Birdie se rappelle vaguement de ‘Saül’. Enfin, ‘proprio de la Tesla’ ou ‘le connard’ lui sonnent beaucoup plus aux oreilles que ce prénom vraiment bizarre. Cela n’empêche pas la blonde de rire sous cape. Elle a beau avoir bu, elle se rappelle parfaitement bien du truc évoqué par Ana. Même si sur le moment, elle n’a pas beaucoup rigolé, la Cadburn, les souvenirs qui en restent ne sont pas moins particulièrement grisants. Encore une belle histoire à raconter plus tard, quand elle sera mamie (pas gâteuse) sur son rocking–chair avec ses lunettes à la Albus Dumbledore sur le nez. (Non, il faut vraiment qu’elle songe à demander à Elwyn de l’euthanasier avant qu’elle en arrive à ce stade–là.) « Tu cherches vraiment les ennuis, meuf, en plus de les trouver. Je m’attends vraiment à voir ta tronche dans le journal après que tu te sois faite buter. Parce qu’il avait pas l’air commode, le frangin, hein. » Au moins, de ce côté–là, Birdie n’a pas de problème avec Elwyn. La seule façon qu’il a de tuer quelqu’un, c’est de trop parler. Il attaque avec les mots au point de provoquer un ras–le–bol qui peut fait craquer le premier moine bouddhiste le plus patient. Un nouvel test à faire, tiens. Et si demain elle leur prend des billets pour le Tibet ? En voilà une idée, ça leur ferait en plus des vacances bien méritées (pour eux, pas pour les tibétains par contre.) « Non nonononon, il est pas décédé, il est juste HS, là, ok. Tu te calmes sur les grands mots, tu vas nous porter la poisse. » Et quand elle dit nous, elle sous–entend elle–même et son van.

« S’vrai qu’je commence à m’dire qu’je suis maudite… Surtout quand y a une bagnole dans l’équation... » Tu m’étonnes, Yvonne. « Côté bagnole, faut croire qu’on a la poisse au cul toutes les deux. Presque un miracle qu’on a pas atterri ramolli comme des crêpes sur le côté, hein. » Peut–être que si elle avait eu plus d’énergie, Birdie aurait appuyée sur le champignon quand les flics sont apparus. Mais ce soir, elle ne l’avait pas senti et la voiture qui tombe en panne, c’est un autre signe que vraiment, ce n’était pas le soir pour tenter le diable. Alors elles réussissent à mettre la voiture de côté, Ana a eu le temps de s’égosiller et de s’offenser quand Birdie a évoqué l’idée de marcher. « A pied ? T’es folle ! Y reste bien dix putain d’bornes… On va marcher mais dès qu’une bagnole passe, j’m’en fous si j’dois m’jeter sur le toit mais j’embarque ! » L’idée d’Ana qui joue les vol–planeuses sur une voiture en marche la fait rire, Birdie, plus qu’il ne l’aurait fallu. « T’inquiète, il survivra… » Mais laisser sa propre voiture sur le bas-côté, c’est tout de suite moins drôle. Elle va encore devoir demander à Malachi le numéro du garage – qu’elle n’a plus, évidemment. « Y a intérêt. Sinon, c’est toi qui survirera pas. »

Birdie prend alors son sac et les voilà qui se mettent à marcher le long de la route. Pas une voiture, c’est presque déprimant, à croire que personne ne rentre et sort de cette ville, avant que des phares les éblouis et qu’Ana se met à sautiller comme la puce dérangeante qu’elle peut être. « On est tombées en rade, faut qu’on rentre à Brisbane. Tu vas là-bas non ? » Birdie s’en fout de la tête du type, elle veut juste rentrer et dormir. L’alcool lui donne le tournis, encore plus qu’il faut qu’elle marche et se tienne debout. Alors elle laisse Ana faire, Ana qui semble avoir un regain d’énergie aussi surprenant qu’encore plus fatiguant. « J’vais pas vous laisser là en pleine nuit, ce serait criminel ! Allez montez ! » Criminel, Birdie n’aime vraiment pas ce mot. « Va derrière, citoyenne de seconde zone ! » Ce qui lui va très bien à Cadburry. « Parfait, j’pourrai crever en paix et tu t’occupes de lui tenir compagnie, hein. » L’arrière, c’est pour les enfants et si en temps normal, elle aurait ramené le cul d’Ana pour l’y foutre en premier lieu, ce soir (nuit) est différent. « Les yeux sur la route mon vieux. Allez c’est parti, démarre... » Birdie est affalée sur le siège arrière, ne prenant même pas la peine d’essayer de mieux voir le type. Elle ne voit pas, de toute façon, pas alors qu’elle a les yeux qui commencent à fermer. Ana va bien s’en sortir toute seule, quoiqu’il arrive, pas vrai ?

« J’suis invincible, meuf. J’vous enterrerai tous... » C’est qu’ils disent tous. Birdie la première. Même si à trente ans passés, ça parait un peu moins impressionnant qu’une gamine comme Ana. D’ailleurs elle a quel âge, Ana ? Voilà une information qu’elle ignore. Peut–être qu’elle pourrait lui demander sa carte d’identité. Elle pourrait en profiter pour analyser la photo et peut–être même se foutre de sa tronche. Littéralement. Et de ces prénoms aussi. Parce qu’Anastasia, ce n’est pas assez absurde pour un personnage comme elle. Il y a forcément autre chose pour qu’elle en veuille à ses parents à ce point. Voire même sa famille tout entière. Est–ce qu’ils ont demandé aux frères de choisir ? Oh, cela pourrait révéler toute la source du problème dans la famille. « Hey, j’y suis pour rien pour un fois ! Alors t’vas pas t’mettre à me menacer d’mort toi aussi, ça devient redondant ! » Elle a l’habitude ? Tant mieux alors. Quand le coup partira, elle ne s’y attendra pas, la gamine, elle ne va pas être sur ses gardes et le plan sera d’une réussite parfaite. Birdie n’en doute pas une seule minute.

Mais elle réfléchira aux détails plus tard parce que pour l’heure, son état commence à fatiguer et le contre coup des derniers événements avec la pile électrique à côté d’elle y est pour beaucoup. Si Ana ne s’était pas foutue à moitié sous les roues de son van, Birdie serait presque arrivée chez elle et elle serait presque en train de comater dans son lit ou le canapé à l’heure actuelle. Une déviation de parcours de sa soirée qui ne lui plait pas, tout comme laisser son bébé métallique sur le bord de la route. Elle va devoir trouver une dépanneuse rapidement. Elle fait un geste d’au revoir à sa voiture avec l’émotion poussée qui va avec avant de laisser Ana l’entrainer sur le trajet vers la lumière de la ville.

Un gars passe par–là, il s’arrête, Ana réussit à les embarquer dedans et Birdie, installée à la place des enfants, ne perd pas beaucoup de temps pour comater sur le siège, la voiture faisant office de berceuse alors que les voix lui paraissent de parasites lointains et sans aucune importance. Ana a l’air de faire la conversation à leur chauffeur d’un soir, il y a même un gémissement qui sort ; est–ce qu’il conduit et la baise en même temps, ou quoi ? Birdie n’est pas encore complètement partie chez Morphée, elle ouvre un œil paresseux, prête (ou pas) à sauter du véhicule si jamais un acte sexuel en pleine conduite est en train d’être effectué.

Mais c’est pire qui l’attend comme vision. La voiture tourne brutalement, un demi–tour serré qui la réveille complètement. Birdie voit l’arme, elle voit le canon pointé sur Ana tout comme elle entend maintenant de façon très claire la gamine qui essaie de coopérer. « Putain, c’est quoi ces conneries ? » Le type regarde Birdie via son rétro et change son arme de direction. Cadburry perd tout son sang sur le visage, devenant blême, les palpitations prenant le dessus sur la fatigue qui a complètement disparu. « Okay, buddy, on se calme, tu vas pas nous faire flipper avec ton joujou, là, ok. » Parce que c’est forcément un joujou, n’est–ce pas ? Les armes n’existent que chez les bandits et les hors la loi, que dans les films et les fictions, pas dans la vraie vie. Pas ici, pas maintenant. Et pourtant. « Ah ouais, tu penses que c’est un fake ? » Le type passe l’arme à travers sa fenêtre pour tirer dans le vide, le tir faisant sursauter Birdie. « Alors qui joue le plus malin maintenant ? » La miss météo dirait qu’il y a de gros nuages, voire une tempête à l’approche. Ne quittant pas le type des yeux, elle murmure entre ses dents « tu disais que t’étais invincible, tu veux tester ? » à l’encontre d’Ana.

Le danger est équivalant à son envie de vivre. Birdie n’a jamais envie de mourir et encore moins quand sa vie se retrouve véritablement en danger. Elle pense qu’Ana devrait essayer de le distraire. Mais elle ne peut pas lui parler sans que le type ne les entende. Pourquoi cette idiote n’est pas montée derrière avec elle ? « Oh, un cerf, attention ! » qu’elle crie brusquement en s’avançant et pointant du doigt un endroit abstrait. Il n’y a aucun cerf mais juste de quoi prendre par surprise le conducteur, qui perd son attention sur elles, et que Birdie peut se jeter dessus en enroulant ses bras par–derrière le siège. « Ana, son flingue, vire–le d’ici ! Magne ton cul ! » Pourquoi les flics ne sont jamais là quand on a besoin d'eux ?

Win : Ana réussit à balancer le flingue à l’extérieur malgré les slalomes de la voiture.
So close : Ana met la main sur le flingue mais décide de le garder malgré les protestations de Birdie « c’est pas un jouet, balance ça ! »
Fail : Ana attrape le flingue mais dans la précipitation et les slalomes, une balle se perd dans le bras de Birdie, ce qui la fait hurler et lâcher le type.

« FREINE !!! ARRÊTE-TOI OU JE TE TROUE LA GUEULE ! » Qu’est–ce qu’elle fout avec l’arme dans ses mains ? Birdie lui a demandé de le jeter par la fenêtre, elle est sourde, stupide, téméraire ou le tout à la fois ? Cadburry a besoin qu’Ana l’aide physiquement, pas qu’elle fasse mumuse avec un objet de ce calibre, qui peut à tout moment déclencher l’apocalypse sur n’importe lequel d’entre eux, voire les trois d’un seul coup. Et d’ailleurs, c’est bien ce qu’il finit par arriver. Birdie aurait aimé avoir tort alors qu’elle gueule à son tour « qu’est–ce tu fous avec ça ? jette–le avant de nous tuer avec ! » parce qu’elle a aucune confiance ni en le type ni en Ana avec un engin pareil. Surtout qu’Ana a pointé le bout du flingue sur le type et que la Cadburn est juste derrière, qu’elle a son visage à côté du psychopathe, qu’elle le tient par la taille du mieux qu’elle peut, qu’il gigote, que la voiture gigote encore plus et que le bras d’Ana n’est pas stable du tout – son doigt, bon dieu son doigt ne va pas être stable non plus.

Comme elle n’aurait pas pu mieux le prédire, un coup part, enflammant ses oreilles et– une douleur aigue lui prend le bras. C’est Birdie qui a mal, c’est Birdie qui lâche le type et c’est encore Birdie qui s’écroule contre le siège arrière en tenant son bras. « BIRDIE ! MERDE ! » Elle pourrait lui en foutre des merdes à la gueule si sa préoccupation première n’était pas le sang qui perle et cette foutue douleur qui la paralyse autant qu’elle la fait crier. Qu’est–ce qu’elle a fait au bon dieu pour mériter une telle sentence ? Des vacheries, des trucs pas honnêtes, des délits dignes de la lâcheté dont elle peut faire preuve. Mais ça, c’est violent, c’est puissant et Birdie ne prête qu’à peine attention à ce qu’il se passe à l’avant. De toute façon, avec son bras qui se vide de toute énergie vitale, autant dire que la Cadburn est hors état de nuire.

Un deuxième coup se fait entendre, la crispant et la faisant se recroqueviller par pure crainte avant de relever la tête devant le calme soudain. La voiture s’est arrêtée, en même temps que l’agitation. Birdie déglutit, craignant ce qu’elle va voir en passant la tête par–dessus les sièges de l’avant. Quand elle voit le type avec un trou dans le crâne et Ana qui est bien vivante, elle lâche un soupir de soulagement en se rallongeant sur la banquette arrière. « Finalement, je crois que tu resteras au trou bien plus rapidement que moi. » Même si elle sait que la légitime défense, c’est différent. Mais qu’importe, la boutade est là parce qu’ironique sur les propos tenus précédemment par Ana à son encontre. Birdie se rappelle de sa main contre son bras, la blessure béante la rappelant à la réalité, la faisant grogner. « J’vais me vider de mon sang si t’appelles pas les secours. Au moins, je vais pouvoir avoir une belle blessure de guerre. » Les oreilles qui bourdonnent, qui n’entendent pas les gémissements du coffre et les yeux qui se ferment doucement mais sûrement.

Elle est vraiment épuisée.