comme jamais. Il y en avait une autre de lui dix ans plus jeunes à sa remise de diplôme avec une jeune femme accrochée à son bras, sa sœur. Tous les deux souriaient d’une oreille à l’autre, débordant de fierté. Près d’eux, leurs parents, souriant aussi, mais plus réservés, comme si partager le bonheur de leurs enfants demandait un effort. Il y avait un autre cliché avec le frère et la sœur, cette fois dans des habits traditionnels coréens. Ailleurs, on voyait Min avec ses amis ou avec d’autres membres de sa famille. Il y avait même un article de journal conservé dans un cadre où l’on voyait Min dans l’action avec sa blouse de vétérinaire et devant lui, sur une table, un koala blessé. L’article parlait des héros venus soigner les animaux sauvages lors des grands incendies de forêt.

Min-Kyung émergea de sa chambre quelques minutes plus tard. Il portait un simple t-shirt gris et un pantalon de pyjama noir. Il regarda Lincoln, un peu gêné. Il était passé à la salle demain et s’était nettoyé le visage et les mains. Il ressemblait de nouveau à un humain bien que ses yeux soient encore un peu rougis par les larmes. « Tu t’en sors avec la machine? » Il savait qu’il devrait tôt ou tard raconter en détail ce qui s’était passé, donner des explications quant à son accoutrement et tout ça, mais pas tout de suite. Il s’approcha de Lincoln, gardant les bras croisés contre sa poitrine pour le regarder manœuvrer la machine à café. Le chat cherchait toujours à avoir leur attention. « Son nom est Saja, en passant. Je l’ai rescapé d’un égout, convaincu qu’elle allait y rester tellement elle était malade. Mais elle est forte. Après je pensais aller la porter à un refuge, mais avant que je comprenne ce qui se passait, j’avais déjà acheté un arbre à chat, des jouets et un bol à nourriture personnalisé… Maintenant je me fais mener par le bout du nez par cette petite dictatrice à quatre pattes. » Il essayait vraiment de garder la conversation sur un ton léger, osant même sourire bien qu’il ne soit pas particulièrement convaincant.

A turning point. -- @Ho Min-Kyung

Pendant une fraction de seconde, je crains que Min tente de se défiler, de rentrer chez lui sans me laisser rentrer en prétextant qu’il n’a pas besoin d’aide. Je me sens soulagé lorsqu’il acquiesce et qu’il me laisse monter avec lui. « Tu peux prendre ceux-là. » - « D’accord. » Je retire mes souliers seulement pour constater que je n’ai même pas pris le temps de mettre mes chaussettes avant de partir. Sans plus attendre, je me dépêche d’enfiler sa paire de chaussons et je le suis tout en lui laissant un peu d’espace pour qu’il ne se sente pas envahi. « La machine à café sur le comptoir là. Les capsules sont dans le pot juste à côté et les tasses dans l’armoire au-dessus. Je vais aller me changer… » - « D’accord. Prends le temps qu’il faut, je nous prépare ça. Tu prends ton café comment? » Noir? Avec du sucre? De la crème ou du lait? Dans le pire des cas, j’attendrai qu’il sorte pour ça, je ne vais quand même pas me mettre à fouiller dans son réfrigérateur et ses armoires pour trouver tout ce qu’il faut. « Je reviens. » Je hoche la tête sans dire un mot, prenant quelques secondes pour observer les différents cadres accrochés au mur. J’aperçois les photos des différents marathons dont il m’a parlés au café, puis d’une femme lui ressemblant que je devine être sa sœur retournée en Corée. On dit qu’une image vaut mille mots et j’ai un peu l’impression de découvrir son monde à travers ces souvenirs qu’il expose dans sa résidence.

Dès que Min-Kyung sort de mon champ de vision, je me dirige vers la cuisine où je sors deux tasses que je pose sur le comptoir avant de prendre les capsules pour faire le café. Les sourcils froncés, je scrute sa machine pour en comprendre le fonctionnement, tentant tant bien que mal d’y insérer les capsules sans succès. À mes pieds, le chat se frotte contre mes jambes tout miaulant si fort que j’ai l’impression de me faire hurler dessus. « Hey, faut pas te moquer, je ne me suis jamais servi d’une machine comme ça le chat, ok? » Sourire aux lèvres, je me penche pour prendre le félin sous un bras, lui gratouillant le crâne de mon autre main. « Tu veux pas m’expliquer comment ça fonctionne? Non? C’est bon, j’ai compris… on n’est jamais mieux servi que par soi-même de toute façon. » Je redépose le chat par terre, puis je me relève non sans lui donner quelques gratouilles de plus. C’est en me mordillant la langue que je tourne la capsule dans tous les sens avant que la voix de Min-Kyung me fasse sursauter. « Tu t’en sors avec la machine? » Alors que je l’aperçois du coin de l’œil, je réussis enfin à placer la capsule à sa place. « Oui, j’ai juste été distrait par ton chat. » Mais bien sûr. Je ris nerveusement. Ce n’est pas ma faute si Tessa déteste le café en capsule, je connais donc plutôt les machines à filtres. « Son nom est Saja, en passant. Je l’ai rescapé d’un égout, convaincu qu’elle allait y rester tellement elle était malade. Mais elle est forte. Après je pensais aller la porter à un refuge, mais avant que je comprenne ce qui se passait, j’avais déjà acheté un arbre à chat, des jouets et un bol à nourriture personnalisé… Maintenant je me fais mener par le bout du nez par cette petite dictatrice à quatre pattes. » Le dos appuyé contre le comptoir, les mains posées sur celui-ci, je fixe le chat avec tendresse. « Elle a l’air en pleine forme en tout cas. Comment ne pas craquer? Chaque fois que j’allais au refuge avec Tessa pour du bénévolat, je passais à deux doigts de revenir avec une bête… puis mon horaire chargé me ramenait à la raison. » Entre Byron, mes études et mon travail, je n’avais pas beaucoup de temps à consacrer à un animal, déjà que je m’occupe d’Hemingway quand Tessa n’est pas là. « Elle est chanceuse d’être tombée sur toi en tout cas, je suis certain que t’as été aux petits oignons avec elle. » Parce que c’est un vétérinaire, mais aussi parce qu’il a l’air de bien prendre soin de ce qui compte pour lui. Lorsque la première tasse est enfin pleine, je les interchange, puis je me retourne vers lui. « Tu veux… parler de ce qu’il s’est passé ce soir? » Je comprendrais que non, on ne se parle pas depuis très longtemps après tout, mais ça m’a l’air assez grave pour ne pas prendre ça à la légère en faisant comme si rien ne s’était passé. Peut-être qu’il est plus du genre à avoir besoin de solitude pour vivre ses émotions, mais il avait l’air d’avoir besoin d’une oreille attentive pour l’écouter l’autre jour au café et je n’ai pas envie de le laisser seul ce soir dans l’état où il se trouve. Son visage est peut-être nettoyé, ses vêtements changés, ça n’efface pas la douleur psychologique qu’il peut ressentir et je suis bien placé pour le savoir. « Je ne suis pas ici pour te juger… » Ma voix est douce et mon regard compatissant tandis que je lui tends une tasse remplie de café réconfortant. « Et je le pense quand je te dis que je suis content que tu m’aies appelé. On est là pour s’entraider. » Même si Tessa est toujours là pour moi, ce serait mentir de dire que je ne me sens jamais seul parce qu’il y a certains aspects de ma vie qu’elle ne peut pas comprendre comme elle ne les vivra jamais elle-même. Peut-être que Min-Kyung n’a pas prononcé certains mots, il n’a pas besoin, je les ai compris dans sa manière d’être, dans ses non-dits de notre dernière rencontre. Ça m’a pris tellement de temps pour être capable de parler de mon homosexualité ouvertement, et encore, je veux qu’il sache qu’il a un allié là-dedans. Mon regard posé sur lui, je prends ma tasse et j’attends de voir s’il préfère aller au salon ou à la table pour s’asseoir.

@Lincoln Mulligan

« Tu veux… parler de ce qu’il s’est passé ce soir? » Le faible sourire qu’il avait sur les lèvres disparut. Min-Kyung attendait cette question, évidemment, mais il aurait préféré qu’elle ne vienne pas. En silence, il ouvrit le frigo et en sortit le carton de boisson d’avoine qu’il utilisait pour mettre dans son café. Il en versa un peu dans sa tasse et le laissa sur le comptoir pour que Lincoln puisse se servir à son tour s’il le voulait. Il n’y avait pas de lait de vache dans cet appartement pour la simple et bonne raison qu’il était intolérant au lactose de toute façon. « Je ne suis pas ici pour te juger… » Min acquiesça d’un signe de tête. « Je sais… » Sa gorge se nouait à nouveau, rendant difficile de parler. « Et je le pense quand je te dis que je suis content que tu m’aies appelé. On est là pour s’entraider. » Et Min était heureux qu’il ait répondu à l’appel, car il serait sans doute encore sous se lampadaire sans savoir quoi faire.

La tasse fut éventuellement prête et Min n’avait toujours pas commencé à parler. Il ne savait pas par où commencer. C’était le fouillis dans sa tête. Sa tasse de café à la main, Min passa au salon où il alluma une lampe. Il éteignit ensuite les autres lumières, plongeant ainsi l’appartement dans la pénombre. Il s’installa sur le sofa et invita Lincoln a faire la même chose. Il avait préalablement enlevé le livre et l’ordinateur qui y traînait. Ils auraient pu s’installer à la table de la cuisine, mais Min voulait être confortable, surtout parce qu’il savait qu’à l’instant où il commencerait à parler, il n’arrêterait plus. Saja les suivit et elle se coucha sur Min, en ronronnant comme un petit moteur. Il sourit et commença à la flatter, concentrant son attention sur elle plutôt que sur Lincoln bien que ce soit à lui qu’il s’adressât lorsqu’il ouvrit enfin la bouche.

« Je ne sais plus si c’est à toi que j’ai dit ça, mais il me semble avoir mentionné que la raison pour laquelle j’avais choisi la médecine vétérinaire, c’était parce que les animaux sont plus faciles à gérer que les humains. Ce n’est pas la seule raison, évidemment, mais ce que je trouve le plus fascinant chez eux, c’est le fait qu’ils ne nous jugent pas. On a parfois l’impression du contraire, mais la vérité, c’est qu’ils n’en ont rien à faire de notre apparence, de la façon dont on s’exprime ou de la personne que l’on aime. Ils nous acceptent tels que nous sommes. Ils peuvent nous craindre dans certains cas, mais ils ne vont pas nous rejeter ou nous dénigrer simplement parce que l’on est différent contrairement à l’humain qui est si prompt à le faire. On n’aime pas ce qui est différent. » Il marqua une pause, le regard toujours sur la petite chatte dont les yeux se fermaient sous l’effet des caresses de Min. Il soupira une fois, deux fois et puis une troisième fois. « Je suis gay », lâcha-t-il enfin au prix d’un effort herculéen contre lui-même. Il n’aurait jamais cru que le jour viendrait où il aurait le courage de le dire enfin. Il avait l’impression que le sol venait de s’ouvrir sous ses pieds et qu’il tombait de très haut. « Je ne l’ai jamais dit de vive voix, parce que le dire rendrait la chose vraie, tu vois? Ç’a toujours été vrai, pourtant. Je suis gay, je suis attiré par les hommes et je donnerais tout ce que j’ai, tout ce que je suis pour que ça ne soit pas le cas, mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. » Des larmes lui montaient aux yeux et il les essuya discrètement. Il ne voulait pas pleurer. Il l’avait déjà suffisamment fait comme ça, mais les émotions sont difficiles à contrôler, surtout quand l’on est fatigué et légèrement ivre comme lui.

« Ce qui est arrivé ce soir, c’est simple. Je voulais… de la compagnie. » Cette fois, il osa un regard en coin à Lincoln. Il n’allait pas s’étendre sur le sujet. Il était assez vieux et assez intelligent pour comprendre ce que Min entendait par vouloir de la compagnie. « Je suis donc allé dans un club. Ça explique les vêtements que j’avais sur le dos. J’ai commencé à boire et je suis allé sur la piste de danse, puis ce gars est apparu de nulle part. Il me plaisait, alors on a commencé à discuter et j’ai bu encore plus. Je ne me suis pas méfié, j’aurais dû faire attention et ne pas boire autant en compagnie d’un inconnu. À savoir, il y a eu plein de signaux d’alarme que je n’ai pas vus parce que j’ai été trop stupide pour y faire attention. Il a fini par m’inviter à le suivre, ce que j’ai accepté. On est monté dans sa voiture et c’est là que le cauchemar a commencé. Il ne m’a pas touché, non… Il a commencé à conduire comme un malade. Il a grillé des feux rouges, il roulait très vite en multipliant les manœuvres dangereuses. Pendant ce temps-là, il m’injuriait et m’accusait de tous les maux du monde. Je ne me souviens plus exactement de tout ce qu’il a dit, mais si je devais résumer ça en quelques mots, disons simplement que je suis responsable de tout ce qui va mal sur cette planète, que je ne devrais pas exister et que quelqu’un devrait rendre service au reste du monde en me tuant. » Min ferma les yeux. Il entendait les crissements de pneu de la voiture, la voix de l’homme qui hurlait si fort qu’il lui postillonnait dessus. « Je ne sais pas combien de temps ça a duré exactement, mais il a fini par arrêter la voiture et m’a dit de sortir. J’ai trébuché et je suis tombé sur le sol, me blessant les mains. Il a tout de suite écrasé la pédale d’accélérateur. J’ai cru qu’il allait mettre sa menace à exécution et qu’il allait me rouler sur le corps. J’ai essayé de me protéger comme j’ai pu, mais il est parti. Après ça, je t’ai appelé. »Il regarda Lincoln, cette fois directement. Maintenant que le chat était sorti du sac, il trouvait plus facile de l’affronter même s’il était encore terriblement gêné par ce qui était arrivé. « Je ne savais pas quoi faire. Je ne comprenais pas… Tu as dit que les gens sont horribles… c’est vrai. Tout ça parce que je ne voulais pas être seul pendant quelques heures, parce que la personne avec qui j’avais envie d’être n’était pas une femme, mais un homme. » Il but une gorgé de café. Il n’y avait toujours pas touché, peut-être parce qu’il savait que c’était une mauvaise idée que d’en boire un à deux heures du matin et qu’il ne dormira pas du reste de la nuit même s’il savait qu’il ne pourrait pas dormir de toute façon. « Ce que je viens de te dire, personne ne le sait. Absolument personne, pas même mes amis les plus proches, ceux que je connais depuis mon enfance. Je suis doué pour faire semblant d’être ce que je ne suis pas, mais avec toi… » Il laissa sa phrase en suspend regardant plutôt Saja qui s’était endormis.

A turning point. -- @Ho Min-Kyung

Patiemment, j’attends que Min-Kyung termine avec le lait d’avoine pour en verser un peu dans ma tasse, le suivant ensuite jusqu’au salon quelques pas derrière pour ne pas trop envahir son espace corporel. C’est seulement lorsqu’il m’invite à m’asseoir d’un signe de la main que je m’exécute prudemment pour ne pas renverser de café. Je l’observe attentivement en portant ma tasse à mes lèvres pour en prendre une première gorgée. Ça prend tout mon petit change pour ne pas me mettre à parler pour combler ce silence qui me rend mal à l’aise, mais je réussis, conscient que je ne dois pas le brusquer dans l’espoir qu’il s’ouvre enfin quand il se sentira prêt. Et il le fait. « Je ne sais plus si c’est à toi que j’ai dit ça, mais il me semble avoir mentionné que la raison pour laquelle j’avais choisi la médecine vétérinaire, c’était parce que les animaux sont plus faciles à gérer que les humains. Ce n’est pas la seule raison, évidemment, mais ce que je trouve le plus fascinant chez eux, c’est le fait qu’ils ne nous jugent pas. On a parfois l’impression du contraire, mais la vérité, c’est qu’ils n’en ont rien à faire de notre apparence, de la façon dont on s’exprime ou de la personne que l’on aime. Ils nous acceptent tels que nous sommes. Ils peuvent nous craindre dans certains cas, mais ils ne vont pas nous rejeter ou nous dénigrer simplement parce que l’on est différent contrairement à l’humain qui est si prompt à le faire. On n’aime pas ce qui est différent. » Pendant un instant, l’esquisse d’un sourire apparait au coin de mes lèvres tandis que je pense à Hemingway qui fait le fou lorsque je rentre d’une longue journée d’école et de travail alors que ce n’est techniquement pas mon chien. Que je sois propre ou que j’empeste la cigarette, les mains pleines de cambouis, sa réaction est toujours la même, comme si j’étais la plus belle chose au monde pour lui. Les humains, par contre, ne sont pas comme ça. « Je suis gay. » Un sourire compatissant étire mes lèvres même s’il ne me regarde pas. Je sais à quel point prononcer ces trois mots peut être difficile, n’ayant fait mon coming out que récemment, et encore, je suis incapable de vivre mon homosexualité pleinement en public. « Moi aussi, je suis gay. » Je me doute qu’il l’a compris et je ne dis surtout pas ça pour le couper dans son élan, seulement pour lui dire que je comprends. Même si on ne se connait pas tant que ça, je suis fier de lui. C’est une grosse étape qu’il vient de franchir là. « Je ne l’ai jamais dit de vive voix, parce que le dire rendrait la chose vraie, tu vois? Ç’a toujours été vrai, pourtant. Je suis gay, je suis attiré par les hommes et je donnerais tout ce que j’ai, tout ce que je suis pour que ça ne soit pas le cas, mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. » Ce n’était pas la suite à laquelle je m’attendais, mais je peux me mettre à sa place sans difficulté quand j’ai été en couple avec Sixtine dans l’espoir qu’en plus de notre connexion, des sentiments amoureux suivraient. Parce que je voulais juste être normal, ne pas risquer revivre la même chose qu’avec le père d’Andy. « J’ai essayé d’être en couple avec une fille en espérant m’être trompé, que les filles me plairaient aussi, mais comme tu dis, ce n’est pas comme ça que fonctionne. À part lui faire de la peine, ça ne m’a rien apporté. Ça ne sert pas à grand-chose de faire semblant… » Je me suis trompé, oui, mais pas de la façon que je l’aurais voulu.

« Ce qui est arrivé ce soir, c’est simple. Je voulais… de la compagnie. » Sans dire un mot, j’acquiesce d’un hochement de tête. Il n’a pas besoin de donner davantage de détails, je comprends très bien où il veut en venir. Peut-être qu’il ne le voit pas parce qu’il se sent honteux et ridicule présentement, mais je le trouve courageux d’avoir été capable de se rendre disponible pour un autre homme. Malgré toute l’envie que je peux ressentir de rencontrer quelqu’un, je suis incapable de faire abstraction de mon passé et ma naïveté envolée m’empêche de sortir pour rencontrer d’autres hommes. Le proverbe « Mieux vaut être seul que mal accompagné » n’a jamais fait autant de sens. « Je suis donc allé dans un club. Ça explique les vêtements que j’avais sur le dos. J’ai commencé à boire et je suis allé sur la piste de danse, puis ce gars est apparu de nulle part. Il me plaisait, alors on a commencé à discuter et j’ai bu encore plus. Je ne me suis pas méfié, j’aurais dû faire attention et ne pas boire autant en compagnie d’un inconnu. À savoir, il y a eu plein de signaux d’alarme que je n’ai pas vus parce que j’ai été trop stupide pour y faire attention. Il a fini par m’inviter à le suivre, ce que j’ai accepté. On est monté dans sa voiture et c’est là que le cauchemar a commencé. Il ne m’a pas touché, non… Il a commencé à conduire comme un malade. Il a grillé des feux rouges, il roulait très vite en multipliant les manœuvres dangereuses. Pendant ce temps-là, il m’injuriait et m’accusait de tous les maux du monde. Je ne me souviens plus exactement de tout ce qu’il a dit, mais si je devais résumer ça en quelques mots, disons simplement que je suis responsable de tout ce qui va mal sur cette planète, que je ne devrais pas exister et que quelqu’un devrait rendre service au reste du monde en me tuant. » Plus Min-Kyung avance dans son récit, moins je me sens bien. J’ai le souffle coupé comme si ma gorge est prise dans un étau. Une fois de plus, je repense à Andy et à son père, à la honte, la douleur et la peur que j’ai ressenties à ce moment-là. Il m’a fallu quinze ans pour passer par-dessus cette histoire et laisser la chance à quelqu’un d’autre, comment passer par-dessus un traumatisme comme il vient de vivre? Comment se mettre sur le marché avec la peur au ventre de tomber sur la mauvaise personne? Je pensais enfin avoir commencé à cheminer, à aller dans la bonne direction pour m’accepter comme je suis, mais la vérité c’est que j’ai peur pour ma vie… et tout ça parce qu’une poignée de personnes non concernées sont incapables d’accepter que je puisse aimer et désirer quelqu’un du même sexe. À cause d’eux, je ne pourrai jamais être complètement heureux parce que ça aurait pu être moi à la place de Min ce soir. « Je ne sais pas combien de temps ça a duré exactement, mais il a fini par arrêter la voiture et m’a dit de sortir. J’ai trébuché et je suis tombé sur le sol, me blessant les mains. Il a tout de suite écrasé la pédale d’accélérateur. J’ai cru qu’il allait mettre sa menace à exécution et qu’il allait me rouler sur le corps. J’ai essayé de me protéger comme j’ai pu, mais il est parti. Après ça, je t’ai appelé. » Les sourcils froncés, je le fixe sans être capable de prononcer le moindre mot, le regard voilé. J’ai mal pour lui et je suis en colère contre la vie, contre ces imbéciles qui se croient tout permis. En espérant changer le mal de place, je prends une grosse gorgée de café brulant, les mains tremblantes. « Je ne savais pas quoi faire. Je ne comprenais pas… Tu as dit que les gens sont horribles… c’est vrai. Tout ça parce que je ne voulais pas être seul pendant quelques heures, parce que la personne avec qui j’avais envie d’être n’était pas une femme, mais un homme. Ce que je viens de te dire, personne ne le sait. Absolument personne, pas même mes amis les plus proches, ceux que je connais depuis mon enfance. Je suis doué pour faire semblant d’être ce que je ne suis pas, mais avec toi… » Je me racle la gorge en déposant ma tasse de café sur la table basse pour me libérer les mains, essuyant le coin de mes yeux avant que les larmes ne roulent sur mes joues. « Hm excuse-moi… » Je prends mon temps pour reprendre le contrôle de mes émotions malgré le silence qui règne dans la pièce. Je renifle un bon coup, puis je prends une grande inspiration en me tournant vers Min pour lui faire face. « Je ne peux pas croire qu’en 2023 des choses comme ça arrivent encore… » Finalement rien n’a changé dans les quinze dernières années. « Je ne sais pas quoi dire… je suis vraiment désolé que tu aies eu à vivre ça… » J’ai envie de le rassurer en lui disant que ce n’est pas tout le monde qui réagit ainsi, que ce n’est qu’une minorité quand mes proches me soutiennent depuis qu’ils savent, mais à quoi bon quand un imbécile peut littéralement mettre notre vie en danger quand on s’y attend le moins? « T’aurais pas dû avoir à te méfier, ce n’est pas ta faute. » Parce que je l’entends dans ses non-dits qu’il se flagelle, qu’il s’accuse de ne pas avoir vu que l’homme en question était un danger pour lui. Et je le comprends parce que je fais la même chose quand j’ai une mauvaise expérience, je culpabilise de m’être fait avoir quand c’est la personne en face qui devrait être pointée du doigt. « C’est très… courageux de ta part d’être sorti et d’avoir été vers quelqu’un. Tu peux être fier. » La réaction de l’autre imbécile ne lui appartient pas. « Je suis tellement fatigué de tout ça… » lâché-je dans un soupir en passant mes mains dans mon visage, puis dans ma chevelure bouclée. J’aimerais pouvoir vivre une vie amoureuse normale comme Tessa, sans me poser de questions, sans craindre pour ma sécurité. Je ne sais même plus si c’est raisonnable d’espérer rencontrer ma personne. Ce n’est pas vraiment étonnant en voyant tout ça que je ne me sois jamais vraiment arrêté pour me demander si je veux des enfants. Pourquoi avoir un enfant si c’est pour l’exposer à toute cette haine à l’égard de ses parents? « Tu penses que tes proches réagiraient mal? Qu’ils ne s’en doutent pas? » Je me rends compte de ce que mes mots peuvent laisser comprendre, je secoue ma main pour me reprendre. « Pas que ça se voit au premier coup d’œil… mais si t’es pas du genre à leur présenter des femmes, peut-être… je ne sais pas… Je l’ai dit à ma famille ces dernières années, ce n’était pas un gros choc pour eux disons. » Considérant qu’ils étaient au courant que j’avais fréquenté un garçon à l’adolescence, ils s’en doutaient pas mal, mais quand même, j’aurais pu être attiré par les femmes aussi. « C’est toujours plus facile d’en parler à quelqu’un qui comprend… » Parce que j’assume que c’est à cause de mon homosexualité qu’il arrive à être lui-même en ma présence. « Tu sais, t’es le premier « inconnu » à qui je parle de mes relations passées sans essayer de faire passer Byron pour une fille… Tu m’inspirais confiance. » Même si, clairement, j’ai tendance à faire confiance aux mauvaises personnes, je l’ai appris au fil du temps. « Comment tu te sens? Tu… penses porter plainte? » demandé-je à voix basse en caressant nerveusement mon avant-bras. Je me doute qu’il répondra négativement parce que porter plainte lui demanderait de s’afficher au poste de police, mais je lui demande quand même au cas où il aurait besoin de soutien dans le processus si jamais il déciderait de le faire.

@Lincoln Mulligan

Min-Kyung n’imaginait pas que son récit puisse affecter Lincoln à ce point. Il parlait sans lui prêter attention, son regard sur le chat, parce que c’était plus facile ainsi que de le regarder dans les yeux et risquer d’y voir du jugement. Mais alors qu’il parlait, il l’entendit renifler et Min tourna la tête dans sa direction. Dans la pénombre, il vit des larmes dans ses yeux, accrochés à ses cils avant de glisser sur ses joues. « Ne pleure pas », dit-il soudainement, bouleversé de le voir ainsi. « Je devrais être celui qui pleure. » En disant cela, il commença à pleurer lui aussi et il ne savait plus s’il pleurait à cause de l’incident ou parce qu’il voyait Lincoln se mettre dans tous ses états. « Attends… » Il déposa la tasse de café sur la table et Saja sauta de sur ses cuisses alors que Min se levait pour revenir un instant plus tard avec une boîte de mouchoir. « J’aurais dû y penser avant ». Il en prit un pour lui-même et attendit que Lincoln retrouve son calme. « Je ne peux pas croire qu’en 2023 des choses comme ça arrivent encore… » Min avait la conviction que ça ne disparaîtra jamais complètement. On pouvait éduquer les gens, mais il y en aura toujours qui choisiront de ne pas l’accepter. Cela étant, on pouvait toujours être en désaccord avec quelque chose, mais quand même respectueux et ça, Min pouvait vivre avec. « Je ne sais pas quoi dire… je suis vraiment désolé que tu aies eu à vivre ça… » « Il n’y a rien à dire, je crois. » Il haussa les épaules. « Ça arrive, c’est tout. Des femmes se font agresser tous les jours justes parce que ce sont des femmes. Ce n’est pas différent de ce qui m’est arrivé. C’est la haine de l’autre… »

Le café était bon, mais il ressentait le besoin de boire quelque chose de plus fort. En fait, s’il s’écoutait, Min boirait jusqu’à en devenir stupide. Il pourrait alors faire n’importe quoi et mettre ça sur le compte de l’alcool plutôt que de ses choix personnels. En même temps, il savait que c’était une mauvaise idée et que, surtout, ça ne changerait absolument rien sauf lui donner une énorme gueule de bois. Il n’avait plus 20 ans. Une gueule de bois à son âge faisait nettement plus mal. « T’aurais pas dû avoir à te méfier, ce n’est pas ta faute. » Min sourit tristement. « Peut-être, mais toi et moi nous savons que c’est un risque. Par conséquent, on doit faire attention. C’est triste, ça ne devrait pas être comme ça, mais ça n’en reste pas moins la réalité… Notre réalité. » En même temps, Min ne voulait pas laisser cette histoire entacher le restant de sa vie. Il refusait d’avoir peur, mais entre vouloir quelque chose et vraiment le faire… Il avait craint de mourir. Cette sensation, elle touche quelque chose d’absolument fondamental, un instinct commun à toutes les créatures vivantes. C’était normal d’en ressortir fortement ébranlé. « C’est très… courageux de ta part d’être sorti et d’avoir été vers quelqu’un. Tu peux être fier. » Il s’esclaffa, bien qu’il ne soit pas vraiment amusé. Il était sorti, parce qu’il voulait du sexe. Il ne voyait pas ce qu’il y avait de courageux là-dedans. « Je ne veux pas être seul et je veux avoir du plaisir à être avec quelqu’un. J’aurais pu aborder une femme. J’ai fréquenté des filles par le passé, mais je n’en retire aucun plaisir. Je peux être au lit avec elle, mais ce n’est pas agréable, ça devient une tâche et aucune femme ne mérite d’être traité de la sorte. » Le plus triste, c’est qu’il l’a réalisé après l’avoir fait. Non, Min n’était pas si courageux que ça.

Il s’étira pour reprendre sa tasse de café qui commençait déjà à refroidir. « Tu penses que tes proches réagiraient mal? Qu’ils ne s’en doutent pas? » Min le regarda du coin de l’œil. « Pas que ça se voit au premier coup d’œil… mais si t’es pas du genre à leur présenter des femmes, peut-être… je ne sais pas… Je l’ai dit à ma famille ces dernières années, ce n’était pas un gros choc pour eux disons. » Min-kyung s’esclaffa une fois de plus. « Les vêtements que je portais tout à l’heure ne t’auraient pas mis à puce à l’oreille si, disons, tu m’avais croisé dans la rue sans me connaître? » Min haussa un sourcil. « C’est là tout le problème, ma famille. Ils ne savent pas et ils ne doivent jamais le savoir. » Il avait parlé comme si c’était sans appel ou plutôt, comme s’il n’avait aucune autre option. « Dans la culture coréenne, l’homosexualité est mal acceptée. Les choses changent, mais les mentalités sont difficiles à changer, surtout dans les régions plus éloignées. Dans mon cas, je suis le seul fils de la famille, il est de mon devoir de perpétuer le sang des Ho. Là, je répète les paroles de mon père. Il m’a dit ça quand j’ai eu 25 ans et que j’étais toujours célibataire. Vois-tu, c’est à cet âge que ma mère a accouché de moi. J’avais l’excuse d’être encore à l’université, donc ils n’ont pas trop insisté, mais j’ai fini par terminer l’école et je ne leur présentais toujours pas de fille. Ils n’ont jamais pensé que je puisse être homosexuel. Comme je t’ai dit, je suis leur seul fils, dans leur esprit, c’est impossible que je le sois. Ils ont fini par prendre la situation en main et à faire comme tout bon parent ferait : ils m’ont présenté des filles. » Il fit une pause, laissant à Lincoln le temps d’assimiler ce qu’il était en train de lui dire. « Ils ont fait le tour de leur groupe d’amis et ont choisi celles qu’ils trouvaient acceptables. S’il y en avait une, ils organisaient un repas en l’invitant elle et sa famille pour qu’on fasse connaissance. J’aimerais dire que c’est une blague, mais c’est très sérieux. Le dernier rendez-vous que j’ai eu, elle avait 22 ans alors que j’en ai 35. J’en pouvais plus, je suis parti. J’ai déménagé ici afin d’y échapper. Quelqu’un de normalement constitué dirait non, mais j’en suis incapable apparemment. Je ne veux pas les décevoir. Je sais qu’en faisant mon coming out, ils vont être dévastés. Ils ne voudront plus me parler, ça va briser la famille. Et si le reste de la famille l’apprend, ils vont être ostracisés aussi. Ils vont penser qu’ils m’ont mal élevé, que je suis déviant parce qu’ils le sont aussi. Ça reste, mes parents… Je ne peux pas leur faire subir ça… » Il sentit les larmes monter à nouveau. Ce n’était pas nécessairement l’homosexualité qui lui posait un problème, mais la perception que ses parents en avaient. Avec une famille plus ouverte d’esprit, les choses auraient été très différentes.

« Tu sais, t’es le premier “inconnu” à qui je parle de mes relations passées sans essayer de faire passer Byron pour une fille… Tu m’inspirais confiance. » « Et tu es le premier à qui je dis tout ça. Je suppose que ça nous met sur un pied d’égalité. » Min ressentait la fatigue, mais le café faisait son effet. Il avait mal partout aussi, des courbatures comme après un entraînement intense. « Comment tu te sens? Tu… penses porter plainte? » Min leva les yeux vers lui. Cette question faisait écho à celle qu’il avait posée lorsqu’ils avaient vu un café ensemble quelques semaines plus tôt. « Pas très bien, mais ça ira. Je n’ai pas l’intention de porter plainte. Ça ne donnera rien de toute façon. Cela dit, je refuse de vivre dans la peur. Je ne sais pas ce que je vais faire. Honnêtement, j’en sais rien. J’aimerais qu’il y ait une solution magique… » Devant lui, Lincoln semblait nerveux. Au fond, il n’était pas tellement mieux que lui. Malgré tout, il lui avait dit toutes ces choses. Il s’était ouvert, il lui faisait confiance même si c’était difficile pour lui. « Ça finira bien par aller, un jour. Je sais cependant que je ne pourrai pas tout avoir… » Il tendit la main et prit celle de Lincoln dans la sienne qu’il serra doucement. « Merci d’être là. »

A turning point. -- @Ho Min-Kyung

J’aimerais être assez fort pour l’écouter et lui remonter le moral sans m’écrouler à côté, mais ma trop grande sensibilité m’en empêche. Ce qu’il a vécu me touche profondément sur beaucoup trop de niveaux pour que je n’en sois pas affecté. « Ne pleure pas. Je devrais être celui qui pleure. » Un petit rire nerveux m’échappe entre deux pleurs tandis que je continue d’essuyer mes yeux dont les larmes ne cessent de s’échapper. « Je sais… Ça me rend juste triste toute cette violence quand tout ce qu’on veut c’est être aimé comme n’importe qui. Je ne te connais pas beaucoup, mais tu m’as l’air d’être quelqu’un de bien, tu ne méritais pas ça. » dis-je d’une voix tremblante, une boule dans la gorge. Le voir pleurer de nouveau ne fait que me déchirer le cœur un peu plus. « Ça me rappelle de mauvais souvenirs… Je sais que je ne suis pas à l’abri d’une agression et ça me fait peur pour l’avenir. » La peur du jugement m’a toujours empêché de m’afficher publiquement et ce que Min a vécu cette nuit me confirme qu’il vaut probablement mieux que je continue de garder ma vie privée cachée des gens que je ne connais pas. Est-ce que c’est vraiment le genre de vie que je souhaite, cependant? Pas vraiment et ça risque d’être compliqué de faire des rencontres si je reste caché entre les quatre murs de ma chambre. Je pourrais sans doute rencontrer quelqu’un en ligne comme je l’ai fait avec Andy dans le temps, mais là encore je n’ai aucune confirmation que les intentions de l’autre personne seraient sincères. « Attends… » Pendant que Min part chercher une boîte de mouchoirs, je tire sur le col de mon t-shirt que je redresse par-dessus ma tête le temps de m’essuyer les yeux. « J’aurais dû y penser avant » - « T’avais autre chose à penser. Je suis supposé être là pour t’épauler, regarde-moi… » Je me décourage. Je tends un bras pour prendre un mouchoir et me moucher. « Il n’y a rien à dire, je crois. Ça arrive, c’est tout. Des femmes se font agresser tous les jours justes parce que ce sont des femmes. Ce n’est pas différent de ce qui m’est arrivé. C’est la haine de l’autre… » Je hausse les épaules, le regard rempli de tristesse. « Ça ne devrait pas arriver. » Et surtout, ces agressions ne devaient pas être banalisées, au contraire, beaucoup de sensibilisation devait être faite. L’homosexualité n’était pas une déviance, même si certaines personnes semblaient le croire.

Avec beaucoup d’efforts, je réussis à reprendre le contrôle sur mes émotions, à me calmer pour être plus présent pour Min qui a vécu quelque chose de terrible ces dernières heures. « Peut-être, mais toi et moi nous savons que c’est un risque. Par conséquent, on doit faire attention. C’est triste, ça ne devrait pas être comme ça, mais ça n’en reste pas moins la réalité… Notre réalité. » Est-ce réaliste d’être dans un état d’hypervigilance à chaque nouvelle rencontre, analysant ainsi le moindre geste et la moindre parole de l’autre par crainte se faire agresser? Comment se laisser aller dans la séduction en vivant ainsi? « J’ai rencontré mon ex dans un bar, je ne me suis jamais méfié… » Ça aurait pu m’arriver si Byron avait eu de mauvaises intentions, quoique je l’avais planté là en paniquant lorsque ses mains avaient commencé à se faire un peu trop baladeuses, seulement pour le revoir plusieurs années plus tard à ma fête d’anniversaire parce qu’il connaissait ma meilleure amie. Aujourd’hui, sachant ce que je sais, je ne vois pas comment je pourrais être tenté de répéter l’expérience de rencontrer quelqu’un dans un bar. En vérité, je ne vois pas du tout comment m’y prendre pour faire de nouvelles rencontres, craignant même que des imbéciles soient tentés de créer de faux profils sur une application de rencontre pour les gays. « Je ne veux pas être seul et je veux avoir du plaisir à être avec quelqu’un. J’aurais pu aborder une femme. J’ai fréquenté des filles par le passé, mais je n’en retire aucun plaisir. Je peux être au lit avec elle, mais ce n’est pas agréable, ça devient une tâche et aucune femme ne mérite d’être traitée de la sorte. » Surpris de l’entendre rire, je hoche toutefois la tête, d’accord avec ses propos. « Je suis d’accord avec toi, ça me fait halluciner quand j’en vois qui fondent une famille avec une femme qui n’a rien demandé. Ça ne peut que mal finir... » Évidemment, je pense à Andy en disant ça. À moins qu’il ne compte mentir jusqu’à sa mort, sa femme et ses enfants souffriront assurément de son mensonge lorsque la vérité sortira. Je me sens mal pour eux.

Min rit encore et j’en viens à la conclusion que son cerveau doit tenter tant bien que mal de le protéger du traumatisme de son agression. Il est dans le déni de ce qu’il s’est passé et ce n’est qu’une question de temps avant que tout ne lui explose à la figure. Qui suis-je pour mettre l’emphase sur sa souffrance, sur ce qu’il a vécu et sur la façon dont il risque de se sentir ces prochains jours, voire ces prochaines semaines ou même ces prochains mois? « Les vêtements que je portais tout à l’heure ne t’auraient pas mis à puce à l’oreille si, disons, tu m’avais croisé dans la rue sans me connaître? » La tête légèrement inclinée, je hoche la tête. « Oui, on s’entend, mais Min-Kyung le vétérinaire ne s’habille pas comme ça en plein jour, je me trompe? » Je ne l’ai jamais vu habillé ainsi que ce soit à la clinique ou même au centre commercial le fameux jour où nos routes se soient croisées. « C’est là tout le problème, ma famille. Ils ne savent pas et ils ne doivent jamais le savoir. » Je hoche la tête en silence, me pinçant les lèvres pour me retenir de dire ce que je pense. Encore un homme qui préfère faire semblant pour faire plaisir à ses parents, comme Andy. Ils m’exaspèrent. En faisant de la sorte, ils ne pourront jamais être épanouis dans une relation et c’est bien dommage. « Dans la culture coréenne, l’homosexualité est mal acceptée. Les choses changent, mais les mentalités sont difficiles à changer, surtout dans les régions plus éloignées. Dans mon cas, je suis le seul fils de la famille, il est de mon devoir de perpétuer le sang des Ho. Là, je répète les paroles de mon père. Il m’a dit ça quand j’ai eu 25 ans et que j’étais toujours célibataire. Vois-tu, c’est à cet âge que ma mère a accouché de moi. J’avais l’excuse d’être encore à l’université, donc ils n’ont pas trop insisté, mais j’ai fini par terminer l’école et je ne leur présentais toujours pas de fille. Ils n’ont jamais pensé que je puisse être homosexuel. Comme je t’ai dit, je suis leur seul fils, dans leur esprit, c’est impossible que je le sois. Ils ont fini par prendre la situation en main et à faire comme tout bon parent ferait : ils m’ont présenté des filles. Ils ont fait le tour de leur groupe d’amis et ont choisi celles qu’ils trouvaient acceptables. S’il y en avait une, ils organisaient un repas en l’invitant elle et sa famille pour qu’on fasse connaissance. J’aimerais dire que c’est une blague, mais c’est très sérieux. Le dernier rendez-vous que j’ai eu, elle avait 22 ans alors que j’en ai 35. J’en pouvais plus, je suis parti. J’ai déménagé ici afin d’y échapper. Quelqu’un de normalement constitué dirait non, mais j’en suis incapable apparemment. Je ne veux pas les décevoir. Je sais qu’en faisant mon coming out, ils vont être dévastés. Ils ne voudront plus me parler, ça va briser la famille. Et si le reste de la famille l’apprend, ils vont être ostracisés aussi. Ils vont penser qu’ils m’ont mal élevé, que je suis déviant parce qu’ils le sont aussi. Ça reste, mes parents… Je ne peux pas leur faire subir ça… » Je ne suis pas d’accord avec cette mentalité, celle de devoir sacrifier son bonheur parce qu’on doit la vie à ses parents, mais Min-Kyung et moi ne nous connaissons pas assez pour que je lui fasse part de mon avis sur le sujet, je me contente donc de hocher la tête. « Je suis désolé que ton background familial ne te permette pas d’être toi-même. » réponds-je avec un sourire compatissant.

« Et tu es le premier à qui je dis tout ça. Je suppose que ça nous met sur un pied d’égalité. » Je lui souris, content malgré tout d’avoir trouvé quelqu’un avec qui échanger sur les difficultés reliées à l’homosexualité. J’aurais préféré que ça se fasse différemment qu’à cause d’une agression en pleine nuit, mais avoir quelqu’un dans mon entourage qui comprend ce que je peux vivre me fait du bien. J’espère que lui aussi, ça lui fait du bien. Je le questionne d’ailleurs sur la façon dont il se sent. « Pas très bien, mais ça ira. Je n’ai pas l’intention de porter plainte. Ça ne donnera rien de toute façon. Cela dit, je refuse de vivre dans la peur. Je ne sais pas ce que je vais faire. Honnêtement, j’en sais rien. J’aimerais qu’il y ait une solution magique… » Oh que moi aussi, j’aimerais ça. J’aimerais pouvoir taire ma petite voix intérieure qui a peur comme un enfant qui a peur du monstre sous son lit. « Malheureusement, ça ne peut jamais être aussi simple… » lâché-je dans un soupir. « Ça finira bien par aller, un jour. Je sais cependant que je ne pourrai pas tout avoir… » La famille ou une relation de couple, il va devoir faire un choix éventuellement même si ses propos des dernières minutes laissent croire que sa décision est malheureusement déjà prise. « Ce n’est pas un choix facile à faire dans tes circonstances. » Que je ne peux pas complètement comprendre, je me sens trouve chanceux d’être né dans un pays un peu plus ouvert sur la question de l’homosexualité. Ce n’est que récemment que les mariages entre deux personnes du même sexe sont légalisés au Queensland après tout. « Merci d’être là. » Lorsqu’il prend ma main, je relève les yeux vers les siens, surpris par ce contact. Timidement, je lui souris et je finis par serrer sa main dans la sienne. « C’est rien… N’hésite pas si… hmmm si t’as besoin dans les prochains jours. » Parce que tôt ou tard la réalité allait le rattraper, j’en étais sûr. « Je ne dirai rien à Tessa, tu peux compter sur moi. » Elle risque de se demander pourquoi je suis en parti aussi vite en pleine nuit, d’ailleurs, je devrais commencer à penser à une histoire à lui raconter…

@Lincoln Mulligan

« Ce n’est pas un choix facile à faire dans tes circonstances. » C’était un choix impossible et sans réel gagnant à la fin. Quelqu’un en souffrirait forcément et c’est ce qui attristait le plus Min-Kyung, car ça ne devrait pas être ainsi. Sa sexualité ne regardait personne sauf lui. Qu’est-ce que ça pouvait faire qu’il préfère la compagnie des hommes à celle des femmes? Ce n’est pas comme s’il forçait qui que ce soit à partager son lit! Ses parents voulaient qu’il soit heureux et c’est correct, c’est ce que tout parent devrait souhaiter à leur enfant, mais ils avaient leur propre vision du bonheur. À leurs yeux, Min ne pouvait espérer avoir une bonne vie sans une femme à ses côtés dans une maison qu’il aurait achetée et, évidemment, des enfants pour perpétuer la lignée et prendre soin de lui dans ses vieux jours. Tout ça restait encore possible. Comment leur faire comprendre que ce n’était pas un choix, qu’il était né ainsi et qu’il n’y avait rien de mal à ça? Une chose était certaine, il n’était pas près de se soumettre à leur volonté, encore. En fuyant Melbourne, Min-Kyung démontrait qu’il avait encore une once de combativité en lui, qu’il aspirait au bonheur selon ses conditions, mais il lui restait du chemin à faire. Il devait d’abord s’accepter lui-même pleinement et sans condition, puis établir autour de lui un solide réseau de soutien pour quand la tempête frappera, car elle le fera tôt ou tard. Il venait de franchir la première étape en s’ouvrant enfin à Lincoln. Ce n’était pas un contexte idéal, mais la vie n’en faisait qu’à sa tête, comme d’habitude. Que quelqu’un le sache effrayait Min et lui donnait le vertige. C’était comme se tenir sur le bord d’un précipice et il espérait maintenant que Lincoln n’aurait pas l’idée de le pousser dans le vide. Après l’avoir vu pleurer à côté de lui, il savait que ça n’arriverait pas. À bien des égards, Lincoln était aussi vulnérable que lui. « Je veux être heureux », dit-il simplement.

La main de Lincoln se referma sur la sienne et pendant un moment, Min regarda leurs deux mains jointes. « C’est rien… N’hésite pas si… hmmm si t’as besoin dans les prochains jours. » Il acquiesça d’un signe de tête. C’était tout à fait probable qu’il ressente le besoin de parler dans les jours à venir. Min n’assimilait pas encore tout à fait ce qui venait de lui arriver, comme s’il avait été témoin de la scène plutôt que d’en être l’acteur principal. Ça ne pouvait pas être bon pour lui. « Je vais essayer de ne pas te réveiller au milieu de la nuit la prochaine fois. » Il sourit, bien qu’il ne soit pas particulièrement convaincant. « Ma sœur et moi avions parfois l’habitude de discuter ensemble comme ça très tard le soir. En général, c’était au moment où nous étions tous les deux stressés par nos études et nos parents. On se préparait une tasse de chocolat chaud et on s’installait comme ça sur le sofa. La plupart du temps, c’est elle qui parlait et je l’écoutais. Elle parlait de ses études, de la dernière conversation qu’elle avait eue avec maman, de ses amis et parfois de ses petits amis. Elle n’était pas censée en avoir, nos parents ne voulaient pas qu’on ait de fréquentations pendant nos études. Ça ne l’a jamais arrêté. C’était tous des idiots, enfin ceux que j’ai rencontrés, mais je suis son grand frère, mon opinion est biaisée. Je crois qu’elle sait pour moi, parce que quelques jours avant son mariage, nous avons eu une conversation au milieu de la nuit, la dernière. Elle ne pouvait pas dormir à cause de tous les préparatifs de dernière minute. Elle m’a dit que même si elle ne vivait plus en Australie, elle n’hésitera pas un instant à venir ici si j’ai besoin d’elle. Elle dit qu’elle sera toujours de mon côté, peu importe ce que je fais. Donc ouais, je suppose que c’est assez évident qu’elle sait et qu’elle attend que j’aie le courage de faire quelque chose à propos de ça. » Il regarda la photo au mur où Min et sa sœur se tenaient côte à côte dans leurs habits traditionnels. On les voyait à peine dans la pénombre. « Dire qu’à une époque, je la trouvais envahissante, mais c’est plutôt normal à l’adolescence. » Il rapporta son attention sur Lincoln. « Tessa est ta jumelle. Lequel de vous est l’ainé? J’aurais tendance à croire que c’est Tessa, mais peut-être que je me trompe. » Tessa dégageait l’énergie d’une grande sœur, alors que Lincoln ressemblait plus au petit frère un peu bordélique, mais infiniment attachant.

Il achevait sa tasse de café et le sentait faire effet dans ses veines. Min n’était définitivement pas près d’aller dormir et il ne voulait pas non plus que la conversation se termine. En fait, il ne voulait pas être seul et avait peur de ce qui se passerait une fois qu’il le sera. Ainsi, il poursuivit la conversation. « Dis-moi, est-ce que tu te souviens du moment où tu as réalisé que quelque chose chez toi n’allait pas. Enfin… non, ce n’est pas le bon choix de mot. Je veux dire qu’il y avait quelque chose de différent? Je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais 15 ans et on m’avait demandé au bureau du directeur. Un nouveau venait d’arriver et parfois je leur servais de guide afin d’aider à leur intégration. J’avais de bons résultats scolaires et j’étais assez populaire, les professeurs pensaient que j’exercerais une bonne influence sur eux. J’ai passé la porte et il était là. Cheveux blonds, teint bronzé avec des taches de rousseur, joueur de rugby… Il s’appelait Christopher. J’ai figé sur place comme un idiot. Je ne savais plus quoi faire. Après ça, je voulais tellement être son ami. J’étais comme ces filles dans les films pour adolescent, mais je ne comprenais pas encore tout à fait ce que ça signifiait. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai réalisé la nature des sentiments que j’avais pour Chris. Donc je lui ai tourné le dos. Je ne pouvais pas contrôler ce que je ressentais, mais je pouvais contrôler ça. Je pouvais m’éloigner de lui. Il ne s’est jamais rien passé entre lui et moi. Ce n’est que bien plus tard, à 22 ans, que j’ai eu ma première expérience. J’étais saoul, mes souvenirs sont flous, mais ce fut assez révélateur. Heureusement, ce n’était pas un mauvais gars. Il ne voulait juste rien de sérieux et moi non plus. Enfin, je voulais quelque chose de sérieux, mais pour éviter la solitude, j’étais prêt à accepter ce qu’on me donnait. Je suis tellement doué pour les compromis. » Il y avait définitivement de l’ironie dans sa voix lorsqu’il dit cette dernière phrase.

A turning point. -- @Ho Min-Kyung

« Je veux être heureux » Une partie de moi a envie de lui dire que c’est possible, de l’encourager à être lui-même et d’arrêter de prétendre pour le plaisir des autres, mais après ce qu’il s’est passé ce soir, je doute que ce soit le bon moment pour lui vanter les avantages de vivre son homosexualité fièrement. Qui plus est, je ne suis certainement pas la meilleure personne pour le faire considérant que je me cache encore en partie. Des relations amoureuses avec des hommes, je n’en ai pas eues beaucoup, seulement deux pour être exact, et elles se sont toutes les deux terminées de façon assez brutale. Je me doute que tous les hommes ne sont pas comme Andy et Byron, mais considérant qu’il s’agit des seules relations que j’ai eues au courant de ma vie, je n’ai rien d’autre sur quoi me baser. Je sais bien que la majorité des relations amoureuses ne durent pas toute une vie, mais les plaies sont encore trop vives pour prendre le risque de me faire blesser encore une fois. « Ça demande beaucoup de sacrifice, le bonheur. » Je le vois avec lui, mais aussi avec Andy qui a choisi de se marier avec une femme pour satisfaire son père qu’il aime plutôt que de vivre une relation amoureuse satisfaisante. Au final, je ne suis pas tellement mieux quand je considère rester célibataire pour le reste de ma vie parce que j’ai trop peur que ça se termine mal et ce même si je rêve de rencontrer quelqu’un qui m’aimera pour qui je suis et qui me fera suffisamment confiance pour ne pas me mentir.
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« Je vais essayer de ne pas te réveiller au milieu de la nuit la prochaine fois. » Un sourire en coin, je reprends ma tasse que j’ai déposée un peu plus tôt sur la table basse. « C’est pas grave, je t’assure, c’est pas comme si je sortais souvent de toute façon… » Entre mon travail au parc de ferrailles et mes études en mécanique automobile, je n’ai pas beaucoup de temps à moi et je suis crevé la majorité du temps. Je préfère passer mon temps libre à manger des gaufres aux bleuets avec Tessa devant un film de Disney que de sortir dans un bar. « Je devrai juste me préparer à répondre à un interrogatoire en rentrant chez moi. J’imagine que c’est le désavantage de vivre avec sa sœur quand on n’a pas l’habitude de découcher… » Enfin pas quand je suis célibataire, on va dire, parce qu’il m’arrivait parfois de dormir chez Byron lorsque nous étions encore ensemble. « Ma sœur et moi avions parfois l’habitude de discuter ensemble comme ça très tard le soir. En général, c’était au moment où nous étions tous les deux stressés par nos études et nos parents. On se préparait une tasse de chocolat chaud et on s’installait comme ça sur le sofa. La plupart du temps, c’est elle qui parlait et je l’écoutais. Elle parlait de ses études, de la dernière conversation qu’elle avait eue avec maman, de ses amis et parfois de ses petits amis. Elle n’était pas censée en avoir, nos parents ne voulaient pas qu’on ait de fréquentations pendant nos études. Ça ne l’a jamais arrêté. C’était tous des idiots, enfin ceux que j’ai rencontrés, mais je suis son grand frère, mon opinion est biaisée. Je crois qu’elle sait pour moi, parce que quelques jours avant son mariage, nous avons eu une conversation au milieu de la nuit, la dernière. Elle ne pouvait pas dormir à cause de tous les préparatifs de dernière minute. Elle m’a dit que même si elle ne vivait plus en Australie, elle n’hésitera pas un instant à venir ici si j’ai besoin d’elle. Elle dit qu’elle sera toujours de mon côté, peu importe ce que je fais. Donc ouais, je suppose que c’est assez évident qu’elle sait et qu’elle attend que j’aie le courage de faire quelque chose à propos de ça. » Un coude appuyé sur le dossier du canapé, j’appuie ma joue dans ma paume en souriant tendrement, incapable de ne pas penser à ma sœur jumelle lorsqu’il décrit sa relation avec sa sœur. « Ça serait super ça, c’est tellement important d’avoir le soutien de ses proches. Elle est beaucoup plus jeune que toi, ta sœur? » demandé-je en tournant la tête pour regarder la photo de Min et elle accrochée au mur. « Elle a l’air gentille, en tout cas. Elle vient te rendre visite bientôt? » Peut-être que ce serait l’occasion pour lui de s’ouvrir à elle, ce serait moins intimidant de le dire à quelqu’un dont il ignorait totalement le genre de réaction que la personne pouvait avoir. « Dire qu’à une époque, je la trouvais envahissante, mais c’est plutôt normal à l’adolescence. » Je ris en hochant la tête, même si je n’ai jamais ressenti de tels sentiments pour Tessa. Ma sœur, je la considère comme une extension de ma personne et j’ai toujours été incapable de m’en passer bientôt. Même si c’est moi qui ai mis de la distance entre nous au début de l’année, j’ai beaucoup souffert de son absence dans ma vie. J’ai besoin d’elle comme j’ai besoin de manger, boire et dormir. « Ah tu vois, moi c’est mon frère qui m’inspire ce genre de sentiments… autant aujourd’hui qu’à l’époque. » Freddy et moi n’avons jamais été proches et avec son attitude des derniers temps, j’ai fait mon deuil sur une relation de proximité avec lui. « Tessa est ta jumelle. Lequel de vous est l’ainé? J’aurais tendance à croire que c’est Tessa, mais peut-être que je me trompe. » Curieux, je fronce les sourcils en l’observant. « Qu’est-ce qui te fait dire ça? » Je prends une gorgée de café, passant ensuite ma langue sur mes lèvres d’un air pensif. « Mais tu as raison, c’est bien Tessa la plus vieille… bon pas de grand-chose hein, une dizaine de minutes tout au plus. » Ça ne changeait pas grand-chose à ses yeux, le plus important étant qu’ils étaient ensemble depuis le tout début.

« Dis-moi, est-ce que tu te souviens du moment où tu as réalisé que quelque chose chez toi n’allait pas. Enfin… non, ce n’est pas le bon choix de mot. Je veux dire qu’il y avait quelque chose de différent? Je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais 15 ans et on m’avait demandé au bureau du directeur. Un nouveau venait d’arriver et parfois je leur servais de guide afin d’aider à leur intégration. J’avais de bons résultats scolaires et j’étais assez populaire, les professeurs pensaient que j’exercerais une bonne influence sur eux. J’ai passé la porte et il était là. Cheveux blonds, teint bronzé avec des taches de rousseur, joueur de rugby… Il s’appelait Christopher. J’ai figé sur place comme un idiot. Je ne savais plus quoi faire. Après ça, je voulais tellement être son ami. J’étais comme ces filles dans les films pour adolescent, mais je ne comprenais pas encore tout à fait ce que ça signifiait. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai réalisé la nature des sentiments que j’avais pour Chris. Donc je lui ai tourné le dos. Je ne pouvais pas contrôler ce que je ressentais, mais je pouvais contrôler ça. Je pouvais m’éloigner de lui. Il ne s’est jamais rien passé entre lui et moi. Ce n’est que bien plus tard, à 22 ans, que j’ai eu ma première expérience. J’étais saoul, mes souvenirs sont flous, mais ce fut assez révélateur. Heureusement, ce n’était pas un mauvais gars. Il ne voulait juste rien de sérieux et moi non plus. Enfin, je voulais quelque chose de sérieux, mais pour éviter la solitude, j’étais prêt à accepter ce qu’on me donnait. Je suis tellement doué pour les compromis. » Son histoire me fait sourire et me rend triste en même temps, c’est fou comme on peut faire n’importe quoi pour se cacher aux yeux des autres alors qu’on ne fait absolument rien de mal. « Tu l’as revu, ce Christopher? » Dans tous les cas, je suis surprise d’apprendre que Min-Kyung a eu sa première relation à vingt-deux ans en sachant aujourd’hui qu’il vit toujours son homosexualité dans l’ombre à trente-cinq ans. « T’as fréquenté beaucoup de garçons comme ça, depuis? » Je ne cherche pas à le juger, loin de là, je suis simplement curieux d’en apprendre plus sur son parcours qui semble à l’opposé du mien et peut-être à gagner du temps avant de parler de mon vécu… « Je me suis toujours un peu senti à l’écart en fait. À part mon meilleur ami Adriel, je n’ai jamais eu beaucoup d’amis masculins, je me suis toujours mieux entendu avec les filles… » Pas que je trouvais les garçons abrutis, je n’ai juste jamais senti que j’étais one of the boys avec les gars de mon âge. « Remarque, je faisais de la danse, c’est pas un milieu où il y a beaucoup de gars, mais bon. Tout ça pour dire que je me questionnais un peu… puis il y a eu le film de Casper quand j’étais gamin, je ne sais pas si tu connais? » Ils n’ont peut-être pas les mêmes films en Corée, qu’est-ce que j’en sais? « À la fin du film, Casper se transforme en humain et, je ne sais pas, je le trouvais vraiment beau… » Je me gratte l’arrière de la tête en détournant le regard, un sourire niais au coin des lèvres. « Je pense que c’est là que j’ai compris, mais j’ai eu la confirmation à quinze ans quand j’ai eu mon premier gros crush… Un mec un peu plus vieux avec qui je gamais. » La tête baissée, j’essuie une goutte de café sur le rebord de ma tasse en déglutissant difficilement. Même si ça fait quinze ans, parler d’Andy est toujours difficile. « Son père est homophobe, il nous a surpris alors qu’on allait avoir notre première fois, ça s’est mal terminé… » Peut-être qu’un jour ce sera différent, mais pour l’instant je ne me sens pas assez à l’aise de lui raconter que des accusations d’agression sexuelle ont été déposées contre moi suite à ça, des accusations qui sont tombées, mais quand même. « Ça m’a… refroidi. Ça m’a pris plus de dix ans retrouver le courage d’essayer, mais tu connais la suite… et j’ai maintenant perdu foi en l’amour. » Si ma tasse était un verre d’alcool, je la viderais d’une traite, mais l’effet risque d’être pas mal différente que ce dont j’ai envie. « Je ne suis pas en train de t’encourager à te lancer hein, je ne suis pas le meilleur motivateur… »

@Lincoln Mulligan

Il y avait quelque chose d’ironique dans l’idée que pour atteindre le bonheur, quelqu’un devait forcément sacrifier quelque chose. Comme si on ne pouvait pas l’apprécier à sa juste valeur sans avoir préalablement souffert. C’était peut-être ce qui lui donnait toute sa douceur. Dans les circonstances cependant, le sacrifice requis était bien plus que quelques nuits blanches avant un examen important ou de longues heures d’entraînement pour une compétition. On parlait de sa famille et si une infime partie de lui voulait croire qu’ils l’accepteraient malgré tout, il n’était plus le garçon naïf d’autrefois. Il savait trop bien comment la nouvelle sera reçue et le fait qu’il craignait plus que tout de faire du mal aux autres n’aidait en rien sa réflexion.

« Je devrai juste me préparer à répondre à un interrogatoire en rentrant chez moi. J’imagine que c’est le désavantage de vivre avec sa sœur quand on n’a pas l’habitude de découcher… » Cette phrase lui rappela l’époque où il avait l’habitude de couvrir Doo-na lorsqu’elle sortait avec ses amis le soir. Leurs parents n’avaient jamais rien remarqué et Min se demandait si ce n’était pas parce qu’ils lui prêtaient moins attention qu’à lui. La relation entre Doo-na et leurs parents n’était pas mauvaise, mais elle n’était pas bonne non plus. Disons que l’éloignement avait été bénéfique, mais Min pensait que si elle avait choisi un autre pays que la Corée, la nouvelle aurait moins bien passé. « Dis-lui la vérité. Dis que tu es allé aider un ami qui en avait besoin et que tu lui as tenu compagnie par la suite parce qu’il n’avait pas envie de rester seul, mais que ça ira. Tu n’as pas besoin de mentir, juste d’éviter de dire mon nom. J’aimerais éviter de lui faire croire que son nouvel associé est un paquet de problèmes en devenir. J’aime beaucoup mon nouveau job. » Il aimait son nouveau job, mais il aimait aussi les gens avec qui il travaillait. Il y avait rencontré Lincoln en plus. Cela dit, si quelqu’un lui avait dit qu’il finirait un jour par lui raconter son plus grand secret, Min ne l’aurait jamais cru. Pourtant, voilà qu’il en savait plus sur lui que quiconque sur cette terre, sauf peut-être sa sœur. Min voulait croire qu’elle le savait. Évidemment, il n’en était pas certain, mais avec ce qu’elle lui avait dit… Ça le rassurait, au moins. Sa famille n’exploserait pas entièrement le jour venu.

« Ça serait super ça, c’est tellement important d’avoir le soutien de ses proches. Elle est beaucoup plus jeune que toi, ta sœur? » « Nous avons cinq ans de différence. J’aime la taquiner en lui disant me rappeler du temps où elle n’était qu’un bébé pleurnichard. » Cette phrase le fit sourire. La différence d’âge aurait pu faire en sorte qu’ils ne soient pas particulièrement proches l’un de l’autre, mais elle était son unique sœur et lui, son unique frère. Malgré quelques périodes un peu plus difficiles à l’adolescence, ils avaient toujours pu compter l’un sur l’autre. « Elle a l’air gentille, en tout cas. Elle vient te rendre visite bientôt? » « Elle l’est. Comme moi, elle aime faire plaisir aux autres et déteste voir les gens tristes. Elle est beaucoup plus extravertie que moi et tient difficilement en place. Malheureusement, je ne sais pas quand je vais la revoir. Elle doit accoucher à la mi-octobre de son premier enfant, un garçon. J’aimerais aller la visiter, si possible durant le temps des fêtes. Ça me rappelle que je vais devoir négocier ça avec ta sœur. » Min-Kyung avait hâte de retourner en Corée. Il aimait le pays et sa culture. Il n’approuvait pas tout, évidemment. Impossible de fermer les yeux sur certains de ses plus gros problèmes comme l’énorme pression que subissait sa jeunesse afin de toujours bien performer ou sa vision plutôt arriérée sur tout ce qui touchait les relations homme/femme ainsi que la sexualité. Toutefois, comme partout ailleurs, un vent de changement soufflait sur le pays, apporté par les jeunes de plus en plus exposés au reste du monde grâce aux voyages et à Internet. Les nouvelles générations ne voulaient pas répéter les mêmes gestes que leurs parents avant eux.

Apparemment, Min avait peut-être touché une corde sensible en disant que Tessa avait l’air d’être la grande sœur. Lincoln fronça les sourcils. « Qu’est-ce qui te fait dire ça? » Le sourire de Min s’élargit. « Je ne voulais pas t’insulter en disant cela. » « Mais tu as raison, c’est bien Tessa la plus vieille… bon pas de grand-chose hein, une dizaine de minutes tout au plus. » Il acquiesça d’un hochement de tête. « Je ne sais pas, c’est une question d’énergie. Ce n’est rien de négatif, je t’assure. » Et la conversation continua. Min osa parler de Christopher. Bien qu’il n’y ait jamais rien eu entre eux, c’est lui qui avait tout changé dans sa vie. Avec lui, il avait compris où allait ses préférences. À travers des témoignages qu’il avait lus, certains le comprenaient bien plus tôt et Min s’était demandé s’il n’y avait pas eu quelqu’un d’autre avant lui, quelqu’un qu’il aurait complètement effacé de sa mémoire. « Tu l’as revu, ce Christopher? » « Non, pas depuis la graduation. Parfois, je me demande ce qu’il est devenu et quel effet ont eu le passage de la trentaine sur lui. » C’était toujours une surprise de revoir des gens après plusieurs années. Parfois, ils n’auront pratiquement pas changé tandis que d’autres seront complètement différents. Min avait beaucoup changé. Apparemment, il était de ceux qui s’affinaient comme du bon vin en vieillissant. Une chance, car sa photo de graduation à l’adolescent lui donnait de l’urticaire. Il ne comprenait toujours pas ce qui lui était passé par la tête en choisissant sa coiffure et il décida que Lincoln ne devait jamais la voir.

La conversation redevint sérieuse rapidement. Min avait parlé de sa première expérience avec un homme, mais il avait expérimenté la chose avec des filles avant, deux fois pour être exacte. La première fois ne lui avait pas plu et il avait réessayé afin d’en être certain. Quant aux hommes… Min était loin d’être chaste. La sexualité occupait une place importante dans sa vie. Ce qu’il n’aimait pas, c’est l’impossibilité de l’assumer librement sans blesser sans famille. « T’as fréquenté beaucoup de garçons comme ça, depuis? » La question de Lincoln le gênait. Min ne voulait pas être vu comme un pervers qui ne pensait qu’à ça, mais après ce qui lui était arrivé ce soir, n’importe qui le penserait. « J’ai rencontré quelques gars à l’université avec qui je suis resté en contact et on avait l’habitude de se voir à l’occasion. Rien de sérieux. Ça n’a jamais été sérieux, c’était juste pour le fun. Au travers de ça, il y a eu quelques rencontres au hasard. » Min osa un regard en direction de Lincoln. Il ne sentait pas de jugement chez lui. Il commença plutôt à parler de sa propre expérience, comment il en était venu à réaliser qu’il était attiré par les hommes. La référence au film Casper le fit sourire. Il connaissait ce film et se souvenait de l’avoir regardé avec sa petite sœur. Puis il parla de son premier gros crush et du fait que son père était homophobe. Le cœur de Min se serra et il voyait que c’était difficile pour Lincoln de raconter cette histoire. Il se repliait sur lui-même et Min serra sa main plus fort, comme s’il essayait de lui donner un peu de courage. « Je suis désolé que ça se soit mal passé, ce n’est pas ta faute. » Lincoln lui avait dit plus ou moins la même chose après lui avoir raconté ce qui lui était arrivé ce soir. Il trouvait difficile de le croire, alors qu’il avait raison. Oui, il avait fait le choix de sortir en portant une tenue qui ne laissait que peu de place au doute quant à ses intentions, mais ça ne donnait pas pour autant la permission aux autres de le traiter comme une merde.

« Je ne suis pas en train de t’encourager à te lancer hein, je ne suis pas le meilleur motivateur… » « Tu n’as pas à t’excuser… J’aurais probablement réagi de la même façon à ta place. J’ai couché avec de parfais inconnus, mais je ne suis jamais tombé amoureux. Je ne me suis jamais permis de le faire. Je te trouve chanceux d’avoir aimé, même si ça s’est mal terminé. Je ne sais pas comment on se sent quand on aime. Je vois des couples heureux autour de moi et je sais que c’est possible. Je veux me réveiller le matin aux côtés de l’homme que j’aime. Je veux lui préparer de bons petits plats, car j’adore cuisiner et que je veux partager ça. Je veux voyager avec lui, regarder la télé avec sa tête sur mes cuisses et lui jouer dans les cheveux. Je sais, c’est stupide. Je suis un idiot qui manque de courage. » Il regarda Lincoln. « J’espère que tu auras le courage d’essayer de nouveau, car tu mérites d’être heureux. Je crois sincèrement que tu es quelqu’un de bien, car tu ne serais pas venu à mon aide sinon. Je n’ai pas la moindre idée de comment je vais te rendre la pareille, mais je vais le faire. Je crois aussi que ceux qui t’ont brisé le cœur sont des idiots qui n’ont pas la moindre idée de la chance qu’ils ont eue. »

A turning point. -- @Ho Min-Kyung

« Dis-lui la vérité. Dis que tu es allé aider un ami qui en avait besoin et que tu lui as tenu compagnie par la suite parce qu’il n’avait pas envie de rester seul, mais que ça ira. Tu n’as pas besoin de mentir, juste d’éviter de dire mon nom. J’aimerais éviter de lui faire croire que son nouvel associé est un paquet de problèmes en devenir. J’aime beaucoup mon nouveau job. » Je me doutais bien que Min-Kyung n’avait pas envie que cette histoire s’ébruite considérant que sa patronne n’est nulle autre que ma sœur jumelle et je respecterai sa décision. « Je suis certain qu’elle ne penserait jamais ça, elle est sensible à la cause. » Celle de la communauté LGBTQ+, considérant mon orientation sexuelle. Aussi, elle m’a vu souffrir en faisant face à de fausses accusations à cause d’Andy et son père, mais aussi en me faisant intimider pendant tout mon lycée au point où ma mère m’a fait changer d’école. Tessa sait ce qu’est notre réalité, elle serait en mesure de faire la part des choses et de comprendre que Min n’a absolument rien à se reprocher dans cette histoire. Il s’est fait agresser, ce n’était pas lui l’agresseur. « Mais t’inquiète, je ne lui dirai pas que c’était toi. Promis. » Il avait au moins la chance de travailler pour quelqu’un de compréhensible, quelqu’un qui ne le dénigrerait jamais parce qu’il était attiré par la gent masculine. Ce que je donnerais pour pouvoir travailler avec Tessa, mais nos intérêts divergent sur le plan professionnel. La mécanique automobile étant un domaine très masculin, j’anticipe le moment où mes futurs collègues apprendront que je suis gay. « Nous avons cinq ans de différence. J’aime la taquiner en lui disant me rappeler du temps où elle n’était qu’un bébé pleurnichard. » Je fais le calcul dans ma tête, Doo-Na aurait donc le même âge que Tessa et moi. Comme elle n’habite plus en Australie, je sais que les chances que nous nous rencontrions un jour sont très minces, d’autant plus que Min-Kyung et moi ne nous connaissons pas tant que ça, mais je serais curieux de voir si elle a le même genre de personnalité que ui. « Tu lui as déjà sorti la blague comme quoi elle avait été adopté? » La blague que tous les grands frères et sœurs font au moins une fois dans leur vie, à l’exception de chez nous parce que c’est le grand frère qui a été adopté et qu’il est arrivé à la maison après nous, c’est un peu difficile de raconter n’importe quoi dans ce temps-là. « Elle l’est. Comme moi, elle aime faire plaisir aux autres et déteste voir les gens tristes. Elle est beaucoup plus extravertie que moi et tient difficilement en place. Malheureusement, je ne sais pas quand je vais la revoir. Elle doit accoucher à la mi-octobre de son premier enfant, un garçon. J’aimerais aller la visiter, si possible durant le temps des fêtes. Ça me rappelle que je vais devoir négocier ça avec ta sœur. » Je plisse les yeux en grimaçant l’air de dire bonne chance. « Bon courage, elle n’acceptera jamais, Tessa est un bourreau. » Je ne suis pas du tout crédible, je laisse échapper un petit rire. « C’est sûr qu’elle va dire oui! En tout cas si ta sœur est plus extravertie que toi… » Je laisse ma phrase en suspend en le regardant. Peut-être que je me trompe, que les deux rencontres que nous avons eues portent à confusion dans les circonstances, mais Min me donne l’impression de n’avoir aucun mal à aller vers les autres. « Je ne voulais pas t’insulter en disant cela. Je ne sais pas, c’est une question d’énergie. Ce n’est rien de négatif, je t’assure. » Je hoche la tête silencieusement sans le quitter des yeux. C’est vrai que ma sœur a toujours été celle qui veillait sur moi, même si l’inverse est également vrai même si elle semble en avoir besoin moins souvent que moi. Peut-être aussi parce qu’on est deux avec mon frère Freddy. Enfin ça c’était avant qu’il se pousse à l’autre bout du monde pour le travail, ou pour fuir ses responsabilités… « Je ne suis pas insulté. Je n’aurais aucune raison de l’être en plus quand… t’as raison. » Ce n’est pas comme s’il basait son opinion sur n’importe quoi, il connait somme toute bien ma sœur.

Plus nous échangeons et plus j’ai le sentiment de le connaître depuis bien plus longtemps qu’en réalité. Nos conversations sont profondes, empreintes de respect malgré nos divergences d’opinion sur certains sujets et ça me fait du bien de pouvoir m’exprimer sans avoir peur de me faire dénigrer parce que j’ai une opinion ou un vécu différent. « Non, pas depuis la graduation. Parfois, je me demande ce qu’il est devenu et quel effet ont eu le passage de la trentaine sur lui. » - « T’as essayé de le trouver sur les réseaux sociaux? Enfin, si t’es sur les réseaux sociaux… » Je sors mon téléphone de ma poche et j’ouvre une page Facebook. « Christopher quoi? » Je souris, une petite lueur espiègle dans le regard. « J’ai rencontré quelques gars à l’université avec qui je suis resté en contact et on avait l’habitude de se voir à l’occasion. Rien de sérieux. Ça n’a jamais été sérieux, c’était juste pour le fun. Au travers de ça, il y a eu quelques rencontres au hasard. » Je l’écoute avec attention, sans jamais le juger sur ses choix et expériences. Il n’y a rien de mal à expérimenter tant que tout le monde est consentant. Quelque part je me dis que j’aurais peut-être plus confiance en moi sur ce côté de ma vie si Andy et Byron n’étaient pas mes seules expériences, si j’avais aussi des histoires positives, même si ce n’était rien de sérieux. « Comment tu… » Je me gratte le menton du bout des doigts sans oser le regarder. « Commeut tu t’y prends? Comment tu sais qui approcher? » La seule fois où il aurait pu se passer quelque chose avec un inconnu, c’était avec Byron et c’était lui qui m’avait fait du rentre-dedans. Peut-être que Min visait les étudiants qui s’affichaient? Ou alors que c’était eux qui l’approchaient chaque fois? Clairement, je n’ai aucune expérience en la matière…« Je suis désolé que ça se soit mal passé, ce n’est pas ta faute. » Sans même le regarder, je souris tristement en serrant à mon tour sa main. « J’ai juste le don de m’attacher aux mauvais gars. Il ne reste plus qu’à espérer que le proverbe jamais deux sans trois ne s’applique pas ici. » Encore faudrait-il que je me sente d’attaque à rencontrer quelqu’un.

Je me rends rapidement compte que de lui déballer tout ça ne l’aidera certainement pas à trouver le courage de sortir du placard avec sa famille et je me sens mal. Peut-être que j’aurais dû ne rien dire, garder tout ça pour moi pour ne pas lui faire peur… « Tu n’as pas à t’excuser… J’aurais probablement réagi de la même façon à ta place. J’ai couché avec de parfais inconnus, mais je ne suis jamais tombé amoureux. Je ne me suis jamais permis de le faire. Je te trouve chanceux d’avoir aimé, même si ça s’est mal terminé. Je ne sais pas comment on se sent quand on aime. » Ça fait mal, voilà ce dont je me souviens. C’est toujours plus facile de se rappeler du négatif que du positif… « Je vois des couples heureux autour de moi et je sais que c’est possible. Je veux me réveiller le matin aux côtés de l’homme que j’aime. Je veux lui préparer de bons petits plats, car j’adore cuisiner et que je veux partager ça. Je veux voyager avec lui, regarder la télé avec sa tête sur mes cuisses et lui jouer dans les cheveux. Je sais, c’est stupide. Je suis un idiot qui manque de courage. » - « Il n’y a rien de stupide là-dedans… je te comprends d’avoir envie de partager ces petits moments du quotidien avec quelqu’un… » Je n’ai pas pu vivre ces petits moments avec Andy considérant que notre relation n’a duré qu’un mois et que j’étais jeune à l’époque, mais partager mon quotidien avec Byron en passant du temps chez lui m’a donné un aperçu de ce qu’aurait pu être notre vie à long terme si on était déménagé ensemble. C’est sans doute ce qu’il me manque le plus… « Il n’est pas trop tard, tu n’as peut-être juste pas rencontré le bon encore… » Ça semble si simple dit comme ça, encore plus quand il s’agit de quelqu’un d'autre que moi, mais en pratique c’est beaucoup plus compliqué. « Et t’es pas idiot… t’as peur de perdre ceux à qui tu tiens. » N’importe qui peut comprendre ça, moi le premier comme je suis passé par là. Ce que je ne comprends pas, par contre, ce sont ceux qui s’inventent une vie avec des gens qui n’ont rien demandé. « J’espère que tu auras le courage d’essayer de nouveau, car tu mérites d’être heureux. Je crois sincèrement que tu es quelqu’un de bien, car tu ne serais pas venu à mon aide sinon. Je n’ai pas la moindre idée de comment je vais te rendre la pareille, mais je vais le faire. Je crois aussi que ceux qui t’ont brisé le cœur sont des idiots qui n’ont pas la moindre idée de la chance qu’ils ont eue. » Gêné, je croise mes bras contre mon torse en coinçant mes mains sous mes aisselles. « Je suis loin d’être parfait, tu l’as bien vu… » Je ris nerveusement en fixant mes cuisses, j’ai toujours eu du mal avec les compliments… Ça me fait rougir et je ne sais plus où me mettre, bien plus habitué à soulever mes mauvais côtés que mes bons. « Et puis tu ne me dois rien, arrête ça. Tu me l’as déjà bien rendu en n’allant pas me dénoncer pour la montre… » Fatigué, je porte une main à ma bouche tandis que je baille avant de poursuivre. « J’espère que tu trouveras une solution pour ton problème. Ce n’est pas une vie d’être marié à une femme pour le plaisir des autres, tu mérites mieux… » Et elle aussi.

@Lincoln Mulligan

Min-kyung avait dans son cercle d’intimes des amis qu’il connaissait depuis des années, certains depuis la tendre enfance. Pourtant, à aucun d’eux, il n’avait raconté les choses qu’il avait dites à Lincoln. Il en connaissait plus sur lui que son ami le plus proche. Pourtant, il ne pourrait même pas dire quel genre de musique il aimait écouter ou quel était son film préféré. Il se dit qu’il devra inviter Lincoln un de ces jours pour faire une activité qui les éloignerait pour quelques heures des drames qui envahissaient leur vie. Ça leur serait bénéfique à tous les deux en plus de leur permettre de vraiment se connaître. Au moins, il pouvait ajouter à la liste de leurs points en commun le fait qu’ils entretenaient de bonnes relations avec leur sœur. Min n’osait même pas imaginer ce que serait sa vie sans Doo-na. Elle vivait loin maintenant, mais elle faisait sentir sa présence quasi quotidiennement par message texte ou appel vidéo. Il pourrait prendre son téléphone maintenant et composer son numéro avec la certitude qu’elle répondrait. Min en avait envie, mais ça l’inquièterait d’avoir un appel aussi tard. Dans son état, il voulait éviter ça.

« Tu lui as déjà sorti la blague comme quoi elle avait été adopté? » Min grimaça. « J’ai fait bien pire. Un jour, après qu’elle ai brisé un de mes jouets préférés, je lui ai dit qu’on l’avait trouvé dans une poubelle. Je sais, je n’en suis pas fière, mais je devais avoir 9 ou 10 ans. Je ne suis pas certain qu’elle s’en souvienne. Moi, je n’ai pas oublié la punition que j’ai reçue de ma mère pour lui avait dit ça… » Maintenant qu’il parlait d’elle, Min ne pouvait s’empêcher de regretter son absence. Il avait envisagé pendant un temps d’aller en Corée après que sa sœur avait eu décidé d’y emménager. Il aimait beaucoup Séoul et y faire reconnaître son diplôme n’aurait pas été un problème. En plus, il parlait très bien la langue. Toutefois, ça ne suffisait pas à faire de lui un Coréen. Il savait que la différence de mentalité finirait par être un problème, alors il avait choisi de rester en Australie. Par conséquent, pour la visiter, il devait s’y prendre à l’avance et tout planifier, plus encore maintenant qu’il avait un chat. Il devra d’ailleurs lui trouver un gardien s’il réussissait à prendre congé durant les fêtes. « C’est sûr qu’elle va dire oui! En tout cas si ta sœur est plus extravertie que toi… » « Ça dépend vraiment des moments. De manière générale, je suis confortable avec les gens et je n’ai pas de mal à prendre la parole devant des inconnues. J’ai même passé devant la caméra lors des grands feux de forêt où j’étais vétérinaire volontaire. Tu m’as peut-être vu à la télé… Cela étant dit, il y a des moments où j’apprécie ma solitude. Je peux très bien passer ma soirée assis sur ce sofa avec un bon livre et un café, mes notifications désactivées pour ne pas être dérangé. »

Il n’avait pas pensé à Christopher depuis des années et ça lui faisait drôle d’en parler à Lincoln. Évidemment, une partie de Min voulait savoir ce qu’il était advenu aujourd’hui. Tant d’années ont passé depuis… Mais voilà, il faisait partie du passé, inutile de déterrer de vieux fantômes. Il ne voulait pas prendre le risque de ruiner l’image qu’il gardait en mémoire de Christopher. Aujourd’hui, il était peut-être en prison, ou pire, décédé. Non, il voulait que Christopher reste l’adolescent charismatique dont il était tombé sous le charme toutes ces années plus tôt. Lincoln, cependant, n’entretenait pas les mêmes réserves que lui. « Christopher quoi? » Min tendit la main comme s’il voulait lui arracher le téléphone des mains. « Oublie ça. Ça fait trop longtemps de toute façon. »

De Christopher, la conversation continua sur les gars qu’il avait fréquentés. Il ne sentait pas de jugement de la part de Lincoln, seulement de la curiosité. Ne lui avait-il pas dit qu’il admirait son courage de pouvoir s’ouvrir ainsi à d’autres gars? « Comment tu t’y prends? Comment tu sais qui approcher? » La question l’étonna au point de ne pas savoir quoi lui répondre. Il réfléchit et réaliser qu’il abordait très rarement le premier. C’était plutôt lui qu’on approchait. « Pour être honnête, je laisse les autres venir à moi. En général, ça fonctionne bien. J’ai l’air de plaire… » Il rougit un peu en disant cela. « Ça m’est arrivé de faire les premiers pas, mais il y a des endroits où c’est plus “safe” de le faire. Je te dirais que si tu vas dans un bar gay, il y a de grandes chances que le gars que tu aborderas ait les mêmes attirances que toi. Si tu veux, un jour, on pourrait peut-être y aller ensemble. Comme ça, s’il y a un problème, l’autre pourra intervenir. » Venait-il de l’inviter à une « date »? Non, ce n’était pas une date… C’était juste… Eh bien, il n’en savait rien, mais ce n’était pas une « date ». S’il devait inviter Lincoln à une date, ça serait dans un bon restaurant de la ville ou encore une balade à la plage, peut-être une soirée cinéma, mais pas un bar gay.

Parler de relations amoureuses rendait toujours Min un peu triste et il voyait bien que ça faisait le même effet à Lincoln. Chaque fois qu’il s’était attaché à quelqu’un, ça s’était mal terminé. Rien de surprenant à ce qu’il hésite à s’ouvrir à quelqu’un d’autre. Les gens sous-estimaient les blessures émotionnelles sous prétexte qu’on ne pouvait pas les voir. Pourtant, ça ne les rendait pas moins réelles. Est-ce que les anciens compagnons de Lincoln avaient conscience de l’impact qu’ils ont eu sur lui et qu’ils avaient encore à ce jour? Ils ne connaissaient pas ces hommes, pourtant Min-kyung éprouvait une certaine frustration en pensant à eux. Il ne comprenait pas qu’on puisse traiter une personne que l’on aime de cette façon. Lincoln ne méritait certainement pas ce qui lui était arrivé. « Je suis loin d’être parfait, tu l’as bien vu… » « La perfection c’est ennuyeux. Puis, ce que tu as fait, ce n’était pas par malice, tu le sais aussi bien que moi… »

Min espérait trouver quelqu’un. Pour la première fois de sa vie, il commençait à croire que c’était peut-être possible pour lui. En tout cas, toutes ces conversations avec Lincoln l’avaient amené à réfléchir et il savait que s’il prenait cette voie, ça ne serait pas facile. S’il trouvait la bonne personne, le sacrifice en vaudrait la peine. S’il se retrouvait le cœur brisé… Ça, il ne pouvait pas le savoir sans préalablement essayer. Personne n’a le pouvoir de prédire l’avenir. Il y avait encore une infime chance que ses parents ne le rejetteraient pas en apprenant son homosexualité. « J’espère que tu trouveras une solution pour ton problème. Ce n’est pas une vie d’être marié à une femme pour le plaisir des autres, tu mérites mieux… » « Ouais… » Min fixait un point devant lui sans vraiment le voir. La fatigue gagnait du terrain et avant qu’il ne le réalise, plusieurs minutes passèrent sans qu’il ne dise un seul mot. Le silence ne le gênait pas avec Lincoln. Il ferma les yeux en pensant que ça ne durait qu’un moment, mais il finit par s’endormir conscient de la présence de Lincoln près de lui. Quelque part, dans les méandres de son esprit somnolent, il réalisa que c’était la première fois qu’il s’endormait aux côtés de quelqu’un…