@Lincoln Mulligan

Ce voyage avait été repoussé trop longtemps. Min ne pouvait plus y échapper, il devait se rendre à Melbourne, voir ses parents. Repoussé, car il savait trop bien qu’il se terminerait mal. Une part de lui voulait garder espoir, mais il refusait de trop s’y attacher par crainte d’être déçu. Il en avait longuement parlé avec Lincoln qui le supportait à 100 %, peu importe sa décision. Honnêtement, sans lui il n’aurait jamais eu le courage de franchir le pas. Ainsi lorsque Min lui annonça qu’ils partaient tous les deux en weekend à Melbourne, il lui sourit comme lui seul pouvait le faire tout en sachant pertinemment que ça ne sera pas un moment aussi heureux qu’ils le voudraient. Surtout que Min savait que ce genre de chose rendait Link très nerveux. Il ne voulait pas le montrer, mais ça se voyait. Il fumait beaucoup en situation de stress. Il culpabilisait de le mettre dans une situation pareille. Si seulement il savait à quel point Min voudrait que ça soit différent.

Lincoln n’était jamais allé à Melbourne, alors Min planifia leur séjour en conséquence en gardant sa visite chez ses parents pour la veille de leur départ. Il acheta deux billets d’avion et réserva une suite dans un bel hôtel. Une folie, mais Min voulait offrir ça à Lincoln. Il lui offrirait le monde s’il pouvait, mais pour l’instant ça sera une chambre avec une vue magnifique. Leurs bagages déposés à l’hôtel, l’exploration de la ville commença. Il lui fit découvrir la ville, ses attractions principales, mais également des endroits importants pour Min. Il l’amena à l’université où il avait étudié la médecine vétérinaire et il rencontra même certains de ses anciens professeurs, tous avec des anecdotes à raconter sur lui. Apparemment, Min-Kyung avait laissé ses marques sans s’en rendre compte. Ils firent un détour à la clinique où il travaillait avant de s’installer à Brisbane. Ses anciens collègues le supplièrent sans être sérieux de revenir travailler ici. Évidemment, partout où il amena Lincoln, il le présenta comme son petit ami sans la moindre hésitation.

« Je crois avoir dit que si tu remettais les pieds ici, je t’enfermerais dans le chenil », menaça son ancienne collègue, une femme dans la cinquantaine au regard pétillant de malice.

« Ne le prenez pas mal, mais je ne vous laisserai pas faire, je compte bien le ramener à Brisbane. »

Min-Kyung s’esclaffa. « Attention, ne vous laissez pas berner par se joli sourire, il est féroce. »

Ils alternèrent les bons restaurants et la street food, Min prenant un plaisir tout particulier à faire découvrir à Link ses adresses préférées, dont le Queen Victoria Market. Il ne comptait plus le nombre de fois où il y avait mangé de la crème glacée avec ses amis, mais le faire avec Link n’était pas du tout la même chose. Il était heureux et souriait beaucoup, mais quand Link avait le dos tourné, sa joie s’estompait un peu et l’angoisse lui tenaillait les entrailles. Sa sœur était au courant et s’était offerte pour servir de support moral à Link s’il en avait besoin durant son absence. Elle resterait également à l’affut de la réaction de leur parent. Elle anticipait déjà leur appel et promettait déjà de soutenir Min peu importe ce qui arriverait. Il fut question pendant un temps qu’elle serait présente, mais avec le bébé, voyager n’était pas aussi facile. Il regrettait son absence, mais il la savait avec lui malgré la distance. Il ne se souvenait pas de s’être senti autant aimé et supporté de toute sa vie et ça en disait long sur la relation qu’il avait avec ses parents.

Puis, après deux jours absolument parfaits, inévitablement dimanche arriva. Il s’était réveillé tôt et était sorti courir dans l’espoir que l’activité physique diminuerait les effets du stress. Ça fonctionna un peu, mais à la seconde où il prit les clefs de la voiture de location, son cœur menaça de sortir de sa poitrine. Ses mains tremblaient et il serra les poings pour le cacher. Théoriquement, ce n’était qu’un repas en famille…

« Je devrais en avoir pour quelques heures… En attendant, ne te sens pas obligé de rester à l’hôtel. Tu peux aussi appeler Doo-na si tu veux. Elle va probablement essayer de te contacter de toute façon. » Il essaya de sourire en espérant qu’il soit suffisamment convaincant. « Ne t’inquiète pas, d’accord. Je t’ai choisi et je ne vais pas changer d’idée. » Il s’approcha de Lincoln, le regard plongé dans le sien. Il savait que ça l’inquiétait, qu’une mauvaise expérience l’avait laissé traumatiser et qu’il avait peur.

« Je ne bougerai pas d’ici. Je vais regarder un petit film en m’empiffrant de chocolat. Je veux être ici quand tu vas revenir. » Min passa une main dans ses cheveux, enfouissant ses doigts dans ses boucles, un geste qu’il faisait si souvent. De son pouce, il caressa sa joue. « Ne mange pas tout, je vais probablement en vouloir à mon retour. » Il sourit sans être convaincant.

« Je vais garder mon téléphone pas loin. Si t’as besoin, tu m’appelles, okay? J’espère que ça va bien aller… » Min acquiesça d’un signe de tête. « Je t’appelle dès que c’est fini. »

« Je t’aime. » En guise de réponse, Min l’embrassa avant de l’enlacer dans une solide étreinte. « Je t’aime aussi… Bon, j’y vais. Ne mange pas tout le chocolat. » Un dernier baiser, celui-ci sur le front de Link, Min s’éloigna à contrecœur avant de quitter la chambre d’hôtel.

Puis, les heures passèrent sans le moindre signe de vie de Min-Kyung.

Disappointing son. -- @Ho Min-Kyung

Même si le début de ce « voyage » avait une apparence de lune de miel avec Min-Kyung qui m’a présenté à plusieurs personnes comme étant son petit ami, en plus de tous les endroits qu’il m’a fait visiter, je peux difficilement oublier que sa soirée avec ses parents risque de ne pas se dérouler comme il l’aimerait. J’essaie de demeurer optimiste et d’être là pour lui sans en rajouter une couche avec mon angoisse alors qu’il est déjà dans tous ses états, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Le moment tant attendu approche et je n’ai aucune idée de l’état dans lequel je le retrouverai. J’ai peur de le perdre, je dois l’admettre, disons que mes relations n’ont pas l’habitude de se terminer très bien. Impossible de ne pas repenser au père d’Andy quand Min s’apprête à affronter ses parents. « Je devrais en avoir pour quelques heures… En attendant, ne te sens pas obligé de rester à l’hôtel. Tu peux aussi appeler Doo-na si tu veux. Elle va probablement essayer de te contacter de toute façon. » Je hoche la tête en me forçant à lui sourire pour le rassurer. J’adore sa sœur, mais c’est plutôt la mienne que je compte contacter dès qu’il sera sorti d’ici parce que Tessa a toujours été mon pilier. Elle sait comment m’apaiser et me faire rationnaliser quand je me fais tout un tas de scénarios. « Ne t’inquiète pas, d’accord. Je t’ai choisi et je ne vais pas changer d’idée. » J’essaie d’y croire et de me dire que je serais vraiment malchanceux que le même scénario se répète deux fois, mais une partie ne peut s’empêcher d’être pessimiste pour me protéger. « Je ne bougerai pas d’ici. Je vais regarder un petit film en m’empiffrant de chocolat. Je veux être ici quand tu vas revenir. » En me rongeant les ongles jusqu’au sang, mort d’inquiétude, mais ça il n’a pas besoin de le savoir. L’air inquiet malgré moi, je pose mes mains sur sa tête tout en plongeant mon regard dans le sien. Un petit sourire tendre m’échappe lorsque ses doigts glissent dans mes boucles. « Ne mange pas tout, je vais probablement en vouloir à mon retour. » - « Promis. Et s’il n’y en a pas assez à ton goût, j’irai t’en acheter une caisse. » Même si mes paupières risquent d’être gonflées par mes larmes, j’irai quand même. Pour lui. Ce serait la moindre des choses après ce qu’il s’apprête à vivre. « Je vais garder mon téléphone pas loin. Si t’as besoin, tu m’appelles, okay? J’espère que ça va bien aller… » Je l’interroge du regard pour être certain qu’il a compris. « Je t’appelle dès que c’est fini. » Je hoche doucement la tête en déplaçant mes mains sur son torse, m’agrippant légèrement à ses vêtements pour l’attirer un peu plus vers moi. « Je t’aime. » dis-je en glissant mes mains sur sa nuque. Nos lèvres se retrouvent pour un court baiser avant que mes bras l’enveloppent pour lui donner tout le courage dont il aura besoin. « Je t’aime aussi… Bon, j’y vais. Ne mange pas tout le chocolat. » À contrecœur, je lui rends sa liberté, le cœur lourd. « Bye. Bon courage. » Je lui fais un petit signe de la main avant qu’il ne parte.

Dès que la porte se referme derrière Min-Kyung, je me heurte à un silence angoissant dans la chambre. J’essaie de m’aérer l’esprit en allant sur le balcon pour que mes pensées arrêtent de tourbillonner dans ma tête, mais rien ne fonctionne. Ni le chocolat, ni la télévision et surtout pas mon paquet de cigarettes qui se vide à vitesse grand V. À peine une heure après le départ de Min, je prends mon téléphone et je bombarde Tessa de messages sans même lui donner la chance de répondre avant de lui envoyer le prochain. Ne pas savoir comment il va me rend complètement fou. Je m’attends à ce que ses parents réagissent fortement à la nouvelle, même si j’espère me tromper, et je déteste me sentir impuissant en me retrouvant dans cette chambre où je ne peux rien faire pour le réconforter. Les heures passent bien trop lentement à mon goût. Voilà que mon téléphone indique 23 h et que je n’ai toujours aucune nouvelle de Min. Inquiet, je lui envoie un petit message en essayant de ne pas trop lui faire sentir que je m’inquiète.

Lincoln
Je pense à toi. T’es encore chez tes parents?

Plusieurs heures passent et je suis toujours sans nouvelle. Je me sens épuisée, mais aucune chance que je ferme l’œil sans avoir de ses nouvelles. Stressé, je fais les cents pas dans la chambre d’hôtel en parlant à Tessa. Je sens que je perds le contrôle tandis que mes émotions me submergent, mais je suis incapable de faire autrement. Puis un bruit soudain attire mon attention. « Je pense que c’est enfin lui… je te laisse. » dis-je d’une voix tremblante avant de mettre fin à l’appel. Je m’essuie rapidement le coin des yeux, puis je me précipite vers la porte de la chambre, le cœur battant la chamade. Dès qu’il ouvre la porte, je constate les dégâts : sa joue est écorchée et ne parlons même pas de l’état psychologique dans lequel il semble se trouver. « Oh Min… » Incapable de retenir mes larmes, je m’approche de lui pour le prendre dans mes bras, caressant son dos d’une main. « Qu’est-ce qui s’est passé? » Je me recule juste assez pour voir son visage. « T’étais où? » Ma question ne comporte aucun reproche, mais plein d’inquiétudes. « J’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose. » Comme cette fois où il m’avait appelé en pleine nuit pour que j’aille le chercher. Est-ce que sa blessure est l’œuvre d’un inconnu qu’il a croisé par hasard? Ou celle de ses parents qui se permettent de juger qui il est sans se soucier de son bonheur? Juste de penser qu’ils auraient pu lui faire ça, ça me dégoûte.