« En vérité… Je n’ai aucune idée de si ça se déroule bien ou pas… J’improvise et je fais ce que je peux, et je prie pour prendre les bonnes décisions. » « Je pense que c’est bien tout ce qu’on peut faire en tant que parent… » Malheureusement, les bébés ne venaient pas avec un manuel d’instruction et il était bien impossible de savoir avec certitude si on prenait les bonnes décisions ou non, les petits êtres humains bien incapables de communiquer quoique ce soit autrement que par des pleurs qui étaient souvent difficiles à définir. Même aujourd’hui, alors que tu n’étais enceinte que de quelques mois, tu craignais de ne pas faire les choses bien pour ce petit-être. Et si tu mangeais les mauvaises choses, et si tu ne faisais pas assez attention à toi, et si tu tombais malade, incapable de lui donner tout ce dont il ou elle a besoin? Avec les nausées constantes et ta difficulté à avaler quoique ce soit, il n’y avait pas à dire que ton niveau d’inquiétude augmentait de jour en jour, même si Isaac s’assurait toujours que tu ne manques de rien, en plus d’être toujours là pour te rassurer au moindre questionnement que tu pouvais avoir. « Mes parents sont en voyage pour l’instant, ils n’ont pas encore vu Rosie. Et je ne sais pas du tout quel genre de grands-parents ils seront. » Ça ne sonnait pas particulièrement prometteur, surtout si Mark et Matilda avaient juger leur voyage plus important que d’être présents pour leur fille après la naissance de son premier enfant. Tu retiens toutefois tout commentaire, considérant que ce n’est pas du tout ta place de juger d’une dynamique familiale dont tu ne connais pas grand-chose et que tu ne comprends pas, de toute évidence. Il y avait chez les Griffiths bien plus de secrets que tu n’avais pu te l’imaginer pendant de nombreuses années.

Mabel se contente de rester silencieuse lorsque tu lui expliques qui est Jude, ce qui est sans doute pour le mieux puisque tu n’aurais pas réellement su comment répondre à la moindre question, ni être complètement certaine qu’elle ne porterait aucun jugement sur ta situation qui semblait se compliquer de jour en jour. La conversation reste plutôt autour de Rosalie, ce terrain presque commun entre elle et toi, vos grossesses se suivant, votre cercle social plutôt restreint en termes de personnes en mesure de comprendre et d’épauler et une certaine envie de faire mieux, après des années à se juger sans même vraiment se connaître. « Je t’avoue que je cherche toujours le manuel pour Rosalie. Chaque fois que j’ai l’impression d’avoir compris un truc, ou qu’un rituel marche, tout change. La chanson qui l’aidait à s’endormir ne fait que l’énerver, ou elle refuse de quitter les bras, même pour qu’on joue avec elle sur son tapis d’éveil. » Ça sonne épuisant, tout ce qu’elle te relate la Griffiths, et tu ne doutes pas un seul instant qu’elle n’exagère en rien sa nouvelle réalité. Tu crois sincèrement que même si les familles, les femmes surtout, ont neuf mois pour se préparer à l’arrivée d’un bébé dans leur vie, ce n’est pas assez de temps pour vraiment se préparer mentalement pour tous les changements qui arrivent avec la présence d’un humain qui dépend entièrement de sa mère pendant de long mois, de longues années même. « C’est tout un ajustement. J’espère que tu reçois un peu d’aide, pour tout ça. » Pour avoir les bras libres, pour prendre le temps de souffler, pour ne pas se laisser submerger complètement par cette nouvelle vie. « Mais il paraît que c’est normal que tout change beaucoup les premières semaines. Le temps que tu aies ton bébé, je serai peut-être un peu plus sûre des astuces que je pourrais te donner? » « J’en doute pas. » que tu lui affirmes, confiante que Mabel saurait se faire à son nouveau rôle. Rosie somnole dans tes bras et tu te dis que tu as sans doute abuser bien plus que prévu du temps de la jeune femme. Doucement, tu viens reposer la petite fille dans son couffin avant de te tourner vers sa maman. « Je ne te dérange pas plus longtemps. Je suis contente de savoir que tout s’est bien passé pour vous deux. » que tu lui répètes, sourire sincère sur les lèvres. « Et n’hésites pas, si je peux te venir en aide d’une quelconque façon. » Tu ne savais pas si elle oserait, mais l’offre tenait au point que tu te sentais obligée de la lui répéter. « Merci pour tout ça, Mabel. » Pour la conversation, aussi maladroite et pleine de malaises avait-elle pu être. Pour la chance de rencontrer Rosalie. Pour ce sentiment que quelqu’un comprenait ce que tu vivais aussi. Pour la chance d’enfin rectifier le tour après bien trop longtemps.