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À travers la vitre de la voiture familiale, Louis regarde les paysages qui défilent sous ses yeux. Il y a d’abord eu les vignes à perte de vue, puis les hautes cimes des arbres du parc national de Tamborine, avant d’atteindre les immeubles tout aussi hauts de Brisbane. Une fois entrés dans l’agglomération, ses parents avaient commencé à parler à voix basse et à ralentir l’allure dans certains quartiers résidentiels. Louis avait réussi à capter quelques bouts de phrases l’école des enfants, pas besoin d’un grand jardin, chacun sa chambre mais son attention avait vite été attirée par un enfant qui jouait au frisbee avec son chien. La voiture serpente maintenant entre les collines et les montagnes qui bordent la petite bourgade d’Elimbah. Plus ils se rapprochent de leur destination finale, plus Louis sent l’excitation monter en lui. Il s’est déjà fait réprimander deux fois parce qu’il parlait trop fort et qu’il donnait des coups de pieds intempestifs dans le siège passager où sa mère tentait, sans succès, de se reposer. Alors maintenant il se concentre pour rester le plus immobile et silencieux possible, n’ayant vraiment pas envie de passer les prochains jours puni. Même s’il y a des chances pour qu(Aurora lève la punition dès que la voiture de ses parents aura disparu au loin. Le petit garçon préfère ne pas prendre de risques. La voix de sa mère le fait sortir de ses pensées. « On arrive bientôt les enfants, rangez vos affaires. » Louis s’empresse de glisser dans son sac à dos les figurines en plastique et le ballon de rugby en mousse qu’il avait sortis au début du trajet pour contrer l’ennui. Il se redresse un peu sur son siège et éloigne la ceinture de sécurité qui lui serre le cou pour tenter d’apercevoir la maison de ses cousins. Louis aime venir passer ses vacances à Elimbah. Il a l’impression qu’ici, tout est plus facile. Aurora ne grogne pas quand il se présente à table les mains encore pleines de terre. Elwyn répond à ses questions sur le jardinage, le rugby et les explorations spatiales sans que ça ait l’air de l’agacer. Peut-être même que cette fois encore, il aura le droit de regarder les dernières photos du tour du monde de son oncle et sa tante. La dernière fois qu’il était venu à Elimbah, il avait réussi à en emmener dans sa chambre et les avait regardées pendant des heures, jusqu’à ce que ses yeux piquent et pleurent tout seuls.

La voiture s’arrête enfin, et Louis est le premier à ouvrir sa porte pour retrouver l’air du dehors. Il n’entend même pas sa mère qui lui demande d’attendre un peu avant de se jeter sur ses cousins puisqu’il est justement déjà en train de courir vers la porte d’entrée. Il sait que, pour lui, les vacances ne commenceront vraiment que demain, lorsque ses parents seront repartis, et qu’avant ça il devra supporter tout un repas à se faire réprimander encore davantage que d’habitude, mais il sait que le jeu en vaut la chandelle.

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Louis se jette sur le porte d’entrée des Cadburry comme les enfants assoiffés se jettent sur les verres d’eau après une partie interminable de balle aux prisonniers. Seul problème : il n’a apparemment pas été le seul à avoir cette idée puisque son visage heurte un objet non identifié dès l’instant où il franchit la porte. Objet non identifié qui se révèle être le visage de Birdie, sa cousine. “AIE!” « OUILLE ! » À l’unisson, telle une symphonie improvisée. Leurs gestes aussi sont coordonnés, Birdie frotte son nez pendant que Louis frotte son front, avant qu’ils se prennent dans les bras l’un de l’autre, dans une étreinte fraternelle. “P’tit Louis, ravie de te voir! J’ai un plan génial à te montrer, il faut que tu m’aides pendant que tu seras là, c’est hyper hyper HYPER important!” Ses cousins sont sans doute les seules personnes sur cette Terre que Louis laisse l’appeler p’tit Louis. À l’école, on se moquerait de lui sans scrupule si les copains savaient. Mais ici, dans cette bulle hors du temps, ça n’a pas d’importance. En plus ses cousines, qui sont quand même bien plus grandes que lui, acceptent avec plaisir de jouer avec lui, alors ce n’est vraiment pas Louis qui s’en plaindra ! « Carrément ! Carrément ! » Le niveau sonore de la maison des Cadburry est sans doute rarement le plus faible des environs, mais avec l’arrivée de Louis il venait assurément de gagner encore en intensité. « J’ai même emmené mes cartes Pokemon, ça pourrait nous aider ! » Louis n’a aucune idée de ce qu’est ce plan hyper hyper HYPER important et donc s’il peut avoir un quelconque lien avec ses créatures imaginaires préférées, mais il a trouvé que c’était tout de même une information digne d’être transmise à sa cousine. “Mais je vais d’abord aller me nettoyer le nez. Je saigne, nan ? Je suis sûre que je saigne.” Effectivement, il y a du sang sur les doigts de Birdie après qu’elle se soit touché le nez. « Oups, désolé. » Louis s’excuse en baissant les yeux vers le sol. Chez lui, on lui répète mille fois par jour - au moins - de faire plus attention, d’être plus délicat, de faire moins de bruit, d’arrêter de courir, de parler moins fort, et il entend déjà sa mère le réprimander. Tu vois ce que ça fait quand tu ne fais pas attention ! Il s’en veut d’autant plus que, de son côté à lui, une fois le choc passé, il réalise vite que ce n’est pas grand chose. Il aura peut-être une bosse, mais rien d’inhabituel pour lui. Et surtout, ce n’est pas ça qui l’empêchera de faire les quatre-cent coups avec ses cousins, comme à chaque séjour à Elimbah. Pourtant, Birdie n’a pas l’air de lui en vouloir. Elle propose même de monter pour éviter que les parents de Louis les voient dans cet état. “Allez, viens, on monte avant que tes parents voient ça.” C’est pour ça que Birdie est sa préférée. Sa sœur, elle, elle n’aurait pas perdu une minute pour aller le dénoncer à leurs parents. Ou bien elle aurait tellement pleuré qu’ils auraient été attirés par le bruit. Alors Louis ne se fait pas prier pour la suivre sans un mot, trop content d’éviter une énième dispute. “Ca va toi ? T’as pas mal quelque part ?” Instinctivement, Louis passe la main sur son front, et même s’il sent une bosse qui commence à s’y former, il secoue la tête de droite à gauche. « Non, ça va. Et puis faut que je m’habitue, j’ai commencé le rugby cette année et faut pas être une chochotte pour faire du rugby. » C’est d’ailleurs ce qu’il se répète quand il se retrouve face à des plus grands que lui à l'entraînement et que ça lui fait un peu peur. Parce qu’il n’est ni très grand, ni très costaud, Louis, et qu’un jour quelqu’un s’est moqué alors il est allé dans les vestiaires pour pleurer sans que personne le voit. Mais l'entraîneur lui a dit que ce n’était pas tout ce qui comptait dans ce sport, qu’il avait quand même sa place sur le terrain, alors depuis il relève la tête et les épaules, et il fait semblant de ne jamais avoir peur. Ça a l’air de marcher pour la peur, pourquoi ça ne marcherait pas pour la douleur ? « Bon alors c’est quoi ce plan hyper important ? Je peux le voir tout de suite ?? »

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“Totalement! Par contre, le crie pas trop fort ou Elwyn va vouloir te les échanger. Il parait pas comme ça, mais il est hyper doué dans la négociation.” Louis hoche la tête en buvant les paroles de sa cousine. Il hoche la tête, mais au fond, ça lui donne quand même envie d’aller en discuter avec Elwyn. Ils pourraient comparer leurs collections, et parler des Pokémon rares. Et puis c’est une bonne chose qu’il veuille lui échanger des cartes, non ? Peut-être qu’il a des Pokémon que Louis cherche encore ? Il faut dire, aussi, qu’avoir un intérêt commun avec Elwyn lui met des étoiles dans les yeux. Il ne pensait pas qu’un vrai adulte pouvait s’intéresser aux mêmes choses que lui. En tout cas, ce n’est pas ce qu’il vit au quotidien chez lui. Ses parents sont plutôt du genre à lui demander de ranger ses cartes Pokémon qui traînent sur la table de la cuisine, pas à proposer des échanges. Louis se garde pourtant bien de raconter tout ça à Birdie. Il verra plus tard si l’occasion se présente d’en parler avec Elwyn, mais pour le moment le plus important c’est de se concentrer sur le plan hyper hyper HYPER important de sa cousine.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que Louis finisse par aborder le sujet du rugby. Rien d’étonnant quand on sait que c’est son sujet préféré depuis des mois. Au grand désespoir de ses parents, qui ne partagent pas vraiment son enthousiasme pour le sport. Contrairement à Birdie, dont le sifflement impressionné fait naître un immense sourire empli de fierté sur le visage de Louis. “Du rugby, carrément ? Au moins, tu vas pouvoir rentrer dans les gens sans qu’ils s’en plaignent.” « Haha oui, ça arrive tout le temps ! » Pour être tout à fait honnête, pour le moment Louis pratique un rugby sans plaquages ni passages en force. Ils apprennent surtout à se déplacer et à faire des passes, mais ça, Birdie n’est pas obligée de le savoir. “Pourquoi t’as choisi le rugby ?” C’est une très bonne question à laquelle Louis n’a jamais trop réfléchi. Un jour, il a vu un match à la télé, et il a décidé que c’était ce sport qu’il voulait pratiquer. Alors il hausse les épaules. « Je sais pas, j’aime bien. Papa et maman disent que c’est bien pour que je me défoule. » C’est une phrase qu’il a entendue plusieurs fois chez eux. Contrebalancée parfois par sa mère qui se plaint d’avoir un surplus de linge à laver à cause de la terre qui tâche ses shorts et ses tee-shirts. « Tu fais du sport toi ? Il y a des filles aussi dans mon club. » Pour l’instant, ils s'entraînent tous ensemble, sans distinction, mais Louis sait que plus tard, ils seront séparés. Ça ne le dérange pas de jouer avec des filles. Surtout parce que ces filles-là sont moins énervantes que sa sœur ou que certaines filles de l’école. Elles n’ont pas peur de se salir ou de tomber par terre au moins.

Birdie tempère l’enthousiasme de son cousin lorsqu’il lui demande de lui en dire plus sur son fameux plan. “Atta, faut que j’aille dans la salle de bain avant!” Il en avait presque oublié leur collision et son nez qui saigne. Ça n’empêche pourtant pas Birdie de commencer ses explications, tout en se dirigeant vers la salle de bain. “J’ai remarqué qu’y a des traces bizarres dans la forêt depuis quelque temps. Je suis persuadée qu’il y a des trolls qui s’y baladent et qui se camouflent dans les collines avoisinantes.” Immédiatement, les yeux de Louis s’écarquillent et il hoche la tête frénétiquement. C’est encore mieux que ce qu’il aurait pu imaginer ! À aucun moment il ne remet en cause le raisonnement de Birdie, au contraire, sa conclusion lui paraît tout à fait logique. “Est-ce que t’es cap d’aller dans la forêt ?” La réponse fuse. « OUI ! Carrément cap ! » Louis est un enfant qui est souvent cap de tout, quitte à se retrouver dans des situations compromettantes parfois. « Il faudra emmener une loupe pour observer de plus près leurs traces. Et peut-être même qu’on trouvera des crottes, c’est comme ça qu’on piste les animaux, je l’ai vu à la télé. » C’était l’un des rares programmes que regardait son père que Louis n’a pas trouvé barbant. « Tu viendras aussi dans la forêt ? » Ce n’est pas qu’il a peur, pas du tout, c’est juste que Birdie connaît mieux le coin que lui, alors ce serait plus pratique si elle faisait elle aussi partie de l’expédition. “Et après, on pourra aller voir les chevaux d’un voisin. Il a même un petit poulain maintenant!” Au départ, Louis n’était pas rassuré face aux chevaux des voisins des Cadburry, mais au fur et à mesure de ses visites à Elimbah, il s’était détendu. « On peut monter dessus ? » Il s’imagine déjà en cow-boy chasseur de trolls à dos de cheval sauvage.

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“C’est cool si t’aime bien et qu’ils sont d’accords!” Louis hoche frénétiquement la tête. C’est vrai que trouver un terrain d’entente entre lui et ses parents n’est jamais gagné d’avance. Parfois il se demande s’il n’a pas été adopté. Mais il suffit qu’il se regarde dans le miroir et voit ses trop grandes oreilles, copie parfaite de celles de son père, pour que l’espoir d’être le fils caché d’un explorateur ou d’un joueur de rugby professionnel s’évanouisse. Au moins, ils ont dit oui pour le rugby. Peut-être que ça pourrait aussi intéresser Birdie. Peut-être même qu’ils pourraient jouer ensemble, comme il n’y avait pas un si grand écart d’âge entre eux. Ça plairait à Louis en tout cas. Mais ce n’est apparemment pas dans les plans de sa cousine. “Je vais faire de la danse classique! Aurora a dit ouiiii! J’ai les froufrous, la jupe, les chaussures, je pourrai te montrer si tu veux!” Malgré tout l’amour qu’il porte à Birdie, Louis ne peut empêcher une grimace de dégoût d'apparaître sur son visage. Les froufrous, les paillettes et la danse classique, ce n’est pas vraiment son truc. Il est même surpris que ce soit celui de sa cousine à vrai dire. Les filles qui font de la danse, il les voit comme des princesses qui pleurent dans les jupes de leur mère. Mais il sait aussi que ce n’est pas du tout le genre de Birdie, alors peut-être qu’il se trompe depuis le début finalement. « Tu me feras pas mettre de justaucorps, mais on pourra aller voir. Tu sais déjà faire des pirouettes ? » Louis n’y connaît pas grand-chose en danse classique, mais il lui semble avoir déjà vu des danseurs et des danseuses virevolter en l’air, avec les bras au-dessus de la tête. Il tente d’imaginer sa cousine dans cette situation, et ça lui donne une idée. « Je pourrai demander à papa et maman d’aller voir ton spectacle à la fin de l’année ! » Au fond, il ne sait pas s’il y a des spectacles de fin d’année à la danse classique, il sait juste qu’il y en a à l’école, alors pourquoi pas à la danse ?

La conversation dévie sur la chasse aux trolls, et Louis tente d’ajouter sa pierre à l’édifice du plan concocté par Birdie. “T’as totalement raison.” Il gonfle un peu la poitrine, fier comme un paon que sa grande cousine approuve sa proposition. “Bien sûr! Je vais pas te laisser affronter tout ça tout seul voyons! Et je veux les voir moi aussi!” Il a beau faire le grand, ça le rassure quand même que Birdie l’accompagne. Ce n’est pas qu’il a peur, c’est juste qu’elle connaît mieux la forêt que lui, c’est tout. “On prendra des gâteaux et des bonbons pour le poste d’observation.” « On peut prendre des chips aussi ? » Depuis que sa mère a ajouté des chips à son pique-nique lors d’une sortie avec l’école, Louis ne jure que par ça, au grand désespoir de ses parents, évidemment. S’il n’y en a pas chez les Cadburry ce n’est pas grave, il s’en passera, et des gâteaux et des bonbons c’est déjà plus que ce qu’il a le droit de manger chez lui.

“Il est beaucoup trop jeune pour ça!” « Ah. D’accord. » Ses rêves de jouer au cowboy chasseur de trolls s’envolent en fumée, mais Louis n’a pas le temps de s’appesantir sur sa déception, puisque déjà Birdie, un coton fermement enfoncé dans la narine, lui montre le chemin de sa chambre pour lui dévoiler son fameux plan. “Allez, on va se préparer un sac avec tout le nécessaire et je te montre le plan.”

Il a fallu parler à voix basse, au cas où les trolls auraient envoyé des mouches espionnes les écouter à travers la fenêtre. Il a aussi fallu cacher les bonbons et les gâteaux qu’ils glissaient dans leurs sacs à dos, parce que Louis se doutait que ses parents ne seraient pas d’accord. Il les entend d’ici, dire qu’ils n’auront plus faim pour le dîner, qu’ils finiront avec des dents pourries par les caries et qu’ils n’arriveront pas à s’endormir ce soir parce qu’ils auront trop de sucre dans le sang. Rabat-joies. C’est Birdie qui s’est chargée de la négociation sur l’heure du retour. C’est elle la grande, et Aurora lui fait plus confiance à elle, que ses parents à lui. “Tu vas voir, ça va être trop bien!” Son enthousiasme est partagé. « OUI ! C’est toujours mieux les vacances à Elimbah. » “T’sais, parfois, j’me dis que tu serais mieux d'habiter avec nous. Tonton et tata ont vraiment pas l’air rigolo.” Louis hoche la tête sans vraiment s’en rendre compte. Rigolo n’est effectivement pas un adjectif qu’il utiliserait pour décrire ses parents. « J’ai demandé une fois. Quand ils étaient fâchés contre moi et qu’ils se demandaient ce qu’ils allaient faire de moi. » Il hausse les épaules, comme si c’était une conversation habituelle chez les Dalton. « Ça les a encore plus énervés. Ils ont dit qu’ils n’étaient pas irresponsables comme des hippies et qu’Aurora avait déjà assez à s’occuper. En gros. » Il ne se rappelle plus des mots exacts, mais l’essentiel est là. « C’est quoi des hippies ? » Question qu’il se pose depuis cette fameuse dispute. Peut-être que Birdie saura, elle est plus grande que lui après tout.

Maintenant qu’ils se sont suffisamment éloignés de la maison, désormais cachée par les arbres qui les entourent, Louis sort la loupe de son sac à dos et commence à observer avec attention le sol autour d’eux. « Oh un ver de terre ! Tu penses que les trolls mangent les vers de terre ? » Si c’est le cas, il faudrait les mettre en sécurité. Leur construire une forteresse en laitue peut-être.

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Si quelqu’un d’autre que Birdie lui avait confié vouloir faire de la danse classique, Louis n’aurait pas été si compréhensif. Il se serait même moqué ouvertement de ce sport prout-prout. Bizarrement, avec sa cousine, il était bien plus compréhensif. “Je sais faire la roue!” « Trop stylé !!! » Son enthousiasme est bien réel cette fois, mais la roue, ce n’est pas vraiment de la danse classique, ça peut aussi être de la gym, ou encore mieux, du cirque ! “Après plein, plein, plein d'entraînements avec Lila, j’ai enfin réussi! Je pourrai te montrer si tu veux.” « Oui je veux voir ça ! Tu penses que vous pourrez m’apprendre pendant les vacances ? » S’il avait fallu plein plein plein d’entraînements à Birdie, les vacances allaient peut-être être trop courtes pour que Louis parvienne à maîtriser la fameuse figure. Avec un peu de chance, il aura oublié son objectif demain, après avoir eu mille et une autres idées avec sa cousine. “Mais oui! Je suis sûre qu’Aurora vous invitera.” Louis s’imagine déjà encourager Birdie depuis sa chaise en plastique. Il faudra juste trouver de quoi s’occuper pendant les autres danses, parce que si sa cousine n’est plus sur scène, ça devient beaucoup moins intéressant d’un coup.

“On pourra plus tard. Quand on sera plus grand.” Ça aussi - monter sur le dos du cheval des voisins - Louis l’aura vite oublié, mais pour le moment il s’imagine galopant à travers les plaines australiennes à la recherche de trésors perdus, et ça suffira à occuper ses rêves pour au moins les trois mois à venir.

Louis aime passer ses vacances à Elimbah. Si ça ne tenait qu’à lui, il y passerait même toute son année. Mais ses parents ont dit non, et sa maîtresse répète souvent que les enfants doivent faire ce que leurs parents leur disent, alors il n’insiste pas, et il en profite autant qu’il le peut quand il rend visite à ses cousins. “C’est hyper méchant de dire ça.” La réponse de Birdie le surprend. C’est vrai qu’il trouve parfois que ses parents ne sont pas gentils, quand ils le grondent ou lui disent non, mais il n’a encore jamais entendu quelqu’un d’autre le dire à haute voix comme ça. Pour toute réponse, Louis hausse les épaules, l’air de dire que ce n’est pas si grave que ça. Les deux enfants poursuivent leur discussion tout en faisant attention à là où ils mettent les pieds. Le chemin se rétrécit parfois trop pour y marcher côte à côte, alors Louis laisse Birdie passer devant et doit ensuite accélérer le pas pour se retrouver à sa hauteur. “J’ai entendu une fois Aurora se plaindre du style trop baba cool et hippie de nos parents, mais j’sais pas trop ce que ça veut dire.” « Si être hippie c’est être comme tes parents, je trouve ça cool. » Au moins, les parents de Birdie voyagent et envoient des photos de leur tour du monde à leurs enfants. Même si ça doit être bizarre, au fond, une maison sans parents. Parfois, Louis aimerait que ses parents ne soient plus là, mais d’autres fois il se dit qu’il serait quand même un peu perdu sans eux. « Ils te manquent parfois ? » Il pose la question sans réfléchir, juste parce qu’elle vient de lui traverser l’esprit. “Qu’est-ce que t’avait fait pour les énerver, cette fois ?” Louis hausse une nouvelle fois les épaules, même si Birdie est devant lui et ne peut pas le voir. « J’sais plus. Je devais avoir fait trop de bruit. Ou j’avais cassé un truc. » Ça lui arrivait souvent - trop souvent au goût de ses parents - de casser des trucs, alors c’était probable que ce soit ça qui ait agacé ses parents. « Je me fais souvent gronder, à la maison et à l’école. Ma maîtresse disait que j’étais un élève dissipé. Je sais pas ce que ça veut dire, mais j’avais des croix dans mon carnet à cause de ça. » Des croix dans le carnet, ce n’était pas bon signe, en général. « Tu te fais souvent gronder, toi ? »

“Nan, c’est trop petit. Tu vois les arbres ? Ils sont sûrement aussi grands! Donc comment tu veux qu’ils attrapent ces tous petits trucs.” Louis lève la tête pour regarder la cime des arbres, et sa bouche s’ouvre dans une expression ébahie. « Wooow ! Ils sont aussi grands que ça ? Ça veut dire qu’ils peuvent nous écraser comme des fourmis ! » Louis n’avait pas réfléchi à ça quand il avait accepté d’accompagner sa cousine dans la forêt. Mais ce n’est pas un bébé, alors il n’est pas question qu’il fasse demi-tour maintenant ! “Faut qu’on se dépêche pour aller à la cabane. Faut au moins qu’on mette nos provisions.” Il acquiesce d’un mouvement de tête, puis suit Birdie qui se faufile entre les buissons comme si elle connaissait l’endroit par cœur. Ils arrivent devant une échelle, et Louis lève la tête pour jeter un regard émerveillé à la cabane construite dans les branches de l’arbre. “Allez, monte devant!” Il s’exécute immédiatement et se retrouve bientôt dans les airs, à quelques mètres du sol. « C’est la meilleure cabane que j’ai jamais vu ! On voit même la maison. » Là-bas au loin, on devine le toit de la maison des Cadburry. Ou peut-être celle des voisins, Louis ne s’y connaît pas suffisamment pour le savoir avec exactitude. « Où est-ce qu’on met les provisions ? » Comme un bon petit soldat, il est prêt à suivre les ordres de sa supérieure.

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Est-ce que tous les enfants ne trouvaient pas, un jour dans leur vie, les parents d’un copain mieux que les siens ? Parce qu’alors qu’on connaît par cœur les intonations de voix de ses propres parents lorsqu’ils nous disputent, des autres familles on ne voit que la partie émergée de l’iceberg. Les sorties au parc et les éclats de rires. Les photos de vacances et les anecdotes rigolotes. Louis faisait partie de ces enfants ingrats qui ne seraient pas contre l’idée d’échanger de parents. Même que pour une semaine ou deux, histoire de voir ce que ça change vraiment. Et il ne serait pas opposé à ce que ces parents de remplacement soient son oncle et sa tante. Parce qu’il avait toujours eu l’impression qu’ils étaient plus détendus que son père et sa mère. Qu’ils laissaient une plus grande liberté à leurs enfants. Qu’ils riaient davantage, aussi. Ça ne riait pas beaucoup, chez les Dalton. Du moins pas très fort. Alors que du plus loin qu’il s’en souvenait, la maison des Cadburry avait toujours grouillé de vie et de bruits. Louis plaçait donc les parents de Birdie sur un piédestal. Pourtant, sa cousine trouvait tout de même des choses à redire. “Oh non, pas du tout! S’ils étaient là, je pense pas que je ferai ce que je veux quand je veux. Comme là!” Il était vrai que malgré toutes les qualités que Louis leur trouvait, ils restaient des parents, et comme sa maîtresse le répétait souvent, le rôle des parents était de mettre des limites aux enfants. “Ne pas avoir de papa et de maman est plutôt cool. En plus, ils nous envoient des petits cadeaux à chaque fois qu’ils sont quelque part!” « C’est vrai que comme ça vous avez plein de cadeaux ! » Cadeaux que Louis aimait observer avec des étoiles dans les yeux à chaque fois qu’il venait à Elimbah. Il regardait ensuite sur une carte où son oncle et sa tante étaient quand ils les avaient envoyés. “Mais heureusement qu’y a mes soeurs et mon frère car toute seule, je sais pas comment je ferai.” Il hocha la tête, reconnaissant que vivre tout seul tout seul serait bien ennuyant. Même s’il trouvait son petit frère encore trop petit pour être intéressant. Même s’il préférait embêter sa grande sœur plutôt que de jouer avec elle. Même si ses parents trouvaient qu’il faisait trop de bruit. En plus, il ne savait pas se faire à manger tout seul, alors il finirait sans doute par mourir de faim.

“Ca veut dire que t’es pas assez attentif. C’est marrant, moi aussi on me le dit souvent!” Si être un élève dissipé lui donnait un point commun avec sa cousine, Louis n’était pas certain que ce soit vraiment une mauvaise chose. Il ne chercha pas à creuser plus longtemps la question, et préféra demander si, comme lui, Birdie se faisait souvent gronder. C’était plus intéressant que de savoir si être dissipé était une bonne ou une mauvaise chose. “Parfois, ouais. Mais je m’en fiche. Aurora est pas ma mère. Je fais rien de mal quand on me reprend juste parce que je parle trop avec ma voisine.” « J’aimerais pas que ma sœur me gronde comme si c’était ma mère. » L’idée lui fait même plisser le nez dans une grimace de dégoût.

La question des bêtises, des disputes et de l’autorité est vite balayée lorsque la chasse aux trolls revient au premier plan et que Louis s’inquiète des dégâts que peuvent faire des créatures aussi grandes. “Oui, pour ça qu’il faut faire hyper attention!” Il redouble de vigilance, évidemment, ne quittant pas la cime des arbres des yeux, et croyant à plusieurs reprises apercevoir un nez crochu ou des yeux globuleux. Jusqu’à ce qu’ils arrivent à la fameuse cabane et qu’à nouveau, cette nouvelle attraction fasse de l’ombre au sujet précédent. “Ca m’étonnerait. C’est sûrement la ferme d’à côté que tu vois.” « Oh. Dommage. » Ça aurait été drôle, de voir la maison d’ici, mais Louis se contentera de la ferme d’à côté. “C’est mon voisin qui l’a fait! Tu sais, celui qu’on voit toujours en train de couper du bois.” « Il est trop fort ! » Si on regarde avec attention, on peut apercevoir des étoiles dans les yeux émerveillés de Louis. « Tu penses qu’il pourra m’apprendre à faire des cabanes ? » Entre apprendre à faire la roue, et à faire des cabanes, ces vacances risquaient de passer à toute vitesse. Mais comme à chaque fois qu’il est à Elimbah, Louis en profite pour expérimenter des choses qu’il n’a pas le droit de faire chez lui. “Ici! Ca sera bien protégé là dedans!” Louis s’exécute et place leurs provisions dans le coffre que Birdie désigne. “Je garde les fraises tagada, j’en ai trop envie. T’en veux ?” « Oui ! » Pas de s’il te plait, ni de merci, c’est la magie des interactions entre enfants trop pressés de retourner à leurs jeux pour s’embarrasser de la politesse. Il fourre donc sans plus de cérémonie deux fraises Tagada dans sa bouche, et lorsqu’il reprend la parole, il articule beaucoup moins bien que d’habitude. « C’est quoi le plan maintenant ? On fait le guet avec des jumelles ? » Il n’a aucune idée de l’heure qu’il est et du temps qu’il leur faudra pour revenir à la maison. D’ailleurs s’il n’écoutait que lui, ils passeraient sans doute la nuit à la belle étoile.