Elle semble peser une tonne la valise qui se traîne dans mon sillage. Mon bras fatigué tire d’un coup sec sur la poignée alors que je tente de me frayer un passage au milieu de la gare routière bondé de monde. Je n’ai aucune idée d’où aller, mes pieds avancent par automatisme alors que je suis la marée humaine qui m’entoure. Tous semblent se diriger vers la sortie, les transports en commun ou la file de taxi qui se dessine à l’horizon. Les voyageurs ne fréquentent ce lieu que de manière transitoire, un objectif précis en tête, une réelle destination à laquelle se rendre. Lorsque la seule solution m’avait paru de fuir Sydney, je n’avais pas mis tant de pensées dans l’après. Il fallait que je parte sans rien dire et dans la précipitation, je ne pouvais pas lui laisser l’occasion de me convaincre du contraire alors que ma joue chauffait encore de la trace de sa main sur ma peau. Brisbane m’avait semblé être la seule destination possible, un retour aux sources nécessaire comme un ultime appel à l’aide. Et pourtant, me voilà planté au milieu de cette gare lugubre et sale, la tête qui me tourne tant tout me semble surréaliste. Tout pensait à croire que le trajet interminable – si long qu’il me parût durer des semaines – m’aurait donné l’occasion de penser à la suite, à mon arrivée dans cette ville qui fut mienne. Durant des heures, j’ai repoussé l’échéance, noyant mes pensées derrière des paroles de musique hurler à plein volume dans mes oreilles. La raison est que j’ai honte, que j’ai peur et qu’en rien, je ne trouve le courage d’affronter ma famille. J’ai tout abandonné pour Lawrence, je me suis éloignée, il m’a isolé. L’accueil que l’on pourrait me réserver me terrifie autant que l’idée de retourner à ses côtés. Je ne sais où aller…

Dehors, l’orage gronde comme un cadeau de retour qui se voulait désespérer à l’idée de coller à mon humeur. Le ciel est gris et bas, les gouttes d’eau s’éclate sur l’asphalte à un rythme effréné. Dans ce chaos, les hôtels me répondent les uns à la suite des autres qu’ils sont complets pour le week-end. Alors je hèle un taxi, me persuadant que me rendre chez Louisa reste la meilleure des décisions. Elle comprendra, elle, qui avait, fuit bien avant moi. Valise jeter dans le coffre, je me glisse sur la banquette arrière. La femme au volant tourne son regard vers moi et j’hésite. Il me suffit pourtant de lui donner l’adresse de ma sœur, mais les mots manquent, je bégaye faiblement. Et l’idée me vient de sortir mon téléphone, de gagner quelques secondes, jouer avec les applications, retrouver cette note abandonnée dans un coin. « Au 303 Doggett Street à Fortitude Valley, s’il vous plaît. » Cette adresse qui apparaît comme la solution sans que je n’y trouve une raison fondée. Elle, elle saura, non ?

Poing levé devant le panneau de bois. Geste suspendu dans le vide. Frapper ou partir ? Il semblerait que mon cerveau décide de ses prochaines actions en une fraction de seconde alors que mon poing s’abat contre la porte en trois petits coups. Je n’ai aucune idée de ce que je viens faire ici, aucune raison qui m’amène à me présenter à sa porte. Trempée, je grelotte tenant ma valise fermement à mes côtés. « C’est stupide. » que je marmonne, réalisant subitement l’absurdité de la situation. J’étais en train de tourner le dos à la porte lorsque cette dernière s’ouvre dans un léger grincement. Prise au piège, je panique. « Désolée… Je… Je voulais pas te déranger. »

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Assise à la chaise de mon bureau, je fais tourner le double des clés que m’a offert Swann entre mes doigts. Qu’est ce que cela signifie, que chez lui c’est chez nous ? Qu’il a envie que ça le devienne petit à petit ? Que je peux le rejoindre sans m’annoncer ? Y traîner même quand il n’est pas là parce que je m’y sens aussi bien qu’à la colocation ? L’appartement que je loue avec Scarlett, j’y mets à peine les pieds à présent : je passe le plus clair de mon temps que mon petit ami. Les choses se sont faites naturellement : il ne m’a pas proposé d’emménager avec lui mais après la venue de Lawrence au café je ne me sentais plus en sécurité dans mon propre appartement. J’ai mal compris les reproches qu’il m’a envoyé au visage avant que Swann et lui n’en viennent au main. Ce que je sais c’est qu’il était ivre, remonté, prêt à en découdre et aussi brusque que violent. Ce que je sais également c’est que, l’an dernier, pour qu’il puisse envoyer sa petite amie chercher le double des clés de notre ancien appartement alors qu’ils étaient de passage à Brisbane, je lui ai envoyé l’adresse de chez moi. Alors j’ai eu peur, j’ai eu peur qu’il vienne m’y débusquer et depuis des semaines je n’ai pas quitté l’appartement de Swann, quelques numéros plus haut dans la rue.

Ce soir n’était pas supposé faire exception. Ce soir, j’étais supposée passer à l’appartement pour manger avec Scarlett avant qu’elle ne parte en soirée, faire quelques machines après les vacances et récupérer des vêtements dans mon dressing pour les ramener chez Swann pour la semaine. Assise à ma chaise de bureau, j’ai profité de la durée de la machine pour transférer les photos de nos vacances en van sur mon ordinateur, trier, retoucher et sauvegarder sur mon disque dur. Je suis occupée à relire mon journal de bord lorsqu’on frappe à la porte. Je n’attends personne et, si je tente de rester rationnelle, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Mais c’est ridicule, la visite de Lawrence au café remonte à il y a des semaines, que ferait-il à l’appartement ? Est-ce Swann qui vient me tenir compagnie le temps que je le rejoigne ? Nous venons de nous quitter, j’ai du mal à y croire. Alors je passe une main dans mes cheveux pour les arranger et, maudissant le judas de la porte qui est si rouillé qu’il ne pivote plus, j’ouvre doucement. J’oublie rarement un visage, et la blonde qui avait déjà commencé à s’éloigner et qui se retourne, je la reconnais. « Désolée… Je… Je voulais pas te déranger. » Je fronce les sourcils, le rythme des battements de mon cœur s’accélère et, interdite, je pose mes yeux sur son énorme valise. « Tu me dérange pas mais je …. T’as de la chance de me trouver là. » Hébétée, je réponds sans trop réfléchir. Je ne pose pas la question qui me semble évidente : qu’est ce que tu fais là ? Est-ce Lawrence qui l’a envoyée pour tenter d’apaiser la situation ? Est-elle là pour m’adresser des reproches elle aussi ? Inquiète, je sors la tête de l’appartement pour jeter un œil à la rue, à la recherche du brun caché quelque part. « T’es toute seule ? » Elle ne l’était pas la dernière fois, il attendait dans la voiture. Là, il semble n’y avoir personne d’autre qu’elle et je ne m’explique pas la présence de la valise. Je suis tentée de refermer la porte et d’oublier qu’elle est là, juste devant. Sauf qu’elle a l’air perdue. Sauf qu’il émane d’elle une tristesse qui me renverse et me laisse muette et je n’ai pas le cœur de lui faire ça. « Tu veux rentrer pour m’expliquer pourquoi… Euh.. Ce que tu fais là ? » Elle aussi, elle jette des coups d’oeil inquiet autour d’elle après tout.

Frapper à cette porte me renvoie plusieurs mois en arrière lorsque Lawrence m’avait sommé de venir récupérer une paire de clés. Il avait tant insisté pour que je monte seule, tout en me pressant de lui donner le moindre détail sur la jeune femme que j’allais découvrir. Dieu que je m’étais sentie idiote à sonner à sa porte pour lui réclamer les clés de son ex petit-ami, celui qui n’avait même pas le courage de lui faire face tant il avait été lâche avec elle. Ce jour-là, c’est à peine si on avait échangé un regard toutes les deux. Quelques mots emplis d’une politesse gênée avaient été jeter entre nous pour la forme, pour ne pas paraître trop agressive dans la rétribution du bien. J’avais voulu m’excuser de l’intrusion avant de me souvenir de tout ce qu’elle avait bien pu lui faire, a quel point elle l’avait rendu malheureux. Elle l’avait trompé bien avant qu’il ne me rencontre, je ne faisais rien de mal en sa compagnie. Tout du moins, c’est ce que je pensais dur comme fer. Aujourd’hui, je ne suis plus sûre de rien, les paroles de Lawrence trônent dans un coin de ma tête oscillant entre vérité et une découverte du monstre qui se cachait derrière les mensonges. Tout semble se brouiller tant les convictions qui faisaient la force de notre couple se sont effriter au point de plus pouvoir tenir le choc. Cette fille chez qui je viens chercher refuge, je ne la connais qu’au travers des paroles d’un homme qui a su se prouver fin manipulateur. Qui est-elle véritablement ? Je n’en ai aucune idée et pourtant me voilà planté devant sa porte.

Fuir me semblait être la meilleure des idées dès l’instant où je réalise pleinement que la situation semble absurde. La remplaçante qui tente de trouver refuge chez la fille du passé. On dirait le speech d’un très mauvais film. Le scénario n’en devient que plus catastrophique du moment où la porte s’ouvre pour laisser apparaître une petite blonde un peu craintive qui semble vivre un mauvais rêve dès l’instant où je me mets à balbutier face à elle. « Tu me déranges pas, mais je …. T’as de la chance de me trouver là. » Oh que j’aurais aimé qu’elle ne soit pas là. J’aurais filé sans demander mon reste, mais également sans savoir où aller ensuite. Au moins, je n’aurais pas eu le temps de me ridiculiser comme je suis en train de le faire, valise à la main, cheveux trempés, maquillage qui coule et cœur en miette. « T’es toute seule ? » Son regard ne cesse de jeter des coups d’œil inquiet vers la rue dans l’expectation du pire. « Il n’est pas là. » Aurait-il l’idée de venir me chercher ici ? La probabilité que je trouve refuge chez elle est si peu croyable que j’en doute. Va-t-il me chercher ? J’en doute aussi… Il passera à autre chose Lawrence, des nanas il en a tout autour du ventre. « Tu veux rentrer pour m’expliquer pourquoi… Euh.. Ce que tu fais là ? » Et lorsque nos regards se croisent enfin, je comprends… Elle saura entendre, elle. Je ne sais pas ce que fut leur histoire, je ne sais pas si je veux vraiment l’apprendre, mais là dans sa crainte, je reconnais la mienne. Cette peur d’un homme tout-puissant qui sait piquer une colère. Cet homme qui était mon monde, qui disait m’aimer et qui m’a frappé. « Merci. » que je murmure simplement alors que je pousse ma valise dans son entrée, tête baissée. Je laisse les lanières de mon sac à dos glisser de mes épaules et plonge ma main dans la grande poche pour en tirer un gilet déformé par le voyage. « Je vais pas te déranger longtemps. » Je crois. « Il pleuvait et… Quand le taxi m’a demandé l’adresse, j’ai donné la tienne. » Je cherche une excuse quand en réalité, je n’en ai pas. Je bégaye, sautille sur mes pieds, voudrais me ronger les ongles pour calmer cette anxiété qui ne cesse de monter alors que je me retrouve seule avec elle. Tu fais n’importe quoi Shiloh… Qu’est-ce que Lawrence va penser de moi ? « Pardon, tu dois avoir tellement mieux à faire. » Avant, je n’avais jamais peur de déranger, je m’imposais dans une pièce, tête haute et sourire fier. Ce soir, dans cet appartement, je rêve d’aller me cacher dans un trou de souris pour ne plus jamais en ressortir.

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« Il n’est pas là. » Je ne devrais pas être étonnée qu’elle ait surpris mes oeillades : je ne me cache pas d’avoir peur de Lawrence, plus depuis la dernière fois en tout cas, plus depuis que je me surprends à jeter un coup d’oeil au dessus de mon épaule dans la rue ou à sursauter quand, au loin, une silhouette qui ressemble à la sienne se détache.


J’ignore si elle est venue seule parce qu’il le lui a demandé ou, au contraire, parce qu’elle le fuit. Mais en l’observant, je penche pour la seconde alternative : je suis bavarde mais je ne me confie que peu sur ce que je ressens, sur ce qui compte. Par contre, j’écoute, j’observe, et je suis de façon générale assez douée pour capter les émotions de mon interlocuteur. La petite amie de Lawrence - je connais son prénom mais ne veut pas l’avouer, je ne suis pas supposée avoir passé des semaines à regarder leurs réseaux sociaux respectifs après notre séparation - elle transpire la peur et la détresse. Elle a l’air d’avoir pleuré, il n’y a pas longtemps, et elle a l’air d’avoir atterri devant ma porte un peu par hasard. A-t-il crié un peu plus fort ce soir-là ? L’a-t-il insultée ? Qu'a-t'il fait pour qu’elle ait ce déclic que je n’ai jamais eu ? « Merci. » Je m’efface pour la laisser entrer. Je serais un monstre si je lui fermait la porte au nez : je me doute que ce n’est pas agréable pour sa fierté que de frapper à ma porte, qu’elle ne l’aurait pas fait si elle avait entrevu une autre solution. « Je vais pas te déranger longtemps. » « Dis pas de bêtises, viens, réchauffe-toi, tu veux boire quelque chose ? Un thé, un café peut-être ? Je dois pouvoir faire du chocolat. » Pour peu, je suis si nerveuse que je pourrais lui réciter la carte du DBD pour avoir à parler de choses sérieuses, à lui demander ce qu’elle fait là exactement. Je l’ai fait une fois, je l’ai sous entendue ma question en tout cas et je suis bien trop polie pour insister. « Il pleuvait et… Quand le taxi m’a demandé l’adresse, j’ai donné la tienne. » « C’est pas grave. » C’est déconcertant, mais grave non, ça ne l’est pas. Je me demande pourquoi moi, pourquoi a-t-elle pris l’avion jusqu’à Brisbane pour venir frapper à ma porte. « Pardon, tu dois avoir tellement mieux à faire. » « Arrête de t’excuser. » Swann me dit souvent la même chose et, à cette pensée, je souris tendrement. « Je te dis que c’est pas grave. Tu veux quelque chose pour te changer ? T’as des affaires sèches là-dedans ou ta valise est détrempée ? » Elle m’a remplacée et me voilà prête à vider ma penderie dans l’espoir qu’elle arrête de claquer des dents. Hannah me dit souvent que ma bontée me perdra, mais je ne suis pas prête à abandonner. « Une chance que tu t’en souviennes. De mon adresse je veux dire. » Elle n’est venue qu’une seule fois après tout et l’ai-je vraiment marquée ? Qui suis-je pour elle ? « Tu voulais me parler ? Il voulait que tu me parles ? » Je l’observe, avant de me secouer les puces : ce n’est pas une façon d’aborder les gens. « Non, t’en fais pas, tu me répondras plus tard. Quand tu seras sèche et réchauffée. » Et sur l’instant, quelle que soit sa réponse à mon offre de boisson chaude, je me dirige vers la cuisine pour préparer tout ce qu’il faut pour réconforter quelqu’un, sans trop savoir pourtant où je mets les pieds ni pourquoi je le fais.
 

C’est tête baissée et honteuse que je passe le pas de sa porte dans l’idée de ne rester qu’un temps, d’abord pour me réchauffer. Je suis bien incapable de réfléchir plus loin que le bout de mon nez, tout semble prendre une dimension étrange. Voilà que je trouve refuge chez elle et plus hallucinant encore qu’elle me laisser entrer. « Dis pas de bêtises, viens, réchauffe-toi, tu veux boire quelque chose ? Un thé, un café peut-être ? Je dois pouvoir faire du chocolat. » Instinctivement, je voudrais m’excuser encore, lui promettre – pour la deuxième ou serait-ce la troisième fois ? – que je ne vais pas m’imposer, peut-être simplement attendre que l’orage cesse. Mais j’ai froid, je sens mon corps courbaturé par les heures assise dans le bus et très sincèrement… « Un thé se serait parfait. » Pour gagner un peu de temps, pour tenter de retrouver mes esprits aussi. Soudainement, le poids de la décision semble peser plus lourd que jamais sur mes épaules. Complètement sonner, je réalise à peine que j’ai bien parcouru toute la distance qui mène de Sydney à Brisbane, que je suis parti sans même dire quoique ce soit à Lawrence. Et la première chose qui me vient à l’esprit, c’est qu’il va être en colère et que je vais en prendre pour mon grade dès que je rentrerais. Je balbutie auprès de Lucia autant que je suis déjà à la recherche de l’excuse parfaite qui apaisera la jalousie de Lawrence. Je trouverais bien quelque chose, prétexterais une urgence familiale ou que sais-je encore, il pourra comprendre. Perdue dans mes pensées, aspirée dans ce cercle vicieux qui me ramène toujours à lui, je sursaute littéralement lorsque la jeune femme s’adresse de nouveau à moi. « Je te dis que c’est pas grave. Tu veux quelque chose pour te changer ? T’as des affaires sèches là-dedans ou ta valise est détrempée ? » Je voudrais lui sourire, mais les battements effrénés de mon cœur mettent une minute de trop à s’apaiser. « Oh non non, je… J’ai ce qu’il faut, ça va, merci. » Ne fais pas ta pleureuse Shiloh, il déteste ça. Pour me donner une contenance, je me racle la gorge, me redresse un peu sur le canapé que j’occupe. Dans un coin de ma tête, je ne cesse de me répéter pourquoi je suis partie, pourquoi je ne retournerais pas à Sydney, mais tout se mélange et tout reste si confus. « Une chance que tu t’en souviennes. De mon adresse je veux dire. » Elle doit croire que c’est lui qui m’envoie, encore. Ou pire que je l’ai espionné durant tout ce temps. J’ai si honte que je voudrais partir en courant, mais je trouve à peine la force de formuler une réponse cohérente pour me justifier. « J’avais encore l’adresse dans mon téléphone. » Celui que j’ai fini par éteindre à nouveau pour ne pas voir les messages qu’il pourrait m’envoyer ou non. « Tu voulais me parler ? Il voulait que tu me parles ? » Je m’empresse de secouer la tête pour lui indiquer que non. « Non, t’en fais pas, tu me répondras plus tard. Quand tu seras sèche et réchauffée. » Et déjà elle s’en va, probablement vers la cuisine.

Je trouve un petit endroit à l’abri de son regard pour rapidement changer mon jean, enfilé un tee-shirt sec et remettre ce sweat trois fois trop grand. Caché sous la couche de vêtements, je me sens un peu mieux, comme protéger. D’un geste assuré, j’enroule mes cheveux dans un chignon brouillon, mais qui fera l’affaire. Et me voilà seule avec mes pensées, dans un appartement que je ne connais pas, loin de mes habitudes et avec cette peur qui me tords le ventre. C’est stupide, je ne devrais pas être ici. Pas le temps de penser plus, la revoilà avec une tasse de thé fumante à la main. Je la remercie d’un sourire, pense encore à ce qu’elle m’a demandé alors que mes doigts s’enroulent autour de la céramique brûlante. Les secondes s’égrènent étirant le silence qui deviens gênant, mais qui m’est nécessaire pour me souvenir de la scène exacte qui m’as fait prendre cette décision. Je l’entends encore m’insulter et la douleur de sa main qui s’abat sur ma joue. « Il m’a frappé… » J’ai comme un sursaut lorsque je réalise que je viens d’exprimer cela à haute voix. « Je… Je me dis que c’est pas ici qu’il viendrait me chercher. » Pas chez elle, ça ne fait pas sens, il la déteste et ne veux plus la revoir.

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Je pourrais ne voir en elle que la fille qui m’a succédé. Celle qui a pris ma place aux côtés de Lawrence et qui, peut-être, l’a poussé à me mettre à la porte. Oh, bien sûr, naïve, je n’envisage pas qu’il m’ait trompée. Je me dis simplement qu’il l’a peut-être rencontrée, qu’il a eu un coup de foudre, ces choses-là ne se contrôlent pas et qu’il a réalisé qu’elle lui correspondait mieux que moi. Elle pourrait être la méchante de mon histoire, mais ce n’est pas le cas pour plusieurs raisons. La première, c’est que je ne suis simplement pas comme ça. Je ne suis pas le genre de femme qui, face à une congénère visiblement secouée et en détresse, crachera sur la main qu’elle tend dans ma direction pour que je la rattrape. J’aurais été incapable de me regarder dans le miroir si j’avais refusé de lui tendre la mienne alors qu’elle semble en avoir besoin. L’autre raison, c’est qu’aujourd’hui j’ai grandi, j’ai guéri et j’ai fait du chemin depuis ma séparation. Je suis non seulement à nouveau tombée amoureuse de quelqu’un de formidable, mais j’ai surtout réalisé que j’aurais dû le quitter plus tôt Lawrence, j’ai ouvert les yeux sur les dérives de notre couple et sur toutes les raisons qui font qu’il était nocif et toxique pour moi. A partir de là, comment lui en vouloir plutôt que d’avoir envie de la remercier ? Comment ne pas me sentir coupable de ne jamais avoir osé la prévenir ? Mais peut-être est-il différent avec elle non ? C’est ce que je me suis répété mois après mois, quand la culpabilité a commencé à faire surface. « Un thé ce serait parfait. » Un thé ce sera alors et au moins, cela m’occupe. Je hoche la tête doucement avant de me diriger vers la cuisine, non sans lui avoir proposé des vêtements chauds puisqu’elle grelotte dans les siens. « Oh non non, je… J’ai ce qu’il faut, ça va, merci. » « Tu peux utiliser la salle de bain si tu veux pour te changer. Ou bien là, ça me dérange pas, promis je me retourne pas. » Je l’encourage d’un sourire avant de me retourner pour remplir la bouilloire et préparer deux tasses avec un sachet de thé dans chacune. Je lui laisse le temps qui me paraît nécessaire à enfiler quelques vêtements propres et pendant que l’eau chauffe, je joue nerveusement avec mes doigts sans oser bouger ou parler. Lorsque je reviens vers le canapé, je dépose les tasses fumantes sur la table basse en l’invitant d’un signe de tête à s’installer. « Fais comme chez toi, vraiment. Ma coloc va rentrer tard ce soir, elle travaille, on est que toutes les deux. » Et moi, j’avais l’intention de passer la nuit chez Swann, et toutes les suivantes puisque nous projetons de nous installer ensemble, mais je le tais. « J’avais encore l’adresse dans mon téléphone. » Je hoche la tête, compréhensive.

Que fait-elle là ? Sait-il qu’il est venu me trouver au milieu du mois de septembre ? Qu’il m’a adressé des reproches que je n’ai compris que plus tard, lorsqu’en fouillant internet et les articles portant sur le groupe j’ai découvert que le label qui les avait lancé ne travaillait plus avec eux ? Est-ce ça qu’il me reproche ? Que se passe-t-il puisque moi, je n’ai rien fait et ne suis au courant de rien. « Il m’a frappée…  » D’un coup, ma gorge se noue et je me pétrifie. Je crois que ces mots, j’ai toujours eu peur de les entendre un jour. Je crois que j’ai toujours eu peur qu’après moi Lawrence fasse pire, qu’il s’en prenne à une fille parce que je n’ai pas parlé et que je ne l’ai pas empêché de nuire. Sous la lumière artificielle, je la vois à présent, la marque sur la joue de la blonde et je ne peux plus me convaincre qu’elle s’est simplement cogné dans une porte. « Je… Je me dis que c’est pas ici qu’il viendrait me chercher. » Mon cœur bat la chamade et mes doigts se referment autour de ma tasse. Je ne peux pas lui dire, pas maintenant, que j’ai moi même eu peur qu’il vienne tout le mois après son passage au café. Je me mords la langue pour ne pas pleurer et j’ai déjà du mal à aligner quelques mots. « Je suis désolée. » Je baisse les yeux, honteuse de voir l’un de mes pires cauchemars prendre forme sous mes yeux. Ce qui t’es arrivé, j’aurais pu l’empêcher. Que dire de plus ? Ma délicatesse me force à me taire mais j’ai du mal à formuler autre chose que des excuses bien inutiles. « Je suis vraiment désolée. Tu peux rester ici autant de temps que tu veux. » Moi, je préviendrai Swann pour ce soir. « Tu… C’était la première fois qu’il te faisait mal ? » Physiquement ou autrement ? Il ne m’a pas frappée Lawrence, mais je sais qu’il n’en est pas à son coup d’essai en termes de maltraitance. « Tu as prévenu quelqu’un ? » Quelqu’un de sa famille ? Des amis ?

Il m’a frappé.
Les mots sont dits, posés avec lenteur sur cette blessure ouverte.
Il m’a frappé et j’ai pris peur.

Instinctivement, je me replie sur moi-même, laissant la tasse de thé brûlante sur la table basse et ramenant mes jambes contre mon torse. Recroqueviller au point de vouloir enfouir ma tête entre mes genoux, je lutte contre cette boule qui se forme dans le creux de ma gorge. Je ne dois pas pleurer, il déteste ça. Jamais je n’avais encore mis de mots sur ce qui avait bien pu se passer. La première fois, je ne cessais de me jurer qu’il s’agissait d’un accident, sa colère avait dépassé la raison, il m’avait frappé. Je l’avais un peu cherché, jamais je n’aurais dû lui parler ainsi alors qu’il pensait bien faire. La deuxième fois, je n’ai pas su lui trouver des excuses. Lorsque sa main s'est abattue sur ma joue dans un claquement sourd, j’ai eu peur, vraiment, comme jamais auparavant. Ce que j’ai lu dans son regard ce soir-là, je ne pourrais jamais l’oublier. Il n’était pas simplement en colère, il me haïssait, ce n’était que du dégoût qui se lisait au creux de ses prunelles sombres. Il me suffit de fermer les yeux quelques secondes pour revoir son expression se peindre derrière mes paupières. « Je suis désolée. » Elle s’excuse et je tremble sans vraiment trouver la force de relever les yeux vers elle. Elle doit penser que j’exagère, que je n’ai pas compris ou peut-être même que je le mérite. C’est toujours ce qu’il disait Lawrence, que tout était de ma faute, qu’il n’aimait pas se mettre en colère, mais que c’était à cause de moi, que je ne lui laissais pas le choix. Il a toujours dit faire cela par amour, parce qu’il voulait que je sois quelqu’un de bien à ses côtés. Et perdue dans mon délire, j’oscille entre un manque indicible et cette peur viscérale de le revoir. « Je suis vraiment désolée. Tu peux rester ici autant de temps que tu veux. » Docilement, je hoche la tête, sachant parfaitement que je ne pourrais m’imposer bien longtemps. Elle trouvera une excuse pour me demander de partir et elle en aura tous les droits.

J’allais m’excuser encore une fois pour le dérangement. Je voulais me lever, remettre mes chaussures, prendre mes valises et filer d’ici. Elle n’avait rien demandé, alors pourquoi je débarque chez elle sans prévenir ? J’ai honte, j’ai peur et j’ai toujours aussi froid, malgré mon pull, malgré le thé que je tente de boire. « Tu… C’était la première fois qu’il te faisait mal ? » « Oui. » La réponse fuse avant même qu’elle est pleinement terminée sa question. Instinctivement, je le protège lui, mais quand mes prunelles croisent celle de la blonde, je sanglote presque. « Non. » Non ce n’était pas la première fois. « Mais c’était juste une gifle. » Dédramatiser encore pour lui trouver une excuse, pour qu’elle valide mes pensées. Ce n’était pas si grave, je devrais aller le retrouver. Pourtant, son regard à elle, semble vouloir dire tout autre chose. « Il était juste en colère à cause de moi. » Rien de tout cela ne sonne juste, mais je suis incapable de le comprendre.

« Tu as prévenu quelqu’un ? » Je secoue la tête reniflant quelque peu. « Non. » Je suis venu ici sans rien dire à personne autant à lui qui est rester derrière, qu’à ma famille qui vit toujours ici. « Ils ne comprendraient pas. » Parce que pour lui, j’ai coupé les ponts avec tout le monde, mais aussi parce que j’ai honte d’être tombé si bas, de ne plus trop savoir si je dois le laisser ou aller le retrouver. « Je sais même pas si je vais rester ici ou rentrer. » Rentrer à Sydney. C’est la dualité qui m’agresse l’esprit depuis mon départ. Est-ce que j’ai bien fait de m’enfuir ? Est-ce que j’aurai dû me battre pour nous ? Tout semble si flou et soudainement je me sens si fatiguée, prête à tout lâcher.

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Lucia Whitemore & @Shiloh Atkins

Mon monde s’effondre lorsqu’elle me fait ce terrible aveu : il l’a frappée. Il l’a frappée et, moi, je suis convaincue que j’aurais pu essayer d’empêcher une telle chose. Quand elle est venue chez moi l’an dernier, n’aurais-je pas pu tenter de lui parler ? De la mettre en garde ? Me faire violence pour mettre des mots sur ce qu’il m’était arrivé pour éviter qu’il reproduise les mêmes comportements avec elle et même pire, qu’il aille plus loin en levant la main sur elle ? A l’époque je n’en ai pas été capable puisque j’en étais persuadée : j’étais le problème ou en tout cas une majeure partie du problème dans ma relation avec le brun. Elle, semblait lui convenir mieux donc aucun risque qu’il reproduise les mêmes comportements non ? Aujourd’hui, je réalise que j’ai été idiote, je réalise que j’ai été égoïste et que le fait d’être terrorisée n’excuse pas tout : j’aurais dû faire quelque chose.

Suis-je surprise ? Lawrence ne m’a jamais frappée mais je suis obligée d’admettre que je ne peux pas prétendre tomber des nues. En public il est parfait, charismatique, il a de l’esprit et semble toujours attirer l’attention de tout le monde dans la pièce. Mais je le connais moi, je sais comment il se comporte derrière les portes closes et jamais je ne remettrai la parole de la demoiselle en doute. Il en est capable, il l’a fait, c’est une certitude.  « Oui. » J’entends mon coeur pousse un sourire de soulagement mais, en croisant le regard de la blonde, je réalise qu’elle me dit surtout ce que je veux entendre. « Non. Mais c’était juste une gifle. » « C’était pas juste une gifle... » Je murmure avec douceur. S’il a reproduit avec elle les comportement qu’il avait avec moi, ce n’était pas juste une gifle. « Combien de fois ? » Combien de fois l’a-t-il frappée ? Depuis combien de temps ? « Tu veux de la glace pour ta joue ? » Ce n’était pas juste une gifle si ça laisse ce genre de marque. Je ne veux pas la brusquer : rien ne l’oblige à me parler de son quotidien avec mon ex et, au fond, je ne suis pas certaine d’être prête à entendre le récit de ses abus sans être propulsée à nouveau dans l’enfer de mon quotidien avec lui. J’invoque le doux visage de Swann pour me rassurer : ses sourires, ses fossettes, sa douceur et ses je t’aime. « Il était juste en colère à cause de moi. » Je secoue la tête doucement, sans oser faire un mouvement dans sa direction pour autant par peur de la brusquer : je reste sagement de mon côté du canapé. « Être en colère ça justifie pas de te mettre une gifle. » Et je réalise que ce que je dis s’applique à moi aussi et à mon expérience avec le jeune homme : être en colère ne justifiait pas les horreurs qu’il me crachait au visage.

« Non. Ils ne comprendraient pas. » Je hoche la tête doucement. C’est son droit le plus strict et je serai hypocrite si je prétendais ne pas comprendre : comme elle, je n’a parlé de rien à ma famille et, encore à ce jour, personne ne sait en dehors de ma psychiatre, Leah, Swann et Evelyn, et aucun d’entre eux n’a eu le droit à tous les détails les plus humiliants. « Je te comprends moi. » Je ne parviendrai pas à m’ouvrir plus ce soir : c’est encore trop dur d’en parler, mais je te comprends, cela veut tout dire non ? « Je sais même pas si je vais rester ici ou rentrer. » « Retourne pas avec lui. » Ce n’est pas mon rôle de lui dire quoi faire, mais la phrase m’échappe comme si elle me brûlait les lèvres : je ne peux pas savoir ça et la laisser faire, je ne peux plus cautionner. « On a une chambre libre, tu peux rester ici autant de temps que t’en auras besoin. Mais retourne pas avec lui. » C’est presque moi qui la supplie, parce que je me sentirai dégoûtante de savoir et de ne rien dire.

À chaque seconde qui passe, a chaque nouveau souffle expirer, mon esprit s’efforce à trouver une énième excuse quant au geste que Lawrence a eu envers moi. Il me l’a toujours répété, Lawrence, il n’a jamais voulu me faire de mal, mais parfois, il ne sait pas maîtriser ses émotions. C’est vrai qu’il s’emporte souvent, qu’il ne sait pas se canaliser lorsque quelque chose ne lui va pas. Il arrive que ses mots dépassent sa pensée, mais il a toujours tout fait dans notre intérêt. En arrêtant de courir les stages, j’ai pu me concentrer à travailler de la maison, à monter ma collection petit à petit même si je dois souvent recommencer quand il décide de jeter un modèle qui ne lui plaît pas. Au moins, j’ai le temps de l’accompagner de partout pour son projet, parce qu’il a besoin de soutien Lawrence surtout depuis que ça va mal pour son groupe. C’est d’ailleurs ce qui le préoccupe tant ces derniers temps, les soucis d’entente dans le groupe, le manque d’inspiration pour créer un nouvel album. C’est normal que je sois là pour lui. Dans un couple, on se doit de se soutenir l’un l’autre et clairement les projets d’avenir de Lawrence passe avant les miens. Ce soir-là, il était sur les nerfs à cause d’un conflit au studio et je l’avais cherché en renversant ce fichu verre. Ce n’était qu’une gifle sans importance. « C’était pas juste une gifle... » Je secoue la tête refusant d’entendre la vérité, alors que je suis pourtant bel et bien là, assise en face de l’ex petit-amie de Lawrence après avoir fui Sydney sans me retourner. Pourquoi, ce sentiment de terreur me reste coller à la peau telle une sangsue qui se refuse à être nourrie par des réponses logiques et rationnelles ? Pourquoi je tremble à la simple idée de repenser à cette horrible soirée ? Ce n’était rien… « Combien de fois ? » Je devrais lui mentir, brouiller les pistes, prétendre une fois encore que ce n’était rien, mais il faut croire qu’une force incontrôlable me pousse à lever les barrières. « Deux fois. » que j’avoue à la jeune femme en baissant encore plus le regard, tant que possible tout du moins. « Mais la première fois, je lui avais mal parlé. » Encore une excuse, prise dans le prisme de ce qu’il a réussi à graver dans ma mémoire. « Tu veux de la glace pour ta joue ? » Et soudainement, elle est là l’horreur, pour moi. Si elle me demande cela, c’est qu’elle a vu, c’est qu’il reste une marque, malgré la tonne de fond de teint que j’ai appliqué en continue durant la journée. « Ça… Ça se voit beaucoup ? » Il faut pas que ça se voit, il va s’énerver à nouveau Lawrence, il aime pas ça, il me l’avait dit la première fois.

Je voudrais me cacher dans un trou, mais le regard de la jeune femme est si insistant. Un mélange d’effroi et de pitié qui me prend aux tripes et me rend mal à l’aise. Une nouvelle fois, je tente de dédramatiser la situation, je lui explique que tout cela était justifier, mais elle insiste tellement. « Être en colère ça justifie pas de te mettre une gifle. » Je secoue la tête, soufflant avec force. « Tu sais rien, j’ai renversé le verre sur son jean, il a juste pas su maîtriser son geste. C’est rien. » Elle n’était pas là, elle ne sait pas. C’est toujours lui que je défendrais. « Il a pas fait exprès. » que j’ajoute aveuglément, persuader que d’ici quelques jours quand tout se sera tassé, j’irais retrouver mon petit ami.

« Je te comprends moi. » Perdue dans mes pensées, déterminer à me rassurer sur l’innocence de Lawrence, j’entends à peine les mots murmurés par Lucia. Ils auraient pu faire la différence pourtant, mais je relève à peine, soufflant à nouveau. « Non, tu comprends pas. » Pourtant, l’indice est juste là, sous mon nez. Elle comprend, parce qu’elle a vécu avec lui, elle aussi. Elle comprend plus que ce que je ne pourrais jamais l’imaginer, mais je ne l’entends pas. Après tout, c’est elle qui l’a trompé, c’est elle qui lui a fait du mal dans leur relation. Il me l’a si souvent répéter, je ne peux pas l’oublier. Et alors que je formule le désir de retourner à Sydney, elle s’emporte presque. [color=darkcyan]« Retourne pas avec lui. » Mes sourcils se froncent alors que je croise le regard de la jeune femme. « On a une chambre libre, tu peux rester ici autant de temps que t’en auras besoin. Mais retourne pas avec lui. » Je secoue la tête doucement. « Tu n’as pas à faire ça. » Elle ne me connaît pas, elle ne me doit rien. Il faut que la peur redescende un peu, peut-être que je devrais en profiter pour tout de même voir ma famille. Je ne sais plus vraiment, je crois que j’ai la tête qui tourne tant tout se mélange. Penser à Lawrence, c’est autant avoir le cœur qui bat par amour que par peur et ça ne devrait pas être normal. « Je saurais pas faire sans lui. » que je finis par murmurer doucement. Je serais perdue sans lui…

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Lucia Whitemore & @Shiloh Atkins

« Deux fois. Mais la première fois, je lui avais mal parlé. » Deux fois. Est-ce vrai cette fois-ci ou est-elle en train de minimiser ? Avoue-t-elle qu’il a levé la main sur elle plus d’une fois simplement parce qu’elle s’est trahie ? Parce qu’elle n’a pas su mentir ? Je suis bouleversée autant parce qu’elle me fait de la peine que parce que je suis projetée plus d’un an en arrière. Je sais que, à sa place, j’aurais réagi exactement de la même façon, surtout lorsque j’étais encore avec lui. Lorsqu’il levait la voix ? Ma faute. Lorsqu’il m’insultait et s’adressait à moi de façon dégradante ? Qu’il manquait une colère ? Une crise de jalousie ? Qu’il me manipulait pour que je quitte pour travail ou cesse de parler à quelqu’un ? Ma faute, ma faute, ma faute et ma faute. Pourtant, lorsqu’il est question d’elle, je suis capable d’être clairvoyante : elle n’y est pour rien. Pourquoi est-ce si compliqué, toujours aujourd’hui, de ne pas être aveugle dès qu’il s’agit de soi et de sa propre situation ? « Deux fois c’est deux fois de trop. » Aurais-je eu le courage de partir moi aussi s’il m’avait frappée ? « Et y’a rien qui justifie ça. Certainement pas de lui avoir mal parlé. » Il a certainement fait bien pire, à elle peut-être, à d’autres certainement. « Ça… Ça se voit beaucoup ? » « Ça se voit déjà trop. » Ca ne devrait pas se voir du tout puisque ça n’a rien à faire là. Elle ne répond pas à ma question cependant et je disparais dans la salle de bain l’espace d’un instant, avant de revenir vers elle et de lui tendre un tube d’arnica.

« Tu sais rien, j’ai renversé le verre sur son jean, il a juste pas su maîtriser son geste. C’est rien. » « Il t’a frappée parce que t’as renversé un verre sur son jean ? » Je l’observe, horrifiée et bouleversée. Même lorsqu’il m’a quittée, je n’ai pas réussi à détester ma remplaçante. Il l’a rencontré vite certes, je me suis sentie remplacée, mais j’ai naïvement espéré qu’elle soit la bonne pour lui. Qu’il me traitait comme ça simplement parce que moi je ne l’étais pas, que nous n’étions simplement pas compatibles. « Il a pas fait exprès. » « Ton visage s’est trouvé par inadvertance sur la route de sa main ? » Je m’en veux dès l’instant où la phrase passe la barrière de mes lèvres. Je n’ai pas envie de la brusquer : je sais d’expérience que ça ne sert à rien. « Je suis désolée… Mais lui trouve pas d’excuses, il en a pas... »

Il n’en a pas puisque ce n’était pas la première fois qu’il était violent avec une femme, quand bien même il l’avait jusqu’ici uniquement été avec des mots. « Non, tu comprends pas. » Je fronce les sourcils mais encore une fois, je préfère faire attention à ses sentiments qu’aux miens. Elle a l’air traumatisée et ce n’est pas le moment de ne penser qu’à moi et de ramener tout à moi. Si, je comprends, je comprends quand bien même il n’a jamais levé la main sur moi. Alors je fais la moue, je me mords la lèvre inférieure et je baisse les yeux. Je n’ai pas besoin qu’elle comprenne pourquoi je l’aide : je veux simplement qu’elle ne retombe pas de le piège du jeune homme.

« Tu n’as pas à faire ça. »
« Je le fais pas parce que je me sens obligée. » C’est un peu faux : je me sens coupable en tout cas.
« Je saurais pas faire sans lui. »
« Tu savais faire avant lui. Fais moi confiance, on réapprend. »

Mes doigts s’enroulent autour de ma tasse de thé en j’en fixe le fond qui me semble tout d’un coup particulièrement passionnant. « Je vais juste envoyer un message pour prévenir mon copain que je reste ici ce soir. » Je pousse un soupire avant de ramener mes cheveux en arrière. « Je sais que je suis certainement la dernière personne avec laquelle t’as envie de faire une soirée pyjama. Mais reste ce soir. » Ce sera un bon début, je n’aurais qu’à la convaincre ensuite qu’elle peut rester autant de temps qu’elle en a besoin.

« Deux fois, c’est deux fois de trop. » Je voudrais répondre, mais rien ne me vient tant elle a raison. C’est bien pour cela que j’ai bouclé mon sac et que j’ai atterris ici. C’était la fois de trop, celle qui m’a fait craindre pour l’avenir, pour la fois d’après, parce que je savais au plus profond de moi que ce ne serait pas la dernière, qu’importe les excuses que je pourrais lui trouver. « Et y’a rien qui justifie ça. Certainement pas de lui avoir mal parlé. » Pourtant, c’est la seule explication qui me semble claire. Je lui avais mal parlé, il a voulu me faire taire. Cela arrive quand on est énervé, quand on ne sait plus comment agir avec nos mots. Ce n’était rien de grave. Il ne l’avait pas fait exprès. « Ça se voit déjà trop. » La marque rouge sur ma pommette, celle qui est encore là malgré les heures qui s’enchaînent. « Ça fait encore un peu mal. » Parce qu’il a tapé avec sa main droite, celle qui porte sa chevalière. C’est la bague qui m’a fait mal plus qu’autre chose, ce n’est pas comme s’il l’avait vraiment voulu.

Les excuses s’enchaînent autant dans mes paroles que dans un coin de ma tête. Elle ne peut pas avoir raison Lucia, qu’importe ce qu’elle pense de notre relation, elle ne connaît pas Lawrence comme moi, je peux le connaître. Elle ne sait pas à quel point, il est stressé en ce moment et que le groupe lui prends toute son énergie. Il n’avait pas le temps de gérer mes conneries en plus de tout le reste, c’est tout. « Il t’a frappée parce que t’as renversé un verre sur son jean ? » Elle parle normalement et pourtant, j’ai l’impression qu’elle est en train de hurler. Tellement que j’ai un mouvement de recul alors que son regard apitoyé me dégoûte de ma propre personne. « Ton visage s’est trouvé par inadvertance sur la route de sa main ? » Les larmes me montent aux yeux alors que je tente de bégayer à nouveau. « Il ne l’a pas fait exprès. » C’est tout ce que je trouve à dire pour sa défense. Il n’avait pas voulu tout ça et peut-être que je n’aurais pas dû prendre peur comme je l’ai fait. Tout me semble si flou désormais. Et les battements de mon cœur qui ne cessent de s’accélérer dans ma poitrine n’aident pas à contrôler cette angoisse qui monte en moi. Je voudrais fondre en larmes, mais préfère me mordre la lèvre jusqu’au sang pour garder une certaine contenance face à la jeune femme. « Je suis désolée… Mais lui trouve pas d’excuses, il en a pas... » « C’était de ma faute. » que je murmure à nouveau comme incapable de pouvoir changer de registre. « Il est stressé en ce moment. » Et je devrais être avec lui plutôt que d’avoir fui comme une lâche à la première difficulté.

« Je le fais pas parce que je me sens obligée. »
« T’as juste pitié de la pauvre fille qui s’est pris une gifle. » que je ricane nerveusement.
« Tu savais faire avant lui. Fais moi confiance, on réapprend. »
« J’ai pas l’impression que je pourrais. »

Et peut-être que cette fois, je ne sais pas retenir la larme qui vient rouler sur ma joue. Suivi par tout un tas d’autres. Je renifle quelque peu, tente de me cacher derrière ma tasse de thé. Vulnérable et fragile, je me sens comme mise à nue devant une jeune femme que je ne connais à peine et qui a pendant longtemps été responsable des colères de Lawrence à mon égard. Je devrais lui reprocher, mais je m’en sens incapable, alors qu’elle tente encore de trouver un moyen de m’aider. « Je vais juste envoyer un message pour prévenir mon copain que je reste ici ce soir. » Les larmes redoublent d’intensité quand je réalise que je viens probablement de ruiner sa soirée. « Non, non. Va voir ton copain. » Elle ne devrait pas me faire passer avant son histoire, c’est n’importe quoi tout ça. « Je mérite pas autant d’attention, vraiment. » Elle ne me laisse malheureusement pas le temps de me confondre en excuse plus longtemps. « Je sais que je suis certainement la dernière personne avec laquelle t’as envie de faire une soirée pyjama. Mais reste ce soir. » Je voudrais contester, lui dire que ce n’est rien, récupérer ma valise et partir la tête haute, mais je suis fatiguée. J’ai mal de partout tant le voyage fut éreintant, un mal de crâne est en train de pointer le bout de son nez et je voudrais pleurer pendant des heures sans m’arrêter. « Je… D’accord. » Je n’ai plus vraiment la force de me battre. « Juste ce soir. » que j’insiste malgré tout, pour la forme.

Le silence s’étire alors que je tente de sécher mes larmes une bonne fois pour toute. Il ne voudrait pas me voir comme ça Lawrence, jamais. Je soupire quelque peu et relève le regard vers la jeune femme. « Tu as mangé ? » que je demande alors timidement. « Laisse-moi nous commander quelque chose à dîner. » J’attrape déjà mon téléphone avant de réaliser que ce dernier est toujours éteint. C’est appuyé sur un bouton. Rien de bien compliqué et pourtant mon geste reste suspendu. « Je lui ai pas dit que je partais. » Et même si tout cette histoire est de ma faute, je n’arrive pas à me défaire de cette peur qui s’agrippe à moi à chaque fois que je pense à lui. Cette peur qu’il me retrouve.

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Lucia Whitemore & @Shiloh Atkins

« Il ne l’a pas fait exprès. »
« C’était de ma faute. Il est stressé en ce moment. »

L’impression d’être face à un miroir me renverse et me procure le même sentiment qu’un uppercut dans le ventre. Nous nous ressemblons elle et moi. Quel âge a-t-elle ? Sensiblement le même que le mien et, face à son hésitation, face à ce réflexe constant de lui trouver des excuses je ne peux qu’avoir l’impression de m’observer, la moi de plusieurs mois en arrière.

Et je comprends. Je comprends enfin que, non, ce n’était pas de ma faute. Non, ce n’est pas parce que j’étais imparfaite que notre relation a pris la tournure qu’elle a prise, que je n’ai rien fait pour mériter le traitement que je subissais. Parce qu’elle n’a pas l’air d’être capable de faire du mal à une mouche. Elle est amoureuse, aveuglée, sûrement rendue aussi idiote par ses sentiments que je l’étais à l’époque et si je me sens libérée d’un poids invisible, j’ai beaucoup de peine pour elle. « T’as juste pitié de la pauvre fille qui s’est pris une gifle. » « Bien sûr que non. » Je réponds sans réfléchir, mais avec cette douceur infinie qui ne cessera jamais de me caractériser. « J’ai de la peine pour toi parce que je le connais. Et que je sais comment tu te sens. » Je déglutis avant de faire un pas vers elle, mal à l’aise et en jouant avec mes doigts. « Parce qu’il me faisait me sentir pareil. » Je détourne le regard, mal à l’aise et submergée par de douloureux souvenirs. Un peu d’eau froide dans mon thé, j’ai brusquement besoin d’un peu d’eau froide dans mon thé, la voilà l’excuse pour me recomposer avant de revenir vers elle au salon. « J’ai pas l’impression que je pourrais. » « C’est normal. Mais je te le promets. » Je sais que la brusquer ne servirait à rien. Je sais qu’il y a des choses qu’elle n’est pas capable d’entendre et de comprendre, pas ce soir, pas tout de suite. Je sais que ça viendra avec le temps et que si elle le souhaite, je serais là, quand bien même je n’ai pas la moindre légitimié.

« Non, non. Va voir ton copain. Je mérite pas autant d’attention, vraiment. » J’esquisse un sourire rassurant en attrapant déjà mon téléphone pour pianoter dessus. « T’en fais pas, on revient de vacances, je suis certaine qu’il sera content de pouvoir souffler une soirée. » Swann et moi ne sommes pas du genre à souffler, mais l’excuse me semble bonne. Je sais aussi qu’il comprendra, je sais aussi que puisque nous allons emménager ensemble, nous avons tout le temps devant nous. « Je… D’accord. Juste ce soir. » « Comme tu voudras. » On a une chambre de libre de toute façon, et je m’apprête aussi à libérer la mienne. « Leah a laissé ses meubles en déménageant. Tu peux prendre sa chambre. » Juste ce soir ou autant de temps qu’elle le désirera. « Tu as mangé ? Laisse-moi nous commander quelque chose à dîner. » A nouveau, j’esquisse un sourire rassurant. Je n’ai pas l’intention de protester quand bien même je l’aurais fait en temps normal : j’aurais insisté pour régler la note moi même mais je comprends qu’elle en a besoin pour se sentir un peu plus à l’aise. « Non et c’est une très bonne idée. Tu peux pas te tromper avec les restaurants du quartiers, évite juste le chinois de l’angle de Kent Street, leur viande est vraiment douteuse. » Préférant lui laisser de la distance et un peu d’espace vital, je m’installe en tailleur sur le fauteuil, face au canapé qu’elle occupe et je retire mes chaussures puisque je ne quitte plus l’appartement. « Je lui ai pas dit que je partais. » Je l’observe gravement quelques secondes, avant de hocher doucement la tête. « Tu as bien fait. » Qui sait comment il aurait réagit ? S’il a passé le cap de la violence physique, elle a bien fait de se méfier. « Il faut plus que tu te retrouves seule avec lui, tu le sais ça ? » Parce qu’il n’acceptera pas. Parce qu’il n’encaissera pas l’abandon.

Parce qu’il est dangereux.

« Il viendra pas te chercher ici. »

Je l’espère, parce qu’au fond je suis terrorisée.

« J’ai de la peine pour toi parce que je le connais. Et que je sais comment tu te sens. » Les mots de la jeune femme résonnent dans le silence du salon. Elle le connaît, c’est certain après avoir partagé sa vie. Pourtant, son regard, ses gestes et ses mots sous-entendent qu’elle a pu le connaître comme moi, je l’ai connu. Tout se mélange alors que j’entends à nouveau les propos que Lawrence pouvait tenir à son sujet. Ce n’est pas possible qu’elle sache ce que je ressens, là, en face d’elle, alors qu’elle a été celle qui lui a brisé le cœur. Il l’avait dit Lawrence, c’est elle qui a ruiné sa confiance, elle qui avait détruit leur relation. « Parce qu’il me faisait me sentir pareil. » Ils sont murmurés les mots, à peine audibles, mais bel et bien prononcés dans une sincérité qui me déstabilise. C’est comme si le monde entier cessait de tourner lorsque mon regard croise furtivement le sien avant qu’elle ne s’échappe vers la cuisine. Elle ne ment pas. Je ne saurais expliquer comment je le sais, mais ce regard, cette lueur dans ses yeux ne pouvait mentir. « Qu’est-ce… Qu’est-ce qu’il t’a fait ? » Est-ce qu’il a été violent avec elle aussi ? Je ne peux pas le croire, c’était juste un accident, il n’avait jamais voulu cela, il me l’a tellement répété. Ce n’est pas possible et pourtant… Pourtant, tu le vois bien son regard à elle. Ce n’était qu’une seconde, rien de plus. Lorsqu’elle revient vers moi, tout semble avoir disparu et moi dans tout cela, je ne sais plus si je dois la croire.

Tout m’angoisse, tout me fait peur. Le moindre bruit provoque un sursaut, la moindre pensée envers mon petit ami me fait frissonner d’une manière détestable, un mélange entre la peur et le manque. Il a frappé pourtant, je ne l’ai pas rêvé ce geste. Il avait osé sans même sourciller. Alors, peut-être que ma place est ici désormais. « Leah a laissé ses meubles en déménageant. Tu peux prendre sa chambre. » Dans la chambre de cette Leah qui est partie elle aussi. « Merci Lucia. » C’est tout ce que je peux bien lui dire. Merci. De m’écouter, de vouloir comprendre, de m’offrir une issue de secours, un abri pour panser mes blessures. C’est tout ce que je souhaite, me terrer dans un coin, attendre que l’orage passe. Je ne saurais réellement cerner la jeune femme face à moi, mais sa générosité semble sans faille à chaque action qu’elle entreprend pour me mettre pleinement à l’aise. « Non et c’est une très bonne idée. Tu peux pas te tromper avec les restaurants du quartier, évite juste le chinois de l’angle de Kent Street, leur viande est vraiment douteuse. » Je lui offre un léger sourire. « Pas de restaurant chinois alors. » Et alors que ma main part à la recherche de mon téléphone, je réalise. Il est éteint le cellulaire et je l’observe dans le creux de ma paume sans trouver le courage d’appuyer sur le bouton. « Est-ce qu’on peut utiliser ton téléphone ? » Est-ce qu’elle comprendra, que je n’ai pas la force d’affronter ses mots pour le moment ? J’ose espérer lorsque mon regard croise à nouveau le sien.

« Il faut plus que tu te retrouves seule avec lui, tu le sais ça ? » Je hoche la tête docilement sans réellement prendre conscience de tout cela. Ne plus le voir ? Ne plus rester avec lui ? Tout cela me paraît complètement dingue. Je suis partie le temps de faire une pause, c’est temporaire, ça ne veut rien dire. « Je vais bien devoir le revoir. » Ne serait-ce que pour aller chercher des affaires. Il va venir à Brisbane, je le sais ou tout du moins je le sens au plus profond de moi. Il n'abandonnera pas aussi facilement, n’est-ce pas ? Il va se battre pour nous, pour tout ce que l’on a construit tous les deux. Je veux en rester persuader. « Il viendra pas te chercher ici. » Peut-être pas ici, dans son appartement à elle, mais à Brisbane ? « Il m’en voudrait d’avoir pris refuge chez toi. » En particulier. Alors, pourquoi mon inconscient m’a mener ici ? Tout est si flou, je ne comprends que le tiers des informations que mon cerveau daigne vouloir traiter. C’est compliqué, je crois qu’une migraine est en train de pointer le bout de son nez. Est-ce qu’il est tard ? Je suis réellement épuisée…

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« Qu’est-ce… Qu’est-ce qu’il t’a fait ? » Évidemment qu’elle allait demander. Je me sens idiote de ne pas y avoir pensé avant de parler, avant de tenter de me justifier ou de la rassurer, je ne sais plus trop, puisqu’elle me pose une question à laquelle je ne peux pas répondre pour plusieurs raisons. La première, l’évidente, c’est que je ne suis pas prête à confier mon expérience à une inconnue, j’ai déjà du mal à en parler avec ceux que j’aime. Swann connait mon histoire mais j’ai passé sous silence beaucoup de détails, Leah aussi la connaissait, et je n’ai même pas réussi à en parler à ma famille, de honte et par peur d’être jugée. Alors me confier à Shiloh, c’est au-dessus de mes forces, même si j’aurais voulu en être capable pour qu’elle comprenne qu’elle n’est pas seule, qu’elle n’est pas le problème. La seconde, c’est la peur qu’elle minimise. Il ne t’as jamais frappée. je me le répète face à elle, la vraie victime, et je ne me sens pas légitime puisqu’après tout, ce n’est pas si grave, la façon dont il m’a traitée puisqu’il n’a jamais laissé la moindre marque sur mes joues. « On en parlera une autre fois, d’accord ? » Plus tard, un plus tard qui ne viendra jamais si je ne suis pas poussée dans mes retranchements par elle ou un élément extérieur.

On en parlera plus tard parce que je n’ai pas la force de le faire maintenant, et ma voix tremble lorsque je lui réponds. Moi, je croise les doigts pour qu’elle ne s’en rende pas compte. A la place, j’offre ma générosité et je lui propose un toit, puisque cela me semble être la moindre des choses que je puisse faire puisque, à cause de moi et de mon inaction, elle se retrouve dans cette position. Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il aurait pu se passer si je ne m’étais pas tue. Si je l’avais prévenue, elle au moins. « Merci Lucia. » Je hoche la tête doucement, écrasée par le poids de la honte mais rassurée qu’elle accepte ma main tendue. Je n’aurais su comment me faire pardonner sinon et cela me semble être un début. « Pas de restaurant chinois alors. Est-ce qu’on peut utiliser ton téléphone ? » Je fronce les sourcils l’espace d’une seconde, perplexe, avant de comprendre. Evidemment qu’elle ne peut pas utiliser le sien. Elle le laisse certainement éteint depuis qu’elle a pris la fuite, et je doute qu’elle ait envie de voir les messages menaçant qu’il lui a certainement déjà envoyés. « Bien sûr que tu peux prendre le mien. » Je lui tend l’appareil sans la moindre méfiance : je ne pense pas qu’elle soit là pour me nuire, ou elle aurait choisi un autre angle d’approche. Non, elle est démunie, terrorisée et paralysée, elle ne fouillera pas à la recherche de je ne sais quoi et l’idée ne me traverse pas l’esprit. « Je vais bien devoir le revoir. » « Y’a rien qui t’y oblige. » Même si elle doit avoir le sentiment de lui devoir des explications. « Et y’a rien qui t’oblige à prendre une décision maintenant, ni demain ni dans la semaine pour ce que ça vaut. » J’espère qu’elle a de la famille ici, des gens qui peuvent l’aider et la protéger et, sans quoi, je me sentirais investie de cette mission. Est-elle venue à Brisbane juste pour moi ? Toutes ces questions seront pour demain, aujourd’hui elle a simplement besoin de se sentir en sécurité. « Il m’en voudrait d’avoir pris refuge chez toi. » « Pense pas à lui et ce qu’il dirait. » Ne le laisse plus avoir ce genre d’emprise sur toi. « Tu n’as qu’à prendre une douche et te mettre en pyjama. C’est la chambre au bout du couloir à droite, installe toi si tu veux, je vais guetter l’arrivée du livreur. »

RP terminé